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Date :  20090223

Dossier :  IMM-2854-08

Référence :  2009 CF 187

Ottawa (Ontario), le 23 février 2009

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

MANJEET SINGH MULTANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Introduction

[1]               En lisant les motifs de la décision de la Commission dans leur ensemble, il est clair qu’ils sont « appropriés, adéquats et intelligibles » (Syed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 83 F.T.R. 283, 50 A.C.W.S. (3d) 473). Les motifs relèvent clairement que la Commission a analysé les causes de la crainte du demandeur mais a déterminé que les éléments de preuve au dossier n’établissaient pas qu’il courait un risque advenant un retour en Inde.

 

[2]               Dans Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1501, 128 A.C.W.S. (3d) 139, au paragraphe 42, la juge Carolyn Layden-Stevenson a précisé l’obligation de faire connaître les motifs d’une décision : « [I]l ne faut pas scruter les motifs à la loupe et leur appliquer la norme de la perfection. Il faut les lire dans leur ensemble [...] ».

 

II.  Procédure judiciaire

[3]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 16 mai 2008, par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR).

 

III.  Faits

[4]               Le demandeur, monsieur Manjeet Singh Multani, né en 1984, est un citoyen de l’Inde où il a vécu dans le village de Khatti, dans le district de Kapurthala à l’État du Pendjab. Il est membre du parti politique Shiromani Akali Dal (Badal) dans le district de Kapurthala. Le parti politique Shiromani Akali Dal (Badal) est dirigé par Prakash Singh Badal et constitue la principale organisation politique de la communauté sikhe de l’Inde. Les activités de monsieur Multani au sein de ce parti étaient strictement locales et consistaient à faire du porte-à-porte pour convaincre les gens à voter pour son parti ou participer à des réunions. Selon monsieur Multani, il est reconnu dans sa région comme personne efficace qui attire des votes.

 

[5]               Monsieur Multani allègue qu’en mai 2004, monsieur Jagir Singh, un partisan du Parti du Congrès, lui a rendu visite et lui a demandé d’aider son parti, ce que monsieur Multani a refusé de faire. Pendant la campagne électorale en 2004, les associés de monsieur Jagir Singh l’ont souvent approché pour qu’il travaille pour le parti du Congrès national indien (Parti du Congrès), mais il a plutôt continué son travail de porte-à-porte en faveur du parti Shiromani Akali Dal (Badal). Lors de cette élection, le Parti du Congrès a été élu au pouvoir au Parlement national.

 

[6]               Monsieur Multani allègue qu’en août 2004, la tension s’est élevée entre les partisans des deux partis au sujet de l’utilisation d’un terrain d’école pour la célébration de la journée de l’indépendance. Il allègue que des partisans du Parti du Congrès ont profité de l’occasion pour le menacer pour son manque d’aide envers eux pendant la campagne électorale; toutefois, il a réussi à s’échapper. Il allègue également qu’il a tenté de porter plainte, mais qu’au poste de police, l’inspecteur a refusé de prendre sa plainte et plutôt l’a accusé d’avoir menti.

 

[7]               Monsieur Multani allègue qu’en janvier 2005, les policiers l’ont arrêté à deux reprises, invoquant le fait qu’il avait créé des problèmes au sein du village. À la prison, monsieur Multani allègue avoir été battu avec des ceintures de cuir et des tiges de bois. Il confirme également qu’il a vu monsieur Jagir Singh avec l’inspecteur de police, mais il ne savait pas pourquoi monsieur Jagir Singh était à la station de police. Il allègue que son père et des gens influents du village ont obtenu sa libération et qu’il a été soigné par un médecin.

 

[8]               Monsieur Multani allègue qu’en janvier 2006, alors qu’il faisait du porte-à-porte afin d’inviter les gens d’assister à une réunion convoquée par la direction de son parti au niveau local, des membres du parti du Congrès, sous la direction de monsieur Jagir Singh, l’ont empêché et ses collègues à continuer leurs activités. Les partisans des deux partis se sont bagarrés, mais les policiers sur place n’ont rien fait. À cette occasion, monsieur Jagir Singh lui a spécifié que monsieur Multani était l’un de ceux qui subiraient des conséquences.

