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Date : 20090303

Dossier : T-627-07

Référence : 2009 CF 223

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 3 mars 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

GSC TECHNOLOGIES CORP.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

 

PELICAN INTERNATIONAL INC.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’un appel visant l’ordonnance rendue le 20 janvier 2009 par le protonotaire Morneau, chargé de la gestion de l’instance, dans laquelle il refuse d’obliger la défenderesse à répondre à certaines demandes faites lors de l’interrogatoire préalable du représentant de cette dernière. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que l’appel doit être rejeté, puisqu’il n’a pas été établi que le protonotaire Morneau a commis une erreur au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

CONTEXTE

  • [2] La demanderesse/défenderesse reconventionnelle, GSC Technologies Corp., est une entreprise qui fabrique et met en marché des produits en matières plastiques injectées et soufflées, notamment des pédalos. Quant à la défenderesse/demanderesse reconventionnelle, Pelican International Inc., elle met elle aussi en marché divers modèles de pédalos au Canada, y compris le modèle de pédalo Spray, lancé sur le marché en 2007.

 

  • [3] Le présent litige procède d’allégations par la demanderesse selon lesquelles la défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale en soi‑disant copiant la présentation commerciale caractéristique de la gamme de pédalos Future Beach de la demanderesse pour son modèle de pédalo Spray. Les droits de la demanderesse relatifs à cette soi‑disant présentation commerciale caractéristique, si droits il y a, sont des droits garantis par la common law qui ne sont pas enregistrés en vertu de la Loi sur les marques de commerce ou d’une autre loi.

 

  • [4] Le 13 novembre 2008, la demanderesse a déposé une requête afin d’obliger la partie adverse à fournir des réponses et à produire des documents à la suite des refus opposés par le représentant de la défenderesse pendant son interrogatoire préalable. Le 20 janvier 2009, le protonotaire a rendu une ordonnance voulant que la défenderesse ne soit pas tenue de répondre à toutes les questions, notamment aux quatre questions visées par le présent appel, et se voie adjuger des dépens relativement à la requête.

 

  • [5] La première demande (E‑2) vise à obliger la défenderesse à fournir des spécifications détaillées de tous ses modèles de pédalos, tandis que la deuxième demande (E‑4) vise à obliger la défenderesse à fournir des spécifications détaillées du modèle de pédalo Spray, outre celles qu’elle a déjà fournies.

 

  • [6] Les troisième (E‑10) et quatrième (E‑14) demandes visent à obliger la défenderesse à produire l’ensemble des notes, des notes de service, des pièces de correspondance ou des documents liés respectivement à la conception du modèle de pédalo Spray de la défenderesse et à la production des moules pour ce même modèle.

 

ANALYSE

  • [7] Il est bien établi qu’une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne devrait être révisée en appel que si les questions soulevées dans la requête sont déterminantes pour l’issue du cas, ou si l’ordonnance est manifestement erronée en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire était fondé sur un principe erroné ou sur une déformation des faits : Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488; Novopharm c. Eli Lilly Canada Inc., 2008 CAF 287; AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 1301. Puisque les questions visées par l’appel ne sont de toute évidence pas déterminantes à l’issue de l’affaire et mettent en cause l’ordonnance discrétionnaire rendue par un protonotaire, la demanderesse devait démontrer que celui‑ci a commis une erreur de droit ou a mal apprécié les faits.

 

  • [8] L’alinéa 240a) des Règles des Cours fédérales (les Règles) énonce que la personne soumise à un interrogatoire préalable répond, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l’interrogatoire préalable ou par la partie qui interroge. Le paragraphe 242(1) des Règles prévoit toutefois qu’une personne peut soulever une objection au sujet de toute question posée lors d’un interrogatoire préalable si, par exemple, la question n’est pas pertinente, raisonnable ou nécessaire ou qu’il serait trop onéreux de se renseigner.

