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Date : 20090427

Dossiers : T-2191-07

T-724-08

Référence : 2009 CF 416

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 avril 2009

Devant le protonotaire Kevin R. Aalto

 

Entre :

MULTI FORMULATIONS LTD., CELL FORMULATIONS LTD., NEW CELL

FORMULATIONS LTD., PUMP FORMULATIONS LTD., SIX STAR

FORMULATIONS LTD., MTOR FORMULATIONS LTD., MASS FORMULATIONS

LTD., IML FORMULATIONS LTD., HALO FORMULATIONS LTD., HHC

FORMULATIONS LTD., LEUKIC FORMULATIONS LTD. et CANADIAN

SUPPLEMENT TRADEMARK LTD.

demandeurs

et

 

ALLMAX NUTRITION INC., HEALTHY BODY SERVICES INC.,

RON TORCH ET MICHAEL KICHUK

défendeurs

et entre :

ALLMAX NUTRITION INC. ET HEALTHY BODY SERVICES INC.

demandeurs reconventionnels

et

 

MULTIFORMULATIONS LTD., CELL FORMULATIONS LTD., NEW CELL

FORMULATIONS LTD., PUMP FORMULATIONS LTD., SIX STAR FORMULATIONS

LTD., MTOR FORMULATIONS LTD., MASS FORMULATIONS LTD., IML

FORMULATIONS LTD., HALO FORMULATIONS LTD., HHC FORMULATIONS LTD.,

LEUKIC FORMULATIONS LTD., CANADIAN SUPPLEMENT TRADEMARK LTD.,

IOVATE HEALTH SCIENCES INTERNATIONAL INC., IOVATE HEALTH SCIENCES

INC., TERRY BEGLEY ET PAUL TIMOTHY GARDINER

défendeurs reconventionnels

 

ORDONNANCE ET MOTIFS MODIFIÉS

 

  • [1] Les parties font le commerce de produits de compléments alimentaires et sont concurrents sur les mêmes marchés. Les demandeurs, un groupe de sociétés affiliées (ensemble “Iovate” ou le « groupe Iovate”), ont engagé les deux présentes actions pour alléguer, entre autres, des contrefaçons des brevets canadiens 2 194 218, 2 208 047 et 2 028 581. Les deux premiers brevets sont visés par l’action T-2191-07 et le troisième par l’action T-724-08. Les défendeurs sont un groupe de sociétés affiliées (ensemble “Allmax”) dont il est allégué qu’elles contrefont les brevets en question. Les intérêts du groupe Iovate dans ces brevets lui ont été attribués par des tiers. Apparemment, des membres du groupe Iovate ont lancé une poursuite contre Allmax aux États-Unis. L’objet du litige aux États-Unis est, dans une certaine mesure, le même que celui des présentes actions et vise certains des mêmes produits.

 

  • [2] Dans sa défense et sa demande reconventionnelle (le « plaidoyer”), Allmax identifie d’autres parties, y compris deux particuliers, nommément Terry Begley (“Begley”) et Paul Timothy Gardiner (“Gardiner”). Il est allégué que ces particuliers dirigent diverses sociétés au sein du groupe Iovate. Le sujet principal du plaidoyer porte sur les agissement anti-anticoncurrentiels et d’autres causes d’action découlant des dispositions de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C. 34. D’autres revendications portent sur un complot d’entrave à la publicité dans la presse sur les produits Allmax, de perturbation des relations économiques, de tarification discriminatoire, et de publicité trompeuse et ayant entraîné une rupture de contrat. Il est allégué que toutes ces causes d’action découlent de la conduite de Iovate de ses administrateurs qui, est-il aussi allégué, auraient comploté ensemble pour atténuer la concurrence et pousser Allmax hors du marché. Iovate cherche à faire radier du plaidoyer un grand nombre de ces causes d’action, surtout celles qui sont liées à la Loi sur la concurrence.

 

  • [3] Avant de présenter la présente motion, l’avocat d’Iovate a envoyé une demande de précisions à l’avocat d’Allmax. Dans sa réponse à la demande de précisions, l’avocat d’Allmax a observé que, dans leur majorité, les précisions demandées portaient sur la nature de la preuve et des premières communications préalables, et non sur de véritables détails. Malgré cette remarque, l’avocat d’Allmax a donné les détails répondant à de nombreux points soulevés dans la demande de précisions. Ensuite, Iovate a présenté cette demande d’annulation.

 

  • [4] Les questions abordées dans la motion est d’abord celle de savoir si les demandes devraient être radiées et refusées sans autorisation de modifier contre Iovate et, notamment, the les individus défendeurs, qui sont Begley et Gardiner; ensuite, la question de savoir, dans le cas où les revendications n’étaient pas radiées, si Allmax devrait donner les détails demandés; et enfin, la question de savoir si Iovate devait recevoir une extension des délais pour signifier et déposer son plaidoyer en réponse.

 

  • [5] En plaidoirie, l’avocat d’Allmax a reconnu que les demandes liées au paragraphe 61(6) de la Loi sur la concurrence avaient été retirées, et qu’elles seraient par conséquent éliminées des paragraphes 85, 93 et 95 de la nouvelle défense et de la demande reconventionnelle modifiée. De plus l’avocat du groupe Iovate a reconnu, après avoir pris connaissance des observations écrites de Allmax, que si les paragraphes 91 et 92 avaient été plaidés sous la forme des observations écrites, qu’elles demeureraient même après une motion d’annulation. Ainsi, l’avocat d’Iovate a fait valoir que si ces paragraphes étaient radiés avec autorisation de modifier et qu’ils étaient principalement modifiés par le paragraphe 33 des observations écrites de Allmax, ils répondraient aux exigences minimales applicables aux plaidories. Afin de prévenir tout problème ou malentendu se rapportant au sens de ces paragraphes du plaidoyer, ils seront radiés avec autorisation de modifier, pour correspondre généralement au paragraphe 33 des observations écrites de Allmax.

 

  • [6] Les critères pour radier un plaidoyer, en tout ou en partie, sont bien connus. La compétence de le faireest définie dans l’article 21(1) des Règles des Cours fédérales. Le critère le plus souvent cité est celui employé dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1992] RCS 959 à la page 980. Le critère est celui de savoir, en présupposant véridiques toutes les allégations du plaidoyer, s’il est manifeste et évident que la revendication ne pourra aboutir. Il revient à Iovate d’établir l’existence de motifs applicables de faire radier le plaidoyer. Le juge Blanchard, dans Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. [2005] A.C.F. No. 1600 au paragraphe 31, confirmée dans [2006] 47 C.P.R. (4th) 328, synthétise ainsi ce critère [Traduction] :

Le fardeau de la preuve pèse lourdement sur les épaules de la partie qui demande la radiation d’un plaidoyer. Le pouvoir discrétionnaire de radier un plaidoyer ne doit s’exercer que dans les causes simples et évidentes, lorsque la Cour est satisfaite au-delà de tout doute que l’allégation ne pourra être fondée et qu’elle sera certainement refusée en procès au motif qu’elle contient un défaut flagrant.

