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Date : 20090303

Dossier : IMM-3223-08

Référence : 2009 CF 221

Toronto (Ontario), le 3 mars 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

HUSSEIN ABUALI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Hussein Abuali (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 27 juin 2008. Dans cette décision, la Commission a rejeté la requête du demandeur en réouverture de la demande d’asile pour laquelle il y avait eu conclusion de désistement.

 

Le contexte

[2]               Le demandeur, âgé de quarante ans, est un Palestinien apatride de la Cisjordanie. Il s’est enfui de la Cisjordanie en 1989 et s’est rendu aux États-Unis, où il a obtenu la résidence permanente après un certain temps. Cependant, il a été déclaré coupable de complot de vol et il a été renvoyé en Cisjordanie en juillet 2005. Le 16 juin 2006, il s’est à nouveau enfui de la Cisjordanie et il est venu au Canada le 17 juin 2006. Il a présenté une demande d’asile le 5 juillet 2006.

 

[3]               Lorsqu’il a rempli son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il habitait avec un ami, Mohammad Saleh, à Mississauga. Il a ensuite déménagé, mais il n’a pas avisé la Section de la protection des réfugiés de son changement d’adresse. Son courrier était toujours livré à la maison de son ami. Son ami l’avisait de la réception du courrier et il allait le ramasser. Le 17 avril 2008, le demandeur a présenté un formulaire de changement d’adresse à Postes Canada.

 

[4]               Le demandeur soutient qu’il a appris récemment qu’en août 2007, son ancien avocat s’est retiré du dossier auprès de la Commission, sans aviser son client.

 

[5]               En mars 2008, le demandeur a reçu un avis de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui l’enjoignait de se présenter à une entrevue au centre d’exécution de la loi du Toronto métropolitain. Lors de cette entrevue, on a dit au demandeur que sa demande d’asile avait été rejetée et qu’il serait renvoyé. Il a aussi appris qu’il avait le droit de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[6]               Le demandeur a retenu les services d’un nouvel avocat pour l’aider à préparer sa demande d’ERAR et pour présenter une demande de réouverture de sa demande d’asile. Les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles de la SPR), prévoient que, pour permettre la réouverture d’une demande qui a fait l’objet d’une décision de désistement, il doit y avoir eu manquement à la justice naturelle.

 

[7]               Lorsqu’elle a rejeté la demande de réouverture, la Commission a déterminé que la question à trancher était celle de savoir si elle s’était acquittée de son fardeau en envoyant par courrier au demandeur, à sa dernière adresse connue, un avis de comparution. La Commission a mentionné le fait que l’avis de comparution à l’audience prévue le 30 octobre 2007 lui avait été retourné avec une mention de Postes Canada indiquant que le demandeur n’habitait plus à l’adresse inscrite. La Commission a noté que l’avis de comparution est considéré comme étant livré dès qu’il est déposé dans le courrier.

 

[8]               Le demandeur a présenté deux affidavits avec sa requête en réouverture : son propre affidavit et l’affidavit de l’ami dont il avait donné l’adresse à la Commission. La Commission n’a pas mis en doute la crédibilité du demandeur, mais elle a rejeté son argument selon lequel il s’était acquitté de son fardeau d’aviser la Commission de tout changement d’adresse en transférant son courrier plutôt qu’en avisant la Commission de sa nouvelle adresse postale.

 

[9]               Dans un même ordre d’idées, la Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’affidavit de l’ami du demandeur, mais elle n’y a accordé que peu de poids. Elle a soutenu que la question n’était pas de déterminer si un résident dans la maison de l’ami avait causé, par inadvertance, le renvoi de l’avis de comparution à la Commission, plutôt que d’aviser le demandeur de la réception du document. La Commission a conclu que la question principale était de déterminer s’il y avait eu livraison réputée du document. Elle a conclu qu’il y avait bien eu livraison réputée.

 

Les arguments

[10]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu manquement à la justice naturelle du fait qu’il n’avait pas été avisé de la tenue d’une audience de désistement.