 

  • [9] En outre, la Cour a établi certaines limites quant à l’étendue des interrogatoires préalables. Ainsi, dans Hayden Manufacturing Co c. Canplas Industries Ltd. (1988), 83 C.P.R.(3d) 19 (à la page 23), le protonotaire Hargrave a énoncé six principes visant à restreindre l’étendue des interrogatoires préalables, qui vont comme suit :

Bien entendu, une certaine limite doit être apportée aux principes généraux permettant les interrogatoires exhaustifs car, compte tenu des ressources des tribunaux et des préoccupations relatives aux coûts, à l’encombrement, et aux délais, accorder aux parties le droit de procéder à des interrogatoires longs et détaillés sur des éléments d’une pertinence minime constituerait un luxe qu’on ne peut se permettre. Abordant de nouveau la décision Reading & Bates (précitée), à la page 230, j’en tire six principes généraux qui restreignent de façon raisonnable l’étendue des interrogatoires en général et dont je m’inspire en l’espèce :

1. Les documents auxquels les parties ont droit sont ceux qui sont pertinents. La pertinence est une question de droit et non de pouvoir discrétionnaire. Pour trancher la question de la pertinence, le critère à appliquer est de savoir si les renseignements obtenus peuvent permettre directement ou indirectement à une partie de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de son adversaire.

 

2. Le témoin n’est pas tenu de répondre aux questions qui sont trop générales ou sollicitent un avis, ou qui ne font pas l’objet de l’instance.

 

3. L’interrogatoire préalable ne peut porter que sur les questions qui sont pertinentes par rapport aux faits allégués plutôt que par rapport aux faits qu’une partie a l’intention d’établir, de sorte que la pertinence, dans le cadre de l’interrogatoire préalable, limite les questions posées à celles qui tendent à démontrer ou à réfuter des allégations de fait non admis.

 

4. La Cour ne devrait pas obliger la partie interrogée à répondre aux questions qui, bien qu’elles puissent être pertinentes, ne sont pas susceptibles de bénéficier à la cause de la partie qui procède à l’interrogatoire.

 

5. Avant d’obliger une personne à répondre à une question à un interrogatoire préalable, la Cour doit apprécier la probabilité de l’utilité de la réponse en fonction du temps, du mal et des frais que nécessite son obtention, ainsi que de la difficulté qu’elle comporte : « La décision doit être raisonnable et équitable, vu les circonstances :... » (loc.cit.).

 

6. Il faut décourager les recherches à l’aveuglette faites au moyen de questions vagues, d’une grande portée ou non pertinentes.

 

 

  • [10] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a en quelque sorte élargi le critère de la « pertinence » et souligné que, pour déterminer si une question particulière est appropriée, il faut déterminer si on peut raisonnablement conclure que la réponse à cette question pourrait inspirer à la partie qui interroge des recherches qui pourraient favoriser sa cause ou anéantir celle de la partie adverse : voir Brystol‑Myers Squibb Co.c. Apotex Inc., 2007 CAF 379.

 

  • [11] Cela dit, le concept de pertinence est défini et ne peut à lui seul être déterminant. Aussi essentiel soit‑il, d’autres facteurs comme ceux énumérés au paragraphe 242(1) des Règles doivent également être pris en considération. Comme mon collègue, le juge Hugues, l’a écrit récemment :

Ainsi, le fait de simplement dire qu’une question est « pertinente » ne signifie pas que l’on doive inévitablement y répondre. La Cour doit fournir une protection contre les abus afin de veiller à ce qu’il y ait une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique que possible (la règle 3) et non qu’il y ait une communication préalable. La pertinence doit être évaluée en fonction des questions comme, entre autres, le degré de pertinence, le point de savoir s’il est onéreux de fournir une réponse, le point de savoir si la réponse exige un fait, une opinion ou un point de droit, et ainsi de suite.

[AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., précité, au paragraphe 18.]

