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Date: 20090427

Dossier : T-725-08

Référence : 2009 CF 417

Ottawa (Ontario) le 27 avril, 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE:

ASSOCIATION DES CREVETTIERS ACADIENS DU GOLFE INC., CORPORATION DÛMENT CONSTITUÉE EN VERTU DES LOIS DU NOUVEAU-BRUNSWICK, MICHEL LÉGÈRE

EN SON NOM PERSONNEL ET ÈS QUALITÉ DE REPRÉSENTANT DE L’ASSOCIATION DES CREVETTIERS ACADIENS DU GOLF INC., ASSOCIATION DES PÊCHEURS DE CREVETTE DE MATANE INC., UNE CORPORATION DÛMENT CONSTITUÉE EN VERTU DES LOIS DU QUÉBEC, PIERRE CANTIN EN SON NOM PERSONNEL ET ÈS QUALITÉ DE REPRÉSENTANT DE L’ASSOCIATION DES PÊCHEURS DE CREVETTE DE MATANE INC. ET ONEIL BOND

 

demandeurs

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Le Ministre des Pêches et Océans Canada a possiblement une des tâches les plus ingrates au sein du gouvernement. Il gère une ressource qui est peut-être en train de diminuer et qui diminuera certainement si elle n’est pas soigneusement surveillée et contrôlée. Il n’y a peut-être pas assez de poissons et il y a peut-être trop de pêcheurs. À chaque printemps, il autorise un plan de récolte pour les différents types de poissons et fruits de mer dans des différents endroits désignés. Le plan est basé sur la délivrance des permis et l’établissement des quotas.

 

  • [2] Malgré les tentatives du Ministre, ce dernier ne peut pas plaire à toutes les parties intéressées. Il est presque inévitable que certaines parties insatisfaites de son plan vont, en conséquence, déposer une demande de contrôle judiciaire de sa décision. Telle est la voie suivie par les demandeurs concernant le Plan de récolte de 2008 de la Crevette du golfe du Saint-Laurent. Ce plan a été communiqué aux demandeurs dans un Avis aux pêcheurs publié le 4 avril 2008. Par la suite, dans un avis modifié aux pêcheurs intitulé Crevettes du golfe du Saint-Laurent 2008 – Allocation temporaire de crevettes de Groupe B, publié le 25 avril 2008, le montant d’allocation a été augmenté.

 

  • [3] Essentiellement, les demandeurs visent l’obtention d’une déclaration que :

[….] le Ministre n’avait pas la compétence et/ou a excédé sa compétence lorsqu’il a adopté les aspects […] du Plan et/ou pris des décisions sur la base des paramètres fixés par dits aspects du Plan et, plus particulièrement :

 

  • a) que cette honorable Cour déclare que le Ministre n’avait pas la compétence et/ou a excédé sa compétence en répartissant le TAC [(total autorisé de capture)] sur la base des motifs étrangers à l’objet the la Loi, du Règlement et du Règlement de l’Atlantique;

 

  • b) le Ministre n’avait pas la compétence, a excédé sa compétence et/ou a illégalement délégué sa compétence en attribuant une portion du TAC à certains regroupements de pêcheurs et en chargeant ceux-ci d’en assurer la répartition parmi leurs membres et/ou parmi des tiers, de même qu’en émettant des permis de pêche à des tiers et/ou des personnes affiliées à ces regroupements.

 

  • c) que le Ministre n’avait pas la compétence et/ou a excédé sa compétence en annonçant l’arrivée d’une formule de partage permanente de la ressource dès 2009.

 

  • [4] Les demandeurs ont également soumis une demande concernant la transmission d’une panoplie de documents, en particulier :

    1. Tous les documents, notes de services, mémorandums,messages électroniques, briefings, études (scientifiques ou autres), avis, communiqués et fiche d’information ayant trait à la conception, à l’élaboration et/ou à l’adoption du Plan et de l’amendement, de même que toute la correspondance provenant du et/ou adressée au Ministre, au sous-ministre , et sous-ministre adjoint – gestion des pêches, aux directeurs généraux et aux fonctionnaires des régions du Golfe et du Québec et/ou du Bureau national relativement à ces éléments.

 

  1. Toutes les décisions, ordonnances, baux, permis et/ou licences accordées, renouvelés et/ou amendés, partiellement ou complètement, à la suite de l’adoption du Plan et/ou en fonction des paramètres établis dans le Plan.

