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Date : 20090415

Dossier : IMM‑4774‑08

Référence : 2009 CF 383

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

NYENYE MANDIPA CHIYEDZA MUNYATI

CHIDO TAGIRENYIKA MUNYATI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision datée du 3 octobre 2008 (la décision) par laquelle un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé aux demandeurs la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse principale, qui a présenté la demande initiale à la Commission, Lucia Munotyei Munyati (Mme Munyati), est une citoyenne du Zimbabwe née le 9 octobre 1962. Elle a divorcé de son époux, Nigel Munyati, en 1995, au Zimbabwe.

 

[3]               Le demandeur, Chido Munyati, est né le 8 janvier 1985 et il est citoyen du Zimbabwe. La demanderesse, Nyenye Munyati, est née le 13 février 1989 et est elle aussi citoyenne de ce pays. Ces deux demandeurs sont les enfants de Mme Munyati et ils sont les seuls visés par le présent contrôle judiciaire. La Commission a déjà conclu que Mme Munyati avait qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[4]               En novembre 1999, dans le cadre de l’emploi qu’elle exerçait auprès d’agents de Gainsborough Estate à Harare (Zimbabwe), Mme Munyati a facilité la vente d’un bien immobilier, qui avait été assigné à un membre de l’Union nationale africaine du Zimbabwe‑Front patriotique (la ZANU‑PF), à un haut responsable du Mouvement pour la démocratie et le changement (le MDC). En raison de cela, Mme Munyati a été suspendue et plus tard congédiée.

 

[5]               Mme Munyati a rejoint les rangs du MDC en novembre 1999 et elle a aidé à recueillir des fonds pour ce parti avant les élections parlementaires de juin 2000. En juillet 2000, elle a pris part à un rassemblement du MDC au stade Rufaro, à Harare (Zimbabwe). À cette occasion, elle a été arrêtée et amenée au poste de police de Mbare, où elle a été gardée en détention durant la nuit. À cet endroit, elle a été pelotée par des hommes qui se trouvaient déjà en détention, et l’une des femmes a été violée.

 

[6]               Effrayée par cette expérience, Mme Munyati a décidé de quitter le pays. Elle s’est rendue au Royaume‑Uni (le R.‑U.) le 17 septembre 2000 et a obtenu un visa d’étudiant en 2001; cependant, il lui a été impossible de suivre des études collégiales parce qu’elle n’avait pas les moyens de payer les frais de scolarité. Elle a plutôt travaillé illégalement comme aide familiale. Elle est retournée au Zimbabwe le 21 juillet 2002 pour rendre visite à sa mère, atteinte d’un cancer du sein. Elle est ensuite revenue au R.‑U. le 30 août 2002.

 

[7]               Mme Munyati est retournée une fois de plus au Zimbabwe le 11 mai 2003, quand l’état de sa mère s’est détérioré. Elle a passé la journée à l’hôpital et, dans la soirée, elle a pris la direction du domicile de ses parents. En s’approchant de la maison, elle a aperçu une dizaine de jeunes hommes qui attendaient à l’extérieur de cette dernière. Ils lui ont demandé de l’argent pour soutenir la ZANU‑PF. Mme Munyati a refusé, expliquant qu’elle avait besoin de cet argent pour payer les frais médicaux de sa mère et, éventuellement, ses frais funéraires. Ils l’ont alors accusé de faire de l’espionnage pour les Britanniques et d’avoir beaucoup d’argent britannique. Elle a refusé de scander des slogans de la ZANU‑PF et de dénoncer le MDC. Les jeunes ont commencé à la rouer de coups et ils ont continué jusqu’à ce qu’elle tombe. Ils l’ont laissée après qu’elle eut fait semblant de perdre connaissance. Après un certain temps, Mme Munyati est parvenue à entrer dans la maison, d’où elle a téléphoné à son frère. Celui‑ci l’a amené à l’hôpital central de Harare.

 

[8]               La mère de Mme Munyati est décédée le 13 mai 2003. Après les funérailles, Mme Munyati est allée vivre chez la soeur de sa mère, dans le village de Gandanzara. Il lui a fallu attendre jusqu’en septembre 2003 avant de pouvoir réunir l’argent nécessaire pour retourner au R.‑U. Pendant ce temps, elle a rencontré un homme appelé Itai  Moyo, avec lequel elle a amorcé une relation amoureuse. Cette dernière s’est transformée en une relation amoureuse à distance lorsqu’elle est retournée au R.‑U. M. Moyo a convaincu Mme Munyati de revenir au Zimbabwe et, peut‑être, de l’épouser.

