Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090409

Dossier : T‑1153‑08

Référence : 2009 CF 365

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 9 avril 2009

En présence de madame la juge Dawson

 

 

ENTRE :

C.B. CONSTANTINI LTD.

 

appelant

et

 

 

 

JAMES NEULS et SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA, représentée par

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans une ordonnance datée du 2 juillet 2008 (l’ordonnance), la Commission canadienne des grains (la Commission) a ordonné à C.B. Constantini Ltd. (Constantini) de payer à James Neuls la somme de 19 430,62 $. Constantini est un négociant en grains agréé au sens de la partie III de la Loi sur les grains du Canada, L.C., 1985, ch. G‑10 (la Loi) et M. Neuls est un producteur de grain de l’Ouest au sens de la Loi. L’ordonnance a été rendue conformément au paragraphe 97 de la Loi.

 

[2]               Constantini a porté l’ordonnance en appel. Il soutient que :

 

a)         La Commission a outrepassé sa compétence, ou a agi sans compétence, lorsqu’elle lui a ordonné de payer 19 430,62 $ à M. Neuls.

b)         La Commission a commis une erreur de faits et de droit en concluant que :

(i)                      Constantini a appliqué une retenue inappropriée et n’a pas payé le grain livré par M. Neuls;

(ii)                     Constantini n’a pas donné d’accusé de réception à M. Neuls à temps et de la façon prescrite, violant ainsi le paragraphe 81(1) de la Loi;

(iii)                   par conséquent, M. Neuls a subi une perte ou des dommages du montant de 19 430,62 $.

 

[3]               L’appel est rejeté parce que la Commission a agi dans les limites de sa compétence et sa décision était raisonnable.

 

La preuve présentée à la Commission

[4]               Le 13 novembre 2007, M. Neuls a présenté une plainte à la Commission au sujet de graines de lin certifiées biologiques qu’il avait livrées à Constantini. M. Neuls a présenté un certain nombre de documents à la Commission à l’appui de sa plainte. En bref, M. Neuls a soutenu que :

a)                   Il avait fait deux livraisons de graines de lin certifiées biologiques à Constantini. La première livraison avait eu lieu le 12 septembre 2007 et la deuxième, le 24 octobre 2007.

 

b)                  La première livraison a été faite conformément à un accord verbal entre M. Neuls et Constantini en septembre 2007. Dans cet accord, M. Neuls a accepté de livrer à Constantini un chargement de graines de lin certifiées biologiques au prix de 16 $ par boisseau. M. Neuls a conclu cet accord avec David Smythe de l’organisation Constantini par téléphone le 7 septembre 2007.

 

c)                   Avant cela, en juin 2007, Constantini avait envoyé une [traduction] « Confirmation de contrat no 12‑11334 » par écrit à M. Neuls, dans laquelle Constantini prétendait exiger que M. Neuls lui livre quatre chargements de graines de lin certifiées biologiques. Un chargement devait être livré en juin, en juillet, en août et en septembre 2007. M. Neuls a mentionné qu’il n’avait jamais accepté de fournir quatre chargements et qu’il n’avait jamais signé ni retourné la [traduction] « Confirmation de contrat » à Constantini.

 

d)                  Constantini a envoyé à M. Neuls un document intitulé [traduction] « Entente » au sujet de la première livraison. Ce document confirmait à M. Neuls qu’un montant de 20 304,50 $ lui était dû au sujet de cette livraison. M. Neuls a reçu cette somme en paiement pour la première livraison.

 

e)                   Un autre accord écrit a été conclu entre Constantini et M. Neuls (contrat no 12‑11735) en octobre 2007. En vertu de cet accord, M. Neuls a accepté de livrer, au mois d’octobre 2007, un chargement de graines de lin certifiées biologiques au prix de 25 $ par boisseau.

 

f)                    Conformément à cet accord, le 24 octobre 2007, M. Neuls a livré un deuxième chargement de graines de lin certifiées biologiques à Constantini.

 

g)                   En date du 13 novembre 2007, Constantini n’avait pas payé M. Neuls et ne lui avait pas envoyé d’accusé de réception de la livraison du 24 octobre 2007.