 

 

  • [5] Les demandeurs ont reçu la note de service adressée au Ministre, de 7 pages, en date du 25 mars 2008, couvrant le plan préliminaire qu’il a approuvé, ainsi qu’un document subséquent d’une page, en date du 25 avril 2008, avec page couverture, portant sur la deuxième décision, qu’il a également approuvée. Par voie de lettre d’accompagnement, l’avocat du défendeur s’est opposé à la transmission de tous les autres documents demandés.

  • [6] Les demandeurs ont déposé un avis de requête dans lequel ils ont fait une demande pour la production des documents manquants. La protonotaire Tabib a rejeté cette requête le 18 août 2008. La présente est l’appel de cette décision.

 

L’HISTORIQUE

  • [7] Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les cours fédérales autorise la présentation d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision ou d’une ordonnance rendu par un office fédéral, ce qui comprend une décision rendue par un ministre. Bien que le Ministre puisse déléguer certains de ses pouvoirs, cela ne semble pas avoir été le cas dans la présente affaire.

 

  • [8] Une demande de contrôle judiciaire s’opère normalement par voie d’une demande, par opposition à une action, et la procédure applicable est la procédure sommaire. Les règles 317(1) et 318(2), (3) et (4) précisent que :

317. (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

 

317. (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

318. […]

 

(2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition. 

 

 (3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.  

 

 (4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

 

318.  

 

 (2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.  

 

 (3) The Court may give directions to the parties and to a tribunal as to the procedure for making submissions with respect to an objection under subsection (2).  

 

 

 (4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

 

 

  • [9] En l’espèce, monsieur Barry Rachat, directeur général intérimaire de la gestion de la ressource, le Ministère des Pêches et Océans, a déclaré « que les documents ci-joints étaient en la possession du Ministre des Pêches et Océans Canada lorsqu’il a pris la décision énoncée… » La partie pertinente de la lettre d’accompagnement du procureur général, qui exprimait son opposition à la transmission de tous les autres documents demandés, se lit comme suit :

[…] Conformément à la Règle 318(2) des Règles des cours fédérales, le défendeur s’oppose à la présentation des documents demandés et décrits dans l’Avis de demande sur un ou plusieurs des motifs suivants :

 

  • (a) les documents demandés, autre que ceux fournis, ne sont pas pertinents aux décisions qui font l’objet de la demande en contrôle judiciaire;

 

  • (b) les documents demandés, autre que ceux fournis, n’étaient pas dans la possession du Ministre des Pêches et Océans lorsqu’il a pris les décisions qui font l’objet de la présente demande en contrôle judiciaire.

 

  • (c) La demande de document constitue une demande générale similaire une communication préalable dans une action.

 

 

L’APPEL DE L’ORDONNANCE DE LA PROTONOTAIRE

  • [10] La règle 51(1) dispose :

51. (1) L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale.

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Federal Court.

 

  • [11] La première question en litige à trancher dans cette présente affaire est de déterminer si l’ordonnance de la protonotaire Tabib est de nature discrétionnaire. Dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex, 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459 au para. 19, monsieur le juge Décary a énoncé le critère de la norme de contrôle dans le cadre d’un appel à l’encontre une décision discrétionnaire d’un protonotaire :

[…] Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

b)  l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

 

  • [12] Les demandeurs soutiennent que l’ordonnance de la protonotaire n’est pas de nature discrétionnaire. Ils se fondent sur ma décision dans Kamel c. Canada (Procureur général), 2006 CF 676, [2006] A.C.F. no 876, en appel d’une décision du protonotaire en vertu des règles 317 et 318 où j’ai indiqué :

A priori, j’estime que l’ordonnance du protonotaire n’est pas de nature discrétionnaire.  L’arrêt Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc. (C.A.F.), 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459 (QL), stipulant qu’une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire peut être révisée en reprenant l'affaire depuis le début uniquement si le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, n’est donc pas applicable. J’interprète l’ordonnance en l’espèce comme étant purement une question d’interprétation juridique.  Cependant, si j’ai tort sur ce point, le refus d’accorder la requête de Monsieur Kamel a mis en évidence des questions fondamentales et est basé sur un mauvais principe de droit.

