Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090304

Dossier : T-1000-08

Référence : 2009 CF 225

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2009

En présence de madame la juge Dawson

 

 

ENTRE :

NATION DES CRIS DE OPASKWAYAK

demanderesse

et

 

DEREK A. BOOTH ET BERNICE YOUNG (GENAILLE)

 

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La demanderesse, la Nation des Cris de Opaskwayak (la Première nation), est une Première nation autochtone et une bande indienne. La défenderesse Bernice Young est une membre de la Première nation qui a travaillé pour cette dernière à titre de registraire adjointe de la bande du 6 juillet 1992 au 17 janvier 2007, date à laquelle la Première nation l’a congédiée.

 

[2]        Mme Young a déposé, en vertu du Code canadien du travail, L.R.C 1985, ch. L-2 (le Code), une plainte dans laquelle elle allègue avoir fait l’objet d’un congédiement injuste. Le défendeur Derek A. Booth (arbitre) a été nommé en vertu de l’article 242 du Code, pour entendre et trancher la plainte de congédiement injuste.

 

[3]        L’arbitre a conclu que le congédiement n’était pas fondé et a ordonné à la Première nation de réintégrer Mme Young dans son emploi et de lui payer au complet le salaire qu’elle a perdu depuis son congédiement. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[4]        Même s’il est désigné comme partie à la présente demande, l’arbitre n’a pas comparu.

 

[5]        La Première nation prétend que la décision de l’arbitre est déraisonnable, que l’audience s’est déroulée d’une manière contraire à la justice naturelle et que l’arbitre a mal agi en communiquant ex parte avec un témoin et avec Mme Young.

 

[6]        Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

L’historique

[7]        Le ou vers le 31 décembre 2006, Mme Young a écrit une lettre au chef et aux conseillers de la Première nation. Le sujet de la lettre était [traduction] « Les membres de gang et les initiations de nos jeunes de la NCO [Nation des Cries de Opaskwayak] ». La lettre a été distribuée aux membres de la Première nation par Mme Young. Dans la lettre, un certain nombre d’agressions ont été décrites et les noms d’un certain nombre de personnes ayant commis les agressions ont été mentionnés. Dans le passage de la lettre qui est au cœur de la présente demande, Mme Young a écrit ce qui suit :

[traduction]

 

Le 30 décembre 2006, [nom supprimé] (le fils de [nom supprimé]) a été agressé à l’extérieur de la maison de [nom supprimé] sur Riverside Drive par [nom supprimé] et tous ses amis du gang Indian Posse qui ont été initiés par ce gang. La rumeur veut que [nom supprimé] né le [date de naissance supprimée] et [nom supprimé] né le  [date de naissance supprimée] ont tous les deux été initiés par ce gang. Combien d’autres de nos jeunes de la NCO ont participé à cette initiation de gang?

 

[8]        À la suite de la distribution de la lettre de Mme Young, la Première nation a reçu une lettre signée par trois membres de la Première nation. La lettre comprenait un certain nombre de plaintes et l’une d’elles mentionnait que Mme Young s’était servie de renseignements confidentiels figurant dans le registre de la bande en ce qui concerne les deux dates de naissance.

 

[9]        Cette lettre a amené le directeur général de la Première nation à envoyer une note de service à Mme Young dans laquelle il lui demandait où elle avait trouvé les renseignements quant aux dates de naissance.

 

[10]      Dans une note de service envoyée en réponse, Mme Young a déclaré qu’elle avait demandé à la mère de l’une des personnes visées la date de naissance de cette dernière. Elle aurait laissé entendre qu’elle a obtenu la date de naissance de l’autre personne visée de la mère de celle‑ci.

 

[11]      Le 9 janvier 2007, une réunion spéciale du chef et du conseil de la Première nation a eu lieu et la lettre du 31 décembre 2006 a fait l’objet d’une discussion avec Mme Young.

