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Date : 20090710

Dossier : T-1545-05

Référence : 2009 CF 318

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

MONSANTO CANADA INC. et

MONSANTO COMPANY

demanderesses

et

 

LAWRENCE JANSSENS, RONALD JANSSENS

et ALAN KERKHOF

défendeurs

 

 

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT

 

[1]               Les défendeurs sont des agriculteurs. En 2004, ils ont contrefait le brevet canadien numéro 1,313,830 (le brevet 830 ) en semant du soja ROUNDUP READYMD, et en récoltant et en vendant la plus grande partie de la récolte résultante. Ils ont conservé et nettoyé 337 boisseaux de soja ROUNDUP READYMD du rendement de culture de 2004 et l’ont mis en terre en 2005. Par conséquent, en 2005, ils ont à nouveau contrefait le brevet 830 en semant du soja ROUNDUP READYMD, et en récoltant et en vendant la récolte résultante. Le présent jugement vise la reddition de compte relative aux profits demandée par les demanderesses.

 

[2]               La présente instance a été instruite immédiatement après Monsanto Canada Inc. et al. c. Rivett, 2009 CF 317, dossier de la cour T-1515-05, car les deux instances concernent les mêmes demanderesses. Il s’agit de deux actions en contrefaçon de brevet découlant de la culture du soja ROUNDUP READYMD et les parties dans les deux actions étaient représentées par les mêmes avocats. Les parties des motifs du jugement dans Rivett qui traitent des questions de fait et de droit qui sont communes à la présente instance sont adoptées et sont reproduites dans les présents motifs.

 

Le contexte

[3]               Les parties sont d’accord sur la plupart des faits sous-jacents pertinents et ce qui suit est en grande partie tiré des allégations admises dans la déclaration et dans un exposé conjoint des faits déposé au début du procès.

 

[4]               Monsanto Company est la propriétaire du brevet 830 délivré le 23 février 1993 pour une invention intitulée « Plantes résistant au glyphosate ». Conformément aux dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, et en vertu de son brevet, Monsanto Company possède le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention décrite et revendiquée dans le brevet 830.  Monsanto Canada Inc. est apparentée à Monsanto Company et est titulaire d’une licence en vertu du brevet 830. Elle vend des produits de Monsanto Company au Canada. Dans les présents motifs, « Monsanto » et « les demanderesses » désignent les deux demanderesses.

 

[5]               L’invention décrite et revendiquée dans le brevet 830 vise un gène végétal qui, lorsque exprimé dans une cellule végétale, confère un niveau important de résistance au glyphosate à la cellule végétale et aux plants qui contiennent de telles cellules. Ainsi, ces cellules sont résistantes aux herbicides tels que le ROUNDUPMD de Monsanto dont l’ingrédient actif est le glyphosate. L’invention vise de plus une technique de production de dicotylédones résistant aux herbicides qui contiennent du glyphosate. Au Canada, les semences et les plants résistant au glyphosate qui contiennent les gènes ou les cellules conformément aux revendications du brevet 830 sont vendus sous la marque de commerce ROUNDUP READYMD.

 

[6]               Un des avantages des semences ROUNDUP READYMD est qu’un agriculteur peut utiliser un herbicide à base de glyphosate sur les plants une fois qu’ils ont germé, tuant ainsi les mauvaises herbes, mais non la récolte. Ainsi, cela permet d’économiser l’utilisation d’herbicides, de réduire la fréquence d’application et d’augmenter le rendement de culture. Les agriculteurs utilisent donc largement les semences ROUNDUP READYMD au Canada.

 

[7]               Les semences ROUNDUP READYMD sont uniquement vendues en vertu d’une licence délivrée personnellement à l’agriculteur. Ce dernier peut seulement utiliser les semences achetées pour semer une récolte qui doit être vendue exclusivement pour la consommation; l’agriculteur n’a pas le droit de conserver des graines aux fins de resemer une récolte de deuxième génération. Ces conditions sont imposées, parce que chaque cellule de chaque plant produit à partir des semences ROUNDUP READYMD de même que chaque grain ou chaque fève résultant contiennent le gène décrit dans le brevet 830. 