 

 

  • [13] J’ai commis une inexactitude en énonçant le principe juridique applicable dans cette décision. Ce que j’aurais dû dire est que, si un document à l’étude par le décideur était manifestement pertinent à la décision, il n’existe alors aucune raison pour un tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de refuser la transmission de ce document. La transmission de documents faisant partie du dossier qui sont en la possession d’un office fédéral lors d’une prise de décision n’est pas la même chose que l’échange de documents entre des parties. Par exemple, dans AstraZeneca Canada Inc. et al v. Apotex Inc. et al, 2009 FC 269, la Cour a statué, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), qu’elle n’est pas obligée, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’ordonner la transmission d’un document dit pertinent si elle est d’avis que le dossier est suffisamment étayé.

  • [14] L’article 11 de la Loi d’interprétation spécifie que :

11. L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions.

 

 

11. The expression “shall” is to be construed as imperative and the expression “may” as permissive.

La règle 318(4) des Règles des Cours fédérales, précitée, accorde à la Cour le pouvoir d’ordonner la transmission de documents à un juge ou à un protonotaire comme on peut le constater par l’emploi du verbe « pouvoir ». Selon l’article 11 de la Loi d’interprétation, cela signifie que le législateur anticipait qu’une requête en réponse à une opposition à la demande de transmission de documents, en vertu des règles 317 et 318, serait laissée à la discrétion du décideur. Tel qu’énoncé dans la décision Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires – Commission Gomery), 2006 CF 720, 293 F.T.R. 108, au paragraphe 51 : « Cette disposition est facultative et donne à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’ordonner, ou de refuser d’ordonner, la communication des documents demandés. »

 

  • [15] L’ordonnance de la protonotaire Tabib est donc de nature discrétionnaire et les principes de droit, tels qu’énoncés dans Merck, précité, dans R. c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, et dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450 s’appliquent.

 

  • [16] Plus récemment, dans l’arrêt Lundbeck Canada Inc. v. Canada (Minister of Health), 2008 FCA 265, [2008] F.C.J. No. 1275 (QL). le juge Evans, au nom de la Cour d’appel fédérale, a dit :

[Ma traduction]

 

[5]  Je tiens d’entrée de jeu à insister sur un aspect qui est abordé dans la jurisprudence et qui est souvent repris par notre Cour dans des litiges interlocutoires, notamment, mais pas exclusivement, en ce qui a trait aux instances relatives aux avis de conformité. Il serait sage de la part des tribunaux d’appel (y compris de la part des tribunaux de première instance lorsqu’ils siègent en appel) de s’abstenir de modifier les décisions discrétionnaires rendues en matière interlocutoire, surtout dans une affaire comme la présente, à moins d’être convaincus que les questions en litige sont manifestement importantes pour trancher le litige de façon équitable et que la décision en question est entachée d’un vice fondamental.

 

[6]  Le fait que la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, prévoie, en matière interlocutoire, la possibilité d’interjeter appel de plein droit de la décision rendue par un protonotaire ou par un juge de la Cour fédérale et de se pourvoir ensuite en appel devant la Cour d’appel fédérale, ne constitue pas une invitation générale à assujettir les décisions discrétionnaires rendues en première instance à une analyse scrupuleuse. Dans les procédures sommaires et, d’ailleurs, dans toute procédure, l’intérêt de la justice est normalement mieux servi si l’on réduit au minimum le temps écoulé avant de statuer sur le fond. Dans la mesure du possible, il est préférable de laisser au juge qui est saisi de la demande ou qui préside le procès le soin de trancher les différends portant sur la preuve (et sur certaines questions procédurales).

 

 

LA DÉCISION DE LA PROTONOTAIRE

  • [17] L’ordonnance rendue par la protonotaire Tabib contient 24 paragraphes. Elle note que la demande est semblable à celles qui ont été déposées en vertu des plans pour les saisons de pêche précédentes. Elle a étudié le droit jurisprudentiel de façon détaillée et a noté « que les seuls documents pertinents aux termes de la Règle 317 sont ceux qui étaient devant le Ministre lors de l’adoption du plan. »

 

  • [18] La décision ne porte pas sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. En conséquence, la Cour ne peut intervenir que si la décision est entachée d’une erreur flagrante.

 

L’ANALYSE

  • [19] Les demandeurs ont soulevé deux arguments principaux qui subsument, essentiellement, tous les autres arguments. Hypothétiquement, ces deux arguments pourraient être justes. Le premier indique que le Ministre aurait pu participer aux réunions avant de prendre sa décision et aurait pu prendre en considération les documents qui sont mentionnés dans la note de service, et aurait pu les avoir à l’esprit quand il a approuvé le Plan. Le deuxième propose que le résumé adressé au Ministre n’était peut-être pas complet ou tout à fait exact.