 

[12]      À la suite de la réunion, le 10 janvier 2007, le directeur général a envoyé à Mme Young une note de service qui faisait état des [traduction] « tâches qui sont ressorties » de la réunion spéciale. Sous la rubrique « Atteinte à la confidentialité », il était écrit [traduction] « Cette question a été réglée ».

 

[13]      Le 11 janvier 2007, une réunion de la justice réparatrice a eu lieu.

 

[14]      Le directeur général affirme qu’il a ensuite appris des mères des deux personnes visées qu’aucune d’entre elles n’avait fourni les renseignements à Mme Young concernant les dates de naissance de leurs fils.

 

[15]      Par lettre datée du 16 janvier 2007, Mme Young a été congédiée pour, censément, un certain nombre de raisons.

 

La décision de l’arbitre

[16]      L’arbitre a souligné, dans son argumentation, que l’avocat de la Première nation a affirmé que la Première nation n’invoquait que deux motifs pour maintenir le congédiement : le mauvais usage de renseignements confidentiels et la malhonnêteté de Mme Young concernant la source de ses renseignements sur les dates de naissance.

[17]      L’arbitre a conclu que Florence Constant, la superviseure immédiate de Mme Young, avait été le témoin le plus convaincant et le plus fiable. Cette conclusion de fait n’est pas contestée. La plus grande partie du témoignage de Mme Constant sur lequel l’arbitre s’est fié a été obtenue d’elle au cours d’un contre‑interrogatoire mené par l’avocat de la Première nation. Mme Constant a affirmé ce qui suit dans son témoignage :

·        Selon elle, la lettre du 31 décembre 2006 était une bonne lettre qui « réveillerait » le chef et le conseil.

·        Elle n’a pas été consultée avant le congédiement de Mme Young et elle ne l’aurait pas congédiée.

·        Elle  aurait donné un avertissement à Mme Young et l’aurait « surveillée de près ».

·        L’utilisation des noms et des dates de naissance était une affaire peu importante. Les dates de naissance et les noms complets de membres de la bande ont été mentionnés dans le journal local et ils ont été affichés sur des listes de bande. Selon elles, il ne s’agissait pas de renseignements protégés ou privés.

·        La question de la confidentialité aurait dû être « morte » après la réunion spéciale du 9 janvier 2007.

 

[18]      Le directeur général de la Première nation a affirmé dans son témoignage qu’il ne savait pas que les listes de bande étaient affichées dans la collectivité et que des noms, des dates de naissance et des renseignements étaient régulièrement publiés dans le journal local.

 

[19]      La politique en matière de personnel de la Première nation prévoit, à l’article 1.12.4 qu’un employé peut faire l’objet d’un congédiement justifié pour [traduction] « infractions disciplinaires très graves ou flagrantes ». L’arbitre a décidé que la conduite de Mme Young n’était pas très grave ni flagrante et il a conclu qu’elle ne méritait pas un congédiement. Il a souligné qu’il n’était pas convaincu que l’imposition de l’une des peines moins sévères qui figurent à l’article 1.12.1 de la politique en matière de personnel aurait suffi.

 

[20]      Mme Young n’a pas témoigné devant l’arbitre. En rejetant l’argument de l’avocat de la Première nation selon lequel il y a lieu de tirer une conclusion défavorable du fait qu’elle n’a pas témoigné, l’arbitre a déclaré que même si Mme Young avait témoigné et que son témoignage en contre‑interrogatoire avait confirmé [traduction] « le pire scénario  invoqué par l’employeur », le congédiement ne serait toujours pas justifié.

 

[21]      L’arbitre a également fait état des faiblesses suivantes dans l’argument de la bande :

 

·        Si le directeur général avait été au courant de la publication et de l’utilisation des listes de bande, peut‑être qu’il n’aurait pas été préoccupé par [traduction] « cette petite atteinte à la confidentialité ».