 

 

  • [12] Il ne fait aucun doute que le protonotaire était au fait de ces principes, comme en témoigne la mention qu’il fait dans son ordonnance de la décision du juge McNair dans l’affaire Reading & Bates, précitée, ainsi que des arguments formulés par les parties qui résument adroitement les paramètres légaux à respecter. Cela étant, la ligne de conduite à privilégier consiste à ne pas intervenir dans sa décision, à moins qu’il ne soit démontré qu’il a mal apprécié les faits. Je me tourne une fois de plus vers le juge Hughes et cite ses propos suivants :

[19]   Les protonotaires de la Cour sont accablés, dans une large mesure, de requêtes sollicitant qu’il soit ordonné que des réponses soient données à des questions posées lors d’interrogatoires préalables. Il arrive souvent que des centaines de questions doivent être examinées. Des heures et souvent des jours sont passés à traiter de telles requêtes. Il semble que, dans de nombreux cas, les parties et les avocats ont perdu de vue le véritable objet de la communication préalable, laquelle vise à obtenir ce dont une partie a vraiment besoin pour le procès. Ils ne devraient pas se livrer à la communication préalable sous forme d’« autopsie » ni la considérer comme une fin en soi.

 

[20]  Une décision rendue par un protonotaire à la suite de ce processus ardu ne doit être pas modifiée à moins qu’une erreur ait clairement été commise quant au droit ou aux faits applicables, ou que le point soit déterminant quant à l’issue du procès. Dans les cas où un protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire, comme l’appréciation de la pertinence en fonction du caractère onéreux, la décision rendue par suite de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être modifiée. Le processus n’est pas sans fin. Les parties devraient arriver au procès de manière expéditive.

[AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., précité; voir également Brystol‑Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., précité, au paragraphe 35.]

 

 

  • [13] Le protonotaire a refusé d’obliger la défenderesse à fournir des spécifications détaillées de tous ses modèles de pédalos au motif que cette demande ratissait trop large et que les spécifications détaillées demandées n’ont aucune pertinence ni utilité avec aucune des questions à trancher au procès. La demanderesse, outre qu’elle n’est pas parvenue à démontrer que le protonotaire avait mal apprécié un fait ou le droit, et encore moins qu’il avait manifestement commis une erreur à cet égard, n’a pu fournir aucune raison ou explication montrant comment ou pourquoi l’information demandée aurait été utile, et encore moins essentielle, au procès. À l’audience, l’avocat de la demanderesse a eu l’honnêteté de reconnaître que les spécifications relatives aux modèles de pédalos antérieurs commercialisés par la défenderesse ne seraient pas un élément de preuve irréfutable au procès à venir. Il appert donc que le protonotaire a rendu une décision fondée sur une bonne compréhension des faits et une application éclairée des règles de droit en jeu lorsqu’il a – à juste titre – refusé d’obliger la défenderesse à se conformer à la demande E‑2. Sa décision sur ce point doit donc être confirmée.

 

  • [14] Le même raisonnement s’applique à la demande E‑4. Comme l’a souligné le protonotaire, la défenderesse a déjà répondu à cette demande en fournissant les spécifications de base de son pédalo de modèle Spray. Les renseignements supplémentaires que souhaite obtenir la demanderesse avec cette demande n’ont toujours pas été précisés. Quoi qu’il en soit, la demanderesse n’a pas démontré la pertinence des renseignements techniques détaillés supplémentaires qu’elle demande. Lors du procès, le juge aura pour tâche de déterminer les caractéristiques du produit de la demanderesse qui lui sont propres, s’il y a lieu, et si un consommateur risque de ne pas faire la distinction entre les pédalos de la demanderesse et le modèle Spray de la défenderesse en raison, entre autres circonstances, de l’utilisation alléguée de ces caractéristiques par la défenderesse. La probabilité que les consommateurs soient confus n’est pas une question de comparaison directe entre des mesures techniques précises qu’ils ignorent ou le résultat d’une telle comparaison, mais une question d’impression générale qu’éprouve un consommateur moyen lorsqu’il est en présence des produits de la demanderesse et de la défenderesse au cœur du litige dans cette affaire.

 

  • [15] Après avoir pris en considération les positions des deux parties, le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire pour conclure que « les renseignements techniques dans le présent dossier devraient avoir une valeur marginale vu que la Cour dans le cadre de l’action au mérite tirera vraisemblablement ses conclusions en fonction de l’impression visuelle générale des pédalos et non en fonction de leurs fiches techniques ». Il s’agit d’une décision que le protonotaire était en droit de prendre, puisqu’elle repose sur une bonne compréhension des faits et une application éclairée des règles de droit en jeu.