 

  • [20] D’abord, il n’y a rien qui suggère un tour de magie de la part du Ministre ou de son ministère qui aurait eu pour but d’enlever de son bureau, avant qu’il pose sa signature à sa décision, tous les documents qui pourraient être considérés pertinents. Les mots utilisés par la protonotaire Tabib ne le suggèrent pas : « effectivement entre les mains du Ministre au moment de la prise de décision. » Elle a fait référence à la décision Assoc. des crabiers acadiens Inc. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans Canada), 2004 CF 23 dans laquelle elle a prononcé au paragraphe 23 :

[23]         J'adopte les motifs énoncés par le protonotaire adjoint Giles dans Ecology Action Centre Society c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no. 1588, reprenant les principes énoncés par la Cour d'appel dans Canada c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455:

 

"[6] (...) À mon avis, les éléments pertinents comprennent tous les éléments de preuve qui ont été portés à la connaissance du décideur dans le cadre du processus décisionnel. Les éléments pertinents ne comprennent pas tous les documents qui concernent la question et qui ont pu se trouver sur le bureau du décideur à une date antérieure. Ils ne comprennent certainement pas l'ensemble des documents qui se trouvent dans son service ou dans sa zone de responsabilité."

 

 

  • [21] Dans l’arrêt Pathak auquel elle a fait référence, la Commission canadienne des droits de la personne avait en sa possession le rapport de son enquêteur, mais non les documents utilisés par l’enquêteur dans la préparation de son rapport.

 

  • [22] Le juge Pratte a énoncé au paragraphe 11 :

Dans la présente espèce, la décision de la Commission dont l'intimé voudrait obtenir la réformation a été rendue en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi, sur la foi du rapport préparé par M. Fagan et des conclusions écrites envoyées par l'intimé en réponse à ce rapport. L'article 44 de la Loi prévoit clairement que la Commission doit rendre sa décision sur la foi du rapport de l'enquêteur. La Loi présume en effet que le rapport de l'enquêteur présente fidèlement toute la preuve produite aux fins de l'enquête. Cette présomption doit être prise en considération dans l'évaluation de la pertinence des documents demandés par l'intimé.

 

  • [23] En l’espèce, il n’est peut-être pas question d’une présomption de droit si marquée, mais il n’y a rien au dossier qui suggère que le résumé n’était pas complet ou exact.

 

  • [24] L’avocat des demandeurs a invoqué les décisions Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] A.C.F. No. 556, 130 F.T.R. 223 et [1997] A.C.F. No. 557, 130 F.T.R. 206. Ces décisions peuvent être écartées puisqu’elles étaient fortement guidées par les faits du dossier.

 

  • [25] Selon moi, l’essentiel de la décision dans [1997] A.C.F. No. 556 se trouve aux paragraphes 16 et 17. L’allégation était que les lettres d’avis n’avaient pas le caractère d’une décision. Une fois que le juge Muldoon a déterminé le contraire, la question de savoir si ces lettres étaient en la possession du décideur ne faisait aucun doute. Dans [1997] A.C.F. No. 557, je crois qu’on peut dire, peut-être avec référence au paragraphe 20, que le Ministre, ou une autre autorité responsable, était obligé de jouer un rôle de superviseur et non pas de destinataire de documents et de décideur passif.

 

  • [26] Cette décision correspond aussi à d’autres décisions où la question de documents qui auraient dû être en la possession d’un décideur était l’issue principale. Il faut ajouter qu’en appel, la demande a été rejetée en raison d’un manque d’intérêt puisque les documents en question avaient été transmis.

 

  • [27] La protonotaire a également fait valoir que les demandeurs pourraient être en violation de la règle 302 puisque leur demande semblerait porter sur plus d’une ordonnance. Cependant, elle a choisi de concentrer son attention sur la décision de l’adoption du plan de pêche et n’est pas allée plus loin avec l’argument concernant la règle 302.

