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Cour fédérale

Federal Court


 

Date : 20090512

Dossier : T-1633-07

Référence : 2009 CF 495

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

SURESH KHIAMAL

demandeur

 

 

et

 

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

et GREYHOUND CANADA TRANSPORTATION CORPORATION

 

défenderesses

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par Suresh Khiamal (M. Khiamal ou le demandeur) en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a rejeté sa plainte de discrimination dans l’emploi fondée sur la race, l’origine ethnique ou nationale et la couleur.

 

[2]               M. Khiamal, employé de longue date de Greyhound Canada Transportation Corporation (Greyhound ou la défenderesse), a posé sa candidature en réponse à une offre d’emploi de contremaître de la maintenance pour le quart de nuit. Greyhound a reçu en entrevue le demandeur ainsi qu’un autre candidat qui ne faisait pas partie d’une minorité et a offert le poste à ce dernier.

 

[3]               M. Khiamal a déposé une plainte contre Greyhound devant le Tribunal. Il alléguait qu’il avait été victime de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, l’âge et la déficience. Le Tribunal a convenu que le demandeur avait établi l’existence de discrimination à première vue, mais il a estimé que les actes reprochés étaient attribuables à de l’animosité sur les lieux de travail et non à de la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur. M. Khiamal sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. Il ne conteste pas le volet de la décision du Tribunal rejetant son allégation de discrimination fondée sur l’âge ou la déficience.

 

[4]               La question en litige est celle de savoir si le Tribunal a commis une erreur en rejetant l’allégation de discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique ou nationale et la couleur formulée par le demandeur contre la défenderesse lors de l’embauche d’un contremaître de la maintenance pour le quart de nuit au garage d’Edmonton.

 

[5]               Je conclus que la décision du Tribunal est entachée d’erreurs telles qu’il est justifié de lui renvoyer l’affaire sans limiter les questions à trancher lors du réexamen. Voici mes motifs en réponse à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

CONTEXTE

[6]               Âgé de 58 ans, M. Khiamal est d’origine sud-asiatique. Il a été nommé chef d’équipe à plusieurs reprises au cours de ses 22 années de service chez la défenderesse. Les tâches du chef d’équipe ressemblent à celles du contremaître, c’est-à-dire que le chef d’équipe supervise les autres mécaniciens pour veiller à ce que le travail nécessaire soit fait.

 

[7]               En juillet 2002, en réponse à une offre d’emploi, M. Khiamal a postulé au poste de contremaître de la maintenance pour le quart de nuit (contremaître) au garage d’Edmonton de Greyhound. L’entrevue a été menée par un gestionnaire de la maintenance, Steven Watson (M. Watson ou le gestionnaire) et par un contremaître, Chuck Seeley. Après avoir reçu le demandeur en entrevue, Greyhound a accordé le poste de contremaître en question à un autre candidat, Kenneth Mullan, un employé non issu d’une minorité.

 

[8]               M. Watson et le demandeur étaient amis lorsque M. Watson était un compagnon apprenti de M. Khiamal. Vers 1990, M. Watson est devenu contremaître, puis gestionnaire de la maintenance au garage d’Edmonton de Greyhound. Les rapports entre les deux hommes ont changé lorsque M. Watson est devenu le superviseur du demandeur.

 

[9]               Après la nomination de M. Mullan comme contremaître, le demandeur a porté plainte contre Greyhound, alléguant qu’il avait été victime de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, l’âge et la déficience parce qu’il n’avait pas été promu au poste de contremaître.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[10]           Le Tribunal a organisé les allégations du demandeur de la manière suivante :

1.   La première allégation concerne la demande d’emploi du plaignant pour le poste de contremaître de la maintenance pour les quarts de nuit et la décision de l’intimée de ne pas l’embaucher à ce poste. Le plaignant allègue que la décision de l’intimée est un acte discriminatoire fondé sur la déficience, l’âge, la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique.

 

2.   La deuxième allégation concerne une série d’incidents, ou de traits caractéristiques de ce que le plaignant a vécu au travail, qui constituent, selon le plaignant, du harcèlement fondé sur la race.

 

3.   La troisième allégation porte principalement sur les incidents mentionnés ci-dessus (c’est-à-dire le refus de l’intimée de permettre au plaignant de suivre de la formation et des cours). Le plaignant soutient que ce refus le défavorise et annihile ses chances d’emploi en raison de sa race.

 

Première allégation - L’offre d’emploi de juillet 2002 pour le poste de contremaître de la maintenance pour le quart de nuit

 

[11]           Le Tribunal a signalé que le demandeur avait 53 ans quand l’offre d’emploi a été affichée, alors que M. Mullan (le candidat retenu) en avait 43. Le Tribunal a constaté que rien ne permettait de penser que l’âge était un facteur qui avait été pris en compte dans le choix du contremaître de la maintenance. Le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas établi que son âge avait joué un rôle dans la décision prise par la défenderesse de ne pas retenir sa candidature. Le Tribunal a ensuite examiné la question de savoir si le demandeur avait établi l’existence à première vue de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur.

 

[12]           Le plaignant a témoigné devant le Tribunal que c’était la première fois qu’il postulait à un poste de contremaître depuis son arrivée au garage d’Edmonton en 1980, et que la raison pour laquelle il n’avait pas fait plus tôt était qu’il ne croyait pas que la défenderesse était prête à avoir [traduction] « un contremaître de couleur jusqu’à maintenant ».

 

[13]           On trouve ce qui suit dans la demande écrite soumise par le demandeur :

[traduction]

Après 22 ans de travail comme mécanicien/chef d’équipe, je fais une demande pour obtenir le poste de contremaître de la maintenance.

 

J’ai examiné les qualifications qu’il faut avoir pour le poste et je suis qualifié pour tous les éléments énumérés dans l’avis d’emploi. Si vous avez besoin de plus de renseignements, je les fournirai à votre demande.

 

Le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas fourni davantage de renseignements parce qu’il travaillait au garage d’Edmonton depuis 22 ans et que M. Watson était au courant de tous ses titres de compétence. Le Tribunal s’est dit d’avis que même si M. Watson ne pouvait se souvenir de tous les diplômes du demandeur, il était parfaitement au courant de la qualité de son travail et des autres qualités requises pour le poste de contremaître.

 

[14]           M. Mullan, le candidat retenu, a expliqué que les superviseurs menant l’entrevue le connaissaient assez bien puisqu’il travaillait à cet endroit depuis cinq ans.

 

[15]           Le Tribunal a entendu des témoins affirmer que le demandeur était hautement qualifié et très consciencieux dans son travail, qu’il interagissait bien avec ses collègues et qu’il avait des qualités de leadership. Il avait 17 ans d’ancienneté de plus que l’autre candidat, M. Mullan, qui était perçu par ses collègues de travail comme quelqu’un qui n’avait pas autant de connaissances que le demandeur, ne se montrait pas aussi coopératif et n’était pas aussi compétent que lui.