 

  • [7] Les extraits contestés du plaidoyer portent principalement sur les causes d’action allégués se rapportant à divers articles de la Loi sur la concurrence, notamment les dispositions sur le complot de l’article 45, et celles sur la tarification discriminatoire dans l’alinéa 50(1)(a). Les allégations de complot et de tarification discriminatoire reposent sur l’article 36, lequel prévoit que toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la parte VI de la Loi sur la concurrence peut réclamer et recouvrer une somme de la ou des personne(s) qui a ou ont eu le comportement.

 

  • [8] Allmax a fait valoir que Iovate a des comportements anti-anticoncurrentiels allant à l’encontre de l’article 45 et donne des indications fausses ou trompeuses tel que l’interdit le paragraphe 52(1), appartenant tous deux à la partie VI de la Loi sur la concurrence. Il revient à Iovate de démontrer que les allégations du plaidoyer ne sont pas défendables et qu’elles n’ont aucune chance d’aboutir si elle entend les faire radier.

 

Cause d’action en vertu de l’article 45

 

  • [9] L’article 45 porte sur les complots anti-concurrentiels. Pour voir sa revendication aboutir, un demandeur doit démontrer de multiples éléments, notamment les suivants :

  • l’identité des auteurs allégués du complot;

  • un complot, un accord ou un arrangement;

  • un objectif illicite, à savoir celui d’indûment prévenir ou diminuer la concurrence dans un espace géographique donné ou le marché pour un produit en mettant en œuvre le complot, l’accord ou l’arrangement;

  • l’intention partagée des conspirateurs d’être liés par le complot

  • l’intention to diminuer indûment la concurrence, et,

  • le préjudice causé par le complot.

 

  • [10] Ces principes sont synthétisés dans des instances telles que Apotex Inc. c. Laboratoire Fournier S.A. [2006] O.J. No. 4555, une décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans laquelle le juge Belobaba avait retenu ce qui suit [Traduction]:

Les deux parties conviennent que pour plaider le complot, Apotex doit identifier les conspirateurs allégués, l’accord de comploter, l’objet illicite, les gestes posés et les préjudices qui ont été causés : Normart Management Limited c. Westhill Redéveloppment Co. (1998), 37 O.R. 3rd (C.A.), 104.

 

  • [11] Comme dans de nombreuses allégations de complot, les détails du complot ne sont pas diffusés librement, et au début des procédures, les demandeurs ne connaissent pas les détails précis du complot qu’ils allèguent. Tel que le relève le juge Cumming de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans North York Branson Hospital c. Praxair Canada Inc. (1998), 84 C.P.R. (3d) 12, au paragraphe 22 (Div. Ct.) [Traduction] :

En fait, la nature même d’une allégation de complot est que le délit se prête difficilement à un exercice d’exposé des détails aux étapes initiales. La preuve pertinente est vraisemblablement entre les mains et dans le souvenir des conspirateurs allégués. La nature du complot est en partie fondée sur le secret et la résistance à communiquer des faits aux victimes alléguées. L’existence  d’un accord spécifique donnant du poids à une allégation de complot, que doit démontrer le demandeur, est souvent démontrée par une preuve indirecte ou circonstantielle. Un complot est plus vraisemblablement démontré par une preuve de gestes et d’énoncés de recul des conspirateurs à partir desquels l’accord antérieur peut être déduit par la logique. De tels détails ne sont souvent pas à la disposition des demandeurs avant les communications préalables. Ces considérations, et le thème général de la chasse incitant les cours à ne pas hésiter à examiner un litige complexe, militent aussi en dévafeur de tenir les plaidoyers civils en matière de complot à des normes trop strictes.

 

  • [12] C’est au travers du prisme de ces principes que le présent plaidoyer doit être examiné.

 

  • [13] Les extraits contestés du plaidoyer dans la présente affaire de complot allèguent trois comportements contraires à la Loi sur la concurrence aux conspirateurs allégués : la cession de brevets qui a résulté de la résolution du litige; l’interférence dans le litige entre le client et le fournisseur; et, l’interférence dans des relations d’affaires.

  • [14] Allmax plaide que le groupe Iovate a acquis des brevets et lancé un litige contre ses concurrents. En effet, le litige a été détaillé dans une annexe du plaidoyer. Allmax allègue que le litige s’inscrivait dans un objectif plus général d’acquisition de brevets dans le but de les présenter contre ceux d’autres concurrents tels que Allmax. Ce comportement, est-il allégué, est contraire aux dispositions de l’article 45. À l’appui de ce postulat, Allmax rappelle la décision de la Cour d’appel fédérale dans Eli Lilly c. Apotex Inc. c. Eli Lilly 2005 CAF 361, dans laquelle le juge Evans affirme ce qui suit :

[25]. Par ailleurs, assujetir le droit de céder un brevet à l’application de l’article 45 dans les circonstances de la présente instance, est également conforme à l’esprit de la Loi sur la concurrence.

 

[26]. Par exemple, les paragraphes 45(3), (7) et (7.1) prévoient des exceptions bien précises et des moyens de défense relativement aux infractions définies au paragraphe 45(1). Aucune ne concerne les droits de propriété intellectuelle. De plus, il est clair que le Parlement a tenu compte des interactions entre la Loi sur la concurrence et les droits de propriété intellectuelle. Ainsi, tandis que le paragraphe 79(1) interdit l'abus de position dominante, le paragraphe 79(5) prévoit que, pour l'application de l'article 79, « un agissement résultant du seul fait de l'exercice de quelque droit [...] découlant de la Loi sur les brevets [...] ne constitue pas un agissement anti-concurrentiel » . L'article 45 ne contient aucune exemption de cette nature concernant l'exercice des droits en vertu de la Loi sur les brevets, y compris les cessions prévues à l'article 50.

 

[27]. Compte tenu de ce qui précède, la présomption applicable en matière d’interprétation des lois, que la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre, appuie une interprétation selon laquelle les cessions de brevet qui diminuent la concurrence en conférant un pouvoir de marché plus grand que le seul pouvoir inhérent aux brevets cédés, ne sont pas implicitement exclues de l’application de l’article 45.