 

[5]               Le 14 novembre 2007, un agent d’application de la Commission a téléphoné à Constantini, puis lui a envoyé une lettre par télécopieur. La lettre rappelait à Constantini ses obligations en vertu de la Loi. En particulier, Constantini a été avisé que :

 

  • Les négociants en grains agréés doivent, lorsqu’ils reçoivent un chargement de grain livré par un producteur, émettre soit un accusé de réception, soit un bon de paiement;
  • Un négociant en grains n’a pas le droit de recouvrer, par déduction de salaire, une dette contractée envers lui par le producteur, sans preuve claire du consentement explicite du producteur.

 

[6]               Le même jour, Constantini a soi‑disant écrit à M. Neuls pour se plaindre du fait que ce dernier n’avait livré que deux des quatre chargements pour lesquels il s’était « engagé » en vertu du contrat no 12‑11334. Il n’y avait aucune preuve de demande précédente au sujet du respect du contrat no 12‑11334, sans compter que ce contrat prétendait exiger des livraisons pour les mois de juin, juillet, août et septembre 2007.

 

[7]               Dans une lettre datée du 17 janvier 2008, la Commission a demandé aux parties de lui présenter tout renseignement ou toute observation additionnels.

 

[8]               En réponse, M. Neuls a présenté un résumé de six pages et trois documents que Constantini lui avait envoyés. Ces documents étaient : un document intitulé [traduction] « Confirmation de liquidation #12‑11334 », un accusé de réception émis à M. Neuls le 2 janvier 2008 au sujet de la deuxième livraison et une photocopie d’un chèque et d’un talon démontrant le paiement à M. Neuls d’un montant de 8 522,54 $ pour la deuxième livraison.

 

[9]               L’accusé de réception affichait un montant brut payable de 27 986,71 $ pour la deuxième livraison. Le montant de 19 430,62 $ avait été déduit de ce total à titre de frais de non‑exécution pour le défaut d’avoir livré trois chargements de graines de lin certifiées biologiques, conformément au contrat no 12‑11334. Constantini a désavoué sa position précédente selon laquelle la deuxième livraison avait été faite en vertu du contrat no 12‑11334. En fait, il reconnaît maintenant que la deuxième livraison a été faite en vertu du contrat no 12‑11735.

 

[10]           Constantini n’a pas répondu à la lettre de la Commission.

 

[11]           Le 20 février 2008, la Commission a de nouveau écrit à M. Neuls et à Constantini. La lettre établissait les faits pertinents, tels que la Commission les avait compris. La Commission les a avisés qu’elle communiquerait avec chacune des parties par téléphone au plus tard le 7 mars 2008. D’ici là, chaque partie devait se préparer à préciser si elle contestait les faits établis dans la lettre de la Commission du 20 février 2008. Les parties ont été avisées qu’elles pouvaient présenter des observations orales ou écrites supplémentaires à la Commission.

 

[12]           Constantini a répondu qu’il s’était conformé à la Loi, que son conflit avec M. Neuls était de nature contractuelle, que M. Neuls avait explicitement et implicitement accepté le droit de Constantini de recouvrement par déduction et que la Commission n’avait pas compétence pour déterminer si un producteur ou un négociant en grains avait violé un contrat. Constantini était d’avis que M. Neuls devait demander réparation à la Cour. À son avis, aucun appel téléphonique supplémentaire n’était nécessaire.

 

[13]           D’autres lettres ont suivi, dans lesquelles la compétence de la Commission a été débattue.

 

La décision de la Commission

[14]           Après avoir résumé sa décision et avoir établi les faits, la Commission a examiné l’ensemble des lois qui gouvernent la gestion du grain livré par des producteurs de grain à des négociants en grains. La Commission a noté que l’achat et la vente de grain sont non seulement gouvernés par un accord entre les parties, mais sont aussi gouvernés par la Loi. La Commission a souligné l’importance des bons de paiement et des accusés de réception.

 

[15]           En vertu du paragraphe 45(1) de la Loi, les négociants en grains doivent donner un cautionnement à la Commission afin de couvrir toute obligation non acquittée envers les producteurs qui ont en leur possession des accusés de réception ou des bons de paiement émis par un négociant en grains. Tout cautionnement donné par ce négociant permet à la personne qui possède un bon de paiement ou un accusé de réception d’obtenir la valeur totale du grain livré si le négociant est incapable de payer.