 

[16]           Le Tribunal a estimé qu’il disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur était qualifié pour le poste de contremaître, que M. Mullan était moins qualifié ou n’était pas plus qualifié que le demandeur et que la caractéristique distinctive entre les deux candidats était la race. Le Tribunal a jugé que le demandeur avait établi l’existence de discriminatoire à première vue.

 

[17]           Le Tribunal a déclaré qu’il incombait à la défenderesse d’expliquer pourquoi ses agissements n’étaient pas discriminatoires. La défenderesse a invoqué quatre raisons pour expliquer pourquoi le poste de contremaître avait été donné à M. Mullan :

·        M. Mullan était le meilleur candidat pour le poste;

·        L’embauche de M. Mullan au poste de contremaître permettait à la défenderesse de s’adapter à sa déficience physique;

·        La décision d’embaucher M. Mullan a été prise par des personnes du bureau de Calgary;

·        À supposer que le demandeur ait été traité injustement au cours du processus de sélection pour le poste, cela était dû à l’animosité personnelle entre le demandeur et M. Watson, ce qui n’avait rien à voir avec de la discrimination.

 

[18]           Le Tribunal a rejeté l’explication de la défenderesse suivant laquelle M. Mullan était le meilleur candidat pour le poste. La défenderesse n’a pas réussi à démontrer que M. Mullan était plus qualifié que le demandeur.

 

[19]           La défenderesse a fait valoir que le fait de nommer M. Mullan, qui souffre d’arthrite, au poste moins exigeant physiquement de contremaître était une façon de s’adapter à sa déficience. M. Mullan a toutefois affirmé catégoriquement que son arthrite ne l’empêchait pas d’accomplir toutes les tâches incombant au mécanicien de machinerie lourde et qu’il ne se considérait pas comme une personne ayant une déficience, ajoutant qu’il n’avait pas demandé le poste de contremaître à titre d’accommodement. Le Tribunal s’est dit d’avis que l’explication de la défenderesse selon laquelle elle avait embauché M. Mullan au poste de contremaître dans le but de s’adapter à sa déficience n’était qu’un prétexte.

 

[20]           La défenderesse a tenté de démontrer que l’embauche de M. Mullan n’était pas discriminatoire parce que la décision avait été prise par des gestionnaires à Calgary. Le Tribunal s’est dit d’avis que MM. Seeley et Watson avaient arrêté leur choix sur M. Mullan et qu’ils avaient fait part aux gestionnaires de Calgary de leurs conclusions à la suite des entrevues de manière à ce que ce soit bien M. Mullan qui soit embauché. Le Tribunal a rejeté cet argument de la défenderesse.

 

[21]           La défenderesse a affirmé que M. Watson et le demandeur avaient eu des conflits par le passé et que la décision de ne pas engager M. Khiamal était motivée par leurs différends personnels et non par un motif de distinction illicite.

 

[22]           Le Tribunal a conclu que la preuve étayait la conclusion selon laquelle M. Watson ne voulait pas avoir affaire au demandeur plus souvent en raison du conflit entre les deux hommes et de l’animosité qui en découle. Le Tribunal a également relevé que « [le demandeur], pour sa part, a l’impression d’avoir été victime de l’animosité que le superviseur Steven Watson lui témoignait, ce qui semble justifié, compte tenu de la preuve ».

 

[23]           Le Tribunal a estimé que « [c]ompte tenu de leurs liens personnels étroits, la prépondérance de la preuve donne à penser que les tensions survenues entre eux n’étaient pas de nature discriminatoire ». Le Tribunal a conclu que le conflit personnel entre le demandeur et M. Watson avait influencé de manière inappropriée le processus de sélection pour le poste de contremaître.

 

[24]           Le Tribunal a entendu des témoignages détaillés au sujet d’un conflit survenu au travail en 1992 entre M. Watson et le demandeur. Le Tribunal a conclu que cet incident était trop lointain pour avoir joué un rôle lors de l’embauche en 2002.

 

[25]           Le Tribunal a accepté qu’on puisse déduire l’existence d’un lien entre l’acte reproché et la discrimination à partir d’une preuve circonstancielle, mais il a ajouté que la conclusion de discrimination devait être plus probable que toute autre conclusion possible. Le Tribunal a finalement conclu qu’il n’y avait pas de lien entre l’acte à l’étude ─ la décision d’engager M. Mullan plutôt que le demandeur ─ et un motif de distinction illicite.

 

[26]           Le Tribunal a cité la décision Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9, aux paragraphes 132, 164, 165 et 169, à l’appui de l’affirmation que la protection prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. 1985, ch. H-6, (la LCDP) ne peut pas être invoquée lorsque les difficultés qu’a subies le plaignant au travail ne sont dues qu’à un conflit de personnalité avec un superviseur.

 

[27]           Le Tribunal a estimé que même si le demandeur avait établi que le processus de sélection semblait à première vue entaché de discrimination, l’acte discriminatoire reproché s’expliquait de façon satisfaisante par l’animosité personnelle qui existait entre M. Watson et le demandeur. Le Tribunal a conclu que cette animosité était « issue de l’interaction entre les deux hommes ainsi que de leurs cheminements de carrière différents » (reprenant ainsi les expressions employées dans la décision Hill) et qu’elle n’avait rien à voir avec la race du demandeur. Suivant le Tribunal, la défenderesse avait été en mesure de fournir une explication raisonnable autre que la discrimination fondée sur la race pour justifier sa décision de ne pas retenir la candidature du demandeur.

 

Deuxième allégation - Harcèlement passé et présent de la part de collègues et des gestionnaires

[28]           Le demandeur a présenté des éléments de preuve relativement à huit incidents ou traits caractéristiques illustrant ce qu’il avait vécu au travail et qui, selon lui, constituaient du harcèlement fondé sur la race au sens de l’article 14 de la LCDP :

·        Le harcèlement en milieu de travail que lui a fait subir le contremaître de l’époque, Bruce Morrison, à partir de 1984;

·        Les fausses accusations d’avoir proféré des menaces contre M. Watson en 1992;

·        Les modifications apportées délibérément à l’horaire des vacances du demandeur en 2000;

·        La menace de M. Watson de congédier le demandeur s’il obtenait le poste de contremaître;

·        Le harcèlement dont le demandeur a fait l’objet de la part d’un compagnon de travail;

·        Le refus de permettre au demandeur de suivre des cours de formation;

·        Les heures supplémentaires refusées;

·        La discrimination passée et présente au travail.

 

Le harcèlement en milieu de travail que lui a fait subir le contremaître de l’époque, Bruce Morrison, à partir de 1984

 

[29]           Le demandeur a introduit des éléments de preuves relativement à du harcèlement qu’il aurait subi au travail de la part du contremaître de l’époque, lequel harcèlement aurait commencé en 1984 et se serait poursuivi pendant plusieurs années. Le demandeur a déposé contre la défenderesse une plainte officielle en matière de droits de la personne, également fondée sur l’âge, la race et la déficience. Cette plainte a été rejetée en 1994. Le Tribunal a estimé que ces incidents ne pouvaient être considérés comme des actes de harcèlement.