 

[28] De plus, l’article 32 précise que la Cour fédérale peut rendre certaines ordonnances, lorsqu’il est fait usage de droits exclusifs conférés par un brevet en vue de restreindre indûment le commerce ou de diminuer la concurrence à l’égard d’un article. Cette disposition indique clairement que le Parlement n’a pas eu l’intention d’exclure complètement l’exercice des droits de brevet du champ d’application de la Loi sur la concurrence. Si on veut assurer la cohérence entre l’article 32 et l’article 45, cette dernière disposition doit être interprétée de manière à ce qu’elle s’applique à une cession de brevet qui entraîne une diminution indue de la concurrence.

 

  • [15] D’après cette jurisprudence, les allégations se rapportant à la cession des brevets sont soutenues par des arguments suffisants pour survivre à ces contestations.

 

  • [16] Un autre segment du plaidoyer qui est contesté se rapporte à l’allégation d’un accord illicite destiné à restreindre la publicité et les publications sur les produits Allmax et Health Body Services Inc. (“HBS”), qui a eu l’effet de restreindre et de nuire à la concurrence. Le plaidoyer allègue que des membres du groupe Iovate et de Wieder Publications (“Wieder”) et de MuscleMag ont conclu un accord en vertu duquel Wieder et MuscleMag n’accepteraient pas de publier des publicités ou des publireportages de Allmax. Dans sa réponse à la demande de précisions, Allmax a indiqué qu’un produit dénommé LEUTOR avait fait déjà l’objet d’une publicité dans MuscleMag, mais que MuscleMag refuse maintenant ces publicités.

 

  • [17] Ces portions du plaidoyer plaident adéquatement en faveur d’une cause d’action qui, selon les principes précités, ne sont pas sans possibilité d’aboutir. Le plaidoyer allègue les noms des conspirateurs, un accord de complot, un objet illicite, des gestes posés, et un préjudice qui en a été le résultat. Iovate détient des renseignements suffisants pour pourvoir plaider ces allégations. Cela comprend les paragraphes du plaidoyer se rapportant à la relation d’affaires entre Allmax et HBS et GNC. GNC est une chaîne de magasins au détail où étaient vendus les produits Allmax et HBS, mais qui, est-il allégué, refuse de vendre leurs produitsaux É-U.

 

Sociétés affiliées et article 45(8)

 

  • [18] Un argument charnière du groupe Iovate est que les allégations de complot sont prononcées contre un groupe de sociétés affiliées. Le plaidoyer décrit Gardner comme le seul directeur de multiples sociétés qui composent le groupe Iovate. De la même manière, Begley est décrit comme le directeur général d’au moins une des sociétés qui composent le groupe Iovate. L’article 45(8) de la Loi sur la concurrence prévoit qu’une allégation de complot claim ne s’applique pas complot, accord ou arrangement qui est conclu exclusivement entre sociétés affiliées. Puisqu’une allégation de complot ne peut viser des sociétés « affiliées », il est avancé que l’allégation de complot serait donc vouée à l’échec.

 

  • [19] La Loi sur la concurrence, en son article 2(2), définit des sociétés de personnes comme affiliées si, entre autres, l’une d’entre elles est affiliée à une autre ou si toutes deux sont contrôlées par la même personne. L’article 45(8) prévoit une exception aux allégations de complot applicable aux sociétés de personnes, « exclusivement entre des personnes morales qui, considérées individuellement, sont des affiliées de chacune des autres personnes morales en question”. Il convient de noter que l’article 45(8) ne s’applique pas aux particuliers. Ainsi qu’il a été plaidé, il est allégué que les sociétés du groupe Iovate sont détenues ou contrôlées par Gardiner ou Begley, ou conjointement par ces derniers. Cela pourrait éventuellement fonder une défense contre l’allégation de complot. Ici, bien qu’il soit plaidé qu’il existait un lien entre le groupe de sociétés Iovate, il n’est pas net et évident que, à cette étape de la procédure, le groupe de défendeurs dans son ensemble appartient à la définition de sociétés affiliées. De plus, aucune « affiliation » n’est plaidée en ce qui concerne le groupe Iovate et Wieder et MuscleMag, et à cette étape, aucune conclusion ne s’impose sur l’existence d’un lien d’affiliation entre ces derniers. Le maintien de cette partie du plaidoyer est par conséquent autorisé. Aucun détail ne doit être ajouté si la revendication est suffisamment étayée pour permettre à Iovate de plaider.

 

Réclamations personnelles

 

  • [20] En ce qui concerne Begley et Gardiner à titre personnel, Iovate affirme que puisqu’aucune cause d’action autonome n’est alléguée comme délit, les réclamations sont condamnées à l’échec et devraient être radiées. Il a été avancé qu’aucune allégation spécifique n’a été portée contre ni l’un ni l’autre qualifiant une réclamation individuelle ou distincte en responsabilité délictuelle, tel que l’exige la jurisprudence, et qu’à titre d’âmes dirigeantes du groupe de sociétés Iovate, Gardiner et Begley ne peuvent, en ordonnant aux sociétés de personnes d’agir d’une certaine manière, avoir conclu un accord et comploté avec les sociétés de personnes. Iovate se fonde sur Normart Management Limited c. West Hill Redéveloppment Company Ltd. Et al. 37 O.R. (3d) 97 (C.A.) dans lequel le juge Finlayson observe ce qui suit à la page 103 [Traduction] :

[...] [sur la restriction des lois sous examen aux âmes dirigeantes], en soi, l’âme dirigeante d’une société de personnes, en ordonnant que la société de personnes agisse d’une certaine manière, ne peut être considérée comme ayant conclu un accord avec ladite société de personnes. L’âme dirigeante pourrait conclure un accord avec une autre société de personnes en concluant un accord avec l’âme dirigeante de cette autre société de personnes, mais si les deux âmes dirigeantes agissent au nom de leurs sociétés de personnes respectives, l’accord intervient entre les deux sociétés de personnes. D’affirmer le contraire serait de contester la personnalité juridique distincte reconnue aux sociétés de personnes par notre loi et de conclure que chaque geste d’entreprise pouvant donner lieu à une infraction, en vertu de l’autorité décisionnaire de la gestion d’entreprise, constitue une action prise à titre personnel par les âmes dirigeantes.