 

[9]               Deux jours plus tard, selon monsieur Multani, son père a été informé que monsieur Jagir Singh planifiait, en collaboration avec les policiers, de l’accuser sous faux prétextes. Il a alors quitté son foyer et il est allé s’évader chez un ami dans un village voisin. Il allègue que ses parents ont décidé qu’il devait fuir son pays pour sauver sa vie; son père a contacté un agent qui l’a amené en Russie et en Angleterre et il est retourné en Inde respectivement à deux reprises après la Russie et également après l’Angleterre avant de venir au Canada. Ce n’est qu’après le 11 juillet 2006 qu’il est venu au Canada.

 

[10]           Monsieur Multani est arrivé au Canada, le 12 juillet 2006, et a demandé l’asile. Il s’est marié en juin 2007 à Montréal.

 

Décision contestée

[11]           Invité à préciser, pendant l’audience, ce qu’il craindrait aujourd’hui s’il devait retourner en Inde, monsieur Multani a répondu qu’il craint que la police le recherche parce que monsieur Jagir Singh voudrait se venger contre lui.

[12]           Toutefois, la Commission a conclu que monsieur Multani n’a pas démontré que sa crainte de persécution, évaluée de manière prospective, était objectivement fondée. La Commission n’a pas mis en doute qu’il ait été ciblé par monsieur Jagir Singh et ses associés, partisans du parti du Congrès, et qu’il a été arrêté par la police. Par contre, elle n’a pas été satisfaite qu’il serait toujours visé de façon particulière par monsieur Jagir Singh, les partisans du parti du Congrès ou par la police.

 

[13]           La Commission a noté qu’aux élections de 2004, au niveau national, le Shiromani Akali Dal (Badal) a obtenu 2 sièges au Conseil des États et 8 sièges à la Chambre du peuple, alors que le parti du Congrès a remporté 145 sièges dans la Chambre du peuple et a nommé au poste de premier ministre, monsieur Manmohan Singh, qui est d’origine sikhe. Lors des élections qui ont eu lieu en février 2007 au Pendjab, allié avec un autre parti, le parti du Shiromani Akali Dal (Badal) a obtenu 67 sièges ainsi que le parti du Congrès a obtenu 44.

 

[14]           Donc, depuis l’arrivée du monsieur Multani au Canada, le parti du Congrès n’est plus désormais au pouvoir au Pendjab. Depuis février 2007, son parti politique, Shiromani Akali Dal (Badal), est au pouvoir dans son État.

 

[15]           De plus, la Commission a conclu que les activités de monsieur Multani étaient à un niveau strictement local en collaboration avec un nombre restreint de personnes. Monsieur Multani a indiqué que monsieur Jagir Singh travaillait pour le parti du Congrès autant à un niveau local avec un nombre restreint de personnes. Monsieur Multani ignore si monsieur Jagir Singh travaille toujours pour le parti du Congrès; et, selon lui, la police ne le recherche plus depuis janvier 2005.

 

[16]           La Commission a conclu :

À la lumière de l’ensemble du témoignage du demandeur et à la lumière du fait que, depuis février 2007, le parti du demandeur, soit le parti Akali Dal (Badal), est au pouvoir au Pendjab, le Tribunal conclut que le demandeur n’a pas démontré, par prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il serait persécuté, s’il devait retourner dans son pays.

 

IV.  Question en litige

[17]           a) La Commission a-t-elle erré par le manque d’explication en quoi le changement de gouvernement dans l’État du Pendjab pourrait affecter la crainte d’être persécuté ?

            b) La Commission a-t-elle manqué à son devoir d’équité procédurale en lui refusant l’occasion d’expliquer dans ses termes le changement de gouvernement qui a eu lieu et les implications sous-jacentes dans son cas ?

c) La Commission a-t-elle erré par le fait qu’elle n’a pas adressé le contenu de l’affidavit du Sarpanch de Khatti que monsieur Multani a déposé en preuve ?

