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Date : 20090302

Dossier : IMM-3731-08

Référence : 2009 CF 213

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 2 mars 2009

En présence de madame la juge Gauthier

 

 

ENTRE :

DUNIS JOEL ACOSTA ACOSTA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        M. Acosta demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle celle‑ci a rejeté la demande qu’il a présentée en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas exposé à un risque personnel, mais plutôt à un risque généralisé de violence, s’il retournait au Honduras.

 

L’historique

[2]        Dunis Joel Acosta Acosta est un citoyen du Honduras âgé de 21 ans. Avant d’arriver au Canada, son emploi consistait à percevoir le prix des billets à bord d’un autobus, et ce, depuis août 2006. À la fin de chaque jour, M. Acosta et le chauffeur de l’autobus comptaient le montant d’argent perçu pour la journée et mettaient une partie de ce montant de côté pour le propriétaire de l’autobus et une autre partie pour l’essence. Le montant restant était partagé comme suit entre M. Acosta et le chauffeur : 40 p. 100 pour M. Acosta et 60 p. 100 pour le chauffeur.

 

[3]        Le vendredi, cette routine était différente car un membre du gang Mara Salvatrucha (le gang) exigeait le paiement de 200 lampiras honduriens, ce qui représente environ 13 $CAN. Le vendredi 2 février 2007, l’autobus dans lequel le demandeur percevait le prix des billets a éprouvé des problèmes mécaniques au tout début de la journée et le chauffeur et le demandeur ont dû aller au garage afin de le faire réparer. Le demandeur n’a donc pas travaillé cette journée‑là et aucun montant d’argent n’a été perçu. Le gang n’a pas reçu ses 200 lampiras de la part du demandeur et du chauffeur d’autobus.

 

[4]        Peu de temps après, une autre personne chargée de percevoir le prix des billets, Oscar Alexis Flores Sanchez, est venu dire au demandeur que sept membres du gang étaient montés à bord de l’autobus à la gare d’autobus et avaient abattu le chauffeur avec lequel le demandeur travaillait. Les hommes ont demandé aux autres personnes chargées de percevoir le prix des billets qui étaient présentes à la gare où se trouvait « le noir », comme il se plaisait à appeler le demandeur. Les personnes chargées de percevoir le prix des billets auraient tout simplement répondu que le demandeur ne s’était pas présenté au travail cette journée‑là.

 

[5]        Le demandeur, craignant que le gang le tue lui aussi et, sur le conseil de son beau‑frère, a quitté le Honduras pour se rendre au Canada. Il a traversé le Guatemala, le Mexique et les États‑Unis avant de franchir la frontière canadienne à pieds, sans se présenter aux douanes et à l’immigration, tôt dans la matinée du 3 avril 2007. Ce même mois, le demandeur a déposé sa demande d’asile.

 

[6]        Au cours de son périple vers le Canada, le demandeur a téléphoné à sa mère au Honduras à deux reprises, une fois le 4 février 2007, à partir du Guatemala, puis un peu plus d’une semaine plus tard, à partir du Mexique. À deux reprises, sa mère l’a informé qu’« Escorpion », un membre du gang, accompagné d’« Huicho », un autre membre du gang, s’étaient rendus une fois chez elle et qu’ils étaient à sa recherche et qu’ils lui avaient dit ce qui suit : [traduction] « votre fils viendra tôt au tard et nous le tuerons ». La mère du demandeur vit maintenant dans un autre quartier de Tegucigalpa, mais les membres du gang lui ont rendu à nouveau visite et ils ont à nouveau proféré leurs menaces.

 

[7]        L’audition du demandeur devant la Commission a eu lieu le 29 mai 2008. Dans sa décision du 25 juillet 2008, la Commission a rejeté la demande du demandeur au motif que les gangs sévissaient partout au Honduras et que malgré les événements susmentionnés, le risque potentiel auquel le demandeur était exposé n’était pas différent du risque généralisé de violence auquel sont exposés tous les Honduriens.

 

[8]        Le demandeur conteste la décision susmentionnée pour plusieurs motifs. Il prétend essentiellement que la Commission a commis une erreur i) en ne faisant pas le lien entre les documents sur le pays concernant la situation générale qui règne au Honduras et sa situation particulière. Si elle l’avait fait, elle aurait conclu que le risque auquel le demandeur était exposé était différent de celui auquel était exposée la population en général en Honduras et, ii) ne réalisant pas que le risque auquel le demandeur était exposé était suffisamment particulier pour qu’il ne soit pas exclu de la définition de « personne à protéger ».

 

L’analyse

[9]        La question dont est saisie la Cour aujourd’hui est une question mixte de fait et de droit qui est contrôlable selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, (2008), 329 N.B.R. (2d) 1, au paragraphe 53 (Dunsmuir)).

 

[10]      Dans la décision Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, (2008), 70 Imm. L.R. (3d) 128 (Prophète), la juge Danièle Tremblay-Lamer, au paragraphe 11, a conclu que l’interprétation de l’article 97 de la Loi est une pure question de droit contrôlable selon la norme de la décision correcte. À cet égard, il convient également de souligner qu’elle a certifié la question suivante :

Dans les cas où la population d'un pays est exposée à un risque généralisé d'être victime d'actes criminels, la restriction prévue à l'alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR s'applique-t-elle à un sous-groupe de personnes exposées à un risque nettement plus élevé d'être victimes de tels actes criminels?

