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Date : 20090508

Dossier : IMM-4045-08

Référence : 2009 CF 478

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

EVELIA MUNOZ

JORGE OMAR REYNA MUNOZ

RAMSES IVAN REYNA MUNOZ

EDGAR JONATHAN REYNA MUNOZ

MIRIAM ANGELICA REYNA MUNOZ

SERGIO AXEL REYNA MUNOZ

IRAZU ESMERALDA REYNA MUNOZ

JENNIFER YOSELI REYNA MUNOZ

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 21 août 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le Tribunal), de ne pas leur reconnaître la qualité de « réfugiés », ni celle de « personnes à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi et, en conséquence, d’avoir rejeté leur demande d’asile.

 

II          Les faits

 

[2]               La demanderesse principale, madame Evelia Munoz, ses trois fils, Jorge Omar, Ramses Ivan et Edgar Jonathan, ses deux filles, Miriam Angelica et Irazu Esmaralda, son petit-fils Sergio Axel et sa petite-fille, Jennifer Yoseli, citoyens mexicains, arrivent tous au Canada le 6 août 2006, à l’exception de Jorge Omar qui les a déjà précédés, pour réclamer l’asile.

 

[3]               Le 13 octobre 2003, Jorge Omar, aurait été témoin d’un vol d’outils par une bande de jeunes délinquants à la quincaillerie où il travaillait. Attaqué subséquemment par deux membres de cette bande, Jorge Omar aurait porté plainte contre les individus en question, qui auraient été arrêtés suite à une enquête policière.

 

[4]               Le 20 février 2006, Jorge Omar et sa sœur Myriam Angelica auraient entendu des coups de feu dirigés vers la maison et des menaces de mort proférées contre lui. La police aurait refusé d’accepter leur dénonciation au motif qu’il leur fallait trois témoins.

 

 

[5]               Suite à ce dernier événement, Jorge Omar quitte le Mexique pour le Canada et demande l’asile.

 

[6]               En août 2006, le fils mineur de la demanderesse principale, Ramses Ivan aurait été entouré de huit jeunes qui auraient voulu le violer près de son école. Informée de l’incident, la directrice de l’école aurait assuré une surveillance accrue autour de l’école et de la maison des demandeurs.

 

[7]               En cours d’audition, la demanderesse principale ajoute à son récit initial et déclare aussi craindre Salvador Perez Juarez, un ami de longue date qui lui aurait proféré des menaces de mort trois ou quatre fois dans les derniers six mois précédant son départ du Mexique. Elle ajoute aussi craindre son ex-conjoint, Jesus Reyna Palomo, à qui elle reproche d’avoir abusé sexuellement d’elle et ses enfants lorsque ceux-ci étaient en bas âge. Notons toutefois que malgré ses reproches à l’ex-conjoint, la demanderesse principale et celui-ci ont continué à habiter sous le toit du même édifice après leur divorce en 1996. Ces nouvelles révélations faites en cours d’audition n’apparaissent nulle part dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse principale, et pas plus dans les notes d’immigration.

 

III.       Décision contestée

 

[8]               Après une analyse détaillée de la preuve, le Tribunal conclut dans sa décision que le récit des demandeurs n’est pas crédible et qu’ils ne se sont pas déchargés du fardeau de démontrer qu’ils possèdent la qualité de « personnes à protéger » et une « crainte raisonnable de persécution » advenant leur retour au Mexique.

 

IV.       Question en litige

 

[9]               La Commission a-t-elle commis une erreur déraisonnable en décidant que le récit à la base de la réclamation des demandeurs n’est pas crédible, et qu’ils n’ont pas par ailleurs droit à la protection demandée vu la possibilité d’un refuge interne (PRI) ?

 

V.        Analyse

 

Norme de contrôle applicable

[10]           La décision du Tribunal repose sur l’absence de crédibilité du récit de la demanderesse principale. Il est bien établi que l’évaluation de la crédibilité des témoins relève de la compétence du Tribunal et que celui-ci possède une expertise pour analyser et apprécier les questions de fait lui permettant d’évaluer la crédibilité ainsi que la crainte subjective de persécution d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 14).