 

V.  Analyse

La norme de contrôle

[18]           À la lumière de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, est-ce que la décision est raisonnable ou non ? Dans l’affirmative, cette Cour devrait refuser d’intervenir et devrait rejeter la demande.  Selon la Cour suprême du Canada, les éléments à considérer se résument au niveau de la justification de la décision par sa transparence et son intelligibilité. Il faut que les solutions retenues puissent se justifier eu égard aux faits et au droit (Dunsmuir, au par. 47).

 

[19]           Quant à l'obligation d'agir équitablement en matière de procédure, l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 908, [2008] A.C.F. no 1142 (QL) au par. 15; également, Rivas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 317, [2007] A.C.F. no 436 (QL)).

 

[20]           La question de savoir si la Commission a suffisamment motivé sa décision est une question d’équité procédurale à laquelle la norme applicable est celle de la décision correcte (Weekes (Tuteur à l’instance) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 293, 165 A.C.W.S. (3d) 4; également, Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539).

 

[21]           De plus, le fait de ne pas avoir donné à une demanderesse l'occasion de répondre à certaines préoccupations pourrait constituer un manquement aux règles de l’équité procédurale (Bonilla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 20, 154 A.C.W.S. (3d) 692 au par. 27; également, Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 284, 247 F.T.R. 147 au par. 22).

 

[22]           Quant à la norme de la décision correcte, en cas de désaccord, la cour de révision substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. Elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si oui ou non la décision du tribunal est correcte : «La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne » (Dunsmuir, au par. 50). Donc, un manquement à l'obligation d'agir équitablement en matière de procédure entraîne l'annulation de la décision.

 

a)   La Commission a-t-elle erré par le manque d’explication en quoi le changement de gouvernement dans l’État du Pendjab pourrait affecter la crainte d’être persécuté ?

 

[23]           Monsieur Multani a prétendu que la Commission n’a pas expliqué comment le changement du gouvernement dans l’État du Pendjab pourrait faire en sorte qu’il ne serait plus persécuté par les partisans du parti du Congrès. Au contraire, selon monsieur Multani, le fait qu’il ait pu contribuer à la victoire de son parti dans sa région au Pendjab, donne une motivation supplémentaire aux membres du Congrès de vouloir se défaire d’un opposant qui avait contribué à la défaite de leur parti au niveau de l’État.

 

[24]           Le demandeur a soulevé un extrait de l’arrêt Syed, ci-dessus, ou le juge en chef adjoint James Alexander Jerome a constaté :

[8]        Les motifs écrits ont pour fonction de faire connaître à ceux que la décision d'un tribunal administratif a défavorisés la raison sous-jacente de cette décision. À cette fin, les motifs doivent être appropriés, adéquats et intelligibles et ils doivent prendre en considération les points importants soulevés par les parties.

 

[9]        En l'espèce, les motifs donnent un résumé du témoignage du requérant et un résumé de la preuve documentaire étudiée par la section du statut, suivis d'une conclusion qui ne fait aucune mention des éléments de preuve fournis par le requérant. En effet, aucune mention n'est faite de l'arrestation du requérant en novembre 1991, du mandat d'arrestation toujours valide décerné contre lui, des menaces que lui et sa famille ont reçues, des coups qu'il a témoigné avoir reçus lorsqu'il était sous la garde de la police, ni de la destruction de son académie de billard. Bien qu'il soit du ressort de la compétence du tribunal d'accueillir ou de rejeter ces renseignements, il ne peut simplement n'en pas tenir compte. La section du statut de réfugié est tenue, pour le moins, de faire des commentaires sur la preuve produite par le requérant à l'audience. Que cette preuve soit admise ou rejetée, le requérant doit en connaître les raisons.