 

[16]           Le système de cautionnement est en place afin de protéger les producteurs et est fondé sur l’utilisation d’accusés de réception ou de bons de paiement à titre de preuves pour les demandes de remboursement à partir du cautionnement qu’un négociant en grains a donné à la Commission. Le négociant en grains a l’obligation de payer le grain, même s’il peut être d’avis que le producteur a une dette envers lui en ce qui a trait à des transactions connexes ou indépendantes.

 

[17]           Un producteur de grain peut renoncer à son droit prévu par la Loi et consentir à ce qu’un négociant déduise un montant des bons de paiement pour des avances de fonds ou de fournitures, ainsi que pour des défauts d’effectuer des livraisons subséquentes de grains. Ce consentement à une déduction, ou cette renonciation au droit du plein paiement, n’a pas besoin d’être explicite, mais peut être sous‑entendu dans les circonstances entourant la transaction. La Commission reconnaît que les cours ont conclu que l’application d’une déduction ou d’un recouvrement par rapport au grain est donc permissible.

 

[18]           La Commission a aussi reconnu qu’elle n’avait pas compétence pour déterminer si une partie avait manqué à un contrat. Cependant, elle a noté qu’elle peut examiner les transactions entre des parties et les dispositions d’un contrat afin de déterminer s’il y a eu manquement à la Loi ou au Règlement.

 

[19]           La Commission a déclaré que M. Neuls avait fait deux livraisons de grain. En ce qui a trait à la première livraison, Constantini a émis les documents appropriés et a payé à M. Neuls la somme de 20 304,50 $. En ce qui a trait à la deuxième livraison, Constantini a évalué la valeur du grain à 27 986,71 $, puis a déduit le montant de 19 464,17 $. Par conséquent, il a payé à M. Neuls le montant de 8 522,54 $.

 

[20]           La Commission a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour établir que M. Neuls avait accepté le contrat no 12‑11334 et qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour établir que M. Neuls avait accepté le contrat verbalement, l’avait signé ou l’avait renvoyé à Constantini.

 

[21]           La Commission a noté que M. Neuls était d’avis qu’il avait effectué la deuxième livraison conformément aux dispositions d’un contrat auquel il avait consenti verbalement, qu’il avait signé et qu’il avait retourné à Constantini (contrat no 12‑11735). M. Neuls était aussi d’avis qu’il avait satisfait à ses obligations en vertu de ce contrat et qu’il avait droit à un plein paiement pour le grain qu’il avait livré.

 

[22]           La Commission a conclu que Constantini avait contrevenu au paragraphe 81(1) de la Loi au sujet de la deuxième livraison, parce qu’il n’avait pas émis un bon de paiement ou un accusé de réception à temps et de la façon prescrite en ce qui a trait à l’achat de grain de l’Ouest d’un producteur de ce grain.

 

[23]           La Commission a aussi conclu que Constantini avait appliqué une déduction inappropriée au grain qui avait été livré, déduction à laquelle M. Neuls n’avait pas convenu.

 

[24]           La Commission a conclu que ces manquements ont entraîné une perte ou des dommages à M. Neuls d’un montant de 19 430,62 $. Par conséquent, conformément à l’article 97 de la Loi, la Commission a ordonné à Constantini de payer à M. Neuls le montant de 19 430,62 $.

 

L’erreur juridictionnelle alléguée

[25]           Constantini soutient que son conflit avec M. Neuls est de nature contractuelle. Par conséquent, Constantini fait valoir que la Commission n’avait pas compétence pour tirer des conclusions au sujet de la plainte et qu’elle n’avait pas compétence pour ordonner à Constantini de payer des dommages‑intérêts à M. Neuls. Selon Constantini, il s’agit là d’une erreur juridictionnelle et la décision correcte est la norme de contrôle applicable.