 

Les fausses accusations d’avoir proféré des menaces contre M. Watson en 1992

[30]            M. Watson a déposé une plainte en bonne et due forme contre le demandeur à la suite de leur altercation du 11 mars 1992. Le demandeur a admis que l’incident avait eu lieu, mais il a déclaré n’avoir pas fait l’objet de mesure disciplinaire. Le Tribunal a dit préférer le témoignage de M. Watson. Il a fait observer qu’en raison de leur ancienne amitié, M. Watson avait eu une réaction assez émotive et avait longuement hésité avant de signaler un incident qui entraînerait des mesures disciplinaires pour le demandeur. Le Tribunal a estimé que l’incident s’était bien produit de la façon décrite par M. Watson et que le demandeur avait effectivement reçu une réprimande.

 

[31]           Le Tribunal a conclu que l’incident n’avait rien à voir avec de la discrimination fondée sur la race et qu’il découlait plutôt de l’animosité personnelle entre M. Watson et le demandeur. À l’audience, l’un et l’autre ont nié l’existence de toute animosité entre eux, mais le Tribunal a estimé que cette animosité ressortait clairement de leur témoignage respectif.

 

Les modifications apportées délibérément à l’horaire des vacances du demandeur en 2000

[32]           En raison de son ancienneté au garage d’Edmonton, le demandeur pouvait choisir le premier ses dates de vacances. Le demandeur a raconté qu’il avait remis sa demande à M. Seeley et que M. Watson lui avait téléphoné pour lui signaler qu’il avait demandé des vacances pour la mauvaise année. Le document dans lequel M. Khiamal demandait des vacances du 17 au 30 juin 2000 avait été modifié. Le dernier zéro du chiffre 2000 avait été biffé et remplacé par le chiffre « 1 ». Aucune preuve n’a été produite concernant la personne qui pourrait être responsable de la modification.

 

[33]           Le demandeur a protesté et a consulté un dirigeant syndical ainsi qu’un directeur principal des relations avec les employés. Le Tribunal a conclu que la demande de vacances du demandeur avait été modifiée et a estimé que les gestionnaires n’avaient pas agi convenablement pour remédier à la situation après avoir découvert que le demandeur n’avait pas modifié sa demande.

 

[34]           Le Tribunal a cependant précisé que, pour constituer du harcèlement au sens de l’article 14 de la LCDP, l’incident devait être fondé sur un motif de distinction illicite. Le Tribunal a ajouté que rien dans la preuve ne laisse croire que la modification apportée à la demande de vacances du demandeur ou la réaction des gestionnaires à la situation étaient fondées en tout ou en partie sur la race du demandeur.

 

La menace de Steve Watson de congédier le demandeur s’il obtenait le poste de contremaître

[35]           M. Watson a dit au demandeur qu’il le congédierait s’il obtenait le poste parce qu’il ne serait plus membre du syndicat. M. Watson nie avoir fait cette déclaration, mais l’incident a été corroboré par un témoin.

 

[36]           Le Tribunal a conclu que M. Watson avait effectivement fait cette déclaration. Le Tribunal a fait observer qu’il ne croyait pas que M. Watson blaguait lorsqu’il a formulé cette remarque. Toutefois, le demandeur a déclaré qu’il croyait que M. Watson [traduction] « faisait une farce » et qu’il n’était pas [traduction] « vraiment sérieux ». Selon le Tribunal, si le demandeur considérait la remarque comme étant une farce, on pouvait se demander s’il l’avait perçue comme étant [traduction] « malvenue ».

 

[37]           Le Tribunal a conclu que, même si les propos de M. Watson étaient malvenus et empoisonnaient le milieu de travail, il n’avait pas été démontré que la menace était liée à la race du demandeur ou qu’elle était fondée sur un autre motif de distinction illicite. Par conséquent, l’incident ne pouvait être considéré comme étant un exemple de discrimination.

 

Le harcèlement d’un compagnon de travail

[38]           Le demandeur a affirmé qu’en octobre 2005, un autre mécanicien l’avait harcelé au travail en l’affublant de sobriquets. Le demandeur a porté plainte par écrit et a reçu une lettre de l’enquêteur dans laquelle le mécanicien reconnaissait l’avoir harcelé et avoir agi contrairement à la politique sur les relations de Greyhound. Le demandeur a expliqué qu’il avait senti que le harcèlement était une mesure de représailles de la part de M. Watson pour avoir déposé une plainte en matière de droits de la personne.

 

[39]           Le Tribunal a conclu que l’impression du demandeur n’était que pure hypothèse et estimé qu’il n’avait pas démontré que cet incident pouvait être considéré comme étant un exemple de harcèlement au sens de l’article 14 de la LCDP.

 

Le refus de permettre au demandeur de recevoir des cours de formation

[40]           Le demandeur a raconté qu’en de nombreuses occasions, il avait demandé à suivre des cours spécialisés. Il a ajouté qu’en 2001, il s’était vu refuser la possibilité d’obtenir son permis de classe 2 et qu’il avait soupçonné M. Watson d’avoir influencé l’instructeur pour qu’il ne lui donne pas la note de passage quand, en 2003, il avait suivi et échoué le cours sur la climatisation.

 

[41]           Le Tribunal a conclu que la preuve révélait que le demandeur n’avait pas eu droit aux cours les plus longs qu’il avait demandés, mais il a rejeté l’allégation suivant laquelle le gestionnaire avait incité l’instructeur à lui faire échouer le cours sur la climatisation. Au sujet de l’obtention du permis de classe 2, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

Il n’est pas contesté que plusieurs mécaniciens ont obtenu leur permis de classe 2 et que, lorsque le [demandeur] a demandé à Steven Watson de suivre le cours, ce dernier lui a répondu qu’il avait suffisamment d’employés ayant la nouvelle classification. Il n’a jamais reçu cette formation et, encore aujourd’hui, il ne peut tester les autobus à moins qu’un employé ayant un permis de classe 2 l’accompagne. En tant que mécanicien ayant le plus d’ancienneté au garage, et agissant souvent à titre de chef d’équipe, il s’agit véritablement d’une restriction à sa capacité d’accomplir les tâches qu’il pouvait accomplir auparavant. Plusieurs mécaniciens, dont le [demandeur] en tant que chef d’équipe est le superviseur, possèdent maintenant ce permis de classe 2. 

 

Les heures supplémentaires refusées

[42]           Le demandeur a témoigné que M. Watson lui avait refusé la possibilité de faire des heures supplémentaires. Le Tribunal a conclu que, bien qu’il soit possible que le demandeur se soit parfois vu refuser la permission de faire des heures supplémentaires lorsqu’il l’avait demandé, son témoignage n’était pas clair quant aux dates et aux périodes en cause. Le Tribunal a estimé que le demandeur n’avait pas présenté de preuves suffisantes pour établir à première vue que la race avait joué un rôle dans les décisions de lui refuser la possibilité de faire des heures supplémentaires.