 

·        La Première nation a exagéré l’inquiétude de la collectivité quant à la question de la confidentialité et quant à l’effet de la prétendue atteinte à la confidentialité. La Première nation prétend que l’utilisation de noms et de dates de naissance avait créé beaucoup de mécontentement, mais il semble qu’elle n’a touché que cinq personnes. De plus, il n’a pas été établi que la publication a causé un préjudice aux personnes mentionnées.

 

·        La Première nation n’a pas tenu compte des excuses présentées par Mme Young à la réunion spéciale du 9 janvier 2007 et, à la réunion de la justice réparatrice du 11 janvier 2007, on s’est entendu pour affirmer que la question était réglée (si elle n’avait pas déjà été réglée à la réunion spéciale du 9 janvier 2007).

 

[22]      En ce qui concerne le redressement approprié, Mme Constant et Judith Head (la superviseure de Mme Constant) ont affirmé dans leurs témoignages que rien n’empêchait la réintégration de Mme Young. Par conséquent, l’arbitre a ordonné qu’elle soit réintégrée dans ses fonctions avec effet rétroactif à la date de congédiement.

 

La norme de contrôle

[23]      La première erreur alléguée vise la décision de l’arbitre selon laquelle le congédiement était injuste ainsi que le redressement choisi par ce dernier. Il s’agit de questions mixtes de droit et de fait. Je dois examiner si la jurisprudence existante a déjà déterminé de manière satisfaisante le degré de déférence applicable à de telles décisions (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 57 et 62).

 

[24]      Selon moi, la jurisprudence a réglé cette question. Les questions mixtes de fait et de droit tranchées par des arbitres nommés en vertu de l’article 242 du Code sont contrôlables selon la norme de la décision raisonnable (voir Colistro c. La BMO Banque de Montréal (2008), 378 N.R. 288, au paragraphe 6 (C.A.F.).

 

[25]      Comme je l’ai déjà mentionné, Mme Young n’a pas témoigné devant l’arbitre, mais elle a fait comparaître des témoins et elle a présenté des observations à l’arbitre. La deuxième erreur alléguée est fondée sur l’affirmation que l’arbitre a tiré des conclusions de fait en ne se fondant pas sur la preuve, mais en se fondant sur les observations formulées par Mme Young. On prétend qu’il a ainsi violé les principes de la justice naturelle. L’équité procédurale est une vaste catégorie qui, dans une certaine mesure, chevauche les principes traditionnels de la justice naturelle. Aucune norme de contrôle ne s’applique aux questions d’équité procédurale. C’est à la Cour qu’il appartient de donner une réponse juridique aux questions de cette nature (voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100).

 

[26]      Prétendre que l’arbitre a tiré des conclusions de fait sans tenir compte de la preuve est une autre façon d’exprimer la deuxième erreur. Il s’agit d’une erreur de droit pour laquelle la norme de la décision raisonnable est également la norme applicable. Par conséquent, les deux qualifications de la deuxième erreur alléguée mènent à la conclusion qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers l’arbitre lorsque l’on examine cette prétendue erreur.

 

[27]      La troisième erreur alléguée, l’allégation de communication ex parte constitue une allégation de partialité ou une crainte raisonnable de partialité. Là encore, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers l’arbitre quant à cette question d’équité procédurale.

L’application de la norme de contrôle

La décision était‑elle déraisonnable?

[28]      La décision de réintégrer Mme Young serait censément déraisonnable parce que :

 

a.                   Mme Young a divulgué des renseignements confidentiels et a menti à son employeur.

b.                  En déclarant que [traduction] « [s]i elle avait révélé en contre‑interrogatoire [...] le pire scénario invoqué par l’employeur, le congédiement ne serait toujours pas justifié », l’arbitre [traduction] « a conclu que même si la plaignante était coupable de tous les faits énumérés dans la lettre de congédiement, elle ne mériterait pas d’être congédiée ».

c.                   L’arbitre [traduction] « a récompensé la plaignante en la réintégrant dans ses fonctions et en lui accordant une pleine indemnité pécuniaire en ordonnant qu’on lui verse son plein salaire à compter de la date de son congédiement jusqu’à la date de sa réintégration ». La jurisprudence «nous indique qu’elle ne supporte pas» une telle conclusion.