 

[8]               Les trois défendeurs sont parents; il y a deux frères et un beau-frère. Ils font de l’agriculture ensemble près de Wallaceburg, en Ontario. Ils n’ont pas conclu de partenariat; chacun exploite sa propre entreprise agricole, mais ils partagent les ressources comme l’équipement. En 2004, sans autorisation ni licence, les défendeurs ont semé, cultivé et récolté 50 acres de soja ROUNDUP READYMD et ont récolté la récolte résultante. La récolte de 2004 a été mise en terre avant le 1er mai 2004. Ce n’est toutefois qu’à compter du 1er mai 2004 que les défendeurs ont su que les demanderesses avaient un brevet concernant la technologie ROUNDUP READYMD et qu’il était nécessaire d’obtenir une licence pour utiliser la technologie. Ils n’ont pris aucune mesure en 2004 pour obtenir auprès des demanderesses une licence ou une autorisation à l’égard des semences mises en terre.

 

[9]               Les défendeurs reconnaissent tous qu’en 2004 ils ont utilisé, reproduit et créé des gènes, des cellules, des graines de soja et des plants contenant des gènes et des cellules résistant au glyphosate, comme le revendique chacune des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 22, 23, 26, 27, 28 et 47 du brevet 830.

 

[10]           Ils reconnaissent qu’en 2004 ils ont vaporisé sur les germes de soja ROUNDUP READYMD un herbicide à base de glyphosate pour se prévaloir de la résistance au glyphosate que confère le soja ROUNDUP READYMD. Ils ont vendu la plus grande partie du rendement de culture de soja ROUNDUP READYMD contrefait de 2004.

 

[11]           Les défendeurs ont conservé et nettoyé 337 boisseaux de soja ROUNDUP READYMD de leur rendement de culture de 2004 pour les mettre en terre en 2005.

 

[12]           Les défendeurs ont reconnu les faits pertinents suivants concernant la récolte de 2004 :

a.       Ils ont vendu 1 463 boisseaux de la récolte de soja ROUNDUP READYMD contrefait au prix de 7 $ le boisseau, réalisant des recettes brutes de 10 241 $.

b.      Ils n’ont payé aucune autre personne pour nettoyer les graines de soja ROUNDUP READYMD.

c.       Ils n’ont pas payé de loyer pour la terre sur laquelle ils ont semé les graines de soja ROUNDUP READYMD.

d.      Ils n’ont pas engagé d’employés à la seule fin de cultiver le soja ROUNDUP READYMD.

e.       Ils n’ont pas payé un tiers pour mettre le soja ROUNDUP READYMD en terre.

f.        Ils n’ont pas payé un tiers pour appliquer de l’engrais ou des herbicides sur le soja ROUNDUP READYMD.

g.       Ils n’ont pas payé un tiers pour récolter le soja ROUNDUP READYMD.

h.       Ils n’ont pas payé un tiers pour transporter le soja ROUNDUP READYMD.

i.         Ils n’ont pas acheté d’équipement exclusivement aux fins de cultiver le soja ROUNDUP READYMD.

 

[13]           En 2005, les défendeurs ont mis en terre la totalité des 337 boisseaux de soja ROUNDUP READYMD conservés du rendement de culture de 2004. Alan Kerkhof et Lawrence Janssens ont chacun semé, cultivé et récolté 100 acres de soja ROUNDUP READYMD, tandis que Ronald Janssens a semé, cultivé et récolté 50 acres de soja ROUNDUP READYMD. Ils reconnaissent tous qu’en ce faisant, ils ont contrefait les revendications 1, 2, 5, 6, 7, 22, 23, 26, 27, 28 et 47 du brevet 830.

 

[14]           Ils avouent tous qu’en 2005, ils ont délibérément décidé de mettre en terre les semences de soja ROUNDUP READYMD sans licence et ils avouent qu’ils ont tous appliqué un herbicide à base de glyphosate sur les germes de soja pour se prévaloir de la résistance au glyphosate que confère le soja ROUNDUP READYMD

 

[15]           En 2005, les défendeurs ont collectivement semé, cultivé et récolté 250 acres de soja ROUNDUP READYMD et 325 acres supplémentaires de soja ordinaire. Ils ont vendu la totalité de la récolte de soja de 2005 et n’ont pas séparé le soja ROUNDUP READYMD lorsqu’il a été vendu. 