 

La discrimination passée et présente au travail

[43]           Le demandeur a soutenu qu’il y a [traduction] « de la discrimination partout ». Il a formulé des commentaires d’ordre général au sujet de ce qu’on disait dans son dos, mais il n’a rien allégué de précis. Le Tribunal a estimé que le demandeur n’avait pas établi que l’allégation générale de harcèlement avait un fondement apparent.

 

[44]           En somme, le Tribunal n’a pas estimé que les huit incidents constituaient du harcèlement au sens de l’article 14 de la LCDP. Il a expliqué qu’il doit y avoir, pour qu’il y ait harcèlement, un lien entre les actes malvenus et un motif de distinction illicite. Selon le Tribunal, rien dans la preuve ne permettait d’inférer l’existence d’un tel lien relativement à l’ensemble des huit incidents ni relativement à un sous-groupe de ces incidents.

 

Troisième allégation – Le refus de permettre au demandeur de recevoir de la formation et de suivre des cours

[45]           Le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pu suivre le cours pour obtenir un permis de classe 2 et le cours sur l’analyseur électronique et qu’il s’était vu, pendant plusieurs années, refuser l’autorisation de suivre le cours sur la climatisation. Le Tribunal a déclaré : « En fait, le manque de cours avait compromis la capacité du plaignant à faire son travail au garage d’Edmonton malgré son ancienneté et son expérience. Tous les cours en question ont été offerts à d’autres mécaniciens du garage d’Edmonton, souvent à ceux qui ont continué à travailler sous la supervision du plaignant ».

 

[46]           Le Tribunal a estimé que le demandeur avait prouvé que le gestionnaire avait, à première vue, systématiquement refusé de lui permettre de suivre des cours et de recevoir de la formation, ce qui avait nui à ses possibilités d’emploi. Le Tribunal s’est dit d’avis que la preuve révélait que le conflit personnel entre le demandeur et M. Watson avait influencé de manière inappropriée les décisions que M. Watson avait prises relativement à la formation et aux cours offerts au demandeur. Suivant le Tribunal, ce conflit personnel n’avait rien à voir avec la race, l’âge ou une déficience du demandeur.

 

[47]           En conclusion, le Tribunal a rejeté les trois allégations et n’a adjugé aucuns dépens.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[48]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.                  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la défenderesse avait expliqué de façon satisfaisante que les actes discriminatoires reprochés en matière d’embauche et de formation étaient uniquement attribuables à l’animosité entre le gestionnaire et le demandeur?

 

2.                  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en omettant d’examiner si la preuve permettait de conclure que les actes reprochés constituaient de la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur?

 

3.                  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en n’examinant pas les éléments de preuve d’ordre statistique portant sur la sous-représentation des minorités au sein des effectifs de la défenderesse?

 

NORME DE CONTRÔLE

[49]           Les questions en litige ont trait à l’application du critère légal de la discrimination aux faits de l’espèce. Le Tribunal devait d’abord déterminer les faits et ensuite appliquer le critère juridique de la discrimination aux actes reprochés pour pouvoir décider si ces actes constituaient de la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur. Il s’agit donc de questions mixtes de fait et de droit.

 

[50]           Dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 C.F. 653, aux paragraphes 24 à 27, la juge Tremblay-Lamer a expliqué que la norme de contrôle régissant l’application du critère légal du harcèlement sexuel à un ensemble de faits est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[51]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, la Cour suprême du Canada a expliqué que la norme de la décision raisonnable s’applique lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

 

[52]           Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal a entendu une preuve abondante au sujet des allégations de discrimination. Il était tenu d’apprécier la crédibilité des témoins et de tirer des inférences des éléments de preuve factuels portés à sa connaissance pour pouvoir se prononcer sur l’existence de discrimination. Je conclus que la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable.

 

[53]           Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[54]           Aux termes de la LCDP, la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, l’âge et la déficience constituent des motifs de distinction illicite. Voici les dispositions applicables :

 

Motifs de distinction illicite

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

Emploi

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.


Lignes de conduite discriminatoires

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

Harcèlement

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

c) en matière d’emploi.

 

Prohibited grounds of discrimination

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

Employment

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

Discriminatory policy or practice

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

Harassment

14. (1) It is a discriminatory practice,

(a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public,

(b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or

(c) in matters related to employment,

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

 

 

ANALYSE

La loi

[55]           La race, l’origine nationale ou ethnique et la couleur constituent des motifs de distinction illicite au sens de l’article 3 de la LCDP. L’article 7 prévoit que le fait de refuser de continuer d’employer un individu constitue un acte discriminatoire, si ce refus est fondé sur un motif de distinction illicite. L’article 14 prévoit que le fait de harceler un individu en matière d’emploi constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite.

 

[56]           Il incombe au demandeur d’établir l’existence de discrimination à première vue. Dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears, (O’Malley), [1985] 2 R.C.S. 536, le juge McIntyre écrit, au paragraphe 28, que la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du demandeur.

 

[57]           En règle générale, dans ce contexte, il suffit pour le plaignant de prouver qu’il possédait les qualités requises pour l’emploi en question, qu’il n’a pas été engagé et qu’une personne qui n’était pas plus qualifiée que lui mais qui n’avait pas la caractéristique distinctive du plaignant (c’est-à-dire la race, la couleur, etc.) a par la suite obtenu le poste (Shakes c. Rex Pak Limited (1982), 3 CHRR D/1001, à la page D/1002).

 

[58]           Si l’employeur fournit une explication raisonnable à l’égard d’un comportement par ailleurs discriminatoire, le demandeur doit alors démontrer que l’explication n’est qu’un prétexte et que le véritable mobile était discriminatoire.

 

[59]           Il est difficile de faire la preuve d’allégations de discrimination par des éléments de preuve directs. Ainsi que le Tribunal l’a fait observer dans la décision Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1988), 9 CHRR D/5029 (TCDP) :

La discrimination n’est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu’on puisse prouver par des preuves directes qu’un acte discriminatoire a été commis intentionnellement (à la page D/5038).

Le tribunal a donc l’obligation d’examiner l’ensemble des circonstances pour déterminer s’il existe ce qu’on a appelé, dans la décision Basi, de « subtiles odeurs de discrimination ».

 

[60]           La norme de preuve qui s’applique dans les affaires de discrimination est la norme civile habituelle de la prépondérance des probabilités. Dans son ouvrage Proving Discrimination in Canada, (Toronto, Carswell, 1987), à la page 142, Vizkelety expose dans les termes suivants le critère à appliquer lorsque des preuves circonstancielles sont présentées :

[traduction] On peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible.