 

[29]      Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige que l’on examine les qualités qui font qu’une décision est raisonnable. Ces qualités comprennent le processus d’articulation des motifs et de la conclusion. En contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[30]      La politique en matière de personnel de la Première nation prévoit qu’un employé peut faire l’objet d’un congédiement pour « infractions disciplinaires très graves ou flagrantes ». L’arbitre a décidé que la conduite de Mme Young ne fut pas très grave ni flagrante et, donc, elle ne méritait pas un congédiement. Ces conclusions étaient étayées par la preuve soumise à l’arbitre, particulièrement par le témoignage de Mme Constant, la supérieure de Mme Young, selon lequel l’utilisation des dates de naissance était une affaire peu importante car celles‑ci figurent sur les listes de bande, lesquelles sont publiques, ainsi que dans le journal local, et selon lequel témoignage elle n’aurait pas congédié Mme Young, mais lui aurait plutôt donné un avertissement. Les conclusions étaient également étayées par la preuve soumise à l’arbitre selon laquelle le personnel de la Première nation a transmis accidentellement, par courriel, 138 pages de renseignements personnels sur les membres de la Première nation (notamment des noms et des dates de naissance) à une certaine Mia LaJambe, mais aucune mesure disciplinaire n’a été prise.

 

[31]      Aucun des affidavits déposés à l’appui de la demande ne mettait en cause le résumé de l’arbitre des témoignages que lui ont livrés les témoins.

 

[32]      Les motifs invoqués par l’arbitre sont justifiés par la preuve, transparents et intelligibles. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision de l’arbitre est donc raisonnable.

 

[33]      J’examinerai maintenant les remarques faites par l’arbitre à propos du « pire scénario ». Contrairement à l’argument de la Première nation, l’arbitre n’a pas accepté le bien‑fondé de toutes les allégations figurant dans la lettre du 16 janvier 2007 par laquelle on a congédié Mme Young. L’avocat de la Première nation a fait preuve de clarté dans les observations qu’il a formulées à l’arbitre — il n’a invoqué que deux motifs de congédiement. Par conséquent, toutes les autres questions mentionnées dans la lettre du 16 janvier 2007 n’étaient pas pertinentes et n’ont pas été acceptées par l’arbitre.

 

[34]      Dans le passage contesté, l’arbitre a refusé de tirer une conclusion défavorable du fait que Mme Young n’a pas témoigné. À cet égard, la preuve révèle que les renseignements relatifs aux dates de naissance n’étaient pas confidentiels, mais qu’ils étaient publiés dans les listes de bande. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable que l’arbitre déclare que même si Mme Young avait témoigné et affirmé qu’elle avait obtenu les renseignements concernant les dates de naissance dans des dossiers de bande, la publication de deux dates de naissance n’aurait pas justifié un congédiement.

 

[35]      En ce qui concerne le fait que Mme Young n’a pas témoigné concernant la manière selon laquelle elle a obtenu les dates de naissance, la mère de l’une des personnes concernées a affirmé dans son témoignage que Mme Young lui avait peut‑être demandé les renseignements. Mme Young n’a jamais affirmé que la mère de l’autre personne lui avait dit quelle était la date de naissance de son fils. Mme Young a écrit ceci à son employeur : [traduction] « [nom supprimé] est la mère de [nom supprimé] et elle est une de mes amis et elle sait très bien que son fils est associé, mais elle préfère ne pas s’en mêler et elle prétend que le chef et le conseil ne peuvent rien faire concernant ce problème ». Il était loisible à l’arbitre de conclure que, même si Mme Young avait admis qu’elle avait donné une réponse vague ou trompeuse sur ce point, l’esquive était évidente et ne justifiait pas un congédiement.