 

[26]           Constantini reconnaît que dans une décision récente rendue par ma collègue la juge Hansen, C.B. Constantini c. Pierce, 2009 CF 281 (Constantini no 1), la Cour a maintenu une décision de la Commission, laquelle avait conclu que Constantini n’avait pas payé le producteur pour le grain qu’il lui avait livré parce qu’il avait incorrectement appliqué un recouvrement. Constantini prétend que cette affaire se distingue de celle en l’espèce parce que la Commission n’y avait trouvé [traduction] « aucune preuve » de l’existence du contrat sur lequel Constantini s’était fondé pour justifier le recouvrement. En l’espèce, la Commission n’a pas trouvé [traduction] « suffisamment » de preuve. Selon Constantini, la Commission peut rendre une ordonnance lorsque les faits ne sont pas contestés ou lorsqu’il n’existe aucun document qui prétend justifier un recouvrement. Cependant, lorsqu’il existe des preuves d’un conflit véritable, la Commission n’a pas compétence pour rendre une ordonnance.

 

[27]           J’estime que cette prétention est mal fondée. À mon avis, elle est fondée sur une qualification erronée de la décision de la Commission. Elle n’a pas tiré de conclusion quant à savoir si M. Neuls avait accepté le contrat no 12‑11334 avec Constantini et qu’il avait par conséquent accepté de livrer quatre chargements de graines de lin certifiées biologiques. En effet, la Commission a déclaré :

[traduction]

La Commission n’a pas le pouvoir de déterminer si l’une des parties a violé un contrat. Cependant, elle peut examiner les transactions entre les parties et les dispositions d’un contrat afin de déterminer s’il y a eu contravention à la Loi ou au Règlement.

 

[28]           La Commission a pris garde de ne tirer aucune conclusion au sujet de l’existence du contrat no 12‑11334. En fait, la Commission a mentionné le caractère insuffisant de la preuve d’une entente. Constantini peut toujours poursuivre, devant le tribunal approprié, la question des obligations non exécutées de M. Neuls en vertu du contrat no 12‑11334, le cas échéant.

 

[29]           Cependant, la Commission a conclu qu’au sujet de la deuxième livraison de grains, Constantini avait contrevenu au paragraphe 81(1) de la Loi parce qu’il n’a pas émis d’accusé de réception à temps et de la façon prescrite. La Commission a ensuite conclu que M. Neuls avait subi des pertes ou des dommages en raison de cette contravention.

 

[30]           Il s’agit d’une décision qui relevait de la compétence de la Commission.

 

[31]           À ce sujet, l’article 13 de la Loi prévoit que la Commission doit « au profit des producteurs de grain [...] régir la manutention des grains au pays ». La partie VI de la Loi porte sur le « [c]ontrôle et [les] procédures d’application ». Les articles 91 et 97 de la Loi se trouvent dans la partie VI de la Loi et sont pertinents quant au présent appel. L’alinéa 91g) de la Loi autorise la Commission à enquêter au sujet du défaut d’un titulaire de licence de se conformer aux dispositions de la Loi ou d’un règlement pris sous son régime. L’alinéa 97a) de la Loi donne à la Commission le pouvoir, après avoir mené une enquête en application de l’article 91 et avoir donné aux intéressés toute occasion de se faire entendre, de prendre un arrêté visant « le paiement d’une indemnité, par tout […] titulaire de licence […], aux personnes qui ont subi des dommages par suite d’une infraction à la Loi ou à ses règlements d’application, ou du défaut de se conformer à leurs dispositions […] ».

 

[32]           Je ne relève rien dans le libellé de la Loi qui laisse entendre, comme le prétend Constantini, que l’enquête de la Commission ne doit pas avoir lieu lorsqu’il y a des faits contestés.

 

[33]           En effet, une telle conclusion est contraire à la décision de la Cour dans Pioneer Grain Co. c. Goy, [2005] 4 R.C.F. 687. Dans cette décision, ma collègue la juge Snider a examiné si la Commission avait le pouvoir de tirer des conclusions au sujet des montants de recouvrement. Après avoir examiné les lois applicables, elle a écrit ce qui suit au sujet des pouvoirs de la Commission :

24        Bien quelle ne lait pas exprimé clairement, la Commission semble avoir conclu quelle navait pas compétence pour évaluer les sommes visées par la compensation. Dans sa décision, elle a affirmé ne pas avoir le pouvoir de décider de la validité dun contrat, dinterpréter ou dappliquer les dispositions dun contrat valide. Elle a aussi déclaré que les commissaires navaient [traduction] « ni la formation ni lexpérience leur permettant de prendre des décisions ayant trait aux complexités du droit des contrats » . Et plus loin dans la décision, la Commission a affirmé être [traduction] « mal outillée pour rendre des décisions portant sur les règles de la compensation ».