 

[16]           Tous les défendeurs reconnaissent que les recettes brutes qu’ils ont réalisées pour la vente du soja ROUNDUP READYMD en 2005 s’établissent comme suit :

Lawrence Janssens          - 32 384,68 $

Ronald Janssens              - 16 192,34 $

Alan Kerkhof                  - 32 384,68 $

 

[17]           Les défendeurs ont reconnu les faits pertinents suivants concernant la récolte de 2005 :

a.       Ils n’ont pas engagé d’employés à la seule fin de cultiver le soja ROUNDUP READYMD.

b.      Ils n’ont pas payé un tiers pour mettre le soja ROUNDUP READYMD en terre.

c.       Ils n’ont pas payé un tiers pour appliquer de l’engrais ou des herbicides sur le soja ROUNDUP READYMD.

d.      Ils n’ont pas payé un tiers pour récolter le soja ROUNDUP READYMD.

e.       Ils n’ont pas payé un tiers pour transporter le soja ROUNDUP READYMD.

f.        Ils n’ont pas acheté d’équipement exclusivement aux fins de cultiver le soja ROUNDUP READYMD.

 

[18]           Ronald Janssens reconnaît que les 50 acres de soja ROUNDUP READYMD qu’il a mis en terre en 2005 ont été ensemencés sur une terre dont il est le propriétaire et il n’a payé aucun loyer pour cette terre.

 

[19]           Outre le soja ROUNDUP READYMD et le soja ordinaire, en 2005, Alan Kerkhof et Ronald Janssens ont également semé, cultivé et récolté du maïs et du blé d’hiver.

 

[20]           Les défendeurs reconnaissent leur contrefaçon en 2005 et la validité du brevet 830. Le juge Simon Noël a prononcé un jugement sur consentement le 11 janvier 2007, qui comprenait un jugement déclaratoire, qui interdisait en permanence aux défendeurs toute autre activité de contrefaçon et qui exigeait que les défendeurs livrent les semences et les plants contrefaits en leur possession à Monsanto Canada Inc.

 

[21]           Ce jugement laissait plusieurs questions à trancher à l’instruction de la présente action. Certaines questions en suspens ont été abandonnées ou n’ont pas été invoquées. La question de la contrefaçon en 2004 a par la suite été admise par les défendeurs. En vertu des modalités du jugement, les demanderesses étaient tenues de choisir entre des dommages-intérêts et une reddition de compte relative aux profits. Les demanderesses ont choisi la reddition de compte relative aux profits. Par conséquent, les seules questions que la Cour doit trancher, conformément au jugement sur consentement et aux accords ultérieurs des parties, sont les suivantes :

a.       une reddition de compte relative aux profits que les défendeurs ont tirés de la contrefaçon;

b.      les intérêts avant jugement et après jugement;

c.       les dépens de l’instance.

 

[22]           Outre les faits sur lesquels les parties se sont entendues, il a été convenu que le témoignage de M. Michael McGuire, un vice-président de Monsanto Canada et directeur de son entreprise de commerce et de semences pour l’Est du Canada et présenté dans le dossier Rivett, devait être admis dans la présente action. Le témoignage de M. McGuire concernait les avantages des semences ROUNDUP READYMD et le profit supplémentaire qu’un agriculteur utilisant ce produit Monsanto pouvait s’attendre à obtenir. Il a également parlé des mécanismes d’application qui ont été mis en place pour dépister les contrefacteurs du brevet 830 et prendre des mesures à leur égard. Les défendeurs n’ont contesté aucun élément du témoignage présenté par M. McGuire. Le témoignage de chacun des défendeurs visait son exploitation agricole et les frais de son exploitation agricole. 

 

[23]           Tout comme dans le dossier Rivett, les défendeurs ont proposé de faire témoigner M. Gary Fisher comme expert pour parler des coûts de l’agriculture et des coûts des exploitations des défendeurs. Pour les motifs fournis dans Rivett, la Cour a maintenu l’objection des demanderesses à l’égard de son témoignage.

 

Les questions en litige

[24]           À mesure que s’est déroulé le procès, il est devenu évident que les questions suivantes étaient les questions pertinentes à l’égard desquelles la Cour devait se prononcer :

a.       Quelle méthode applicable la Cour doit-elle employer pour une reddition de compte relative aux profits?

b.      Quelles sont les dépenses engagées ou autrement déduites à juste titre des recettes brutes tirées de la vente des récoltes de soja ROUNDUP READYMD contrefaites en 2004 et 2005 et que les défendeurs ont prouvées?

c.       En appliquant la méthode appropriée de reddition de compte relative aux profits, quel est le profit obtenu de la contrefaçon par chaque défendeur en 2004 et 2005 et qui doit être restitué?

d.       Les défendeurs sont-ils tenus de payer les intérêts avant jugement et après jugement et, si oui, quels en sont les montants?

e.       Les défendeurs sont-ils tenus de payer les dépens et, si oui, quel en est le montant.

