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Date: 20090409

Dossier : IMM-4691-08

Référence : 2009 CF 364

Ottawa (Ontario) le 9 avril 2009

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

 

 

ENTRE :

PINKY LOURICE MARK

ADAINA THERESA TENISHA THOMAS

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ 

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision rendue le 26 août 2008 par une déléguée du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada, une agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR), par laquelle cette dernière rejetait la demande de résidence permanente faite par les demanderesses et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.                       

 

 

 

LE CONTEXTE FACTUEL

[2]               Pinky Lourice Mark et sa fille mineure (les demanderesses), sont des citoyennes de la Grenade. Elles sont entrées au Canada le 24 juillet 2001 comme résidentes temporaires, pour fuir une relation de violence qu’elles entretenaient avec le petit ami de la demanderesse principale et le père de celui-ci.

 

[3]               Un rapport d’interdiction de territoire a été établi à l’encontre de la demanderesse principale en vertu de l’article 44 de la Loi le 29 juin 2004, au motif qu’elle était entrée au Canada sans avoir obtenu au préalable le visa d’immigrant nécessaire. Une mesure d’interdiction de séjour fut prise.

 

[4]               Le 29 juin 2004 également, les demanderesses ont présenté une demande d’asile qui a été rejetée le 1er novembre 2004, au motif qu’elles n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger, puisque la Grenade est un État qui offre une protection contre la violence familiale. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée au mois de juin 2005.

 

[5]               Le 26 août 2006, la demanderesse principale a alors reçu signification d’une demande d’ERAR qui a été rejetée en janvier 2007. Elle a réussi à obtenir un contrôle judiciaire de cette décision.

 

[6]               Au mois de février 2007, la demanderesse principale a reçu instruction de se présenter en vue de son renvoi, un report lui a été refusé, mais elle est parvenue à obtenir un sursis jusqu’au mois de juillet 2007 pour permettre à sa fille de terminer son année scolaire. La fille de la demanderesse principale a de grandes difficultés d’apprentissage qui requièrent qu’elle suive un plan d’enseignement individualisé. Jusqu'à présent, elle a fait toutes ses études au Canada.

 

[7]               Au mois de février 2008, la demanderesse principale a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH), laquelle a été rejetée au mois d’août 2008.

 

[8]               Une nouvelle mesure d’interdiction de séjour a été émise à l’encontre de la demanderesse le 14 novembre 2008. En effet, sa demande tendant à obtenir que la mesure de renvoi soit différée avait été rejetée le 5 novembre 2008 et celle par laquelle elle demandait un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi avait été rejetée le 13 novembre 2008. La demanderesse principale a alors obtenu un sursis d’exécution de la mesure de renvoi prévu par la loi jusqu’à la clôture d’un procès qui devait commencer le 17 décembre 2008, dans lequel elle devait témoigner contre son ancien petit ami accusé d’agression contre elle.

 

[9]               L’agente a conclu que si les demanderesses devaient retourner à la Grenade, elles ne subiraient pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Voici les éléments que l’agente a pris en considération : l’établissement et les antécédents professionnels des demanderesses au Canada, les liens familiaux au Canada, l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse principale à rester au Canada compte tenu des troubles d’apprentissage de cette dernière et des services offerts par le système éducatif canadien, le risque de violence familiale à la Grenade soulevé précédemment par la Section de la protection des réfugiés lors de l’audience relative au statut de réfugié et dans l’ERAR des demanderesses, ainsi que les difficultés auxquelles elles seraient confrontées pour trouver une résidence à la Grenade.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]           La présente demande a soulevé les questions suivantes :

a)      L’agente a-t-elle commis une erreur en se fondant sur une preuve extrinsèque qui n’avait pas été communiquée aux demanderesses?

b)      L’agente a-t-elle commis une erreur dans son analyse du risque et dans son appréciation de la preuve au sujet de la protection offerte par l’État aux victimes de violence familiale à la Grenade?

c)      L’agente a-t-elle commis une erreur en n’offrant pas la possibilité aux demanderesses d’actualiser leur dossier?

 

ANALYSE

a)   L’agente a-t-elle commis une erreur en se fondant sur une preuve extrinsèque qui n’avait pas été communiquée aux demanderesses?

 

[11]           Les demanderesses soutiennent que l’agente a commis une erreur en se fondant sur un article des Nations-Unies datant de 2005, qui était accessible au public sur son site Web, sans les en avoir avisées au préalable afin de leur permettre d’y répondre. L’agente a utilisé cet article, bien qu’il concernait la situation générale dans le pays en cause, pour réfuter l’argument spécifique des demanderesses selon lequel ces dernières se retrouveraient sans abri à la Grenade, du fait que la maison de la mère de la demanderesse principale avait été détruite en 2004 par l’ouragan Ivan.