 

25        En tant que créature de la loi, un tribunal administratif na que les pouvoirs que la loi lui confère. Ce qui ne veut évidemment pas dire que tous les actes dun tribunal doivent être explicitement énumérés dans la loi. Au contraire, cela signifie que lacte en question doit, ou bien figurer dans les termes explicites de la loi habilitante, ou bien nécessairement être accessoire au mandat imposé par la loi. Il sensuit que nécessairement, pour exécuter un mandat général, le tribunal se verra presque toujours confier un certain nombre de pouvoirs accessoires. Autrement, il serait incapable dexercer les fonctions que lui imposent la loi.

 

26        Le mandat confié à la Commission est très général; comme le prévoit larticle 13, « la Commission a pour mission [...], au profit des producteurs de grain, [...] de régir la manutention des grains au pays afin d’en assurer la fiabilité sur les marchés intérieur et extérieur » . Selon larticle 97, la Commission peut prendre un arrêté visant le paiement dune indemnité par suite dune infraction à la Loi sur les grains. Il sensuit que le législateur doit avoir voulu que la Commission tire les conclusions de fait et de droit nécessaires pour décider sil y a infraction à la Loi sur les grains. Ces décisions sont nécessairement accessoires à sa compétence générale. À mon avis, la Commission peut - et, en réalité, doit - se demander si la somme réclamée est véritablement due. Si pour cela elle doit interpréter certaines clauses dun contrat, cette fonction relève entièrement de sa compétence.

 

27        Lune des principales préoccupations de la Commission portait sur son manque dexpertise allégué en droit des contrats. Il sagit là dune considération non pertinente. La Commission a pour mandat de déterminer si un exploitant a bien agi en délivrant un « bon de paiement » à la suite dune livraison de grains. Si la loi autorise la compensation dans le calcul du « prix dachat » , la Commission peut donc examiner tout ce qui est nécessaire à laccomplissement du mandat que lui confie la Loi sur les grains. Cela peut exiger de la Commission ou de son personnel spécialisé que, de temps en temps, ils procèdent à une certaine analyse des contrats sous‑jacents. Je ne vois pas en quoi cela nécessite des ressources extraordinaires. Certaines mesures pourraient très bien être mises en place pour aider la Commission. En particulier, je signale que la Commission est habilitée, en vertu de larticle 12 de la Loi sur les grains, « par règlement administratif, [à ] régir ses délibérations et, en général, lexercice de ses activités » . La Commission pourrait, par exemple, par ses règlements administratifs, établir des exigences en matière de dépôt applicables aux affaires concernant une demande de compensation.

 

28        Quoi quil en soit, le problème décrit par la Commission nexiste pas en loccurrence puisque M. Goy ne conteste pas la somme quil doit à Pioneer. De simples conjectures au sujet d’éventuels problèmes et la crainte de manquer dexpertise ne sont pas des raisons suffisantes pour que la Commission refuse dexercer sa compétence en lespèce.

 

29        Je conclus que la Commission, lorsquelle enquête sur une plainte déposée en application de la Loi sur les grains, a le pouvoir dexaminer, au besoin, les contrats sous‑jacents afin de décider sil y a eu infraction à la Loi sur les grains.  [Non souligné dans l’original.]

 

[34]           Je ne relève rien dans le libellé de cette décision qui concorde avec les limites alléguées par Constantini. De telles limites sont aussi incohérentes avec les dispositions examinées ci‑dessous, qui existent afin d’accorder une protection de paiement pour les producteurs de grain individuels.

 

[35]           Comme j’ai tranché l’argument au sujet de la compétence, je me tournerai maintenant vers les autres erreurs soulevées par Constantini dans le présent appel.