 

[11]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire portant sur des questions de crédibilité, il convient d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable définie par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. De sorte que la Cour doit faire montre d’une grande retenue, puisqu’il appartient au Tribunal d’apprécier le témoignage d’un demandeur et d’évaluer sa crédibilité. Si les conclusions du Tribunal sont raisonnables, il n’y a pas lieu d’intervenir. Toutefois, la décision du Tribunal doit s’appuyer sur la preuve; elle ne doit pas être prise arbitrairement sur la base de conclusions de faits erronées ou en ignorant des éléments de preuve importants présentés (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38).

 

Possibilité d’un Refuge interne (PRI)

[12]           Les demandeurs devaient démontrer, selon la balance des probabilités, qu’il n’existait pour eux aucune possibilité d’un refuge interne dans leur pays d’origine (Thirunavukkarasuc. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 163 N.R. 232 (C.A.). Le Tribunal conclut cependant que non seulement les demandeurs n’ont pas démontré qu’il serait déraisonnable pour eux d’aller vivre dans les villes de Mexico DF, Guadalajara, Tijuana, Monterrey ou Cancun, mais plus encore, ils n’ont jamais considéré sérieusement la moindre possibilité d’un refuge interne. Il leur appartenait pourtant de prouver tous les éléments de leur demande, y compris le fait qu’il serait déraisonnable ou trop difficile pour eux de se réfugier dans leur pays d’origine (Règle 7 des Règles la Section de la protection des réfugiés SOR/2002-228; Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 862; Akhtar v. M.C.I., 2004 FC 1319; Taha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1675).

 

[13]           Il est aussi bien établi que l’existence d’une PRI valide tranche la demande d’asile et, conséquemment, que les autres questions soulevées par les demandeurs dans le cadre de leur demande de contrôle judiciaire n’ont pas à être examinées (Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 445 au paragraphe 17; Sran v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 145 au paragraphe 11).

 

[14]           Le Tribunal ici est satisfait qu’il n’existe pour les demandeurs, selon la balance des probabilités, aucune possibilité sérieuse de persécution dans l’un des PRI s’offrant à eux. La Cour conclut qu’il ne fût pas déraisonnable ou irréaliste pour le Tribunal de conclure ainsi, de requérir que les demandeurs se prévalent des PRI de leur pays avant de réclamer l’asile à l’étranger, et de ne pas les considérer comme des réfugiés aux termes de la Convention, ni comme des personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi. La décision du Tribunal quant à l’existence pour les demandeurs d’un refuge interne rencontre le test énoncé dans les arrêts Thirunavukkarasu, précité, et Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), et suffit pour entraîner le rejet de leur demande d’asile.

 

[15]           Les demandeurs reprochent au Tribunal de n’avoir pas considéré, lors de son analyse, si le fait pour eux de chercher refuge dans leur pays les aurait protégés contre la violence qu’ils désirent éviter. Ils oublient ici la présomption de protection de l’État qu’ils n’ont pas réussi à repousser. Et comme ils n’ont fait aucun effort pour trouver un refuge interne, on ne saura jamais si le fait de l’avoir fait les aurait protégés contre la violence qu’ils ont voulu éviter en venant demander l’asile au Canada.

 

 

            Protection de l’État

[16]           De plus, et à moins que les demandeurs réussissent à établir le contraire, la Cour doit présumer que le Tribunal a considéré toute la preuve (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.). Or, comme les demandeurs n’ont offert aucune preuve crédible permettant au Tribunal de conclure qu’ils feraient face au même risque en cherchant refuge ailleurs dans leur pays, la Cour ne voit aucun motif pouvant justifier son intervention sur la question du PRI.