 

[61]           Enfin, il n’est pas nécessaire que l’acte reproché ait été motivé par des considérations discriminatoires pour que le demandeur obtienne gain de cause. Il suffit que la discrimination soit un des facteurs qui ont joué dans la décision contestée prise en matière d’emploi (Holden c. Chemins de fer nationaux du Canada, [1990] A.C.F. no 419 (CAF).

 

Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la défenderesse avait expliqué de façon satisfaisante que les actes discriminatoires reprochés en matière d’embauche et de formation étaient uniquement attribuables à l’animosité entre le gestionnaire et le demandeur?

 

[62]           Le demandeur affirme que le Tribunal a commis une erreur en retenant l’explication de la défenderesse suivant laquelle le demandeur et M. Watson avaient par le passé entretenu une relation personnelle et que la détérioration de cette relation expliquait la conduite arbitraire et inopportune que M. Watson avait adoptée en refusant d’accorder au demandeur une promotion au poste de contremaître.

 

[63]           Le demandeur affirme que le Tribunal n’a pas examiné la question de savoir si la race était un facteur qui expliquait les tensions qui s’étaient manifestées entre M. Watson et le demandeur après que M. Watson eut obtenu une promotion.

 

[64]           La défenderesse soutient que la conclusion du Tribunal suivant laquelle la mauvaise relation personnelle antérieure entre M. Watson et le demandeur était la raison qui avait motivé la décision de la défenderesse de refuser d’accorder une promotion au demandeur est une conclusion de fait à l’égard de laquelle notre Cour doit faire preuve de retenue.

 

[65]           Suivant la défenderesse, le Tribunal a conclu de façon raisonnable que l’animosité qui existait entre le demandeur et M. Watson était attribuable à des facteurs personnels et n’était pas liée à la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique du demandeur. Cette conclusion reposait sur l’appréciation que le Tribunal avait faite de la preuve, et notamment sur le témoignage du demandeur et de M. Watson.

 

[66]           La défenderesse affirme que l’employeur n’encourt aucune responsabilité aux termes de la LCDP si les expériences négatives ou le traitement injuste subis par le plaignant découlent d’un conflit interpersonnel qui ne peut être rattaché à l’un des motifs de distinction illicite énumérés.

 

[67]           Il semble que le Tribunal ait estimé qu’étant donné les liens personnels étroits qui ont existé par le passé entre le demandeur et M. Watson, ce dernier ne pouvait avoir de parti pris défavorable fondé sur la race. En d’autres termes, le gestionnaire ne pouvait avoir un préjugé racial en raison de l’amitié étroite qu’il avait eue par le passé avec le demandeur. Cette analyse est simpliste.

 

[68]           Le Tribunal n’a pas tenu compte des autres explications possibles du changement survenu dans la relation personnelle entre les deux hommes après que M. Watson fut devenu le supérieur du demandeur. Le Tribunal doit évaluer la preuve sans restreindre prématurément son analyse à une seule théorie.  

 

[69]           Tout en relevant des exemples de traitement défavorable, le Tribunal a semblé exiger une preuve directe de discrimination. Le Tribunal n’a pas procédé à une analyse approfondie de la preuve pour déterminer si elle permettait de conclure à la discrimination.

 

[70]           Le Tribunal a relaté comment M. Watson s’était comporté envers le demandeur au cours du processus de sélection pour le poste de contremaître et il a exposé le critère qu’il appliquait :

 

81    De même, je crois que M. Watson a tenté de nuire à la candidature du plaignant en utilisant contre lui le conflit survenu au travail en 1992. Steven Watson a affirmé que tout employé, s’il le désire, a le droit d’examiner son propre dossier dans le bureau de M. Watson. Après examen de son dossier personnel, l’employé a le droit de détruire ou de faire détruire toute trace de mesure disciplinaire ou document semblable après cinq ans. Par conséquent, bien qu’un conflit se soit véritablement produit, il a eu lieu dix ans avant que le plaignant ne demande le poste de contremaître; l’incident s’était donc produit longtemps auparavant et n’était pas pertinent dans le cadre du concours. Malgré cela, des éléments de preuve démontrent que Steven Watson en voulait encore personnellement au plaignant en raison de cet incident. Compte tenu de leur amitié aigrie, il est plus que probable que ce soit le cas.

 

[82] La preuve étaye la conclusion selon laquelle M. Watson ne voulait pas avoir affaire au plaignant plus souvent, ce qui aurait été le cas si ce dernier avait été nommé contremaître, en raison du conflit survenu plusieurs années auparavant entre les deux hommes ainsi que de la suspicion et de l’animosité qui en ont découlé. Le plaignant, pour sa part, a l’impression d’avoir été victime de l’animosité que le superviseur Steven Watson lui témoignait, ce qui semble justifié, compte tenu de la preuve.

 

[83] Cependant, il faut qu’il y ait un lien entre l’acte à l’étude et un motif de distinction illicite. Le lien peut être déduit à partir d’une preuve circonstancielle, mais la conclusion de discrimination doit être plus probable que toute autre conclusion possible. À défaut de cela, le plaignant peut utiliser les autres recours qu’offrent le milieu de travail, le syndicat ou les tribunaux civils, mais il n’a pas satisfait au critère permettant de prouver le bien-fondé de sa plainte en matière des droits de la personne.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[71]           Le Tribunal s’est fondé sur la décision Hill pour affirmer que l’employeur n’encourt aucune responsabilité aux termes de la LCDP si les expériences négatives ou le traitement injuste subis par le plaignant découlent d’un conflit interpersonnel qui ne peut être rattaché à l’un des motifs de distinction illicite énumérés. La situation factuelle de l’affaire Hill se distingue toutefois aisément de celle de l’affaire qui nous occupe.

 

[72]           Dans Hill, le plaignant, qui faisait partie d’une minorité visible, affirmait que l’employeur avait exercé envers lui une discrimination fondée sur la race, en contravention de l’article 7 de la LCDP, en ne lui offrant pas une formation technique en cours d’emploi, en sapant son travail, en lui refusant une promotion, en le soumettant à un contrôle plus serré que celui exercé sur d’autres employés et en ne lui assurant pas un milieu exempt de harcèlement. Le tribunal a déclaré :

...Toutefois, je ne suis pas prêt à conclure à partir de cela que M. Hill a été l’objet de discrimination dans ses propres tentatives pour obtenir de l’avancement. Si je dis cela, c’est parce que l’ensemble de la preuve démontre que les difficultés auxquelles M. Hill a fait face étaient attribuables à ses propres faits et gestes.

La Commission a aussi cité Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. 5029 (T.C.D.P.) et Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. 12 (C.A.F.) comme sources à l’appui du principe qu’il est suffisant que la question raciale ait été un des facteurs ayant contribué à la situation déplorée par M. Hill. J’admets ce principe qui, toutefois, n’est pas utile en l’espèce. À mon avis, le conflit de personnalité qui s’est développé entre M. Hill et M. Ryan n’était pas attribuable à la race du plaignant, quelles que soient les opinions racistes que M. Ryan pouvait avoir. Il était plutôt le résultat de l’attitude de M. Hill à l’égard de son travail, de son ressentiment à l’égard de l’autorité et de sa tendance à blâmer les autres pour ses problèmes.