 

La norme de contrôle applicable

[36]           Dans les observations orales, les avocats de Constantini ont reconnu que la conclusion de la Commission selon laquelle Constantini n’avait pas émis un accusé de réception à temps et de la façon prescrite soulève une question mixte de faits et de droit et que la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable. Je partage cette opinion. La décision raisonnable est aussi la norme de contrôle applicable à la conclusion de la Commission selon laquelle M. Neuls a subi une perte d’un montant de 19 430,62 $ en raison d’une contravention à la Loi.

 

[37]           Ces conclusions au sujet de la norme de contrôle applicable sont conformes à la décision de la juge Hansen dans Constantini no 1, au paragraphe 17. Elles correspondent aussi aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 53 et 54.

 

Application de la norme de contrôle

[38]           Comme la Commission l’a noté dans sa décision, pour obtenir une licence de négociant agréé, un négociant demandeur doit donner à la Commission un cautionnement d’un montant qui tient « compte des obligations éventuelles de paiement [du demandeur] » envers les producteurs de grain qui détiennent des bons de paiement ou des accusés de réception émis conformément à la Loi. Voir l’alinéa 45(1)b) de la Loi. Un producteur de grain peut avoir recours à ce cautionnement si un négociant en grains omet de le payer pour la livraison de grain. Pour qu’il puissent avoir accès à ce cautionnement, le producteur de grain doit détenir un accusé de réception ou un bon de paiement. Le paragraphe 81(1) de la Loi assure la protection des producteurs et prévoit :

81.(1) Tout négociant en grains titulaire de licence établit, pour l’achat de grain de l’Ouest auprès du producteur de celui‑ci, selon les modalités de temps et autres modalités réglementaires v, un accusé de réception ou un bon de paiement faisant état du grade du grain, de son appellation de grade et des impuretés qu’il contient et le délivre sans délai au producteur.

81.(1) With respect to the purchase of western grain from a producer of that grain, every licensed grain dealer shall, at the prescribed time and in the prescribed manner, issue a grain receipt or cash purchase ticket stating the grade name, grade and dockage of the grain, and immediately provide it to the producer. [Non souligné dans l’original.]

 

[39]           Le paragraphe 45(2) du Règlement sur les grains du Canada, C.R.C., ch. 889 (le Règlement), prévoit le type d’accusé de réception et exige qu’un accusé de réception ou qu’un bon de paiement soit « [établi] sur réception de grain de l’Ouest livré par le producteur ».

 

[40]           La Loi et le Règlement exigent donc du négociant en grains qu’il émette un accusé de réception ou un bon de paiement au producteur immédiatement lorsque le grain est livré.

 

[41]           Constantini n’a pas émis ces documents à M. Neuls lorsque ce dernier a effectué la livraison du 24 octobre 2007. Constantini n’a émis un accusé de réception à M. Neuls au sujet de cette livraison que le 2 janvier 2008.

 

[42]           La décision de la Commission selon laquelle Constantini n’avait pas émis d’accusé de réception dans les délais prescrits était raisonnable, selon la définition de ce terme dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, de la Cour suprême du Canada.

 

[43]           La Commission a aussi conclu que l’accusé de réception n’a pas été émis de la façon prescrite. En lisant le préantépénultième et l’antépénultième paragraphes des motifs de la Commission, je remarque que la conclusion au sujet de l’émission de l’accusé de réception de façon non prescrite était liée à la conclusion de la Commission selon laquelle Constantini avait effectué une déduction inappropriée du paiement au sujet des grains qui lui avaient été livrés, déduction à laquelle M. Neuls n’avait pas consenti.

 

[44]           Comme je l’ai énoncé plus tôt, M. Neuls a avisé la Commission qu’il n’avait jamais consenti à vendre quatre chargements de graines de lin certifiées biologiques à Constantini et qu’il n’avait jamais signé le contrat no 12‑11334. M. Neuls a mentionné que dans une conversation téléphonique avec David Smythe de Constantini, le 7 septembre 2007, il avait consenti oralement à livrer un chargement de graines de lin certifiées biologiques au prix de 16 $ par boisseau. Constantini n’a présenté aucun renseignement de la part de M. Smythe qui niait l’allégation de M. Neuls.