 

[36]      Quant à la réparation accordée, le paragraphe 242(4) du Code précise la compétence d’un arbitre lorsqu’il décide qu’une personne a été injustement congédiée. Ce paragraphe est ainsi libellé :

242(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

 

 

 

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

 

 

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

242(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection(3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

 

[37]      La décision de réintégrer Mme Young et de lui payer une indemnité équivalant au salaire qu’elle aurait normalement gagné était raisonnable compte tenu du témoignage de Mme Constant et de celui de la superviseure de Mme Constant, Mme Head, selon lesquels rien n’empêchait la réintégration de Mme Young.

 

[38]      La réintégration est également conforme à la jurisprudence. Dans Sheikholeslami c. Énergie atomique du Canada Ltée, [1998] 3 C.F. 349 (C.A.), le juge Létourneau a affirmé, au paragraphe 31, que la réintégration n’est pas un droit, même lorsque le congédiement est jugé injuste. Il précise toutefois qu’une très grande prudence s’impose au moment d’invoquer l’exception à la réintégration. Autrement, l’employé congédié injustement risque d’être pénalisé en perdant son emploi. Dans la même cause, le juge Marceau, aux motifs duquel a souscrit le juge Strayer, a souligné que, en pratique, il s’agit de la réparation que les arbitres préfèrent le plus souvent accorder pour dédommager pleinement l’employé des préjudices réels qu’il a subis par suite de son congédiement.

 

[39]      L’arbitre n’a pas « récompensé » le comportement de Mme Young. Il a plutôt réintégré celle‑ci dans le poste qu’elle aurait occupé, et ce, en raison du congédiement injuste. L’arbitre n’a pas conclu que Mme Young était sans reproche. Il a tout simplement été convaincu qu’une sanction moins sévère aurait suffi.

 

[40]      En ce qui concerne la jurisprudence invoquée par la Première nation, trois causes sont mentionnées dans ses observations écrites, mais aucune n’a fait l’objet d’une discussion dans les observations ou d’une discussion détaillée lors de la plaidoirie.

 

[41]      J’ai déjà référé à la décision Sheikholeslami. Même s’il est vrai que la réintégration n’a pas été ordonnée dans cette cause, celle‑ci est différente de la présente cause en raison de la nature des manœuvres frauduleuses et de la supercherie de l’employé.

[42]      La Première nation invoque la décision Di Vito c. MacDonald Dettwiler & Associates Ltd. (1996), 21 C.C.E.L. (2d) 137 (C.S. C.‑B.). Dans cette affaire, la Cour a cité avec approbation l’affirmation selon laquelle [traduction] « la malhonnêteté est toujours un motif de congédiement [...]. C’est l’employeur qui décide de congédier ou de pardonner ». Toutefois, cette opinion plutôt draconienne doit être atténuée par la décision ultérieure rendue par la Cour suprême du Canada dans McKinley c. BC Tel, [2001] 2 R.C.S. 161. Dans cet arrêt unanime, la Cour a déclaré que pour déterminer si un employeur est en droit de congédier un employé pour cause de malhonnêteté, il faut apprécier le contexte de l’inconduite alléguée. Le critère consiste à savoir si la malhonnêteté de l’employé a eu pour effet de rompre la relation employeur‑employé (voir le paragraphe 48). En l’espèce, les témoignages de Mme Constant et Mme Head ne révèlent pas que la relation employeur‑employé a été rompue.

 

[43]      La dernière cause invoquée par la Première nation est Waldman c. Conseil de bande d’Eskasoni, [2001] A.C.F. no 1228 (C.F.). Cette décision ne nous est pas utile car il n’y est pas question du caractère opportun de la décision de l’arbitre de ne pas réintégrer l’employé dans son poste, et, par conséquent, cette question n’a pas été analysée. Les causes comportent des faits différents.

 

L’arbitre a‑t‑il tiré des conclusions de fait qui n’étaient pas fondées sur la preuve?