 

  • [21] Le groupe Iovate se fonde aussi sur la décision récente de la juge Kiteley dans Goodman c. Earl Rumm et al. 2007 CanLii 38119 (Ont. S.C.). Ce dossier se rapportait à une motion de radier énonçant des allégations de complot dans un plaidoyer contre des directeurs d’entreprise fondée sur le fait qu’aucune conduite délictueuse distincte n’avait été démontrée en parallèle avec les agissements des sociétés de personnes. La juge Kiteley, qui a radié le plaidoyer, a fait les remarques ci-après [Traduction]:

[20]. Le demandeur a subi un grave préjudice lié à la perception de sa moralité et à sa réputation dans la collectivité. Sa moralité et sa réputation ont été lésées aux yeux de sa famille, de ses collègues, de ses partenaires commerciaux et de ses clients. Le demandeur a droit à des dommages-intérêts généraux et alourdis pour cette perte.

 

[21]. L’abus de procédure et le complot rendent compte d’un mépris total et irréfléchi des droits du demandeur. Les défendeurs malicieusement persisté à répéter les fausses accusations définies dans l’action, sans se préoccuper de la réputation du demandeur. Le demandeur a droit de recevoir des dommages-intérêts punitifs et exemplaires.

 

[22]. Le demandeur propose que cette réclamation soit examinée au même procès que l’action.

 

  • [22] Cependant, dans les faits, le présent dossier est différent de celui précité, puisque les faits plaidés sont suffisants à soulever une réclamation distincte contre les particuliers. Aussi fondées sont les propositions que les directeurs, agents et employés de sociétés de personnes peuvent être tenus responsables de délits commis à titre personnel, même si les gestes étaient posées dans le cadre de leurs attributions professionnelles ou à l’appui des meilleurs intérêts de la société de personnes [voir, par exemple Anger c. Berkshire Investment Group Inc., [2001] O.J. No. 379 (C.A.) au paragraphe 11 et les dossiers qui y sont cités; et, ScotiaMacleod Inc. c. People Jewellers Ltd. (1995), 26 O.R. (3d) 481 (C.A.)]. De plus, la juge Mactavish dans Petrillo c. Allmax Nutrition Inc. (2006), 54 C.P.R. (4th) 319 fait, au paragraphe 72, d’après une analyse de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandise Manufacturing Co. (1978) 40 C.P.R. (2d) 164, les observations suivantes :

De fait, afin d’attirer la responsabilité personnelle de l’administrateur ou du dirigeant de la société, il doit exister des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait personne en cause n’était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de la société mais que cette personne avait délibérément, intentionnellement et sciemment adopté une conduite qui constituait probablement un acte de contrefaçon ou qui indiquait une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon : Mentmore, paragraphe 28.

 

  • [23] Il convient de souligner que tant Begley que Gardiner sont allégués avoir comploté ensemble avec les sociétés du groupe Iovate nommées dans le plaidoyer. Gardiner est allégué avoir été la seule âme dirigeante et/ou le seul directeur du groupe de sociétés Iovate, tandis que Begley est décrit comme le cadre dirigeant d’au moins une des sociétés du groupe Iovate. Le plaidoyer indique clairement que le groupe Iovate a entrepris [Traduction] « une campagne d’agissements anti-concurrentiels ». À cette étape, le plaidoyer est suffisamment décrit de manière suffisamment étayée comment Gardiner et Begley, sous les auspices du groupe Iovate sont allégués avoir comploté, s’être entendus, et avoir pris des arrangements pour indûment empêcher ou diminuer la concurrence sur le marchés des suppléments nutritifs. Le plaidoyer contient les détails qui étaient connus sur ces comportements, qui consistaient à empêcher la publication d’annonces dans Wieder et MuscleMag, et à faire en sorte que GNC ne vende pas les produits Allmax. Si ces allégations sont avérées en procès, ces comportements seraient reconnus comme n’appartenant pas aux activités commerciales courantes. Ainsi, l’exigence d’un comportement délictueux spécifique à Gardiner et Begley aux fins du plaidoyer a été remplie.

 

  • [24] Le groupe Iovate affirme aussi que la réclamation contre Gardiner et Begley est sans aucune chance d’aboutir puisqu’une réclamation ne peut être traitée contre des directeurs et des cadres de sociétés de personnes si l’exception dans Said c. Butt [1920] 3 K.B. 497 ne s’applique pas. Pour reprendre les observations écrites du demandeur : [Traduction] « Dans la mesure où les réclamations contre Gardiner et Begley se rapportent à des gestes posés pour mener à une rupture de contrat, elles sont protégées par la défense Said c. Butt” (soulignement ajouté). La question de savoir si Gardiner et Begley sont protégés ou non par la défense Said c. Butt n’est pas adaptée à un plaidoyer présenté avec une motion d’annuler. Pour établir si Gardiner ou Begley ont droit d’invoquer Said c. Butt des preuves doivent être présentées sur leurs agissements. Or, de telles présentations ne sont pas autorisée dans un plaidoyer présenté avec une motion d’annuler. Ainsi, cet argument ne permet pas de radier le plaidoyer contre Gardiner et Begley.

 

  • [25] Les réclamations contre des cadres dirigeants et des directeurs ne devraient pas devenir des démarches déguisées dans une course à l’aveugle pour tenter de faire émerger des renseignements qui pourraient appuyer une cause d’action sans espoir d’aboutir. Ainsi que le relève la juge Mactavish dans Petrillo, précitée :

[36]. Enfin, il ne suffit pas que le demandeur invoque, dans une déclaration, la responsabilité personnelle du dirigeant ou de l’administrateur d’une société dans l’espoir que la preuve à l’appui de l’allégation soit découverte à l’étape de la communication préalable. Une poursuite judiciaire n’est pas engagée à l’aveuglette, car cela constituerait un abus de la procédure de la cour : voir Painblanc c. Kastner, [1994] A.C.F. no 1671, 58 C.P.R. (3d) 502.

 

  • [26] Ici, l’accord de comploter est suffisamment étayé et comprend trois éléments : les cessions de brevet qui ont donné lieu au litige; les accords ou arrangements entre Begley, Gardiner et le groupe Iovate, dont les détails ne sont pas détenus par Allmax, et les accords avec Wieder, MuscleMag et GNC qui font l’objet précis du plaidoyer.

 

  • [27] Ainsi, en raison de la collaboration de Begley et de Gardner avec MuscleMag, Wieder et GNC, ils sont nommés comme parties en bonne et due forme à la demande reconventionnelle. Ici, assez de détails sur une cause d’action distincte contre Gardiner et Begley ont été plaidés et il ne saurait être affirmé que les allégations sont condamnées à l’échec.