 

[45]           Pour pouvoir conclure que le recouvrement de Constantini était approprié, la Commission devait être satisfaite que :

 

  • les parties avait établi une entente contractuelle sous le numéro de contrat 12‑11334 et que cette entente prévoyait la livraison de quatre chargements de graines de lin certifiées biologiques;
  • l’entente a été violée lorsque M. Neuls n’a livré qu’un seul chargement;
  • ce manquement a causé des pertes de 19 430,62 $ à Constantini;
  • l’une des dispositions de l’entente prévoyait que tout montant en souffrance découlant d’un manquement à l’entente pouvait être déduit des sommes dues sous le contrat no 12‑11735.

 

[46]           Compte tenu des renseignements dont la Commission était saisie, il n’était pas déraisonnable qu’elle conclue qu’elle n’avait pas suffisamment de preuves pour déterminer que M. Neuls avait accepté de livrer quatre chargements de graines de lin certifiées biologiques, comme le soutenait Constantini, et qu’il avait accepté une déduction. Cette conclusion était justifiée en fonction de la preuve et les motifs de la Commission étaient transparents et intelligibles. La décision relève des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision est donc raisonnable.

 

[47]           La dernière question à examiner porte sur la conclusion de la Commission selon laquelle la contravention de Constantini au paragraphe 81(1) de la Loi avait causé à M. Neuls des pertes ou des dommages du montant de 19 430,62 $.

 

[48]           Constantini avait l’obligation prévue par la Loi d’émettre un accusé de réception le 24 octobre 2007 au montant approprié. Comme la Commission a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de preuve pour justifier le recouvrement auquel Constantini prétendait avoir droit, il s’ensuit que M. Neuls a subi des pertes ou des dommages en raison du défaut de Constantini de lui émettre un accusé de réception le 24 octobre 2007 au montant approprié. Sans un tel accusé de réception, le seul recours de M. Neuls aurait été d’intenter une action en responsabilité contractuelle contre Constantini. La conclusion de la Commission selon laquelle M. Neuls a subi une perte en raison d’une contravention à la Loi était raisonnable.

 

[49]           Il s’ensuit que l’appel doit être rejeté.

 

Les dépens

[50]           M. Neuls sollicite les dépens. Le procureur général du Canada n’en sollicite pas. Je ne vois aucune raison de m’écarter de la règle générale voulant que les dépens doivent suivre l’issue de la cause.

 

[51]           M. Neuls sollicite les dépens à l’extrémité supérieure. Il se fonde sur la décision Constantini no 1 et sur deux décisions de la Commission au sujet de Constantini (présentées à la Cour par Constantini) pour soutenir que Constantini a eu un comportement en fonction duquel il omet d’effectuer des paiements complets envers les producteurs.

 

[52]           Je ne suis pas convaincue que Constantini a eu un comportement inapproprié à un point qui justifie l’octroi de dépens alourdis ou extraordinaires. Je ne relève aucun comportement inapproprié ou vexatoire dans la poursuite du présent appel. Il s’agit d’une affaire de complexité moyenne et aucune raison ne justifie que je m’éloigne du principe selon lequel la colonne III du tarif B des Règles des cours fédérales reflète une réparation appropriée pour une affaire de complexité habituelle.

 

[53]           L’appelant paiera donc au défendeur Neuls les dépens, que je fixe au montant de 3 000 $. Ce montant se rapproche d’une évaluation fondée sur le haut de la colonne III, y compris les débours.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         L’appel est rejeté.

2.         C.B. Constantini Ltd. devra payer à James Neuls des dépens de 3 000 $, y compris les débours.

 

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1153‑08

 

INTITULÉ :                                       C.B. CONSTANTINI LTD. c. JAMES NEULS ET SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            La juge Dawson

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 avril 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barry Fraser

Michelle Tribe

 

POUR L’APPELANT

Gwen V. Goebel

 

John A. Faulhammer

POUR L’INTIMÉ JAMES NEULS

 

POUR L’INTIMÉE SM LA REINE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clark Wilson LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’APPELANT

Robertson Stromberg Pederson LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR L’INTIMÉ JAMES NEULS

 

 

POUR L’INTIMÉE SM LA REINE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.