[Non souligné dans l’original.]

 

[73]           En l’espèce, le Tribunal n’a pas conclu que le demandeur était à l’origine des problèmes qu’il avait vécus au travail. Le Tribunal a relevé que ses compagnons de travail estimaient que M. Khiamal était hautement qualifié et très consciencieux dans son travail, qu’il interagissait bien avec ses collègues et qu’il avait des qualités de leadership. Le Tribunal a également conclu que le demandeur avait raison de s’estimer lésé par la façon dont le gestionnaire l’avait traité.

 

[74]           Le comportement du demandeur ne correspond pas à celui du plaignant dans Hill. Le Tribunal a commis une erreur en se fondant sur la décision Hill pour accepter l’explication de la défenderesse.

 

[75]           L’analyse du Tribunal ouvre aux employeurs la possibilité de faire valoir que leur conduite n’était pas discriminatoire puisqu’elle ne s’explique que par l’hostilité d’un superviseur envers l’employé en cause. Le défendeur a la charge d’établir que l’explication qu’il fournit pour soutenir que ses actes n’étaient pas discriminatoires est raisonnable selon la prépondérance des probabilités et d’après l’ensemble de la preuve.

 

[76]            M. Watson ne dit pas qu’il a refusé d’engager le demandeur comme contremaître en raison de l’antipathie ou de l’animosité qu’il éprouvait envers lui. L’explication donnée par M. Watson pour justifier sa décision est qu’il cherchait à s’adapter à la déficience de l’autre candidat. Il n’a pas confirmé l’explication de la défenderesse suivant laquelle il éprouvait de l’animosité envers le demandeur.

 

[77]           Les éléments de preuve présentés au sujet de l’animosité sont ambigus. Bien qu’il ait pu y avoir des frictions entre les deux hommes au cours des ans, on dispose de peu d’éléments de preuve tendant à démontrer que l’amitié entre le demandeur et M. Watson se soit détériorée :

·        Le demandeur a expliqué que M. Watson et lui ont toujours été amis et qu’ils le sont toujours.

 

·        Le demandeur a expliqué que le changement survenu dans la situation de M. Watson n’avait pas eu de répercussions sur leur amitié.

 

·        Un témoin indépendant a expliqué qu’à la suite de l’incident survenu en 1992, le demandeur et M. Watson n’étaient plus amis, mais qu’ils ont continué à entretenir des rapports amicaux l’un avec l’autre.

 

·        M. Watson a expliqué que, bien que le demandeur et lui aient été de meilleurs amis avant l’incident de 1992 et que leurs rapports aient changé depuis, ils continuent à « parler de choses et d’autres » et à faire la conversation.

 

 

[78]           Compte tenu du fait que M. Watson n’a pas confirmé son hostilité envers le demandeur au moment de sa décision d’embaucher le contremaître, le Tribunal ne peut se contenter de tenir pour avérée, selon la prépondérance des probabilités, l’explication de la défenderesse au sujet de l’animosité. En concluant à l’existence d’une animosité entre M. Watson et le demandeur sur la foi du témoignage de ces deux personnes, le Tribunal a agi de façon déraisonnable sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait.

 

Le Tribunal a-t-il commis une erreur en omettant de vérifier si la preuve permettait de conclure que les actes reprochés constituaient de la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur?

 

[79]           Le demandeur affirme que le Tribunal a commis une erreur en ne se rendant pas compte qu’il suffisait que la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur soit un des facteurs ayant joué dans le congédiement du demandeur. Le demandeur cite à ce propos la décision Schulyer c. Nation Oneida, 2005 TCDP 10, au paragraphe 7 :

La question soulevée n’est pas tellement de savoir si le congédiement de la plaignante est injuste mais plutôt de savoir si l’exercice de représailles à la suite du dépôt de la plainte de discrimination fondée sur la déficience constitue au moins un des facteurs de la présumée conduite à l’égard de la plaignante, en contravention de l’article 14.1 de la Loi. Il s’agit précisément de la forme de discrimination visée par cette disposition.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[80]           Dans l’arrêt Holden, la Cour d’appel fédérale a déclaré : « Comme l’indique la jurisprudence, il suffit que la discrimination constitue un fondement de la décision de l’employeur ». Il suffit que la discrimination soit un des facteurs qui ont joué dans la décision de la défenderesse de ne pas accorder de promotion au demandeur.

 

 

[81]           Le Tribunal est chargé de discerner si la discrimination est un des facteurs qui expliquent le refus d’engager le demandeur. Pour ce faire, le Tribunal doit tenir compte de tous les éléments de preuve circonstanciels, tirer des conclusions de fait et décider si l’inférence qui peut être tirée des faits permet de conclure à la discrimination selon la prépondérance des probabilités.

 

[82]           Le Tribunal a reconnu qu’il devait décider s’il existait des éléments de preuve permettant de conclure à la discrimination. Voici ce qu’il a déclaré :

Cependant, il faut qu’il y ait un lien entre l’acte à l’étude et un motif de distinction illicite. Le lien peut être déduit à partir d’une preuve circonstancielle, mais la conclusion de discrimination doit être plus probable que toute autre conclusion possible. À défaut de cela, le plaignant peut utiliser les autres recours qu’offrent le milieu de travail, le syndicat ou les tribunaux civils, mais il n’a pas satisfait au critère permettant de prouver le bien-fondé de sa plainte en matière des droits de la personne.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[83]           Pour tirer une telle conclusion, il faut que le fait en cause soit établi par d’autres faits. Il n’est pas nécessaire que chaque élément de preuve conduise à cette conclusion. Les éléments de preuve, qui sont insuffisants pris individuellement, permettent, une fois combinés, de conclure à l’existence du fait en cause. Pour ce faire, il faut s’assurer de ne pas exclure des éléments individuels qui sont présentés dans le cadre d’une combinaison plus large (John Sopinka, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto: Butterworths Canada Ltd., 1999, aux paragraphes 2.72 et 2.77).

 

[84]           Dans la décision Morris  c. Canada (Forces armées), [2001] TCDP no 41, aux paragraphes 134 à 144, conf. par 2005 CAF 154, le tribunal a conclu à la discrimination en se fondant sur des éléments de preuve directs, anecdotiques, circonstanciels et statistiques.

 

[85]           Rien ne permet de penser que le Tribunal s’est demandé si la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur pouvait aussi avoir joué dans la décision de la défenderesse de ne pas engager M. Khiamal. En s’en tenant à l’animosité qui existait entre le demandeur et M. Watson, le Tribunal n’a pas mené son analyse à terme.