 

Analyse

a.         En l’espèce, quelle est la méthode applicable à une reddition de compte relative aux profits?

[25]           Pour les motifs fournis dans Rivett, la méthode applicable à une reddition de compte relative aux profits est la méthode du profit différentiel.

 

La méthode du profit différentiel

[26]           Comme cela a été énoncé dans Rivett, la méthode du profit différentiel exige que la Cour compare le profit que l’invention a permis au contrefacteur de réaliser à celui que lui aurait permis de réaliser la meilleure solution non contrefaisante. L’application de cette méthode exige l’analyse suivante :

a.       Y a-t-il un lien de causalité entre le profit réalisé et la contrefaçon? S’il n’y en a aucun, il n’y a pas de profit qui exige une reddition de compte.

b.      S’il y a un lien de causalité, quel est alors le profit réalisé par le contrefacteur en conséquence de la contrefaçon? J’appellerai ce montant le profit brut de la contrefaçon.

c.       Le contrefacteur aurait-il pu utiliser une solution non contrefaisante?

d.      En l’absence de solution non contrefaisante, le profit brut de la contrefaçon doit alors être payé au breveté.

e.       En présence d’une solution non contrefaisante, quel profit aurait réalisé le contrefacteur s’il avait utilisé cette solution? J’appellerai ce montant le profit brut de la non-contrefaçon.

f.        En présence de la disponibilité d’une option non contrefaisante, le montant à payer au breveté est la différence entre le profit brut de la contrefaçon et le profit brut de la non-contrefaçon. Ce montant est le profit directement attribuable à la contrefaçon du brevet et qui en découle.

 

[27]           Contrairement au défendeur dans Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2001] A.C.F. no 436; conf. par [2002] A.C.F. no 1209; inf. par [2004] A.C.S. no 29, dans la présente affaire, tous les défendeurs avouent qu’en 2004 et en 2005 ils ont appliqué sur leurs récoltes de soja ROUNDUP READYMD un herbicide à base de glyphosate et ont ainsi tiré avantage de l’invention de Monsanto. En raison de l’établissement de ce lien de causalité, la Cour doit déterminer le profit qu’ont réalisé les défendeurs en conséquence de la contrefaçon. Ce montant, appelé plus haut le profit brut de la contrefaçon, est le résultat obtenu en déduisant les dépenses déductibles de l’ensemencement, de la culture et de la récolte du soja ROUNDUP READYMD des recettes brutes tirées de la vente de ce soja.

 

b.         Quelles sont les dépenses déductibles des défendeurs?

[28]           La pièce D-1, rédigée par M. Kerkhof avec ses beaux-frères, est un tableau intitulé [traduction] « Coûts du soja en 2005 ». Le tableau vise à énumérer une combinaison de dépenses réelles et de travaux à forfait relativement à la récolte contrefaite. Il a été déposé uniquement à titre d’information, et non comme élément de preuve directe des coûts. Au procès, la pièce  D‑1 a été décrite comme un « aide-mémoire » et M. Kerkhof, qui était le principal témoin de la défense, s’est en effet appuyé sur ce tableau. 

 

[29]           Dans les annexes A, B et C de ses observations écrites, Monsanto s’est appuyée sur la pièce D‑1, avec certaines modifications, pour établir le montant de profit qu’elle estime qu’elle devrait recevoir de la part de chaque défendeur. Monsanto a écrit ce qui suit :

[traduction]

Après avoir examiné tous les éléments de preuve admissibles et fiables en l’espèce, après avoir tenu compte des principes de la comptabilité des coûts variables et après avoir pondéré les principes d’equity dans la présente affaire, le montant de profit que les défendeurs devraient restituer aux demanderesses, conformément au paragraphe 7 du jugement, est celui énoncé dans les annexes A, B et C.

 

Les demanderesses soutiennent que le profit que doit restituer chaque défendeur s’établit comme suit :

Lawrence Janssens       - 16 760,67 $

Ronald Janssens           - 16 337,17 $

Alan Kerkhof               - 16 760,67 $

 

[30]           Les défendeurs, utilisant la méthode décrite au paragraphe 35 de Rivett, soutiennent qu’ils n’ont réalisé aucun profit en 2005 et qu’il n’y a rien à restituer aux demanderesses.