 

[25]          Dans Liang, ci-dessus, au paragraphe 42, la juge Layden-Stevenson a précisé l’obligation de faire connaître les motifs d’une décision : « [I]l ne faut pas scruter les motifs à la loupe et leur appliquer la norme de la perfection. Il faut les lire dans leur ensemble ».

 

[26]           En lisant les motifs de la décision de la Commission dans leur ensemble, il est clair qu’ils sont « appropriés, adéquats et intelligibles » (Syed, ci-dessus). Les motifs relèvent clairement que la Commission a analysé les causes de la crainte de monsieur Multani mais a déterminé que les éléments de preuve au dossier n’établissaient pas qu’il courait un risque advenant un retour en Inde. 

 

[27]           Premièrement, la conclusion de la Commission a clairement montré qu’elle s’appuie non seulement sur le changement politique au Pendjab, mais également sur l’ensemble du témoignage du demandeur. Un demandeur a le fardeau de démontrer en quoi sa crainte ou son risque personnalisé est, toujours, objectivement fondé. La Commission a trouvé que monsieur Multani ignorait si monsieur Jagir Singh travaillait toujours pour le parti du Congrès. Par le fait même, il ignorait si celui-ci avait toujours un intérêt particulier à le viser. Plus encore, il a indiqué à l’audience que la police ne le recherchait plus depuis janvier 2005. Monsieur Multani n’a pas fourni de preuves pour établir que la police ou monsieur Jagir Singh le rechercherait s’il retournait en Inde. En absence de preuve que ceux-ci le recherchent aujourd’hui, il était raisonnable pour la Commission de déterminer que le risque invoqué par le demandeur n’était plus objectivement fondé. Donc, même si l’on écarte le fait que son parti politique était au pouvoir au Pendjab, les motifs de la Commission étaient raisonnablement appuyés par les faits.

 

[28]          Ainsi, monsieur Multani identifiait les partisans du parti du Congrès qu’il allègue influençaient la police, comme ses agents persécuteurs. Dans l’arrêt Hassan v. Canada (Ministre de L’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, 36 A.C.W.S. (3d) 635 (C.A.F.), le juge Darrel Heald a conclu:

In finding as it did that the situation in Uganda had changed, however, it is clear the Board was simply concluding that the appellant's fear of persecution, no matter how sincerely it was held, did not have the objective element necessary to make it well-founded. That this is so is made plain by the Board's decision.

 

[29]           Étant donné que le risque allégué par monsieur Multani provient de partisans du parti du Congrès, le parti qui était en pouvoir à l’époque, il était loisible pour la Commission de tirer la conclusion qu’un changement politique au Pendjab aurait pu modifier le risque pour monsieur Multani s’il devait retourner en Inde.

 

b)   La Commission a-t-elle manqué à son devoir d’équité procédurale en lui refusant l’occasion d’expliquer dans ses termes le changement de gouvernement qui a eu lieu et les implications sous-jacentes dans son cas ?

 

[30]           Un décideur administratif n’est en général pas tenu de donner aux demandeurs l'occasion de préciser ou d'expliquer davantage leurs demandes (Bonilla, ci-dessus au par. 22). Néanmoins, dans certaines circonstances, l'équité procédurale exige que le demandeur ait l'occasion de répondre aux préoccupations d’un décideur administratif (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, [2008] A.C.F. no 1625 (QL) au par. 35).

 

[31]           La jurisprudence n'établit pas clairement quand un décideur administratif doit faire part de ses préoccupations au demandeur lorsque ces préoccupations sont fondées sur les renseignements que le demandeur lui a fournis (Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 R.C.F. 501 au par. 21). Dans Liao c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 101 A.C.W.S. (3d) 998, [2000] A.C.F. no 1926 (QL), le juge Pierre Blais a énoncé qu’un décideur administratif remplit toute obligation, telle de donner un demandeur l'occasion de répondre aux préoccupations, quand il pose des questions appropriées :

[15]      L'agent des visas est tenu de donner à l'immigrant la possibilité de répondre à la preuve précise qui est présentée à son encontre. Cette obligation d'équité peut obliger l'agent des visas à informer le demandeur des préoccupations ou des impressions défavorables qu'il a au sujet de la demande et à donner à celui-ci la possibilité de le détromper.