 

[86]           Tout en acceptant que le demandeur avait établi l’existence à première vue d’un acte discriminatoire, le Tribunal n’a pas procédé à une analyse contextuelle des éléments de preuve portant sur les traitements passés, la différence de traitement et les statistiques. Le Tribunal a compartimenté son analyse, en scindant la preuve en fonction des divers griefs reprochés. Il n’a pas examiné la question de la discrimination dans l’embauche en fonction de l’ensemble de la preuve dont il disposait.

 

[87]           Qui plus est, le Tribunal n’est pas allé au-delà de la conduite personnelle du gestionnaire pour examiner le rôle joué par Greyhound relativement à des aspects qui relevaient légitimement de l’employeur :

·        l’embauche a été faite par MM. Watson et Sealy et rien ne permet de penser que M. Sealy nourrissait personnellement des sentiments d’hostilité envers le demandeur;

·        la modification inexpliquée des documents administratifs de Greyhound, en l’occurrence la demande de vacances du demandeur;

·        le refus de permettre au demandeur de suivre une formation, refus qui a eu des incidences sur les activités de Greyhound au garage d’Edmonton;

·        le traitement défavorable injustifié infligé à un employé par un supérieur.;

·        les données statistiques faisant état d’une sous-représentation des minorités en ce qui concerne les postes de cadre.

Normalement, ces situations commanderaient la prise de mesures correctives de la part de Greyhound. Or, rien ne permet de penser que la défenderesse a révisé sa procédure d’embauche déficiente, cherché à savoir qui avait modifié le dossier relatif aux vacances ou examiné la question de savoir pourquoi le demandeur s’était vu refusé la possibilité de suivre une formation ou encore pourquoi il avait fait l’objet d’un traitement défavorable de la part de son superviseur.

 

[88]           Le Tribunal devait examiner la possibilité que la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur était un des facteurs qui avaient joué en l’espèce et évaluer cette possibilité à la lumière des éléments de preuve dont il disposait. Je conclus que le Tribunal n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve pour déterminer si la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur était un facteur qui avait joué dans la décision de la défenderesse de ne pas engager le demandeur.

 

Le Tribunal a-t-il commis une erreur en n’examinant pas les éléments de preuve d’ordre statistique portant sur la sous-représentation des minorités au sein des effectifs de la défenderesse?

 

[89]           Le demandeur affirme que le Tribunal n’a pas abordé les éléments de preuve d’ordre statistique qui lui avaient été soumis au sujet de la sous-représentation des membres des minorités visibles aux postes de cadre et de contremaître. Suivant le demandeur, le Tribunal n’a pas vérifié le lien qui pouvait exister entre ces statistiques et le défaut du demandeur d’être promu au poste de contremaître et le fait qu’il s’était toujours senti victime de discrimination raciale de la part de la défenderesse et de ses gestionnaires au garage d’Edmonton.

 

[90]           Le rapport sur l’équité en matière d’emploi et le rapport sur la conformité à l’équité en matière d’emploi de la défenderesse renferment des données statistiques qui indiquent que les membres des minorités visibles sont sous-représentés dans les postes de cadre au sein des effectifs de Greyhound. Les données statistiques portent sur un nombre relativement modeste de postes. Elles illustrent toutefois le problème qui nous intéresse et sont pertinentes même si elles ne sont pas en soi déterminantes.

 

[91]           Les éléments de preuve d’ordre statistique indiquent que la sous-représentation des minorités visibles au sein des effectifs de Greyhound à l’échelle nationale s’établit comme suit :

Cadres supérieurs, intermédiaires et autres                                -3

Superviseurs                                                                             -1

Superviseurs : gens de métier                                                    -3

Ventes et service (intermédiaires)                                              -1

Travailleurs manuels spécialisés                                     -28

 

            [Non souligné dans l’original.]

 

[92]           La défenderesse affirme que la valeur à accorder aux éléments de preuve d’ordre statistique portant sur l’équité en matière d’emploi est une question de fait à l’égard de laquelle le tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire doit faire preuve du degré de retenue le plus élevé. La défenderesse soutient en outre que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en n’abordant pas dans sa décision la question des données statistiques portant sur la sous‑représentation des membres des minorités visibles, étant donné qu’elle n’a pas retenu l’allégation de discrimination et que cette question n’était pas pertinente pour trancher la plainte de discrimination dont il était saisi.

 

[93]           La défenderesse invoque l’arrêt Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, aux paragraphes 26 et 27, dans lequel la Cour d’appel fédérale, qui donnait des indications au sujet des rapports entre la Loi sur l’équité en matière d’emploi et la LCDP, a jugé que la première loi s’applique indépendamment de la plainte déposée en vertu de l’article 7 de la seconde, laquelle porte sur la discrimination dans un cadre d’emploi :

Il semble donc que la Loi sur l’équité en matière d’emploi soit une loi autonome qui impose aux employeurs qu’elle vise les obligations précises qu’elle prévoit, obligations qui doivent être respectées conformément à la loi et qui ne sont pas reliées à une plainte en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[Non souligné dans l’original.]

 

[94]           Ce n’est pas parce que l’on constate que la défenderesse se conforme à la Loi sur l’équité en matière d’emploi que l’on peut affirmer pour autant que les effectifs de la défenderesse sont représentatifs. En faisant cette constatation, on prend simplement acte du fait que la défenderesse est en train de mettre en œuvre un plan d’équité qui lui permettra d’atteindre une représentation équitable.

 

[95]           La question de savoir si les données statistiques soumises par le demandeur sont utiles pour trancher la question en litige et si elles appuient l’allégation de discrimination est une conclusion qu’il appartient au Tribunal de tirer. Il est indéniable que le Tribunal disposait de ces éléments de preuve.

 

[96]           À mon avis, il y a lieu d’établir une distinction entre l’utilisation des données statistiques que l’on trouve dans le rapport sur l’équité dans l’emploi et la tentative de recourir à la loi dont il était question dans l’affaire Lincoln Bay, précitée. En l’espèce, le demandeur ne parle pas de l’application ou du respect de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Il cherche plutôt à étayer ses allégations de discrimination en se servant de données recueillies conformément à la Loi sur l’équité en matière d’emploi. C’est l’inférence qui peut être tirée des données statistiques qui revêt de l’importance. Et c’est au Tribunal qu’il revient de décider de la valeur qu’il convient de leur attribuer.

 

[97]           Dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] A.C.F. no 432, (la décision Chopra), le juge Richard cite les propos tenus par le tribunal dans la décision Blake c. Minister of Correctional Services, (1984), 5 C.H.R.R. D/2417, au sujet de l’utilisation de données statistiques dans les affaires relatives aux droits de la personne :

20                 Dans l’affaire Blake, la Commission a effectué une étude complète du droit concernant la présentation d’éléments de preuve à caractère statistique dans les dossiers touchant les droits de la personne. La Commission a fait observer, au paragraphe 20094 :

 

[traduction]

Il arrive fréquemment que la discrimination ne soit pas manifeste. Il est rare qu’un employeur déclare expressément qu’il refuse d’embaucher une candidate compétente parce qu’elle est une femme. La preuve circonstancielle permet souvent d’établir des actes de discrimination et une intention d’exercer de la discrimination (Voir Windsor Board of Education and Federation of Women Teachers’ Associations of Ontario (1982), 3 L.A.C. (3d) 426, p. 430). [traduction] « La preuve à caractère statistique constitue un outil important pour replacer des pratiques d’embauchage en apparence inoffensives dans leur juste perspective. » (Senter v. General Motors Corp., 532 F. 2d 511 (1976)) ...