 

[31]           Tous les éléments de preuve présentés par les défendeurs concernent la récolte de 2005. Bien que les défendeurs n’aient présenté aucun élément de preuve concernant les dépenses de 2004, l’avocat des défendeurs a fait valoir que les déductions des recettes brutes de 2004 devraient être les mêmes que celles étayées par la preuve pour 2005.

 

[32]           Il incombe aux défendeurs de prouver les coûts qui doivent être déduits des recettes brutes obtenues des ventes. Je souscris à l’avis exprimé par la juge Reed dans Diversified Products Corp. et al. c. Tye-Sil Corp. Ltd., [1990] A.C.F. no 952, (1990), 32 C.P.R. (3d) 385 (C.F. 1re inst.), selon lequel tout doute dans l’établissement des dépenses doit être résolu en faveur des demandeurs :

[] Pour calculer les bénéfices d’un contrefacteur, le demandeur n’a besoin de prouver que les ventes du défendeur. Le défendeur a alors l’obligation de prouver les éléments de dépenses qui doivent être déduits des ventes pour indiquer le profit. Tous les doutes relatifs au calcul des dépenses ou des profits doivent être résolus en faveur du demandeur. Toutefois, cela n’oblige pas le contrefacteur à prouver de manière détaillée des dépenses telles que les frais généraux et les relations entre celles-ci et la contrefaçon. Mais le défendeur a l’obligation d’expliquer, au moins de manière générale, comment les frais généraux réclamés ont effectivement contribué à la production de la contrefaçon.

 

Cependant, je suis également guidé par le fait que la réparation que recherchent les demanderesses est essentiellement une réparation en equity et que l’équité doit s’appliquer aux deux parties. Dans l’arrêt Schmeiser, au paragraphe 85, la Cour d’appel fédérale a indiqué que si l’application mécanique des principes comptables donne un montant qui ne représente pas le profit tiré de la contrefaçon, il est loisible au juge de première instance d’ajuster le montant, à condition qu’il le fasse de « façon motivée »

 

[33]           L’avocat des défendeurs a fait remarquer qu’il est évident que le soja ne se sème pas, ne se cultive pas et ne se récolte pas de lui-même et que, par conséquent, certaines dépenses doivent avoir été engagées à l’égard de ce processus. Les défendeurs n’ont toutefois présenté aucun élément de preuve à l’égard duquel la Cour, de façon motivée, pourrait conclure que les dépenses de 2004 seraient du même ordre que celles de 2005. La récolte de 2004 a été semée selon un régime de métayage avec un tiers qui n’est pas devant la Cour dans la présente instance. En conséquence, la Cour conclut qu’il n’existe aucun fondement en vertu duquel elle peut créditer aux défendeurs des dépenses à l’encontre des recettes brutes tirées de la récolte de 2004. 

 

[34]           L’analyse qui suit utilise les dépenses qui doivent être créditées uniquement à l’encontre des recettes de 2005. Même si tous les défendeurs ont témoigné, le témoignage de M. Kerkhof est le plus détaillé et il a été accepté par ses codéfendeurs. Pour faciliter la lecture, les paragraphes qui suivent concernent le témoignage de M. Kerkhof, mais s’appliquent à chaque défendeur.

 

            L’herbicide

[35]           Les dépenses d’herbicide des défendeurs sont appuyées par la pièce D-2, une facture datée du 22 juin 2005, de South West Ag Partners Inc. Selon le témoignage de M. Kerkhof, il a appliqué un herbicide à base de glyphosate (de marque « Touchdown ») à raison de 1,5 litre l’acre pour le désherbage et de 1 litre l’acre en cours de culture. Lors de son contre-interrogatoire, M. Kerkhof a admis que le prix payé pour l’herbicide était de 7,30 $ le litre après une remise sur quantité, et non 8,50 $ comme l’indiquait la pièce D‑1. En contre-interrogatoire, M. Kerkhof a déclaré que le désherbage aurait été réalisé pour préparer l’ensemencement de toute récolte. Le calcul des coûts présenté par Monsanto au procès exclut l’application pour le désherbage. Toutefois, selon la preuve même de Monsanto concernant la technologie brevetée, la société conseille un désherbage à base de glyphosate avant l’ensemencement (pièce P‑1). En conséquence, je suis convaincu que les coûts d’herbicide devraient être calculés à raison de 2,5 litres l’acre, à 7,30 $ le litre. Cela donne donc un coût de 18,25 $ l’acre.