 

Section 50 – Tarification discriminatoire

 

  • [28] Iovate soulève un argument de poids se rapportant à l’article 50(1) de la Loi sur la concurrence. Cet article se rapporte à la tarification discriminatoire. L’article prévoit ce qui suit :

50(1) Commet un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de deux ans toute personne qui, exploitant une entreprise, selon le cas :

 

(a) est partie intéressée ou contribue, ou aide, à une vente qui est, à sa connaissance, directement ou indirectement, discriminatoire à l’endroit de concurrents d’un acheteur d’articles de cette personne en ce qu’un escompte, un rabais, une remise, une concession de prix ou un autre avantage est accordé à l’acheteur au-delà et en sus de tout escompte, rabais, remise, concession de prix ou autre avantage accessible à ces concurrents au moment où les articles sont vendus à cet acheteur, à l’égard d’une vente d’articles de qualité et de quantité similaires,

 

 

(b) se livre à une politique de vente de produits dans quelque région du Canada à des prix inférieurs à ceux qu’elle exige ailleurs au Canada, ayant pour effet ou tendance à réduire sensiblement la concurrence ou d’éliminer dans une large mesure une concurrent dans cette partie du Canada, ou étant destinée à avoir un semblable effet,

 

(c) se livre à une politique de vente de produits, dans quelque région du Canada,  à des prix déraisonnablement bas, ayant pour effet ou tendance de sensiblement réduire sensiblement la concurrence ou éliminer une concurrent, ou étant destinée à avoir un semblable effet,

 

 

  • [29] Aux paragraphes 93 à 95 du plaidoyer, Allmax allègue que le comportement d’Iovate aurait qualifié la pratique commerciale illégale donnant lieu à une rupture de contrat et à une interférence délictuelle dans des intérêts économiques, qui ensemble contreviendraient à la Loi sur la concurrence, et plus précisément à son article 45 (tel que précédemment indiqué) et son alinéa 50(1)(a). Les détails de la conduite incluent le fait que Wieder et MuscleMag refusent de publier la publicité de Allmax; et, que GNC refuse de vendre les produits Allmax, y compris les produits visés par la présente action, et que GNC a annulé les commandes déjà passées auprès de Allmax. La question est celle de savoir si cette partie du plaidoyer étaye suffisamment une cause d’action en vertu de l’alinéa 50(1)(a).

 

  • [30] Ainsi que le rappelle l’avocat, le libellé de l’alinéa 50(1)(a) de la Loi sur la concurrence s est très alambiqué et difficile à comprendre, à interpréter et à appliquer. Iovate affirme que cet alinéa se rapporte à la conduite d’un vendeur et non d’un acheteur; qu’il porte sur un bien réel et personnel, et qu’il vise la vente de produits de qualité et de quantité similaires. Ainsi, Iovate affirme que le plaidoyer ne soulève aucune cause d’action visée par l’alinéa 50(1)(a) et qu’il doit être radié puisque le plaidoyer ne vise pas des biens de qualité et de quantité similaires, puisqu’il porte sur l’achat d’espaces publicitaires ou d’étalage, et non des biens réels ou personnels, et ne se rapporte pas à un concurrent s’opposant à un autre.

 

  • [31] À l’appui de ce postulat, Iovate se fonde sur Skybridge Investments Ltd. c. Metro Motors Ltd. [2006] B.C.J. No. 2892, une décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans laquelle la Court avait rappelé, avec son approbation, les propos du juge qui avait entendu la motion :

Deux des éléments essentiels à démontrer dans une poursuite en vertu de cet article sont la « vente à un acheteur » et la « vente à un concurrent de l’acheteur”. Les doléances du demandeur ne sont pas d’avoir été victime de discrimination en matière d’escomptes, rabais remise, concession de prix ou autre avantage, dans la vente de véhicules de marque Ford; il déplore plutôt que Ford refuse de lui vendre des véhicules de marque Ford pour la revente ou l’exportation. Ce plaidoyer est voué à l’échec.

 

  • [32] Iovate affirme qu’aucune section du plaidoyer ne se rapporte à des biens de qualité et de quantités similaires ni à aucune « vente à l’acheteur” ou « vente à un concurrent de l’acheteur”.

 

  • [33] Rare est la jurisprudence qui interprète l’alinéa 50(1)(a). Les observations d’Iovate se distinguent par le fait que l’un des documents qui permettent de mieux comprendre comment interpréter l’alinéa 50(1)(a) est le document intitulé Discrimination par les prix: lignes directrices pour l’application de la loi publié par le Bureau de la concurrence Canada en date du 12 mars 2008. Ces lignes directrices décrivent ainsi les éléments de l’infraction [Traduction] :

La loi définit de multiples exigences à remplir pour qualifier la commission d’une infraction. Il doit exister une « vente » d’ « articles » par une « personne exploitant une entreprise ». La vente doit être liée à un « escompte, rabais, remise, concession de prix ou autre avantage » qui soit « accordé » à un « acheteur » et allant « au-delà et en sus » de ce qui est « accessible » aux « concurrents » de l’acheteurs pour la vente d’ « articles de qualité et de quantité similaires.” La comparaison doit se fonder sur les prix « accessibles » aux concurrents “au moment où les articles sont vendus à cet acheteur.” La vente peut être « directement ou indirectement” discriminatoire. La nature discriminatoire de la vente doit avoir été « à la connaissance » du vendeur. Enfin, la vente doit avoir été conclue « dans le cadre d’une pratique discriminatoire.”

 

  • [34] Iovate affirme qu’aucun de ces éléments n’est présent dans le plaidoyer, et, tout comme dans Skybridge, toute référence à l’alinéa 50(1)(a) devait être radiée puisque le plaidoyer est voué à l’échec.

 

  • [35] Malgré l’astucieuse stratégie de l’avocat d’Allmax qui a présenté à la Cour un document surligné en diverses couleurs pour analyser l’alinéa 50(1)(a) dans le but de démontrer que le plaidoyer soulève une cause d’action, je ne suis pas persuadé qu’il parvienne à ses fins. L’avocat d’Allmax souligne que vu la jurisprudence lacunaire sur l’alinéa 50(1)(a), une interprétation de ce dernier peut être dégagée pour appuyer ses arguments.

 

  • [36] Allmax affirme que Iovate et Allmax sont concurrents en matière d’articles de qualité et de quantité similaires, et que pour ce motif, la demande et la demande reconventionnelle appartiennent manifestement à l’objet de cet alinéa. Allmax ne peut faire paraître de publicités dans divers magazines en raison des gestes et intentions destinés à appuyer un complot entre Iovate, Begley et Gardner.