[44]      Le fondement probatoire de cette prétention est l’affirmation suivante faite par M. Denis Valdron dans son affidavit : [traduction] « [l]orsque j’ai reçu le rapport de l’arbitre [...] il m’a paru évident que l’arbitre avait examiné l’affaire et avait tiré des conclusions fondées sur le témoignage rendu par Bernice Young lors de son argumentation, malgré mes objections formulées antérieurement ».

 

[45]      J’ai lu attentivement les pages 19 à 21 des motifs de l’arbitre où il a résumé l’argument avancé par Mme Young. Me rappelant que l’arbitre n’était saisi que de deux motifs de congédiement, je ne relève aucune déclaration de la part de Mme Young qui touche à la question de savoir de qui elle a obtenu les renseignements relatifs aux dates de naissance ou de savoir ce qu’elle a dit à la Première nation concernant la source de ces renseignements. La plus grande partie de ce qui est résumé dans ces pages est une argumentation valide fondée sur la preuve.

 

[46]      Il se peut que l’arbitre ait accepté la déclaration de Mme Young quant à savoir pourquoi elle a écrit la lettre du 31 décembre 2006. Dans une certaine mesure, le motif de l’envoi de la lettre ressort de son libellé. Toutefois, même si l’arbitre a tenu pour acquis les observations formulées par Mme Young quant à son motif, cela n’était pas pertinent à la question du congédiement injuste tel que formulé par la Première nation.

 

[47]      La Première nation n’a pas établi que l’une ou l’autre conclusion de fait importante n’a pas été fondée sur la preuve soumise à l’arbitre.

 

Y a‑t‑il eu des communications ex parte irrégulières?

[48]      La preuve relative à cette question n’est pas contestée.

 

[49]      Mia LaJambe n’est pas membre de la Première nation. Elle a reçu par accident les 138 pages de renseignements sur les membres de la Première nation envoyés par le personnel de cette dernière. Elle a témoigné concernant les circonstances de la réception de ces renseignements et elle a affirmé dans son témoignage qu’elle n’avait pas effacé les renseignements parce qu’elle voulait conserver des preuves quant à savoir qui les avait envoyés. Après avoir rendu son témoignage, elle a été abordée par l’avocat de la Première nation à l’extérieur de l’audience. Celui‑ci lui a demandé si elle désirait toujours ne pas effacer les renseignements et il semble qu’elle a accepté d’effacer les renseignements. Le 2 mai 2008, elle a communiqué avec l’avocat de la Première nation pour l’informer que l’arbitre lui avait ordonné de ne pas effacer les renseignements avant le 1er juin 2008.

 

[50]      Le 2 mai 2008, l’avocat de la Première nation a écrit à l’arbitre pour lui faire part de ses inquiétudes concernant ses directives et pour lui demander des explications.

 

[51]      Le 8 mai 2008, l’avocat de la Première nation a de nouveau écrit à l’arbitre. Dans cette lettre, il a déclaré qu’il n’avait reçu aucune réponse à sa lettre antérieure et il a en plus déclaré ce qui suit : [traduction] « Je suis préoccupé par le fait que la liste électorale se trouve en la possession d’un tiers, même s’il s’agit de Mme LaJambe ». La lettre de l’avocat portait uniquement sur ses inquiétudes concernant la sécurité des renseignements. L’avocat n’a fait état d’aucune inquiétude à propos d’une quelconque communication ex parte qui aurait eu lieu.

 

[52]      L’arbitre a répondu dans une lettre datée du 12 mai 2008. Il a fait part des renseignements suivants :

 

·        Le dernier jour de l’audience, Mme LaJambe l’a abordé dans un restaurant lors de la pause déjeuner. Elle lui a demandé si elle devrait effacer les renseignements qu’elle avait reçus.