 

L’engrais

[36]           Monsanto accepte la prétention des défendeurs, appuyée par la pièce D‑3, selon laquelle le coût de l’engrais devrait être déduit des recettes brutes à raison de 40,50 $ l’acre.  

 

Les semences

[37]           Les défendeurs n’ont engagé aucun coût en 2005 relativement aux semences de soja contrefaites elles-mêmes. Donc, aucune dépense ne peut être déduite à l’égard du coût des semences.

 

Le sulfate d’ammonium

[38]           La pièce D‑4 est une facture de GroCrop Inc. sur laquelle est inscrit l’achat de sulfate d’ammonium. Dans son témoignage M. Kerkhof a indiqué qu’en 2005, le sulfate d’ammonium a été appliqué pour le désherbage, à raison de 1 litre l’acre, au prix de 0,90 $ le litre. Il a été de nouveau appliqué en cours de culture, à raison de 1 litre l’acre en combinaison avec l’herbicide à base de glyphosate. Par conséquent, selon son témoignage, il a été appliqué à raison de 2 litres l’acre. Les chiffres de Monsanto semblent exclure l’application pour le désherbage mais, comme il a été mentionné ci-dessus, cette application devrait être incluse. Le coût de ce produit sera donc calculé à 1,80 $ l’acre.

 

Les pesticides

[39]           La pièce D‑5 constate un achat de Matador et d’Agral chez South West Ag. Partners Inc. le 5 août 2005. Le Matador est un pesticide que les défendeurs ont appliqué sur la récolte contrefaite. Monsanto accepte ce chiffre présenté dans la pièce D‑1, qui indique que le coût de ce produit s’élevait à 5,42 $ l’acre en 2005. M. Kerkhof a expliqué que l’Agral est un additif qui se mélange au Matador. Monsanto accepte le chiffre présenté dans la pièce D‑1, qui indique que le coût de ce produit s’élevait à 0,83 $ l’acre en 2005. Ceci représente une dépense totale de 6,25 $ l’acre pour les pesticides.

 

L’assurance-récolte

[40]           Le chiffre de 10,43 $ l’acre pour l’assurance-récolte n’est pas contesté relativement à la récolte de 2005.

 

Le loyer foncier

[41]           Le chiffre de 125 $ l’acre au titre de loyer foncier pour les défendeurs Lawrence Janssens et Alan Kerkhof, est appuyé par la pièce D-6 et n’est pas contesté. Il est admis que le défendeur Ronald Janssens n’a engagé aucune dépense au titre de loyer foncier.

 

Les autres coûts

[42]           La pièce D‑1 inclut diverses autres dépenses dont M. Kerkhof a parlé dans son témoignage, notamment la récolte, le camionnage, la vaporisation, la commercialisation et les intérêts sur les emprunts. Selon l’argument des défendeurs, lorsque ces dépenses sont incluses, ils ont subi une perte nette à l’égard de la récolte de soja de 2005.

 

[43]           Cette prétention soulève des difficultés. En effet, les dépenses alléguées réunissent une variété d’éléments distincts, comme les coûts relatifs à l’essence et à la main-d’œuvre, qui ne peuvent être démêlés, selon la preuve dont la Cour est saisie. De plus, comme les avocats des demanderesses l’on fait dire à M. Kerhhof lors de son contre-interrogatoire, les travaux à forfait sur lesquels s’appuyaient les défendeurs pour estimer les coûts de vaporisation et de camionnage, par exemple, ne tiennent pas compte du fait que la valeur marchande de ces services est déterminée en fonction de facteurs tels que les taux de salaires, les primes d’assurance et les frais de permis que les défendeurs n’auraient pas engagés. Pour cette raison, les chiffres fournis par les défendeurs ne sont pas fiables et la Cour n’accordera aucune déduction des recettes brutes à l’égard de ces dépenses. De plus, pour les motifs fournis dans Rivett, les défendeurs n’ont droit à aucune déduction pour leur propre travail.

 

[44]           Compte tenu des conclusions ci-dessus, les dépenses à l’acre que chacun des défendeurs aura droit de déduire des recettes brutes admises pour 2005 sont les suivantes :

Herbicide                     18,25 $

Engrais                         40,50$

Sulfate d’ammonium      1,80 $

Matador et Agral            6,25 $

Assurance-récolte         10,43 $

TOTAL                        77,23 $

 

De plus, les défendeurs Alan Kerkhof et Lawrence Janssens ont payé un loyer pour leur terre et ils ont tous deux le droit de déduire à cet égard une dépense supplémentaire de 125 $ l’acre.