 

[9]               Mme Munyati est retournée au Zimbabwe en juin 2004, munie d’un titre de voyage d’urgence. Elle a constaté que M. Moyo était violent. Il lui a également extorqué de l’argent en menaçant de signaler sa présence à la ZANU‑PF. Mme Munyati a alors demandé un autre passeport et est repartie pour le R.‑U. en octobre 2004. Elle a toutefois repris sa relation à distance avec M. Moyo.

 

[10]           Lors de son séjour au R.‑U., Mme Munyati a pris part à des veilles en faveur du MDC. En septembre 2005, l’ex‑époux de Mme Munyati a envoyé leur fille au R.‑U. pour qu’elle vive avec elle. M. Moyo a convaincu Mme Munyati de rentrer au Zimbabwe, ce qu’elle a fait le 26 juillet 2006. Sa fille ne l’accompagnait pas. Le soir de son arrivée, à 22 heures, M. Moyo lui a dit qu’il allait la faire payer pour l’avoir humilié en prenant la fuite. Il l’a ensuite violée et jetée hors de la maison. Elle est parvenue à se rendre à la maison de sa soeur, et celle‑ci l’a amenée à un centre médical le lendemain. Mme Munyati a tenté de signaler l’incident à la police, mais on lui a dit qu’elle aurait dû le faire tout de suite. Sa sœur lui a acheté un billet d’avion pour les États‑Unis, où se trouvaient ses enfants. Mme Munyati est arrivée dans ce pays le 3 août 2006. La demanderesse et elle sont arrivées au Canada le 11 août 2006 et ont demandé l’asile le même jour. Le demandeur est arrivé au Canada le 26 septembre 2007 et a présenté une demande d’asile le même jour.

 

[11]           Nigel Munyati avait déménagé aux États‑Unis en 1999 et il avait emmené ses enfants avec lui. Il a reçu une offre d’emploi en Afrique en 2005 et a envoyé la demanderesse rendre visite à sa mère pour quelques semaines en septembre 2005, à l’époque où cette dernière vivait au Royaume‑Uni. La demanderesse n’a jamais eu de nouvelles de son père par la suite, et elle est donc restée avec sa mère.

 

[12]           Le demandeur a fait toutes ses études secondaires et a obtenu son diplôme d’études commerciales aux États‑Unis entre 2000 et 2007. La demanderesse a fait toutes ses études primaires et intermédiaires, ainsi qu’une partie de ses études secondaires, aux États‑Unis, entre 1999 et 2005. En 2005, lorsqu’elle a rejoint sa mère au Royaume‑Uni, elle a repris ses études secondaires dans ce pays.

 

[13]           Les demandeurs ont assisté à l’audition de leurs demandes le 25 août 2008.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[14]           La Commission a conclu que Mme Munyati avait la qualité de réfugié au sens de la Convention, mais que les deux demandeurs n’avaient ni cette qualité, ni celle de personne à protéger.

 

Le demandeur

 

[15]           La Commission a fait remarquer que le demandeur n’a pas témoigné à l’audience, sinon pour confirmer son lieu de naissance. Dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), il a dit se fonder sur l’exposé circonstancié de sa mère et a ajouté qu’il serait pris pour cible par les forces gouvernementales au Zimbabwe, qui se serviraient de lui pour mettre la main sur sa mère.

 

[16]           La Commission a conclu que Mme Munyati était une sympathisante du MDC et qu’elle avait été prise pour cible par des partisans locaux de la ZANU‑PF. Elle courait également le risque d’être identifiée comme une sympathisante du MDC par son ex‑petit ami, M. Moyo.

 

[17]           Le demandeur a quitté le Zimbabwe en 1999 et il a vécu aux États‑Unis avant d’entrer au Canada. Rien ne prouvait qu’il avait une affiliation politique quelconque, et la seule raison pour laquelle il avait besoin de protection était son association avec sa mère. La Commission s’est fondée sur des preuves documentaires pour étayer la thèse selon laquelle les personnes qui retournent au Zimbabwe après une longue absence à l’étranger risquent d’être mises en détention et interrogées à l’aéroport. Toutefois, cela s’applique en grande partie aux citoyens de retour au pays qui ont demandé l’asile au R.‑U. Selon la preuve, Mme Munyati n’était reconnue pour être une sympathisante du MDC que dans une région circonscrite. Il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté s’il retournait au Zimbabwe, soit à son arrivée à l’aéroport, soit ailleurs.