 

[...]

 

[17]      Toutefois, l'agent des visas s'acquitte de cette obligation d'informer le demandeur s'il oriente comme il se doit ses questions ou s'il demande des renseignements raisonnables qui donnent au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations [...]

 

[32]           En l’espèce, la Commission a donné à monsieur Multani l’occasion de répondre à ses préoccupations pendant l’audience. De plus, le procureur de monsieur Multani a adressé le changement politique dans ses conclusions orales.

 

[33]           La transcription démontre que la Commission a demandé des questions à monsieur Multani visant à déterminer si un changement politique changerait son risque de persécution s’il devait retourner en Inde:

BY PRESIDING MEMBER (to person concerned)

 

 

Q. Could you tell me when was the last election at the federal level? When the last election has been held if you know for the Parliament?

 

A. I really don’t know.

 

- Okay.

 

Q. Do you know when the last assembly or provincial or state election within Punjab, do you know when it has been held?

 

A. In May 2004.

 

Q. You’re not aware of the election which has been held in Punjab in February 2007? And from my understanding that was for the assembly, for the state. Are you aware of that?

 

A. No, I don’t know. At the time I was there we were told to prepare for any forthcoming elections.

 

- No, it’s okay. I only want to know if you know about the last election in Punjab.

 

Q. You’re not aware of that?

 

A. I don’t know.

 

Q. You’re not aware of the fact that your party won that election within Punjab in February 2007?

 

A. My mother told me that that was the case.

 

Q. Oh, so you know?

 

A. When our party won I was told, I was informed by my mother.

 

-Okay.

 

(Dossier du tribunal administratif, aux pp. 349-50).

 

[34]           Cet extrait démontre que la Commission s’intéresse au changement politique qui a eu lieu en février 2007 au Pendjab. Après les représentations des deux côtes, y compris les questions sur les changements politiques et les conclusions orales du procureur de monsieur Multani, la Commission a directement demandé à monsieur Multani s’il avait quelque chose a ajouté, il a répondu que non.

 

[35]           Dans ses conclusions orales, le procureur du monsieur Multani a carrément adressé la signification du changement politique en Pendjab en février 2007 :

And true, we have discussed in similar cases in the past, you can oppose to him, well, sir, since February of 2007 it’s your party now that’s in power in Punjab. But as we’ve discussed in the past, we have to be very careful with that, because, as you know, most of the repressive organizations, police, army, border security, CRPF. They’re all federal entities and it’s Congress that is in charge at the federal level. And, of course, it’s [Manmohan] Singh, a Sikh, but I mean K.P.S. Gill was a Sikh and he is the one that killed fifty-thousand people at the time of India’s fighting against the insurgency in the Punjab. Many Sikhs are favourable to Congress obviously.

 

So he tells you I am against the naturally governing party in India. And the naturally government party in India is the party that supervises as above uses the repressive organizations against political opponents. That essentially is his claim here …

 

(Dossier du tribunal administratif, aux pp. 360-61).

 

[36]           Dans cet extrait, le procureur de monsieur Multani a prétendu que la conséquence d’un changement de gouvernement dans l’État de Pendjab ne modifie en aucune façon le risque à monsieur Multani s’il devait retourner en Inde. Il faut rappeler que le fardeau de la preuve repose en fait sur le demandeur (Hassani, ci-dessus au par. 22). Donc, même si la Commission n’a pas accepté la prétention de monsieur Multani quant à la conséquence du changement politique, on ne peut pas conclure qu’il n’avait pas l’occasion d’élaborer sur le changement de gouvernement et les implications quant à son cas.