 

  • [37] L’avocat d’Allmax souligne que vu la jurisprudence peu loquace sur l’application de l’alinéa 50(1)(a), il est loisible d’interpréter la lettre de l’alinéa 50(1)(a) pour l’adapter au dossier. Dans son introduction, l’article 50 indique ce qui suit « toute personne qui, exploitant une entreprise”, ce qui selon Allmax peut s’appliquer à Iovate. Ainsi, Iovate serait aussi la partie visée par le reste du libellé de cet article, qui est le suivant : « [Iovate] est partie intéressée, ou contribue, ou aide, à une vente qui est, à sa connaissance, directement ou indirectement discriminatoire à l’endroit de concurrents d’un acheteur d’articles de cette personne ». Cela constitue, selon Allmax, une disposition très souple pouvant englober Allmax. De plus, l’article évoque tout « autre avantage » ce qui est aussi très imprécis, et ne trace aucune limite quelle qu’elle soit, et enfin que la discrimination est  « à l’égard d’une vente d’articles de qualité et de quantité similaires”. Allmax affirme que Iovate et Allmax sont concurrents dans la vente d’articles de qualité et de quantité similaires, et ainsi que le plaidoyer relève manifestement de cet article.

 

  • [38] Cependant, il me semble que, malgré sa complexité, l’alinéa 50(1)(a) aurait visé une situation dans laquelle Iovate aurait vendu des biens à au moins deux parties, et aurait établi de manière discriminatoire les prix offerts pour ses biens à une partie par rapport à Allmax. Ce n’est pas ce qui s’est produit dans le présent dossier. Malgré l’originalité de l’argument que la vente d’espaces publicitaires dans des magazines aurait empêché Allmax d’annoncer ses produits, une telle situation ne relève pas de la vente d’articles de la même qualité et quantité de l’articles que vise l’alinéa 50(1)(a).

 

  • [39] L’avocat d’Allmax reconnaît que l’interprétation avancée puisse paraître inusitée, mais qu’il n’était ni évident ni manifeste qu’il n’aboutirait pas. À l’appui de sa stratégie, l’avocat d’Allmax rappelle un extrait des directives précitées, dans lequel celui qui était alors le directeur des enquêtes et des recherches avait commenté que les directives avaient été diffusées [Traduction] «  en ce qui concerne l’alinéa 50(1)(a), pour veiller à ce que les intervenants de la sphère commerciale comprennent mieux les circonstances qui peuvent mener à ce que soit menée une enquête en vertu de la loi. Dans le même temps, the communauté des gens d’affaires devrait savoir qu’une interprétation différente de cette disposition pourrait être proposée par des parties cherchant à recouvrer des dommages-intérêts à titre privé en vertu de l’article 36 de la loi.

 

  • [40] L’interprétation préconisée par l’avocat d’Allmax pousse le libellé de l’alinéa au-delà de son sens ordinaire et le plus courant. Les actes fautifs allégués, tels qu’ils sont décrits dans le plaidoyer, ne sont pas ceux d’avoir vendu à un concurrent de l’acheteur. Les actes fautifs allégués sont l’interférence avec les activités du groupe Iovate et de deux de ses cadres, associée au droit de Allmax et de HBS de faire paraître des publicités pour leurs produits dans divers magazines et de vendre leurs produits dans des chaînes de vente au détail.

 

  • [41] Toutes les interprétations inusitées peuvent être défendues, mais cela ne signifie pas qu’elles tiennent la route du droit applicable. À mon avis, cet extrait du plaidoyer n’appartient pas à l’objet de l’alinéa 50(1)(a) et est voué à l’échec, et toutes les références à l’alinéa 50(1)(a) et à l’article 50 doivent être radiées.

 

Lieu de la conduite illégale alléguée

 

  • [42] Un autre argument présenté par Iovate à l’appui de sa proposition que les allégations fondées sur la Loi sur la concurrence n’ont aucune chance d’aboutir, est que les réclamations portent, dans leur majorité, sur des activités qui ont été menées principalement aux États-Unis. Par conséquent, la conduite est exclue de la portée de la Loi sur la concurrence.

 

  • [43] Dans le plaidoyer, Allmax indique que les agissements visaient toute l’Amérique du Nord (Wieder est éditeur de magazines qui sont distribués partout en Amérique du Nord) et renvoie explicitement au litige au Canada qui fait censément partie de la campagne menée par le groupe Iovate pour diminuer indûment la concurrence. Allmax s’est fondée sur la décision en première instance dans R. c. Stucky [2006] O.J. No. 4933, pour appuyer sa proposition que “au public” dans le paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence ne se limite pas au public au Canada. En appel de la décision en première instance, la Cour d’appel de l’Ontario [R. c. Stucky, 2009 ONCA 151] a récemment exposé son avis sur le sens à donner à « au public” dans le paragraphe 52(1). La Cour a confirmé la proposition que la mention “au public” ne se limite pas au public au Canada. La Cour a conclu que l’objet de la Loi sur la concurrence mène à interpréter « au public” en incluant les personnes à l’extérieur du Canada. Les juges Weiler et Gillese ont observé ce qui suit [Traduction]:

[49]. En choisissant de donner effet à ce qu’il estimait être l’intention première du législateur, le juge de première instance a méconnu de l’évolution de la pensée en droit de la concurrence, qui a mené à une considération croissante des pratiques commerciales internationales. Cette nouvelle préoccupation se traduit non seulement par l’adoption de nouveaux articles de loi pour encadrer certaines réalités telles que le telemarketing et l’internet, mais aussi les accords transfrontaliers entre le Canada et les États-Unis. Le sens que nous donnons à la loi devrait rendre compte des circonstances actuelles. Tel que le remarque Sullivan à la page 145 de la cinquième édition de son texte, Sullivan on the Construction of Statutes, 5th ed. (Markham, Ont. : LexisNexis, 2008) :

 

  En règle générale, les lois d’intérêt public adoptées par le législateur ne sont pas destinées à faire office de documents historiques. Elles sont rédigées en vue d’un avenir indéfini, en présupposant de leur application non seulement aux faits avérés au moment de leur entrée en vigueur, mais aussi des conditions et des circonstances qui sont les plus susceptibles d’émerger dans l’avenir. Ce postulat en codifié dans l’article 10 de la Loi d’interprétation [L.R.C.1985, c. I-21] du Canada :

 

  La règle de droit a vocation permanente; exprimée dans un sens au présent intemporel, elle s’applique à la situation du moment de façon que le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet.