 

[17]           Contrairement aux prétentions des demandeurs, la preuve permettait au Tribunal de conclure que la protection de l’État mexicain leur était disponible et qu’ils en ont d’ailleurs bénéficié suite à certains évènements allégués, voir : l’attaque contre le demandeur Jorge Omar, d’août 2006, suivie d’une enquête de la police, d’une arrestation et même d’un emprisonnement des agresseurs; l’agression sexuelle d’août 2006 par huit jeunes près de l’école du demandeur Ramses Ivan, suivie elle aussi de l’intervention de la directrice d’école et d’une surveillance par la police de l’école et de la maison de la demanderesse principale pendant plusieurs semaines.

 

[18]           Il est reconnu qu’en l’absence d’un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le revendicateur; la présomption s’avère ici bien fondée puisque la preuve révèle que certains demandeurs ont été protégés lorsqu’ils l’ont requis.

 

[19]           Il est aussi accepté qu'une preuve documentaire générale sur les conditions dans le pays d'origine ne suffit pas pour réfuter cette présomption (Sholla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1299, 2007 CF 999 et, Canada (Procureur général) c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689). La protection offerte par l'État ne doit pas nécessairement être « parfaite » (Canada Ministre de l’Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (QL) au paragraphe 7). Or, c’est précisément ce type de preuve que les demandeurs se sont contentés d’offrir. Aucun pays, même les plus grandes démocraties ne peuvent garantir la sécurité de leurs ressortissants en tout temps et en tous lieux; il suffit que des mesures de protection raisonnables aient été mises en place par l’État.

 

[20]            Il revient ensuite aux citoyens non seulement de se prévaloir de ces mesures, mais aussi de recourir à des moyens raisonnables pour assurer leur propre sécurité, telle la recherche d’un refuge interne dans leur pays.

 

[21]           Lorsqu’un demandeur vit dans un État démocratique, comme le Mexique, l’obligation devient plus grande pour lui de rechercher d’abord la protection de cet État. En conséquence, il doit démontrer qu’il a cherché à épuiser tous les recours raisonnables disponibles dans son pays pour obtenir la protection interne nécessaire, avant de songer à rechercher celle d’un autre pays (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, (C.A.F.)).

 

[22]           Les demandeurs n’ont offert ici aucune raison ou preuve à l’effet que l’État mexicain ne pouvait, dans leur cas personnel, les protéger adéquatement. La preuve indique plutôt qu’ils ont obtenu une protection lorsqu’ils l’ont requise. Le Tribunal était bien fondé dans les circonstances à conclure que les demandeurs « n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État par une preuve claire et convaincante ».

 

La crédibilité 

[23]           La conclusion à laquelle en arrive la Cour sur les deux premières questions ci-haut analysées suffit pour entraîner le rejet du présent recours sans qu’il soit pour autant nécessaire de commenter les conclusions du Tribunal touchant à la crédibilité des demandeurs.

 

[24]           Constatons néanmoins que le Tribunal a conclu au manque de crédibilité des demandeurs en raison de plusieurs contradictions, d’omissions importantes en plus de faire certaines allégations non corroborées sans fournir d’explication satisfaisante, et qu’il était de son ressort et de son expertise de conclure comme il l’a fait, pour les motifs qu’il prend soin d’indiquer dans sa décision.

 

[25]           Les conclusions d’absence de crédibilité tirées par le Tribunal s’appuient sur la preuve, sont raisonnables et méritent la déférence de cette Cour.

 

VI.       Conclusion

 

[26]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que la décision visée par le présent recours est plus que justifiée, tant en fait qu’en droit, et ne contient aucune erreur suffisamment importante pour justifier l’intervention de cette Cour. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[27]           Et puisqu’aucune question importante de portée générale n’a été proposée ou mérite de l’être, aucune question ne sera certifiée.

 

 


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4045-08

 

INTITULÉ :                                       EVELIA MUNOZ ET AL.  c. M.C.I.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 8 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manuel Centurion

 

POUR LES DEMANDEURS

Geneviève Bourbonnais

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Manuel Centurion

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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