 

[37]           Dans son mémoire pour la demande de contrôle judiciaire, monsieur Multani a cité les motifs du jugement du juge Louis Marceau dans l’arrêt Mileva c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 398, 27 A.C.W.S. (3d) 480 (C.A.F.), ou ce dernier a jugé qu’une décision de la Commission fondée sur des changements politiques survenus dans le pays du demandeur depuis son départ met sur le demandeur le fardeau de démontrer que ces changements ne rendaient pas nulle sa crainte de persécution. Selon monsieur Multani, ce fardeau de preuve peut contredire les principes de justice fondamentale d’autant plus qu’il ne semble pas avoir été questionné sur l’impact d’un tel changement politique.

 

[38]            Comme le mémoire a soigneusement expliqué, ces propos du juge Marceau étaient en obiter. Ils ont apparu comme « un argument subsidiaire de convenance ». Le juge Marceau a fondé sa conclusion sur le fait que le décideur en première instance n’avait pas juridiction de trancher la question de changement politique.

 

[39]           En tout cas, le juge Marceau était dans la minorité sur cette question, les deux autres juges sur le banc ayant conclu qu’un décideur de première instance avait la juridiction de considérer les changements politiques. Comme le juge Louis Pratte a conclu aux pages 404-05:

[...] L'arbitre et le membre de la section du statut doivent décider s'il est possible que la section du statut reconnaisse le statut de réfugié à la personne qui le revendique. Pour rendre cette décision, ils doivent tenir compte de toute preuve crédible qui tend à établir des faits pertinents à cette question. Or, le fait que la situation politique existant dans le pays d'origine d'un revendicateur ait évolué de façon à faire disparaître les motifs qui lui faisaient craindre la persécution est évidemment un fait pertinent à la question de savoir si cette personne peut sérieusement prétendre être un réfugié au sens de la Convention. La question que soulève la revendication du statut de réfugié, en effet, n'est pas celle de savoir si le revendicateur a déjà eu, dans le passé, des motifs de craindre la persécution, mais bien celle de savoir s'il a aujourd'hui, au moment ou l'on statue sur sa revendication, des motifs sérieux de craindre d'être persécuté dans l'avenir [...]

 

Si l'arbitre et le membre de la section du statut doivent tenir compte des preuves tendant à démontrer un changement de circonstances dans le pays d'origine du revendicateur, ce n'est pas à eux de juger si le changement de circonstances établi par ces preuves est suffisant pour faire échec à la revendication [...]

 

[40]           Même si ce n’est pas disputé dans le présent cas, la conclusion de la majorité de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mileva était qu’un décideur de première instance peut considérer les changements politiques.  

 

[41]           Dans le contexte d’une question d’équité procédurale, la norme de la décision correcte s’applique. En l’espèce, la Commission avait l’habilité de considérer si un changement politique influence le risque de retour pour un demandeur. La Commission a donné à monsieur Multani une occasion de répondre aux questions quant au changement politique au Pendjab depuis son départ. Son procureur a adressé cette question pendant l’audience. Monsieur Multani avait l’occasion de répondre à la préoccupation de la Commission; elle n’a pas commis une erreur à cet égard.

 

[42]           La Commission a considéré les renseignements que monsieur Multani lui avait fournis, comme elle devait faire dans le but de rendre une décision. Les questions que la Commission avait posées et les renseignements qu’elle avait obtenus affirment qu’elle pouvait raisonnablement arriver à la conclusion qu'elle a tirée.

 

c)   La Commission a-t-elle erré par le fait qu’elle n’a pas adressé le contenu de l’affidavit du Sarpanch de Khatti que monsieur Multani a déposé en preuve ?

 

[43]           Monsieur Multani prétend que la preuve qu’il a déposée devait être commentée, d’autant plus que l’authenticité de ce document n’est pas contestée. La Commission devait donc prendre en compte le contenu de l’affidavit de monsieur Kuldip Singh, le Sarpanch de Khatti. Un Sarpanch est le chef du village. La Commission n’a pas commenté sur ou mentionné cette preuve, qui était postérieure à la fuite du monsieur Multani.