 

[56]. […] bien que l’objectif général de la loi soit le plus souvent de promouvoir une concurrence robuste et vigoureuse, l’objet de la disposition qui est ici en cause est considérablement plus limité. Cet objet compte deux volets : celui de protéger les consommateurs des effets des déclarations fausses ou trompeuses, et celui d’empêcher ces énoncés de dégager des avantages. Dans l’interprétation de la séquence « au public”, le juge de première instance a méconnu du second objectif.

 

[57]. Notre analyse des mots « au public » ne limiterait pas « le public » exclusivement aux personnes situées sur le territoire du Canada. Par conséquent, nous rejetons l’interprétation par le juge de première instance des mots « au public » dans le paragraphe 52(1), et proposons plutôt son interprétation comme « un groupe de personnes » avec lesquelles l’accusé entretient un lien réel ou substantiel.

 

  • [44] À mon avis, même si les mots « au public » ont été considérés dans Stucky en contexte criminel et portant directement sur l’article 52, il existe une interprétation également applicable à la Loi sur la concurrence dans son ensemble et aux procédures civiles. La Cour d’appel de l’Ontario a mené un examen approfondi de l’évolution du droit de la concurrence et de ses ramifications internationales. Rien n’empêche l’application d’une méthode similaire au présent dossier. De ce fait, l’argument de Iovate de radier pour ce motif n’est pas accueilli.

 

Détails

 

  • [45] Iovate sollicite des détails sur divers paragraphes du plaidoyer. Par exemple, les paragraphes 46, 47 et 59 du plaidoyer font référence à des [Traduction] “suppléments nutritifs”, à [Traduction] “l’industrie des produits de santé et des suppléments”, [Traduction] “au Canada et ailleurs”, à une [Traduction] “instrumentalisation” et à des gestes posés pour [Traduction] “usurper des parts de marché”. Le groupe Iovate allègue que ces constructions lexico-grammaticales sont d’une portée trop générale et imprécise, et exigent d’être étayées par des détails. Cependant, il convient de souligner que Iovate, dans sa demande introductive, parle de [Traduction] “supplément” et de [Traduction] “suppléments nutritifs”. Si Iovate emploie ces mots, pourquoi demande-t-elle des détails sur leur sens? À mon avis, les détails ne sont pas nécessaires pour permettre à Iovate de répondre au plaidoyer.

 

  • [46] Le paragraphe 90 du plaidoyer renvoie spécifiquement à des cessions de brevets. Iovate sollicite des détails sur les parties aux cessions. Il n’est pas nécessaire d’identifier les cédants comme parties au litige. Pour appuyer cette proposition, Allmax se fonde sur une décision du juge Strayer, de cette Cour, sur Procter & Gamble Co. c. Kimberley-Clarke du Canada Ltd., (1986), 12 C.P.R. (3d) 430 (C.F.P.I.). Bien que je ne considère pas cet arrêt comme secourable à appuyer la proposition, je ne suis pas persuadé que les cédants doivent être identifiés comme parties au litige. Il n’est pas allégué qu’ils ont participé au complot.

 

  • [47] Enfin, Allmax affirme que des détails ne sont pas requis par Iovate pour répondre adéquatement au plaidoyer. Aucune preuve n’a été présentée par Iovate pour démontrer l’insuffisance des renseignements dont elle dispose pour plaider en réponse.

 

  • [48] À mon avis, le plaidoyer est suffisamment détaillé, d’autant plus que certains détails ont été apportés, pour permettre au groupe Iovate de parvenir à plaider. Ainsi, après avoir examiné et pris en considération de tous les aspects du dossier pour lesquels des détails ont été demandés, cette réparation est refusée.

 

Modifications apportées à la Loi sur la concurrence

 

  • [49] Ultérieurement à l’audience de la présente motion, la Loi sur la concurrence a été modifiée. Puisque la permission est accordée de modifier le plaidoyer découlant des présents motifs, Allmax reçoit aussi l’autorisation de plaider d’après les modifications apportées à la Loi sur la concurrence.

 

Compétence de la Cour fédérale

 

  • [50] L’argument ultime présenté par Iovate est que le contrat entre Iovate et les sociétés auxquelles appartenaient les magazines ne fait pas l’objet d’une réclamation découlant des brevets appartenant à la Cour. Iovate affirme, en se fondant sur Innotech Pty. Ltd. c. Phoenix Rotary Spike Harrow Ltd. Et al. (1997), 215 N.R. 397 (F.C.A.) qu’une telle demande, si elle doit progresser, doit être traitée dans une cour provinciale. Dans cette décision, le juge Strayer relève ce qui suit à la page 398 :

En soi, la demande reconventionnelle pourrait être présentée de manière indépendante à titre d'action en violation de contrat et, en tant que telle, elle ne relève pas de la compétence de la Cour. Pour paraphraser l'arrêt Kellogg c. Kellogg, l'action principale vise essentiellement l'application d'un brevet. Cette demande peut être tranchée sur la base de la déclaration et de la défense et, accessoirement à la décision au sujet de la licence, il se peut bien que son existence, ses modalités et sa validité doivent être examinés. Mais la demande reconventionnelle doit être considérée comme une action distincte concernant principalement une demande découlant de la violation du contrat alléguée.

Comme l'a bien démontré l'avocat de l'intimé, il est fort possible que cette conclusion entraîne des inconvénients. Mais ces inconvénients ne peuvent fonder la compétence de la Cour.

 

 

  • [51] Dans ce dossier, la demande reconventionnelle semble avoir été considérée comme une cause indépendante d’action. Dans le présent dossier, la demande reconventionnelle du plaidoyer est une demande accessoire liée à un délit ou à un contrat émanant de l’application des brevets. Tel que l’a conclu le juge Harrington de la Cour dans Areva NP GmbH c. Atomic Energy du Canada Ltd. [2006] F.C.J. No. 1208 :

[16] Énergie atomique ne prétend pas que la Cour n’a pas compétence, dans la mesure où l’instance constitue une action en contrefaçon de brevet. L’instance satisfait facilement au critère juridictionnel à trois volets établi par la Cour suprême du Canada notamment dans les arrêts Canadien Pacifique Limitée c. Quebec North Shore Paper Co., [1977] 2 R.C.S. 1054 et ITO‑International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, à savoir que le litige doit tomber dans une catégorie de sujets à l’égard desquels le Parlement a compétence législative, qu’il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige, et que l’administration de ces règles de droit a été confiée à la Cour fédérale.