·        L’arbitre lui a dit de conserver les renseignements jusqu’au 1er juin 2008 parce que ceux‑ci constituaient [traduction] « dans un sens, la preuve, ou, à tout le moins, étaient mentionnés dans la preuve ». La date du 1er juin 2008 a été choisie par l’arbitre car il s’attendait à avoir rendu sa décision au plus à cette date et que [traduction] « s’il en était question, elle existerait toujours ».

·        L’arbitre a également écrit ce qui suit : [traduction] « [s]i [nom de l’avocat de la Première nation] insiste à poursuivre la question, j’entendrai les observations des deux parties ».

·        L’arbitre a également affirmé que le 2 mai 2008, Mme Young lui a téléphoné à son bureau. Mme Young a dit à l’arbitre que, après la clôture de l’audience, le 30 avril 2008, elle a été abordée par l’avocat de la Première nation et qu’elle voulait son opinion juridique.

·        L’arbitre l’a informée qu’il ne pouvait lui donner aucune opinion juridique. Il lui a donné le nom d’un avocat qui travaille dans un cabinet d’avocats de Winnipeg.

 

[53]      L’arbitre a rendu sa décision le 30 mai 2008.

 

[54]      Lors de sa plaidoirie devant moi, l’avocat de la Première nation a prétendu que ce comportement donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité.

 

[55]      Selon moi, aucune crainte raisonnable de partialité n’a été établie, et ce, pour les raisons suivantes.

 

[56]      Premièrement, il est bien établi en droit que les allégations de partialité doivent être formulées dès qu’il est raisonnablement possible dans les circonstances. Une partie peut ne pas attendre jusqu’à ce qu’elle soit informée de la décision et alléguer la partialité (voir, par exemple, Colistro, susmentionnée, au paragraphe 3; Rong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 242, au paragraphe 31 (C.F.)).

 

[57]      En l’espèce, l’avocat de la Première nation était au courant du comportement considéré maintenant comme donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité avant que l’arbitre n’ait rendu sa décision. Toutefois, rien ne prouve que l’avocat a répondu à l’offre de l’arbitre d’entendre les observations concernant ses directives et rien ne prouve qu’une plainte a été déposée après que l’arbitre eut révélé l’appel téléphonique de Mme Young ainsi que son contenu.

 

[58]      Deuxièmement, le critère servant à déterminer si une crainte raisonnable de partialité existe est le suivant : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (voir Committee for Justice and Liberty Canada (L’Office national de l’énergie) [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394).

 

[59]      Selon moi, compte tenu des faits susmentionnés, aucune personne bien renseignée ne ressentirait une crainte de partialité. Mme Young, qui n’était pas représentée, n’aurait pas dû communiquer avec l’arbitre. Toutefois, après que la communication ait eu lieu, l’arbitre a répondu de façon appropriée à Mme Young et a fait part de la communication à la Première nation avant de rendre sa décision. Selon moi, il n’y a rien d’inapproprié dans la réponse de l’arbitre à Mme LaJambe.

 

Conclusion

[60]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[61]      La Première nation et Mme Young demandent l’adjudication de dépens. Je suis convaincue que les dépens devraient suivre l’issue de la cause. En réponse à une demande formulée par la Cour, l’avocate des défendeurs a proposé l’adjudication de dépens fixés au montant de 2 000 $, plus les débours applicables. L’avocat de la Première nation n’a pas contesté.

 

[62]      Je fixe les dépens au montant global de 2 000 $. Ce montant forfaitaire correspond d’une manière générale aux dépens figurant au milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         La Nation des Cris de Opaskwayak doit verser à Bernice Young (Genaille) la somme globale de 2 000 $ à titre de dépens.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1000-08

 

INTITULÉ :                                       NATION DES CRIS DE OPASKWAYAK et

                                                            DEREK A. BOOTH ET BERNICE YOUNG (GENAILLE)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 février 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 4 mars 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sidney Green, c.r.

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Pamela M. Reilly

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sidney Green, c.r.

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Pamela M. Reilly Law Office

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.