 

[12]           Le défendeur quant à lui soutient que les documents concernant la situation générale dans le pays en cause et accessibles au public sur Internet, ne constituent pas une preuve extrinsèque qui doit être communiquée par un agent avant qu’il ne prenne sa décision.

 

[13]            Dans l’opinion du défendeur, les documents sur la situation générale dans le pays en cause provenant d’une source publique ne constituent pas une preuve extrinsèque : Latifi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no. 1739, 2006 CF 1389. Si cela peut être vrai en tant qu’énoncé général, je me permets, en l’espèce, d’exprimer mon désaccord avec le défendeur pour les motifs suivants :

 

[14]           Premièrement, contrairement à l’opinion du défendeur selon laquelle l’article a été simplement utilisé pour montrer les efforts entrepris par la Grenade pour construire de nouvelles habitations depuis le passage de l’ouragan, une interprétation raisonnable de la décision sous la rubrique [traduction] « Liens ou résidence à la Grenade » démontre bien que dans ce contexte, l’agente s’est basée sur l’article de l’ONU pour réfuter l’argument des demanderesses selon lequel elles seraient sans abri une fois de retour à la Grenade :

 

 

[traduction]

Avant son arrivée au Canada, la demanderesse avait quitté le domicile de son ancien conjoint de fait pour fuir la violence physique et psychologique que lui et ses parents lui faisaient subir. Elle s’était installée chez sa mère. La demanderesse déclare à présent que la maison a été détruite par l’ouragan Ivan. La preuve documentaire démontre que les maisons sont en cours de reconstruction à la Grenade. Diverses initiatives ont été prises pour venir en aide aux victimes de l’ouragan Ivan. Selon un article intitulé « La Grenade se reconstruit : Après l’ouragan » et publié par la Chronique ONU, après l’ouragan, l’équipe des Nations Unies pour l’évaluation et la coordination en cas de catastrophes a été immédiatement déployée à la Grenade. Un nombre de projets de relèvement et de développement prioritaires ont été mis en œuvre dont la reconstruction des abris.

 

 

[15]            Il s’agissait d’une partie cruciale de la demande CH présentée par les demanderesses. L’agente a utilisé l’article de façon entièrement conjecturale pour réfuter l’argument des demanderesses selon lequel elles n’auraient pas un toit une fois de retour à la Grenade, du fait que la maison de la mère de la demanderesse principale avait été détruite. Il importe de noter, comme le souligne l’avocat des demanderesses, que le même article mentionne que parmi les 10 000 maisons à reconstruire, « seulement 23 maisons avaient été reconstruites, 50 % étant en cours de construction, forçant des milliers de personnes à vivre dans des abris temporaires et des conditions insalubres, dépendants de l’aide publique »

 

[16]           En outre, s’agissant de l’argument selon lequel l’article était accessible au public et qu’il n’y avait dès lors pas nécessité de le communiquer, je mentionnerais que l’ONU sort chaque année des milliers de publications. Les demanderesses ne pouvaient donc pas savoir qu’une publication périmée allait jouer un rôle essentiel dans l’appréciation de leur crainte de se retrouver sans abri et des difficultés qui découleraient de cette situation. Cela est particulièrement marqué lorsqu’il s’agit d’une demande CH qui ne tient pas seulement compte de la situation du pays en cause, mais dépend aussi de plusieurs facteurs, contrairement à un ERAR.

 

[17]           Le défendeur s’est beaucoup fondé sur Latifi, précitée, pour affirmer qu’il n’était pas nécessaire de communiquer l’article en question. Je mentionne que dans cette affaire, les conclusions de l’agente au sujet des difficultés étaient basées, entre autres choses, sur l’absence de lien entre la situation dans le pays en cause et les difficultés personnelles auxquelles aurait pu être exposé le demandeur. Ce n’est pas le cas en l’espèce. La disponibilité d’un logement était une condition essentielle et partant, contrairement à Latifi, précitée, il y avait un lien fort entre la situation dans le pays en cause et celle des demanderesses.

 

[18]           A mon avis, l’agente a manqué à son obligation d’équité envers les demanderesses en se fondant sur un document d’archive périmé, sans leur laisser la moindre occasion de réfuter cet élément de preuve.

 

CONCLUSION

[19]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie, la décision de l’agente

d’ERAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent afin qu’il rende une nouvelle décision. Vu cette conclusion, je n’estime pas nécessaire de répondre aux autres questions soulevées dans la présente affaire. Il n’y aucune question à certifier.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente d’ERAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent afin qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4691-08

 

INTITULÉ :                                       PINKY LOURICE MARK ET ADAINA THERESA TENISHA THOMAS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                                                                                   

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 avril 2009

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 9 avril 2009

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Richard Wazana

 

POUR LES DEMANDERESSES

 Alison Engel-Yan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wazana Law                                                 Toronto (Ontario) 

 

POUR LES DEMANDERESSES

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                         

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