 

[44]           Généralement, la Commission est présumée avoir tenu compte de toute la preuve qu’elle affirme ou non qu’elle l’a fait:

…The fact that some of the documentary evidence was not mentioned in the Board's reasons is not fatal to [its] decision. The passages from the documentary evidence that are relied on by the appellant are part of the total evidence which the Board is entitled to weigh as to reliability and cogency. My examination of the record before the Board persuades me that it did, in fact, consider and weigh the total evidence in a proper fashion...  

 

(Hassan, ci-dessus).

 

[45]           Monsieur Multani a cité l’arrêt Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 656, 129 A.C.W.S. (3d) 783, afin de souligner que l’obligation d’évaluer une preuve documentaire dans une décision dépend de l’importance de cette preuve : « Le devoir de la Commission de s’expliquer augmente avec la pertinence de la preuve » (au par. 16). Dans l’arrêt Gill, cette Cour a trouvé que la preuve documentaire ignorée par la Commission en question dans ses motifs « porte sur des faits qui sont au cœur même de la revendication de M. Gill » (au par. 17).

 

[46]           Dans Gill, la Commission a trouvé que le témoignage de monsieur Gill n'était pas crédible. La preuve documentaire y inclut un affidavit d’un Sarpanch, a corroboré tous les points essentiels de la revendication de monsieur Gill. Face aux contradictions entre la crédibilité du témoignage et la preuve documentaire sur une question au cœur de la demande, la preuve dans l’arrêt Gill était pertinente et a obligé la Commission de faire des commentaires sur elle.

 

[47]           Dans le cas présent, la Commission en l’espèce n’a tiré aucune conclusion de non-crédibilité à l’encontre de monsieur Multani ou des faits relatés dans son histoire. Même si son histoire était tenue comme crédible, monsieur Multani n’a pas convaincu la Commission par la prépondérance des probabilités qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il serait persécuté s’il devait retourner en Inde.

 

[48]           Il ne s’agit pas d’une erreur pour la Commission de ne pas avoir adressé expressément l’affidavit du Sarpanch de Khatti dans ses motifs dans la mesure de sa non-pertinence à l’évaluation faite par la Commission. Dans son affidavit, signé le 18 juillet 2006, soit une semaine après le départ de monsieur Multani de l’Inde, le Sarpanch de Khatti a corroboré les faits allégués par monsieur Multani qui seraient survenus avant son départ de l’Inde. Même si le Sarpanch de Khatti a constaté que « the Police is still searching for Manjit Singh and harassing his family to produce him. It is not safe for him to come back », le fait que l’affidavit était fait une semaine après le départ de monsieur Multani limite l’effet probant de cette déclaration. La Commission n’a pas mis en cause la crédibilité de ses faits.

 

[49]           La détermination de la Commission reposait sur l’évaluation du critère objectif de la crainte du demandeur pour le futur. Autrement dit, la Commission se demandait s’il existait une possibilité sérieuse que monsieur Multani soit persécuté par monsieur Jagir Singh et ses associés qui sont partisans du parti du Congrès, ou les policiers advenant son retour en Inde. L’affidavit du Sarpanch n’apporte aucun élément de preuve à cet égard. Il ne contient d’ailleurs aucune mention quant aux faits qui seraient survenus postérieurement à l’époque du départ du monsieur Multani. Étant donné que les faits contenus dans l’affidavit du Sarpanch de Khatti n’étaient pas au cœur de la question à trancher, la Commission n’était pas tenue d’en traiter expressément dans ses motifs.

 

VI.  Conclusion

[50]           La Commission n’a pas erré par le fait qu’elle n’a pas adressé le changement de gouvernement dans l’État du Pendjab qui aurait pu affecter la crainte d’être persécuté du demandeur. La Commission a rempli son devoir d’équité procédurale en donnant à monsieur Multani l’occasion d’élaborer sur le changement de gouvernement et les implications quant à son cas.

 

[51]           Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2854-08

 

INTITULÉ :                                       MANJEET SINGH MULTANI

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 23 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Doyon

M. Toni Abi Nasr

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHEL LE BRUN, Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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