LE RÉSUMÉ EN LA POSSESSION DU MINISTRE

  • [28] Il existe certainement des jugements dans lesquels une décision est contestée parce que le décideur n’avait pas en sa possession des documents pertinents qui auraient dû être en sa possession (Tremblay c. Canada (Procureur général, 2005 FC 339, [2005] A.C.F. No. 241), mais il n’existe aucun indice en l’espèce que la protonotaire s’est fourvoyée. Les demandeurs se fondent aussi sur la décision Assoc. des crabiers acadiens c. Canada (Procureur général) 2006 CF 222, [2006] A.C.F. No. 294 dans laquelle la Cour a ordonné la transmission de documents qui n’existaient pas quand la décision attaquée fut prise. Toutefois, ce n’était qu’un point d’une portée très limitée puisque la décision en question indiquait qu’une soumission avait été acceptée. La Cour a énoncé au paragraphe 12 :

Il importe peu que les documents n'existaient pas lors de la décision. Les requérantes ont été informées que la décision reçue de l'APPFA a été choisie par le ministre. Étant donné qu'il est non seulement nécessaire d'avoir un contrat mais une licence de pêche afin que le contrat ait force exécutoire, et qu'en l'espèce le contrat a été octroyé, le ministre ne peut pas ensuite plaider qu'il ne peut fournir les documents puisque que le contrat n'est pas finalisé. "L'Equity considère que ce qui aurait dû être fait, l'a été effectivement" (Equity looks on that as done which ought to be done).

 

  • [29] Il importe de noter qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un appel de novo, et qu’un certain degré de déférence s’impose à la décision de la protonotaire. La question à trancher n’est pas de savoir quelle décision j’aurais rendue en première instance mais plutôt de savoir si la protonotaire a outrepassé les limites établies dans l’arrêt Merck, précité.

 

  • [30] Bien que prononcés dans un autre contexte, les mots du juge Iacobbucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 80, sont pertinents :

En guise de conclusion de mon analyse de cette question, je tiens à faire observer que le décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui-même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation.  Mon affirmation selon laquelle je ne serais peut‑être pas arrivé à la même conclusion que le Tribunal ne devrait pas être considérée comme une invitation aux cours d’appel à intervenir dans les cas comme celui qui nous intéresse, mais plutôt comme une mise en garde contre pareille intervention et comme un appel à la retenue.  La retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.

 

  • [31] Les demandeurs pourront possiblement mettre à l’épreuve, par voie de contre-interrogatoires, leurs théories que certains documents qui auraient dû être en la possession du Ministre ne l’étaient pas ou que, par un tour de magie, les documents qui étaient en sa possession et qui étaient pertinents, lui ont été enlevés juste avant qu’il pose sa signature à sa décision. Et il se peut qu’il existe d’autres décisions dont les détails n’ont pas encore été communiqués aux parties intéressées.

 

  • [32] Il est à noter que la requête devant la protonotaire incluait une liste de documents beaucoup plus longue que celle qui accompagne la demande de contrôle judiciaire. Sans vouloir faire un mauvais jeu de mots, je dirais que le tout ressemble à une expédition de pêche et, tout naturellement, la question de la violation de la règle 302 a été soulevée. Cela dit, l’avocat du défendeur ne semblerait pas suggérer que la situation exige le dépôt de demandes en contrôle judiciaire supplémentaires. Il me semble, plutôt, qu’il note qu’il existe un entrelacement de faits et de décisions.

 

  • [33] La situation en l’espèce est très distincte d’une demande de transmission à un tribunal formel où le contenu du dossier est plus facilement identifiable. Quand l’office fédéral en question est un ministère, on ne peut pas considérer que chaque document au sein de ce ministère est pertinent ou était en la possession du décideur. Il faut interpréter l’expression « entre les mains » avec un peu de scepticisme.

 

  • [34] Tel qu’énoncé dans la décision AstraZeneca, précitée, il existe des cas où la Cour pourrait ordonner le dépôt de documents ou d’éléments matériels supplémentaires en vertu de la règle 313.

 

LA CONCLUSION

  • [35] Ayant terminé cette analyse, je suis convaincu que l'ordonnance de la protonotaire Tabib n’est pas entachée d'erreur flagrante. Elle n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE que :

  1. L’appel soit rejeté avec dépens.

 

 

 

« Sean J. Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-725-08

 

INTITULÉ :  Association des crevettiers acadiens du golfe Inc. et al. c. PGC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 27 mars 2009

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :  Le 27 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Ferland

David Quesnel

 

POUR LES DEMANDEURS

Jean-Robert Noiseux

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie S.E.N.C.R. L SRL

Montréal (QC)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (QC)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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