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Date : 20090521

Dossier : IMM-3528-08

Référence : 2009 CF 515

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2009

En présence de l’honorable Orville Frenette

ENTRE :

VERA DE ARAUJO

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision rendue le 25 juin 2008 par un agent d’immigration, dans laquelle il rejetait la demande de résidence permanente au Canada introduite par la demanderesse.

 

Le résumé des faits

[2]               La demanderesse, Vera Lucia de Araujo, une citoyenne du Brésil, est venue pour la première fois au Canada en 1990, entrant dans le pays avec un visa de transit de 6 heures. Elle a prolongé son séjour au‑delà du délai qui lui était imparti, jusqu’à ce qu’elle fasse la connaissance de son premier mari et qu’elle l’épouse au Canada en 1993. Ils se sont séparés en 1994 et ont divorcé le 18 septembre 2007.

 

[3]               Le 26 octobre 1995, la demanderesse a reçu l’ordre de quitter le Canada. Elle est partie, mais a omis d’informer l’agent d’immigration de son départ.

 

[4]               La demanderesse est revenue au Canada le 15 novembre 2005. Depuis son arrivée, elle vit avec Carlos Da Costa qu’elle avait rencontré auparavant au Brésil en 2003; ils se sont mariés le 25 octobre 2007.

 

[5]               Le 27 avril 2007, elle avait présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Carlos Da Costa a soutenu qu’un agent du Télécentre de l’immigration lui aurait dit que [traduction] « la demanderesse pourrait être admissible à un parrainage à partir du Canada ».

 

[6]               La demande a été déposée et la demanderesse a bénéficié de l’assistance d’un représentant autorisé pour cette demande.

 

 

La décision contestée

[7]               Dans sa décision du 25 juin 2008, l’agent a rejeté la demande pour deux raisons principales : 1) la demanderesse, ayant reçu l’ordre de quitter le Canada et étant partie sans avis, devait obtenir une autorisation pour revenir au Canada, autorisation qu’elle n’a pas demandée. 2) elle est restée illégalement au Canada depuis 1990 jusqu’en 2005, et depuis 2007 jusqu’en 2008.

 

Les questions en litige

[8]               L’agent a-t-il mal interprété la loi et violé l’obligation d’équité procédurale en rejetant la demande de la demanderesse sans tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire (CH) soulevés? L’agent a-t-il exercé son pouvoir de façon déraisonnable en rejetant la demande d’autorisation de retourner au Canada présentée par la demanderesse?

 

Le contexte législatif

[9]               Le paragraphe 25(1), l’alinéa 41a) et le paragraphe 52(1) de la Loi prévoient ce qui suit :

  25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

  25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

  41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

  41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a)   in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

 

 

 

52. (1) L’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement.

 

  52. (1) If a removal order has been enforced, the foreign national shall not return to Canada, unless authorized by an officer or in other prescribed circumstances.

 

[10]           Les paragraphes 224(1) et (2), l’article 226 et les alinéas 240(1)a) à c) du Règlement sur l’immigration et la protection des refugiés, DORS/2002-227, prévoient ce qui suit :

  224. (1) L’exécution d’une mesure d’interdiction de séjour à l’égard d’un étranger est un cas prévu par règlement qui exonère celui-ci de l’obligation d’obtenir l’autorisation prévue au paragraphe 52(1) de la Loi pour revenir au Canada.

  (2) L’étranger visé par une mesure d’interdiction de séjour doit satisfaire aux exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) au plus tard trente jours après que la mesure devient exécutoire, à défaut de quoi la mesure devient une mesure d’expulsion.

 

  224. (1) An enforced departure order is prescribed as a circumstance that relieves a foreign national from having to obtain authorization under subsection 52(1) of the Act in order to return to Canada.

  (2) A foreign national who is issued a departure order must meet the requirements set out in paragraphs 240(1)(a) to (c) within 30 days after the order becomes enforceable, failing which the departure order becomes a deportation order.

 

  226. (1) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, mais sous réserve du paragraphe (2), la mesure d’expulsion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

  (2) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, le cas de l’étranger visé par une mesure d’expulsion prise du fait de son interdiction de territoire au titre de l’alinéa 42b) de la Loi est un cas prévu par règlement qui dispense celui-ci de l’obligation d’obtenir une autorisation pour revenir au Canada.