 

  • [16] Bien que la norme de la pertinence à l’étape des interrogatoires préalables soit sans conteste moins élevée qu’au procès, il doit néanmoins y avoir un lien entre l’information demandée et les arguments qu’une partie doit formuler pour avoir gain de cause lors du procès. La demanderesse ne m’a pas convaincu que les spécifications demandées à la question E‑4 pourraient d’une quelconque manière donner du poids à son argumentation sur le bien‑fondé de ses allégations.

 

  • [17] En fait, il convient de noter que, si la demanderesse conteste aujourd’hui la décision du protonotaire, elle affirme cependant dans sa propre déclaration que les caractéristiques distinctives de ses pédalos sont visuelles et immédiatement reconnaissables par les consommateurs (dossier de réponse à la requête, onglet 1, paragraphe 6 de la déclaration). Pour tous les motifs qui précèdent, la décision du protonotaire sur ce point doit être confirmée.

 

  • [18] Enfin, je suis également d’avis que le protonotaire n’a commis aucune erreur lorsqu’il a conclu que les demandes de la défenderesse visant à obtenir l’ensemble des notes, des notes de service, des pièces de correspondance ou des documents liés à la conception du modèle de pédalo Spray ou à la production des moules pour ce modèle sont vagues et ratissent trop large. Ces demandes ne sont rien de plus qu’une recherche à l’aveuglette, puisque la demanderesse ignore ce qu’elle cherche exactement, mais espère mettre la main sur des documents parmi tous ceux qui seront présentés qui pourraient corroborer ses allégations. Le protonotaire pouvait, pour ne pas dire devait, tenir compte de la portée et de l’étendue des demandes pour déterminer s’il devait obliger la production des informations et documents demandés.

 

  • [19] Citant une partie de la transcription, l’avocat de la demanderesse a soutenu qu’ils n’avaient eu d’autre choix que de présenter ces demandes compte tenu des réponses vagues et imprécises du témoin à des questions pourtant très précises. S’il est peut‑être plus difficile d’obtenir les réponses que ne l’espérait la demanderesse, il est juste de dire que les questions n’étaient pas très précises non plus. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas là du critère à appliquer à la pertinence. La partie qui cherche à obtenir des renseignements plus poussés doit tout d’abord se faire une idée plus précise, grâce à l’interrogatoire d’un témoin, des documents qui pourraient lui être utiles pour faire valoir son point.

 

  • [20] Le simple fait, pour une partie, de réclamer des dommages‑intérêts punitifs ne lui donne pas le droit, lors de l’interrogatoire préalable, de demander à recevoir tous les documents, en bloc, concernant la conception ou les moules de divers produits, sans savoir ou fournir tout détail ou toute précision supplémentaire pour restreindre sa demande, dans l’espoir de, peut‑être, trouver parmi tous les documents non pertinents présentés un ou plusieurs documents susceptibles de confirmer ses allégations. Des demandes vagues et ouvertes de ce genre ne sont que des recherches à l’aveuglette contre lesquelles la Cour a émis des mises en garde claires, qualifiant ces questions, à l’étape de l’interrogatoire préalable, de questions à éviter. Au vu de ce qui précède, il est évident une fois de plus que le protonotaire a rendu une décision fondée sur une bonne compréhension des faits et une application éclairée des règles de droit en jeu et qu’il n’a pas commis d’erreur en refusant d’obliger la défenderesse à répondre aux demandes E‑10 et E‑14.

 

  • [21] Par conséquent, la Cour rejette, avec dépens, la requête en appel de la demanderesse visant l’ordonnance rendue par le protonotaire Morneau le 20 janvier 2009.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel de la demanderesse soit rejeté avec dépens.

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-627-07

 

INTITULÉ :  GSC TECHNOLOGIES CORP. c. PELICAN INTERNATIONAL INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 2 mars 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :  Le 3 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Giovanna Spataro

Julie Vespoli

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

François Guay

Émilie Dubreuil

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

SMART & BIGGAR

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

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