 

[17]. Le paragraphe 91(22) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement le pouvoir de légiférer sur les « brevets d’invention et de découverte », le Parlement a promulgué la Loi sur les brevets, qui traite expressément de la contrefaçon, et il a conféré à la Cour fédérale la compétence sur cette question en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[18]. Énergie atomique fait valoir que la déclaration initiale associait deux causes d’action : la contrefaçon de brevet, pour laquelle la Cour a compétence, et la violation de contrat, pour laquelle elle ne l’a pas. Au moment de l’audition de la requête en radiation, la déclaration avait bien changé. Les conclusions relatives à la violation de contrat avaient été abandonnées, mais les allégations concernant le contrat subsistaient pour étayer les nouvelles conclusions sollicitant des dommages‑intérêts punitifs et exemplaires. Énergie atomique maintient que le long historique des relations contractuelles entre les parties devrait être radié, non seulement parce qu’il est sans pertinence, une question sur laquelle nous reviendrons plus loin, mais aussi du fait que, pour pouvoir adjuger des dommages-intérêts exemplaires et punitifs, la Cour devrait conclure à la violation du contrat, un contrat à l’égard duquel la Cour n’a pas compétence.

 

[19]. J’estime que les paragraphes en cause ne devraient pas être radiés pour motifs d’ordre juridictionnel, et ce pour deux raisons. En premier lieu, il n’est pas « évident et manifeste » que les contrats concernés échappent à la compétence de la Cour. Deuxièmement, même si de fait ils ne relèvent pas de la compétence de la Cour, Areva pourrait néanmoins plaider que la conduite d’Énergie atomique au regard des contrats peut justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, si la Cour concluait qu’il y a eu contrefaçon du brevet.

 

  • [52] À mon avis, cette observation est très opportune. Je ne suis pas disposé, devant les circonstances, d’établir que la Cour n’est pas compétente pour trancher sur les allégations du plaidoyer, puisque le moyen de les plaider découle des allégations de contrefaçon. Si d’autres appuis doivent être apportés à cette conclusion, l’explication du juge en chef adjoint de la Cour fédérale du Canada, qui était alors le juge Jerome, dans Titan Linkabit Corp c. S.E.E. Voir Electronic Engineering Inc., [1992] F.C.J. No. 807 constitue un appui considérable. Dans ce dossier, le juge Jerome observe, à la page 3 [Traduction] :

Les litiges en propriété intellectuelle visant des désaccords contractuels ne sont pas rares. Ils n’entravent pas la compétence de la Cour, pourvu que l’objet de l’action vise principalement un brevet, une marque de commerce ou un droit d’auteur.

 

  • [53] Dans le présent dossier, la demande principale est liée à une contrefaçon de brevet. Les moyens de défense et les causes d’action soulevées dans le plaidoyer découlent tous de l’application des droits de brevet. Ainsi, à la présente date, ces demandes sont autorisées à demeurer.

 

 

 

 

Conclusion

 

  • [54] Allmax est autorisée à modifier le plaidoyer conformément à ces motifs. Par souci de clarté, les renvois à l’article 50 de la Loi sur la concurrence sont radiés sans autorisation de modifier. Iovate bénéficiera d’une prolongation de 30 jours du délai suivant la réception du plaidoyer modifié pour déposer son plaidoyer en réponse. J’exprime mes remerciements aux avocats pour leurs présentations orales et écrites minutieusement préparées et très utiles.

 

  • [55] Puisque les arguments des deux parties ont été accueillis, aucune ordonnance n’est délivrée sur les dépens.

 

 


 

ORDONNANCE

 

  LA COUR STATUE que :

 

  1. Les renvois au paragraphe 61(6) et à l’article 50 de la Loi sur la concurrence dans la défense et la demande reconventionnelle modifiées sont par les présentes radiés sans autorisation de modifier.

 

  1. Les défendeurs/Demandeurs reconventionnels bénéficieront d’une autorisation de modifier la défense et la demande reconventionnelle modifiées conformément aux présents motifs de décision. La défense et la demande reconventionnelle modifiées seront signifiées et déposées :

    • (i) dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, ou

    • (ii) à la disposition définitive de tout appel de la présente ordonnance, ou

    • (iii) selon ce qui sera mutuellement convenu entre les parties.

 

  1. Le demandeurs/Défendeurs reconventionnels signifieront et déposeront leur réponse et défense reconventionnelle dans les 30 jours après avoir reçu signification de la défense et de la demande reconventionnelle modifiées conformément aux présents motifs de décision.

 

  1. Le reste de la motion présentée par les demandeurs/défendeurs reconventionnels est débouté.

 

  1. Aucune ordonnance n’est délivrée sur les dépens.

 

“Kevin R. Aalto”

Protonotaire

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :  T-2191-07

  T-724-08

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :  MULTI FORMULATIONS LTD., CELL   FORMULATIONS LTD., NEW CELL

FORMULATIONS LTD., PUMP FORMULATIONS LTD., SIX STAR FORMULATIONS LTD., MTOR FORMULATIONS LTD., MASS FORMULATIONS LTD., IML FORMULATIONS LTD., HALO FORMULATIONS LTD., HHC FORMULATIONS LTD., LEUKIC FORMULATIONS LTD. ET CANADIAN SUPPLEMENT TRADEMARK LTD.

  c.

ALLMAX NUTRITION INC., HEALTHY BODY SERVICES INC., RON TORCH ET MICHAEL KICHUK

ET ENTRE :

ALLMAX NUTRITION INC. ET HEALTHY BODY SERVICES INC.

c.

MULTIFORMULATIONS LTD., CELL FORMULATIONS LTD., NEW CELL FORMULATIONS LTD., PUMP FORMULATIONS LTD., SIX STAR FORMULATIONS LTD., MTOR FORMULATIONS LTD., MASS FORMULATIONS LTD., IML FORMULATIONS LTD., HALO FORMULATIONS LTD., HHC FORMULATIONS LTD., LEUKIC FORMULATIONS LTD., CANADIAN SUPPLÉMENT TRADEMARK LTD., IOVATE HEALTH SCIENCES INTERNATIONAL INC., IOVATE HEALTH SCIENCES INC., TERRY BEGLEY ET PAUL TIMOTHY GARDINER

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 18 novembre 2008

 

MOTIFS DE DÉCISION :  LE PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS :  Le 27 avril 2009

COMPARUTIONS :

 

Me Linda Plumpton

Me Sandeep Joshi

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Marghurite Ethier

Me Naomi Loewith

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

TORY'S LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

LENCZER SLAUGHT ROYCE GRIFFEN

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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