 

[11]      Le 4 février 2009, la Cour d’appel fédérale a refusé de répondre à cette question car elle a jugé qu’elle était trop large compte tenu du fait que « [p]our décider si un demandeur d’asile a qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1), il faut procéder à un examen personnalisé » (Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, au paragraphe 7)[1]. Cette affirmation indique clairement que la question en litige n’est pas une question de droit pur mais porte plutôt sur l’application de l’article aux faits de l’espèce qui ne peuvent pas être examinés dans un contexte général.

 

[12]      Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a défini comme suit la norme de la raisonnabilité :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[13]      Le fondement de l’argument soumis par le demandeur à la Cour est que la Commission n’a pas tenu compte de la nature particulière du risque auquel il était exposé ni de la preuve que le risque était toujours présent, compte tenu que le gang le recherchait toujours activement. Un examen des motifs fournis par la Commission à l’appui de sa décision indique clairement que ce n’est tout simplement pas le cas.

 

[14]      Au paragraphe 14 de sa décision, la Commission examine manifestement la preuve présentée par M. Acosta selon laquelle le gang était toujours à sa recherche. Elle renvoie précisément à la déclaration faite par l’ami du demandeur, M. Sanchez, ainsi qu’à celle faite par la mère du demandeur. En ce qui concerne l’argument selon lequel le risque auquel est exposé le demandeur est différent de celui auquel la population hondurienne en général est exposée, celui‑ci est précisément examiné par la Commission au paragraphe 19 de ses motifs :

On ne peut pas dire que M. Acosta n’est pas une victime potentielle de la violence généralisée parce que le gang était à sa recherche. Les victimes de la violence généralisée sont souvent connues des auteurs de celle‑ci, par leur nom, leur poste, ou pour différentes raisons. Le fait que les victimes de la violence généralisée ont une identité, comme toute autre personne, et que cette identité est ou sera connue des auteurs de cette violence ne signifie pas qu’elles ne sont pas des victimes de la violence généralisée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[15]      Dans la décision Prophète, une affaire où le demandeur prétendait que, compte tenu de la situation économique, il était exposé à des risques beaucoup plus élevés de violence, la juge Tremblay-Lamer a conclu ce qui suit au paragraphe 23 :

[…] le demandeur n'est pas personnellement exposé à un risque auquel ne sont pas exposés généralement les autres individus qui sont à Haïti ou qui viennent d'Haïti. Le risque d'être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu'un nombre précis d'individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence.

 

Les mêmes conclusions ont été tirées par la Cour dans Carias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 602, [2007] A.C.F. no 817 (QL) (Carias), Marshall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 946, [2008] A.C.F. no 1179 (QL) et Cius c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1, (2008), 164 A.C.W.S. (3d) 142.

 

[16]      Le demandeur a renvoyé au passage de la preuve documentaire qui confirme que les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus font souvent l’objet d’extorsion de la part du gang. Toutefois, la Commission a examiné ce document d’information sur le pays et a conclu qu’il fait clairement état du caractère généralisé de la violence liée aux gangs dans plusieurs régions. Il n’est pas plus déraisonnable de conclure qu’un groupe particulier, que ce soit les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus ou d’autres victimes d’extorsion qui ne payent pas, est exposé à de la violence généralisée que de tirer la même conclusion à l’égard des riches hommes d’affaires en Haïti qui, selon ce qu’on a clairement conclu, sont exposés à un risque plus important de violence que celle qui sévit dans ce pays.

 

[17]      Le demandeur prétend que le risque auquel il est exposé n’est pas aléatoire et il invoque la décision rendue par le juge Yves De Montigny dans Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365, (2007), 65 Imm. L.R. (3d) 275 (Pineda) dans laquelle le juge a accueilli la demande dans une situation qui était, selon le demandeur, semblable à la sienne parce que M. Pineda avait été particulièrement visé par les attaques du gang Mara Salvatrucha dans le passé. Premièrement, la Cour souligne que le fondement de la décision rendue dans Pineda était que le décideur n’avait pas tenu compte dans son analyse de la situation personnelle du demandeur. En l’espèce, comme je l’ai déjà mentionné, la Commission a manifestement fait cela. Deuxièmement, une analogie plus appropriée peut être faite entre la situation en l’espèce et la situation dont il est question dans la décision rendue par le juge John A. O’Keefe dans Carias, affaire dans laquelle la famille Carias avait été, à plusieurs reprises, victime de violence, allant du harcèlement à l’enlèvement de l’un de ses fils et il a néanmoins été conclu que celle‑ci était exposée à un risque auquel les autres Honduriens étaient généralement exposés. Enfin, en l’espèce, la Commission a conclu que « [l]es risques auxquels [M. Acosta] est exposé découlent de l’endroit où il se trouvait, ou ne se trouvait pas, le jour où le Mara Salvatrucha a voulu toucher son argent » (paragraphe 18) alors que M. Pineda a été ciblé par le gang non pas à titre de victime, mais à titre de recrue potentielle.

 

[18]      Les parties n’ont soumis aucune question à certifier et la Cour est convaincue que la présente cause dépend de ses propres faits. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

 

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3731-08

 

INTITULÉ :                                       DUNIS JOEL ACOSTA ACOSTA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 janvier 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE GAUTHIER

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 2 mars 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dean D. Pietrantonio

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dean D. Pietrantonio

550 – 1130, rue West Pender

Vancouver (C.‑B) V6E 4A4

Téléc. : 604-331-8573

 

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

900-840, rue Howe

Vancouver (C.‑B) V6Z 2S9

Téléc. : 604-666-2639

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] Les parties ont eu la possibilité, après l’audience, de formuler des observations quant à cette récente décision.

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