 

[45]           Ainsi, les dépenses que chaque défendeur peut déduire à juste titre des recettes brutes, par acre en 2005, sont les suivantes :

Lawrence Janssens       202,23 $ l’acre

Ronald Janssens           77,23 $ l’acre

Alan Kerkhof               202,23 $ l’acre

 

c.         Les profits à restituer

[46]           Alan Kerkhof et Lawrence Janssens ont chacun cultivé 100 acres de soja contrefait en 2005 et ont chacun réalisé des recettes brutes de 32 384,68 $. Les dépenses engagées par chacun pour gagner ce revenu se sont élevées à 20 223 $. En conséquence, chacun a réalisé un profit brut de la contrefaçon de 12 161,68 $ en 2005.

 

[47]           Ronald Janssens a cultivé 50 acres de soja contrefait en 2005. Ses recettes brutes pour la récolte contrefaite s’élevaient à 16 192,34 $. Les dépenses engagées pour gagner ce revenu ont totalisé 3 861,50 $. Ainsi,  il a réalisé un profit brut de la contrefaçon de 12 330,84 $ en 2005.

 

[48]           À ces chiffres, il faut ajouter les recettes brutes de 10 241 $ obtenues de la contrefaçon de 2004.  Je suis d’avis qu’il est raisonnable que ce profit soit attribué aux défendeurs proportionnellement à la superficie que chacun a ensemencée en 2005. En conséquence, Alan Kerkhof et Lawrence Janssens sont chacun responsable de 40 % de ce profit et Ronald Janssens est responsable de 20 %.

 

[49]           Par conséquent, le profit brut de la contrefaçon que chaque défendeur a réalisé à l’égard du soja ROUNDUP READYMD en 2004 et 2005 s’établit comme suit :

 

Alan Kerkhof

Lawrence Janssens

Ronald Janssens

2004

 4 096,40 $

 4 096,40 $

 2 048,20 $

2005

12 161,68 $

12 161,68 $

12 330,84 $

 

[50]           Ayant conclu que la méthode appropriée de reddition de compte est la méthode du profit différentiel, il faut déterminer la différence entre le profit brut de la contrefaçon et le profit que chacun aurait réalisé s’il avait utilisé la meilleure solution non contrefaisante. Pour les motifs fournis dans Rivett, je conclus que l’élément de comparaison applicable est le soja ordinaire et je conclus de plus que pour chaque dollar de profit qui aurait été réalisé en utilisant le soja ROUNDUP READYMD en vrac, chaque défendeur n’aurait réalisé que 0,69 $ en utilisant le soja ordinaire. Par conséquent, 69 % de chaque dollar de profit réalisé en utilisant le soja ROUNDUP READYMD aurait été réalisé si les défendeurs avaient utilisé le soja ordinaire.

 

[51]           Partant que le profit brut de la non-contrefaçon est 69 % du profit brut de la contrefaçon, la différence entre ces montants pour chacun des défendeurs et, par conséquent, le montant à restituer aux demanderesses, s’établit comme suit :

 

Alan Kerkhof

Lawrence Janssens

Ronald Janssens

2004

1 269,88 $

1 269,88 $

   634,94 $

2005

3 770,12 $

3 770,12 $

3 822,56 $

 

[52]           Ronald Janssens est tenu de restituer un montant de profit un peu plus élevé que les autres défendeurs à l’égard de la récolte de 2005, malgré le fait que sa récolte ne représentait que la moitié de la leur. Cela est dû au fait qu’il a cultivé la récolte de soja sur une terre qui lui appartenait, plutôt que sur une terre louée. En conséquence, alors que les autres défendeurs se sont vus créditer le loyer foncier, cela n’a pas été le cas pour lui. Aucun autre élément de preuve n’a été présenté concernant des coûts semblables, telles les taxes foncières, que Ronald Janssens aurait pu engager à l’égard de sa terre. J’ai examiné la question de savoir s’il existe un fondement selon laquelle la Cour devrait prévoir une déduction pour Ronald Janssens, mais j’ai conclu qu’en l’absence de preuve, une déduction accordée par la Cour serait arbitraire et il ne serait pas possible de dire qu’elle a été accordée de façon motivée.