 

[11]           Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur), quant à lui, soutient qu’il n’y a pas eu manquement à la justice naturelle lorsque la Commission a conclu que l’envoi de l’avis de comparution, conformément aux Règles de la SPR, satisfaisait à l’exigence en matière d’avis. Le défendeur reconnaît que pour une question de manquement à la justice naturelle, il faut tenir compte de toute explication donnée au sujet de la raison pour laquelle l’avis n’a pas été reçu. Il se fonde à ce sujet sur la décision Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 47 Imm. L.R. (3d) 238.

 

[12]           Le défendeur ajoute que les actions du demandeur sont aussi un facteur pertinent. Il avait la responsabilité d’aviser la Commission de tout changement dans ses coordonnées et il ne l’a pas fait. Le fait qu’il n’a pas reçu l’avis de comparution n’est pas en soi un manquement à la justice naturelle.

 

[13]           Dans sa réponse, le demandeur fait valoir que le défaut de recevoir un avis de comparution entraîne automatiquement la réouverture d’une demande. Il soutient qu’il n’est pas responsable de l’absence d’avis.

 

Examen et dispositif

[14]           La seule question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a conclu que la formation qui a tiré la conclusion de désistement n’avait pas manqué au principe de la justice naturelle. Comme il s’agit essentiellement d’une question d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. À ce sujet, je me fonde sur la décision Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 34 Imm. L.R. (3d) 157.

 

[15]           Le paragraphe 161(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), autorise le président de la Commission à prendre des règles en matière de pratique et de procédure pour chacune des sections de la Commission et prévoit :

161. (1) Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil et en consultation avec les vice‑présidents et le directeur général de la Section de l’immigration, le président peut prendre des règles visant :

a) les travaux, la procédure et la pratique des sections, et notamment les délais pour interjeter appel de leurs décisions, l’ordre de priorité pour l’étude des affaires et les préavis à donner, ainsi que les délais afférents;

b) la conduite des personnes dans les affaires devant la Commission, ainsi que les conséquences et sanctions applicables aux manquements aux règles de conduite;

c) la teneur, la forme, le délai de présentation et les modalités d’examen des renseignements à fournir dans le cadre d’une affaire dont la Commission est saisie;

d) toute autre mesure nécessitant, selon lui, la prise de règles.

 

 

 

161. (1) Subject to the approval of the Governor in Council, and in consultation with the Deputy Chairpersons and the Director General of the Immigration Division, the Chairperson may make rules respecting

(a) the activities, practice and procedure of each of the Divisions of the Board, including the periods for appeal, the priority to be given to proceedings, the notice that is required and the period in which notice must be given;

(b) the conduct of persons in proceedings before the Board, as well as the consequences of, and sanctions for, the breach of those rules;

(c) the information that may be required and the manner in which, and the time within which, it must be provided with respect to a proceeding before the Board; and

(d) any other matter considered by the Chairperson to require rules.

 

[16]           Les Règles de la SPR traitent aussi de l’obligation d’un demandeur, tel que celui en l’espèce, de fournir ses coordonnées à la Commission et d’aviser celle-ci de tout changement, le cas échéant. L’article 4 dispose ainsi :

Coordonnées du demandeur d’asile

4.(1) Le demandeur d’asile transmet ses coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

 

Délai

(2) Les coordonnées doivent être reçues par leurs destinataires au plus tard dix jours suivant la réception, par le demandeur d’asile, du formulaire sur les renseignements personnels.

 

Changement des coordonnées

(3) Dès que ses coordonnées changent, le demandeur d’asile transmet ses nouvelles coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

 

Coordonnées du conseil

(4) Dès qu’il retient les services d’un conseil, le demandeur d’asile transmet les coordonnées de celui-ci par écrit à la Section et au ministre. Dès que ces coordonnées changent, le demandeur d’asile transmet les nouvelles coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

 

Claimant’s contact information

4.(1) The claimant must provide the claimant’s contact information in writing to the Division and the Minister.

 

 

Time limit

(2) The claimant’s contact information must be received no later than 10 days after the claimant received the Personal Information Form.

 

Change to contact information

(3) If the claimant’s contact information changes, the claimant must without delay provide the changes in writing to the Division and the Minister.

 

Claimant’s counsel

(4) A claimant who is represented by counsel must, on obtaining counsel, provide the counsel’s contact information in writing to the Division and the Minister. If that information changes, the claimant must without delay provide the changes in writing to the Division and the Minister.