  (3) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, la mesure de renvoi visée à l’article 81 de la Loi oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

 

  226. (1) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, and subject to subsection (2), a deportation order obliges the foreign national to obtain a written authorization in order to return to Canada at any time after the deportation order was enforced.

  (2) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, the making of a deportation order against a foreign national on the basis of inadmissibility under paragraph 42(b) of the Act is prescribed as a circumstance that relieves the foreign national from having to obtain an authorization in order to return to Canada.

  (3) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, a removal order referred to in paragraph 81(b) of the Act obliges the foreign national to obtain a written authorization in order to return to Canada at any time after the removal order was enforced.

  240. (1) Qu’elle soit volontaire ou forcée, l’exécution d’une mesure de renvoi n’est parfaite que si l’étranger, à la fois :

a) comparaît devant un agent au point d’entrée pour confirmer son départ du Canada;

b) a obtenu du ministère l’attestation de départ;

c) quitte le Canada;

 

  240. (1) A removal order against a foreign national, whether it is enforced by voluntary compliance or by the Minister, is enforced when the foreign national

(a) appears before an officer at a port of entry to verify their departure from Canada;

(b) obtains a certificate of departure from the Department;

(c) departs from Canada; and

 

 

La norme de contrôle

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a réitéré la norme de contrôle pour les décisions qui interprètent les faits et celles qui interprètent à la fois les faits et le droit, soit la décision raisonnable simpliciter. Dans les questions de droit, ou d’équité procédurale ou de règles de justice naturelle, la norme est aussi la décision raisonnable. Dans les arrêts Dunsmuir, précité, et Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Khosa, 2009 CSC 12, la Cour suprême du Canada a réitéré le fait que les décisions des tribunaux administratifs requièrent la retenue.

 

[12]           Dans la situation particulière d’une décision fondée sur l’article 52 de la Loi, la norme de la décision raisonnable a été appliquée dans Umlani c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1373, au paragraphe 23.

 

[13]           L’avocat de la demanderesse soutient que l’agent a violé l’obligation d’équité procédurale en ne l’informant pas à l’avance que la question de son interdiction de territoire serait soulevée au cours de l’entrevue et en laissant entendre qu’il n’avait pas le pouvoir de tenir compte des facteurs CH. La demanderesse se fonde largement, pour cette allégation, sur Sahakyan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1542. À cette observation, le défendeur répond qu’il y a lieu de distinguer les faits de Sahakyan de ceux de l’espèce. En outre, il n’appartenait pas à l’agent d’informer la demanderesse (qui était représentée par un conseil) qu’elle pouvait présenter une demande de résidence permanente fondée sur des motifs CH en vertu de l’article 25, encore moins de décider sur la question sans une demande présentée en vertu de l’article 25, soit par le Ministre soit par la demanderesse.

 

Analyse

[14]           Il n’est pas contesté que la demanderesse ait été expulsée du Canada en 1995 et qu’elle soit entrée de nouveau au Canada sans autorisation, comme l’exigent l’article 41 et le paragraphe 52(1) de la Loi ainsi que le paragraphe 226(1) du Règlement. La demanderesse n’a pas présenté de demande CH et n’a pas cherché à bénéficier des circonstances d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi. L’agent n’avait pas d’obligation juridique de conseiller la demanderesse au sujet des recours disponibles dans le cadre de la Loi pour contrer les effets susmentionnés des dispositions en cause, dispositions qu’elle est censée connaître, particulièrement si elle bénéficie des services d’un conseil.

 

[15]           La demanderesse se fonde sur les lignes directrices du guide IP 8, Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, publié par Citoyenneté et Immigration Canada, qui déclare ceci : « Tous les époux ou conjoints de fait qui présentent une demande pour la première fois […] [s’ils répondent aux critères] […] Dans le cas contraire, ils seront avisés de présenter une demande dans la catégorie régulière CH. » Elle allègue que l’agent ne lui a pas signalé l’existence de cette option et qu’il n’a pas tenu compte des circonstances d’ordre humanitaire.  La demanderesse se réfère à la décision Sahakyan, précitée. Dans cette affaire, le demandeur est venu au Canada avec un visa de visiteur et a présenté une demande de statut de réfugié, laquelle demande a été rejetée. Il a quitté le Canada et est revenu plus tard. Il a alors présenté une demande de résidence permanente qui lui a été accordée, sous réserve de tout critère emportant son interdiction de territoire. Lorsqu’on a découvert qu’il était de retour au Canada, sans l’autorisation du ministre, l’agent a examiné son dossier et a rejeté la demande. Le juge Shawn Harrington a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que les règles de justice naturelle avaient été violées, parce que le demandeur avait été privé de l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent.

