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Date : 20090304

Dossier : IMM-2241-08

Référence : 2009 CF 239

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2009

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

 

ESSIEN CHARLES UDO

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée par le ministre, visant à faire annuler une prorogation d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en litige dans la présente décision expirera le 29 avril 2009. La présente décision a peut‑être un caractère théorique, mais elle fournira peut‑être de l’orientation pour le contrôle qui est ordonné et pour toute autre demande de prorogation du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont le défendeur fait l’objet.

 

II.         L’HISTORIQUE

[2]               M. Udo, le défendeur dans le présent contrôle judiciaire, a résidé au Canada pendant 30 ans. Il avait 17 ans lorsqu’il est arrivé au Canada. Il possède la citoyenneté nigériane et britannique.

 

[3]               Ce n’est pas trop d’affirmer que M. Udo n’a pas été la fierté de notre système d’immigration. Entre 1988 et 1995, il a fait l’objet de neuf condamnations pénales, notamment de quatre chefs d’accusation de possession de biens volés, de vol, de possession de stupéfiants et de séquestration. Il fait l’objet de deux mandats d’arrestation non exécutés au Manitoba pour défaut de paiement d’une amende. Au cours des quatre dernières années, il a vécu de l’aide sociale sans interruption.

 

[4]               Enfin, en octobre 2003, M. Udo a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité relativement à la séquestration de sa petite amie.

 

[5]               Pour des motifs qui ne sont pas très clairs, en novembre 2005, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a sursis au renvoi de M. Udo pendant deux ans sous réserve d’un certain nombre de conditions.

 

[6]               M. Udo a continué de se conduire de façon peu exemplaire en violant un certain nombre de conditions. Il a notamment :

a.                   omis de payer les amendes qu’on lui avait ordonné de payer;

b.                  omis de régler un mandat en vigueur;

c.                   omis d’obtenir un passeport;

d.                  omis de se présenter le 15 mai 2007.

Il a également omis de se présenter à une entrevue d’immigration prévue pour le 27 novembre 2007.

 

[7]               Selon la SAI, la question en litige à l’audience relative à une prorogation supplémentaire du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi consistait à savoir si M. Udo avait violé les conditions de son sursis et s’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant, justifiant que l’on accorde une mesure spéciale comme accueillir l’appel ou proroger le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

[8]               La SAI a souligné les facteurs énoncés dans l’affaire Ribic (Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL)) et elle a affirmé qu’elle se fiait à l’alinéa 3(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) (protection de la santé et de la sécurité des Canadiens).

En examinant les facteurs énoncés dans l’affaire Ribic, la SAI a conclu ce qui suit :

La gravité de l’infraction

La possession de stupéfiants, la séquestration et les voies de fait sont des déclarations de culpabilité grave.

La possibilité de réhabilitation

En ce qui concerne cette question, la SAI a tiré la conclusion cruciale que le demandeur n’était pas réhabilité et qu’il était peu susceptible d’être réhabilité. La SAI a souligné son indifférence à l’égard des conditions de son sursis et a conclu que son défaut de respecter les conditions annulait tout facteur favorable qui pourrait être accordé au fait qu’il n’a fait l’objet d’aucune condamnation pénale depuis 1995.

 

La durée du séjour au Canada et le degré d’établissement au Canada

La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas réussi son établissement économique et elle n’a accordé aucune importance à la prétendue relation qu’il entretenait, particulièrement en raison du fait qu’aucun enfant ne serait touché par son renvoi.

 

La famille au Canada et les bouleversements que le renvoi occasionnerait au demandeur

La SAI a reconnu les difficultés que le renvoi de M. Udo pourrait occasionner à la mère de  ce dernier.

 

Le soutien que la famille et la collectivité apportent au demandeur

Malgré le soutien que sa mère lui apporte, M. Udo n’a pas changé et il ne changera vraisemblablement pas.

 

L’importance des difficultés qu’occasionnerait le renvoi au demandeur

Comme le défendeur est né au Royaume-Uni, qu’il a été élevé au Nigeria et qu’aucune preuve quant au pays de renvoi n’a été présentée, la SAI a conclu que le fait de repartir à zéro à 47 ans dans un nouveau pays lui occasionnerait des difficultés considérables.

 

[9]               Après avoir effectué cette analyse, la SAI a ensuite affirmé qu’« [i]l [devenait] très difficile d’accorder un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi ou de proroger ce sursis lorsque les résultats sont négligeables ». Cela dit, et malgré la conclusion antérieure que la violation des conditions a occasionné qu’aucun facteur favorable n’a été attribué au fait que le défendeur n’avait fait l’objet d’aucune autre condamnation pénale depuis 1995, la SAI a conclu qu’« [i]l n’a[vait] en effet commis aucun crime depuis cette date et cela jou[ait] en sa faveur ».