 

La demanderesse

 

[18]           La demanderesse n’a pas témoigné elle non plus à l’audience. Dans son FRP, elle a indiqué qu’elle craignait de retourner au Zimbabwe à cause de ce qui était arrivé à sa mère et qu’elle ne voulait pas subir le même sort. Elle a déclaré aussi qu’elle ne pouvait pas vivre par ses propres moyens ou retourner au Zimbabwe seule.

 

[19]           La demanderesse est allée aux États‑Unis en juin 1999, quand son père s’y est installé. Elle est retournée au Zimbabwe à trois reprises : en juillet 2002, en juillet 2003 et en juin 2004, pour des questions familiales. Il n’y avait aucune preuve qu’elle avait eu des difficultés quelconques à ces occasions, malgré les problèmes auxquels sa mère s’était heurtée en mai 2003, quand elle avait été rouée de coups pour ne pas avoir collaboré avec de jeunes partisans de la ZANU‑PF. Il n’y avait non plus aucune preuve que la demanderesse a soutenu ‑ ou soutient – le mouvement d’opposition au Zimbabwe, ou qu’elle a été identifiée comme une sympathisante de ce mouvement. La Commission s’est fondée sur la même preuve documentaire que pour le demandeur.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[20]           Les demandeurs soumettent les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

1)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de la définition d’un réfugié au sens de la Convention, laquelle définition figure à l’article 96 de la Loi?

2)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée qui a été rendue de manière abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

3)                  La Commission a‑t‑elle rendu une décision qui est déraisonnable compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, ce qui équivaudrait à une erreur de droit?

4)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en faisant abstraction de certains éléments de la preuve et en interprétant erronément cette dernière, y compris des témoignages, des preuves documentaires et des documents relatifs aux droits de la personne?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[22]           Les questions nos 1 et 2 ont rapport avec des erreurs de droit, auxquelles s’applique la norme de la décision correcte : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 588, au paragraphe 22.

 

[23]           La question no 3 a trait à la question de savoir si la Commission a rendu une décision déraisonnable. La norme de contrôle qui s’appliquait, avant l’arrêt Dunsmuir, à une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est énoncée comme suit dans Kathirkamu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 592 (C.F. 1re inst.) :

32.       Dans l'arrêt Aguebor, précité, la Cour d'appel fédérale a traité, au paragraphe 4, de la norme de contrôle à l'égard des décisions de la Section du statut de réfugié :

 

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la [S]ection du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

 

33.       La Cour ne devrait pas chercher à apprécier à nouveau les éléments de preuve dont était saisie la Commission simplement parce qu'elle serait parvenue à une conclusion différente. Pour autant que la preuve étaie la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité et que cette dernière n'ait pas commis d'erreur dominante, la Cour ne devrait pas modifier la décision.

 

[24]           La question no 4 concerne la question de savoir si la Commission a commis une erreur en faisant abstraction de certains éléments de la preuve ou en interprétant erronément cette dernière, une situation à laquelle, avant l’arrêt Dunsmuir, s’appliquait la norme de la décision raisonnable simpliciter : Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 433 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 20.

 

[25]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable sont théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. La Cour suprême a donc jugé qu’il fallait combiner les deux normes de la raisonnabilité en une seule forme de contrôle fondé sur la « raisonnabilité ».

 

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également décrété qu’il n’est pas nécessaire de procéder systématiquement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Au lieu de cela, dans les cas où la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont le tribunal est saisi est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle‑là. Ce n’est que dans les cas où cette recherche s’avère vaine que le tribunal de contrôle doit procéder à un examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[27]           Au vu de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de la Cour, je conclus qu’à l’exception des questions nos 1 et 2, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Dans les cas où l’on contrôle une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, l’analyse portera sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, c’est‑à‑dire qu’elle se situe en dehors des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS INVOQUÉS

            Les demandeurs

 

[28]           Les demandeurs soutiennent que la famille est un groupe social reconnu au sens de l’expression « réfugié au sens de la Convention » : Al‑Busaidy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 26 (C.A.F.) (Al‑Busaidy), Pour‑Shariati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 767 (C.F. 1re inst.), Casetellanos c. Canada (Procureur général), [1995] 2 C.F. 190 (C.F. 1re inst.) (Casetellanos), et Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 570 (C.F. 1re inst.).