 

21         Sous la rubrique « preuve circonstancielle », la Commission a poursuivi :

 

[traduction]

 ... Les statistiques illustrent des types de comportement plutôt que des comportements particuliers. Elles représentent une forme de preuve circonstancielle à partir de laquelle des déductions de comportement discriminatoire peuvent être tirées (Davis v. Califano, 613 F. 2d 957 (1979), p. 962). C’est sous la rubrique de la « preuve circonstancielle » que l’on devrait envisager les éléments de preuve à caractère statistique dans les affaires qui touchent les droits de la personne. Comme dans le cas de toutes les preuves circonstancielles, il faut tenir compte des statistiques, de concert avec toutes les circonstances et tous les faits pertinents (International Brotherhood of Teamsters v. U.S., 97 S. Ct. 1843 (1977), p. 1857). [par. 20096]

 

Les éléments de preuve à caractère statistique peuvent être utilisés de plusieurs façons pour étayer tant la preuve des plaignants que celle des intimés. Les statistiques peuvent révéler de la discrimination d’ordre racial ou sexuel dans les décisions d’embaucher, d’accorder des promotions (Teamsters, précité; Croker v. Boeing Co. (Vertol Div.), 437 F. Supp. 1138 (1977); Rich v. Martin Marietta Corp., 467 F. supp. 587 (1979)) ou de congédier (Ingram v. Natural Footwear Ltd. (1980), 1 C.H.R.R. D/59 des employés. Elles peuvent révéler des écarts entre le nombre de femmes occupant un poste en particulier et le nombre de femmes compétentes au sein de la main-d’œuvre (Offierski v. Peterborough Board of Education (1980), 1 C.H.R.R. D/33; Windsor, précité). Les statistiques peuvent révéler que des décisions subjectives et discrétionnaires d’employeurs sont prises de façon discriminatoire... [par. 20097]

[Non souligné dans l’original.]

 

[98]           En fin de compte, dans la décision Chopra, le juge Richard a conclu que le tribunal avait commis une erreur en ne permettant pas aux demandeurs de présenter des éléments de preuve généraux au sujet d’un problème systémique comme éléments de preuve circonstanciels pour inférer qu’il y avait probablement également eu discrimination dans cette affaire.

 

[99]           Bien qu’en l’espèce le Tribunal n’ait pas empêché le demandeur de soumettre des éléments de preuve d’ordre statistique, on ne sait pas s’il a tenu compte des inférences que l’on pouvait tirer des données statistiques présentées.

 

[100]       Le Tribunal disposait de données statistiques au sujet de la sous-représentation des minorités dans les postes de cadres. Ces éléments de preuve sont fiables puisqu’ils proviennent de la défenderesse. Tant le demandeur que la défenderesse ont présenté des arguments à leur sujet. Il était loisible au Tribunal de déterminer le poids qu’il convenait, le cas échéant, d’accorder aux données statistiques.

 

[101]       Le Tribunal n’a fait aucune allusion aux données statistiques et il n’a pas cité de raison pour expliquer pourquoi il n’avait pas tenu compte des éléments de preuve d’ordre statistique. On ne sait pas avec certitude si le Tribunal s’est effectivement penché sur ces éléments de preuve (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, aux paragraphes 15 et 17). 

 

[102]       À mon avis, la conclusion que l’inférence de discrimination est moins probable que les autres inférences possibles est viciée par le fait que le Tribunal ne semble pas avoir tenu compte de l’inférence à tirer des données statistiques qui avaient été portées à sa connaissance.

Autres questions

[103]       L’analyse sur laquelle le Tribunal s’est fondé pour rejeter la plainte de harcèlement du demandeur était incomplète. Ainsi, le Tribunal n’a pas abordé la question du changement apporté à la date des vacances du demandeur. Il a par ailleurs conclu que la menace proférée par le gestionnaire avait empoisonné le climat de travail, mais il n’a pas poussé son analyse plus loin après avoir décidé qu’on n’avait pas intimidé le demandeur pour le dissuader de postuler au poste de contremaître. Le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si ces événements malheureux permettaient de conclure dans un sens ou dans l’autre.

 

[104]       Après avoir estimé que le demandeur n’avait pas été victime de harcèlement lorsqu’on lui a refusé de suivre des cours, le Tribunal a conclu, sur le fondement des mêmes faits, que le demandeur avait établi qu’il avait, à première vue, été victime de discrimination dans l’emploi. Le Tribunal a poursuivi en expliquant que la défenderesse avait avancé des explications raisonnables en faisant valoir que le refus de permettre au demandeur de recevoir de la formation tenait à l’animosité du gestionnaire envers le demandeur. Or, j’ai déjà conclu que cette analyse est viciée.

 

[105]       Compte tenu de l’existence de ces questions relatives au rejet de la plainte de harcèlement du demandeur, toute nouvelle décision doit porter tant sur le harcèlement que sur la discrimination.


CONCLUSION

[106]       Je conclus que la décision du Tribunal est déraisonnable parce que, premièrement, le Tribunal a commis une erreur dans son analyse de la question de l’animosité entre le gestionnaire et le demandeur, deuxièmement, le Tribunal n’a pas examiné la question de savoir si la discrimination était un des facteurs qui avaient joué dans la décision de la défenderesse de ne pas engager le demandeur et, troisièmement, le Tribunal n’a cité aucune donnée statistique pertinente et qu’il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas jugé pertinents ces éléments de preuve. Je conclus par ailleurs que la question du harcèlement doit être réexaminée.

 

[107]       Compte tenu du fait que M. Khiamal obtient gain de cause dans la présente demande de contrôle judiciaire et vu les circonstances de l’espèce, j’estime qu’il convient d’adjuger les dépens au demandeur.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur toutes les questions en litige.

3.                  Les dépens sont adjugés au demandeur.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1633-07

 

INTITULÉ :                                                   SURESH KHIAMAL c. COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et GREYHOUND CANADA TRANSPORTATION CORPORATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 13 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 12 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shirish P. Chotalia, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Ford

 

POUR LA DÉFENDERESSE
(GREYHOUND)

 

Personne n’a comparu

POUR LA DÉFENDERESSE
(LA CCDP)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PUNDIT & CHOTALIA

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

McCARTHY TÉTRAULT

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE
(GREYHOUND)

K.E. Ceilidh Snider

Conseiller juridique

Commission canadienne des droits de la personne

POUR LA DÉFENDERESSE
(LA CCDP)

 

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