 

[16]           À mon avis, les faits dans cette affaire sont très différents de ceux de la présente cause. En l’espèce, la demanderesse a passé une entrevue et a eu l’occasion de soulever le motif de son interdiction de territoire, mais elle ne l’a pas fait.

 

[17]           Le défendeur soutient que les lignes directrices d’un guide ne sont pas des lois et ne peuvent aller à l’encontre des lois. Il convient de rappeler que si les lignes directrices sont un outil utile pour interpréter les lois, elles ne sont pas des lois qui sauraient lier le ministre (Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté 

et de l’Immigration), 2002 CAF 125).

 

[18]           Lorsque l’agent a réalisé dans le formulaire de la demanderesse qu’elle se trouvait illégalement au Canada du fait qu’elle était revenue sans l’autorisation du ministre, il n’avait d’autre choix que d’appliquer la loi, laquelle rendait la demanderesse interdite de territoire.

 

[19]           La demanderesse aurait pu présenter une demande CH, comme l’indiquent les lignes directrices du guide, mais elle ne l’a pas fait. L’agent n’était pas tenu d’examiner les facteurs CH, en particulier s’il ne lui avait pas été demandé de le faire (Phan c. Ministre de la Citoyenneté

et de l’Immigration, 2005 CF 184, au paragraphe 17; Ali c. Ministre de la Citoyenneté

 et de l’Immigration (2007), 313 F.T.R . 151, aux paragraphes 16, 18 et 19). L’argument de la demanderesse sur ce point doit par conséquent être rejeté.

 

[20]           La demanderesse invoque la doctrine de l’attente légitime, un principe procédural qui trouve sa source dans la common law. Il est soulevé lorsqu’une promesse expresse ou raisonnablement implicite faite pour le compte d’une autorité publique conduit une personne à croire que la pratique sera suivie. Une telle justification ne peut cependant pas avoir pour effet de produire des droits matériels ou d’entraver une obligation prévue par la loi (De la Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 ACF 186, au paragraphe 19; Council for Civil Service Unions v. Minister for Civil Service, [1984] 3 All.E.R. 935 (C.L. R.‑U.)). Comme cela est mentionné dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),

[1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26 : « la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure ».

 

[21]           Les faits de l’espèce ne peuvent pas étayer une telle demande, puisque la seule mention était la déclaration de l’époux de la demanderesse selon laquelle un agent du Télécentre de l’immigration lui avait dit, par téléphone, la procédure à suivre. La doctrine de l’« erreur provoquée par une personne en autorité » ne peut être reçue pour les mêmes motifs. Quoi qu’il en soit, cette doctrine est habituellement invoquée dans des affaires criminelles, pénales ou relatives à des infractions créées par la loi. En l’espèce, il n’y a pas la moindre preuve pour appuyer l’application d’une telle doctrine. Il n’existe pas de motif valable pour accorder un redressement équitable dans la présente affaire.

 

Conclusion

[22]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande doit être rejetée.

 

La question certifiée

[23]           La demanderesse soutient que si la Cour avait accepté l’application de la doctrine des attentes légitimes ou de l’erreur provoquée par une personne en autorité qui viendrait à l’encontre de la loi, une question certifiée devrait être acceptée. Au vu de la conclusion tirée, la question se trouve dépourvue de logique.

 

 

JUGEMENT

 

 

 

            La demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27, à l’encontre de la décision rendue le 25 juin 2008 par un agent d’immigration, dans laquelle il rejetait la demande de résidence permanente au Canada introduite par la demanderesse, est rejetée.

 

            Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3528-08

 

INTITULÉ :                                       VERA DE ARAUJO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              L’honorable Orville Frenette

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

B. J. Maierovits                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

K. Wilding                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joel Etienne Law Firm                                      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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