 

[29]           Ils disent que la Commission a commis une erreur en omettant de vérifier si les facteurs qui s’appliquaient à leur mère devraient également s’appliquer à eux, par exemple, si M. Moyo les dénoncerait s’ils retournaient au Zimbabwe. Le fait que la Commission n’ait pas tenu compte de cette possibilité en se fondant sur l’appartenance des demandeurs à un groupe social est une erreur grave.

 

[30]           Les demandeurs se fondent sur un grand nombre des documents qu’ils ont soumis à la Commission et qui indiquent clairement qu’il n’est pas nécessaire d’être membre en règle du parti de l’opposition au Zimbabwe pour s’exposer à un risque sérieux de persécution dans ce pays. La présence d’un seul sympathisant dans une famille, ou même d’un simple sympathisant présumé ou perçu comme tel, est suffisante. La Commission a omis d’évaluer les demandes des demandeurs sous cet angle, plus particulièrement, si, en tant qu’enfants d’un membre du parti de l’opposition, ils seraient perçus comme des sympathisants de ce dernier, ou soupçonnés de l’être.

 

[31]           Au dire des demandeurs, le fait que l’agent n’a pas examiné les demandes sous l’angle de l’appartenance à un groupe social est une erreur. Ils se fondent sur la décision Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 189 F.T.R. 274 (C.F.), aux paragraphes 33 et 45 :

33.       La SSR était obligée de tenir compte de chacun des motifs prévus par la Convention que les demandeurs avaient invoqués comme motif de crainte d'être persécutés. Cette thèse a été énoncée dans l'arrêt Ward, supra, à la page 745.

 

[…]

 

45.       À mon avis, dans ce cas‑ci, la question du lien ne se pose pas d'une façon aussi catégorique que l'avocate du défendeur le soutient parce qu'il n'est pas tenu compte de la preuve dont disposait la SSR. L'avocate des demandeurs souligne que ses clients ont fondé leur crainte d'être persécutés sur l'appartenance à la famille Gonzalez, qu'ils ont présenté des éléments de preuve au sujet de cette crainte et que la SSR a omis de tenir expressément compte de ce motif. Je souscris à cette prétention. Eu égard aux circonstances, il serait peu judicieux et imprudent d'examiner la question plus à fond et d'effectuer une appréciation à l'aide de la preuve ou d'aborder des questions qui peuvent se poser avant le réexamen des revendications des demandeurs.

 

[32]           Les demandeurs concèdent que ce ne sont pas tous les membres de la famille d’une personne persécutée qui sont automatiquement des réfugiés au sens de la Convention et qu’il doit y avoir un certain lien avec les motifs prévus dans la Convention : Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766.

 

[33]           Les demandeurs concluent toutefois que, dans la présente affaire, le lien est les opinions politiques perçues; ils sont les enfants d’un membre du parti de l’opposition au Zimbabwe. Ils allèguent qu’il est établi dans la preuve documentaire soumise à l’agent que le simple fait de soupçonner qu’une personne participe au mouvement d’opposition au Zimbabwe est suffisant pour qu’elle soit victime d’actes de persécution.

 

[34]           Les demandeurs font remarquer que, dans les observations du défendeur, rien ne concerne les deux erreurs qu’ils ont relevées. Le défendeur tente simplement d’expliquer pour quelles raisons la Commission a tiré ses conclusions, mais ces raisons ne sont pas celles que la Commission a données.

 

Le défendeur

            Le tribunal n’a pas commis d’erreur en évaluant la demande des demandeurs

 

[35]           Le défendeur soutient qu’il est bien établi en droit que, pour être un réfugié au sens de la Convention en tant que membre du groupe social que constitue la famille, c’est le demandeur en tant que membre de la famille qui doit être exposé au risque, et non simplement le demandeur à titre individuel : Musakanda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1300 (C.F. 1re inst.).

 

[36]           Il n’y avait aucune preuve que les demandeurs seraient pris pour cible par la ZANU‑PF, ou qu’ils étaient recherchés à cause de l’appui de leur mère envers le MDC. La demanderesse était retournée au Zimbabwe à trois occasions distinctes et elle n’avait eu aucun problème. Une personne ne peut pas être considérée comme un réfugié au sens de la Convention parce qu’un membre de sa famille est persécuté : Devrishashvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1528 (C.F. 1re inst.).