 

 

[17]           L’article 22 prévoit que la Section doit aviser le demandeur de la procédure, comme suit :

22. La Section avise les parties par écrit des date, heure et lieu d’une procédure.

22. The Division must notify a party in writing of the date, time and location of a proceeding.

 

[18]           Le paragraphe 55(4) des Règles établit le critère à appliquer lorsqu’un demandeur présente une requête en réouverture de la demande qui a fait l’objet d’une décision de désistement :

Élément à considérer

55.(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

Factor

55.(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 

[19]           L’article 58 porte sur les audiences en matière de désistement et prévoit :

Désistement sans audition du demandeur d’asile

58.(1) La Section peut prononcer le désistement d’une demande d’asile sans donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

a) elle n’a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d’asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d’asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

 

Possibilité de s’expliquer

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l’audience et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

b) dans le cas contraire, au cours d’une audience spéciale dont la Section l’a avisé par écrit.

 

Éléments à considérer

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d’asile à l’audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

 

Poursuite de l’affaire

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l’affaire sans délai.

 

Abandonment without hearing the claimant

58.(1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

(a) the Division has not received the claimant’s contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

(b) the Minister and the claimant’s counsel, if any, do not have the claimant’s contact information.

 

Opportunity to explain

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

 

Factors to consider

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

 

Decision to start or continue the proceedings

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

 

 

[20]           Les articles 31 à 35 traitent de la façon dont un document doit être transmis. L’article 35 est pertinent en l’espèce et prévoit :

35.(1) Tout document transmis à la Section est considéré comme ayant été reçu le jour où la Section y appose la date de réception au moyen d’un timbre dateur.

 

Date de réception d’un document envoyé par courrier ordinaire à une partie

(2) Tout document envoyé par courrier ordinaire à une partie est considéré comme ayant été reçu sept jours après sa mise à la poste. Si le septième jour est un samedi, un dimanche ou un autre jour férié, le document est alors considéré comme ayant été reçu le premier jour ouvrable suivant.

 

35. (1) A document provided to the Division is considered to be received by the Division on the day the document is date stamped by the Division.

 

When a document provided by regular mail is considered received by a party

(2) A document provided by regular mail to a party is considered to be received seven days after the day it was mailed. If the seventh day is a Saturday, Sunday or other statutory holiday, the document is considered to be received on the next working day.

 

 

[21]           Le demandeur soutient principalement qu’il n’a pas reçu d’avis au sujet de la tenue d’une audience de désistement et que cette circonstance l’a privé du droit à l’audience avant qu’une décision soit rendue quant à son désistement. Il fait valoir que le refus de lui accorder une audience constitue essentiellement un manquement à la justice naturelle. Il fonde cet argument sur la décision Matondo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 44 Imm. L.R. (3d) 225.

 

[22]           La seule question à trancher en l’espèce est de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a rejeté la requête du demandeur en réouverture de sa demande d’asile. Les Règles de la SPR indiquent clairement que le critère à satisfaire dans le cas d’une demande de réouverture d’une demande ayant fait l’objet d’une décision de désistement est celui de savoir s’il y a eu manquement à la justice naturelle. Ce critère est établi au paragraphe 55(4) des Règles.

 

[23]           Je souscris à l’argument du demandeur selon lequel l’absence de réception de l’avis est insuffisante, en soi, pour justifier la conclusion de désistement. Cependant, je ne souscris pas à l’argument selon lequel le fait qu’il a démontré qu’il n’avait pas reçu l’avis entraîne la conclusion qu’on lui a refusé le droit à l’audience.

 

[24]           Le fait est que le demandeur n’a pas avisé la Commission de son changement d’adresse. Voilà la base du problème, qui a été créé par le demandeur. L’erreur commise par la formation qui a tranché la question du désistement au sujet de l’avocat qui le représentait ne fait pas partie des questions à trancher en l’espèce et n’est pas pertinente quant à la décision de la Commission de rejeter la requête en réouverture.

 

[25]           D’après les faits et la preuve, et compte tenu des Règles de la SPR et de la Loi, la décision de la Commission est correcte. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question aux fins de certification.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3223-08

 

INTITULÉ :                                       HUSSEIN ABUALI et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 février 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 mars 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brouwer

 

POUR LE DEMANDEUR

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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