 

d.         Les intérêts avant jugement et après jugement

[53]           Pour les motifs fournis dans Rivett, les demanderesses ont droit aux intérêts avant jugement. Les défendeurs n’ont présenté aucune observation à l’égard des intérêts avant jugement. J’accepte la prétention des demanderesses, comme suit :

[traduction]

Suivant le droit de l’Ontario, les intérêts avant jugement à l’égard d’une adjudication relative à des profits devraient commencer à courir à compter de la date à laquelle les défendeurs ont tiré les recettes de leurs activités de contrefaçon au taux de 2,8 pour cent pour le profit réalisé en 2004 et au taux de 3,3 pour cent pour le profit réalisé en 2005. Le montant des intérêts à l’égard du profit réalisé en 2004 devrait être composé semestriellement du 15 janvier 2005 jusqu’à la date du jugement. Le montant des intérêts à l’égard du profit réalisé en 2005 devrait être composé semestriellement du 15 janvier 2006 jusqu’à la date du jugement.

 

[54]           Les intérêts après jugement sont fixés au taux de 4 pour cent, pour les motifs fournis dans Rivett.

 

e.         Les dépens

[55]      Les parties ont conjointement demandé que la Cour reporte l’adjudication des dépens jusqu’à ce que les autres questions soulevées dans la présente action aient été tranchées. Elles ont toutes les deux souhaité avoir l’occasion de déposer des observations par écrit. J’accorderai donc aux demanderesses deux semaines pour rédiger des observations sur les dépens, qui ne doivent pas excéder dix pages. Les défendeurs auront un délai supplémentaire de dix jours pour répondre au moyen d’observations qui ne doivent pas excéder dix pages. Les demanderesses auront alors trois jours pour répondre, en cinq pages ou moins.

 

Résumé et conclusion

[56]      J’ai conclu que le montant total du profit que doit restituer chacun des défendeurs Alan Kerkhof et Lawrence Janssens pour la récolte de 2004 s’élève à 1 269,88 $. Les demanderesses ont droit à des intérêts avant jugement sur cette somme, au taux de 2,8 pour cent du 15 janvier 2005 jusqu’à la date du jugement, composés semestriellement. 

 

[57]      J’ai conclu que le montant total du profit que doit restituer chacun des défendeurs Alan Kerkhof et Lawrence Janssens pour la récolte de 2005 s’élève à 3 770,12 $. Les demanderesses ont droit à des intérêts avant jugement sur cette somme, au taux de 3,3 pour cent du 15 janvier 2006 jusqu’à la date du jugement, composés semestriellement.

 

[58]      J’ai conclu que le montant total du profit que doit restituer le défendeur Ronald Janssens pour la récolte de 2004 s’élève à 634,94 $. Les demanderesses ont droit à des intérêts avant jugement sur cette somme, au taux de 2,8 pour cent du 15 janvier 2005 jusqu’à la date du jugement, composés semestriellement. 

 

[59]      J’ai conclu que le montant total du profit que doit restituer le défendeur Ronald Janssens pour la récolte de 2005 s’élève à 3 822,56 $. Les demanderesses ont droit à des intérêts avant jugement sur cette somme, au taux de 3,3 pour cent du 15 janvier 2006 jusqu’à la date du jugement, composés semestriellement.

 

[60]      Les demanderesses ont droit à des intérêts après jugement à compter de la date du présent jugement jusqu’au paiement, au taux de 4 pour cent. La décision concernant les dépens est réservée jusqu’à la réception des observations supplémentaires des parties. 

 

[61]      Conformément à l’article 394 des Règles des Cours fédérales, il est ordonné aux avocats des demanderesses de rédiger un projet de jugement, qui sera complété plus tard, si nécessaire, avec des modalités à convenir, et de le distribuer à l’avocat des défendeurs pour commentaires, dans les 30 jours du dépôt des présents motifs. Si les défendeurs n’acceptent pas les modalités ainsi proposées, la Cour examinera des observations écrites ou entendra les avocats au moyen d’une téléconférence, sur les modalités du jugement.

 

   « Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1545-05

 

INTITULÉ :                                       MONSANTO CANADA INC. et

                                                            MONSANTO COMPANY c.

                                                            LAWRENCE JANSSENS, RONALD JANSSENS

                                                            et ALAN KERKHOF

                                                                                                                                                                                   

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 JANVIER 2009

 

MOTIFS MODIFIÉS

DU JUGEMENT :                             LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 MARS 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur B. Renaud

L. E. Trent Horne

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Donald R. Good

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bennett Jones, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Donald R. Good & Associates

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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