 

[37]           La famille ne peut être considérée comme un groupe social que dans les cas où il existe une preuve que la persécution vise les membres de la famille en tant que groupe social : Al‑Busaidy, Casetellanos, Addullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1433 (C.F. 1re inst.), et Lakatos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 657 (C.F. 1re inst.).

 

[38]           Selon le défendeur, l’appartenance au groupe social que constitue la famille a des limites et requiert une preuve que la famille en question est elle‑même, en tant que groupe, victime de représailles et de vengeance, ou que les demandeurs sont ciblés et « marqués » juste parce qu’ils sont membres de la famille : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bakhshi, [1994] A.C.F. no 977 (C.A.F.), et Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2164 (C.F.). Cependant, en l’espèce, la Commission a pris en considération le risque que les demandeurs pouvaient courir et elle a jugé qu’ils ne seraient pas pris pour cible, car l’appui de leur mère envers le MDC n’était connu qu’à une échelle locale. Le fait qu’un membre précis d’une famille soit persécuté ne permet pas de considérer tous les membres de cette famille comme des réfugiés : Pour‑Shariati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 810 (C.A.F.), et Marinova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 178.

 

[39]           Le défendeur cite la décision Casetellanos, au paragraphe 28 : « […] nul ne sera considéré comme un réfugié au sens de la Convention pour le simple motif qu’un membre de sa famille se fait persécuter ».

 

ANALYSE

 

[40]           Pour les motifs que le défendeur a donnés, je ne crois pas que l’agent a commis une erreur en rejetant la prétention des demandeurs selon laquelle ils couraient un risque juste parce qu’ils étaient membres de la même famille que Mme Munyati. Les demandeurs ne vivaient pas avec leur mère et, même si la demanderesse était allée trois fois au Zimbabwe, rien ne prouvait qu’elle avait été prise pour cible. Voir Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2164, au paragraphe 16.

 

[41]           Cependant, la Commission attache une grande importance, du moins en ce qui concerne la demanderesse, au fait que cette dernière est retournée au Zimbabwe à trois reprises (en 2002, 2003 et 2004) pour des questions familiales et qu’elle n’a eu aucun problème.

 

[42]           Toutefois, cela fait abstraction du rôle marquant qu’a joué M. Moyo, l’ex‑petit ami de la mère, qui a convaincu Mme Munyati de revenir au Zimbabwe en juillet 2006. La crainte qu’avait la mère était que M. Moyo la dénoncerait et que, par vengeance, il en ferait de même avec ses enfants. L’agent a souscrit à sa version des faits et il a accepté aussi que [traduction] « il y a maintenant quelqu’un – M. Moyo – qui a envers elle beaucoup d’animosité et qui, sans nul doute, n’hésiterait pas à la dénoncer s’il apprenait qu’elle était retournée au Zimbabwe ».

 

[43]           Ni l’un ni l’autre des demandeurs n’est allé au Zimbabwe depuis que la relation entre leur mère et M. Moyo s’est finalement rompue et qu’il est devenu évident que ce dernier éprouvait beaucoup d’animosité envers Mme Munyati et n’hésiterait pas à la dénoncer. Il s’agissait là aussi d’un facteur de risque important pour les demandeurs, et l’agent en a fait abstraction. Ce dernier a été rassuré par le fait que la demanderesse n’avait pas eu de problèmes les fois où elle était retournée au Zimbabwe dans le passé. Mais ni l’un ni l’autre des demandeurs n’est retourné dans ce pays depuis que M. Mayo a entrepris sa vendetta.

 

[44]           Le fait que l’agent n’ait pas soulevé ce facteur important et n’en ait pas tenu compte dans ses motifs signifie qu’il a commis une erreur susceptible de contrôle : Wei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 390 (C.F. 1re inst.), et Mui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1294, au paragraphe 28.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      la demande est accueillie et l’affaire renvoyée pour qu’un agent différent procède à un nouvel examen;

2.      l’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑4774‑08

 

INTITULÉ :                                                               NYENE MANDIPA CHIYEDZA MUNYATI ET AL.

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 4 mars 2009

 

MOTIFS :                                                                  Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               Le 15 avril 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Davis                                                                    POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice LLP                                                       POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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