 

III.       L’ANALYSE

A.        La norme de contrôle

[10]           Même si le ministre demandeur a tenté de décrire la décision de la SAI comme comportant une erreur de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte, les erreurs en litige sont des erreurs de fait ou des erreurs mixtes de fait et de droit ainsi que de contradiction manifeste et de transparence de la décision.

 

[11]           À l’ère post-Dunsmuir (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9), les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont en règle générale examinées en fonction de la norme de la raisonnabilité. Même si l’on doit faire preuve de retenu à l’égard des conclusions de fait, les contradictions et le caractère déraisonnable général sont des erreurs susceptibles de contrôle.

 

B.         Le caractère raisonnable

[12]           La preuve relative aux difficultés était faible, mais il y en avait tout de même une petite. La Cour n’accepte pas que, en utilisant le mot « considérables » sous la rubrique « L’importance des difficultés qu’occasionnerait le renvoi », la SAI a appliqué le mauvais critère juridique à l’ensemble des circonstances de l’espèce. Si la SAI a conclu que le fait de repartir à zéro à 47 ans était le facteur prédominant constituant les motifs d’ordre humanitaire et supplantant tous les facteurs négatifs en l’espèce, alors il s’agissait d’une erreur (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3).

 

[13]           La Cour n’accepte également pas que le fait que M. Udo n’avait pas « les mains nettes » avait empêché la SAI de lui accorder un redressement équitable. Le processus même de détermination des motifs d’ordre humanitaire commence avec le fait que le défendeur n’avait pas les « mains nettes », c’est‑à‑dire qu’il avait violé les conditions d’une ordonnance de sursis. Le passage complet de l’arrêt Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 14, qu’invoque le demandeur en partie est ainsi libellé :

 

À mon avis, la jurisprudence invoquée par le ministre n’appuie pas l’affirmation qui se trouve dans le paragraphe 23 de l’exposé des faits et du droit présenté par son avocat, et selon laquelle [traduction] « lorsqu’il semble qu’un demandeur ne s’est pas présenté devant la Cour les mains nettes, la Cour doit d’abord s’interroger quant à savoir si le demandeur a effectivement les mains nettes et, en cas de conclusion négative, la Cour doit refuser de juger la demande au fond ou de l’accorder ». La jurisprudence donne plutôt à entendre que, si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée.

[Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Toutefois, la décision de la SAI était, dans l’ensemble, déraisonnable. Le caractère déraisonnable de la décision de la SAI repose sur plusieurs éléments. Le renvoi à l’intérêt supérieur d’enfants qui n’existent pas est le moins grave car la remarque peut être attribuée à l’utilisation irréfléchie d’une expression passe-partout.

 

[15]           Les conclusions de la SAI quant aux condamnations pénales dont M. Udo a fait l’objet, ou l’absence de condamnation depuis 1995 sont incohérentes et contradictoires. Même si la SAI a décidé qu’elle n’accorderait aucune importance au fait que le défendeur n’a fait l’objet d’aucune condamnation pénale après 1995 en raison du fait qu’il ne s’était pas réhabilité, elle a conclu que le fait que le demandeur n’avait fait l’objet d’aucune condamnation pénale après 1995 était un facteur favorable.

 

[16]           La SAI a de plus conclu que M. Udo avait violé les conditions de son ordonnance de sursis, qu’il n’avait pas démontré qu’il était rétabli ni qu’il se rétablirait éventuellement, qu’il avait fait preuve d’insouciance, qu’il n’avait démontré aucun lien avec le Canada, et que l’octroi d’un sursis supplémentaire ne produirait aucun résultat positif. Il serait alors très déraisonnable d’accorder un sursis. Il est impossible de concilier la conclusion d’accorder un sursis additionnel avec l’alinéa 3(1)h) de la LIPR.

 

[17]           Dans ce contexte, l’octroi d’un sursis additionnel équivaudrait à tolérer les antécédents criminels de M. Udo ainsi que son indifférence permanente à l’égard de son obligation de respecter les conditions des ordonnances d’immigration. Ce serait se moquer des citoyens canadiens qui respectent les lois, notamment les immigrants, que d’appuyer cette décision de la SAI.

 

IV.       CONCLUSION

[18]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SAI sera annulée et l’affaire sera renvoyée à une nouvelle formation pour nouvelle décision conforme aux motifs de la Cour. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Section d’appel de l’immigration soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à une nouvelle formation pour nouvelle décision conforme aux motifs de la Cour.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2241-08

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE c.

                                                            ESSIEN CHARLES UDO

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 4 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ada Mok

 

POUR LE DEMANDEUR

Matthew Tubie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Matthew Tubie

Avocat

Woodbridge (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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