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Date : 20090320

Dossier : IMM-3538-08

Référence : 2009 CF 285

Ottawa (Ontario), ce 20e jour de mars 2009

En présence de l’honorable Orville Frenette

ENTRE :

ANTRANIK MAKSOUDIAN,

ARDA AGOPJIAN,

ANI MAKSOUDIAN,

KRIKOUR MARKSOUDIAN

 

Partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après le tribunal), rendue le 14 juillet 2008, concluant que les demandeurs ne sont pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

Les faits

[2]          La preuve au dossier révèle que les demandeurs, un homme, une femme et leurs deux enfants majeurs, sont citoyens de la Syrie venus au Canada en 2005. Ils allèguent avoir été persécutés par la société syrienne en général du fait qu’ils sont chrétiens. La très grande majorité de la population est de religion musulmane.

 

[3]          Selon le « U.S. Department of State, Country Reports on Human Rights Practices » émis le 11 mars 2008, la Constitution de la Syrie prévoit la liberté religieuse. Toutefois, ce rapport révèle des abus des droits humains, de la violence et de la discrimination contre les femmes. Plus particulièrement, les demandeurs allèguent avoir été harcelés à plusieurs reprises au fil du temps par les musulmans majoritaires en Syrie. Ils allèguent avoir été discriminés par la police, raillés par des étrangers sur la rue et avoir été menacés de voies de fait. Les demanderesses allèguent au surplus avoir été victimes de harcèlement et d’attouchements sexuels non désirés.

 

La décision en litige

[4]          Le tribunal a relaté les versions factuelles, telles que présentées par les demandeurs. La crédibilité des demandeurs n’a pas été mise en doute donc leur récit paraissait véridique. Toutefois, suite à l’analyse de la situation particulière des demandeurs et celle du pays en général, telle que révélée par la documentation générale, le tribunal a conclu que les événements vécus, même pris cumulativement, n’équivalaient pas à de la persécution.

 

[5]          En résumé, il s’agissait d’une situation connue des chrétiens dans ce pays. En conséquence, leur situation n’équivalait pas à de la persécution au sens de la Loi.

La norme de contrôle judiciaire

[6]          Il s’agit ici d’une décision de nature mixte soit de l’application de faits et de droit régie par la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; Liang c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 450, aux paragraphes 12 à 15). La Cour suprême du Canada a précisé la nature de cette norme dans la décision récente Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, énonçant que la norme de contrôle de la décision raisonnable signifiait qu’il fallait accorder une déférence aux décisions d’organismes administratifs.

 

La question en litige

[7]          La décision rendue est-elle raisonnable?

 

Analyse

[8]          Les demandeurs soulèvent le motif suivant pour attaquer la décision rendue, soit que le tribunal n’a pas respecté les normes établies par la Convention quant à la persécution.

 

[9]          La Convention relative au statut des réfugiés de Genève offre la définition de ce qu’est la persécution. En particulier, elle souligne l’importance d’analyser l’élément subjectif et objectif d’une situation afin de déterminer si les circonstances sont de sorte à conclure qu’il s’agit effectivement de persécution (Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, UNHCR, document HCR/1P/4/FRE/REV.1 (1992)) :

41. Étant donné l'importance que l'élément subjectif revêt dans la définition, il est indispensable, lorsque les circonstances de fait n'éclairent pas suffisamment la situation, d'établir la crédibilité des déclarations faites. Il faut alors tenir compte des antécédents personnels et familiaux du demandeur, de son appartenance à tel ou tel groupe racial, religieux, national, social ou politique, de sa propre interprétation de sa situation et de son expérience personnelle – en d'autres termes, de tout ce qui peut indiquer que le motif essentiel de sa demande est la crainte. La crainte doit être raisonnable. Une crainte exagérée peut néanmoins être fondée si, compte tenu de toutes les circonstances du cas considéré, cet état d'esprit peut être considéré comme justifié.

 

42. Il est nécessaire d'évaluer les déclarations du demandeur également en ce qui concerne l'élément objectif. Les autorités qui sont appelées à déterminer la qualité de réfugié ne sont pas tenues d'émettre un jugement sur les conditions existant dans le pays d'origine du demandeur. Cependant, les déclarations du demandeur ne peuvent pas être prises dans l'abstrait et elles doivent être considérées dans le contexte général d'une situation concrète. Si la connaissance des conditions existant dans le pays d'origine du demandeur n'est pas un but en soi, elle est importante parce qu'elle permet d'apprécier la crédibilité des déclarations de l'intéressé. En général, la crainte exprimée doit être considérée comme fondée si le demandeur peut établir, dans une mesure raisonnable, que la vie est devenue intolérable pour lui dans son pays d'origine pour les raisons indiquées dans la définition ou qu'elle le serait, pour les mêmes raisons, s'il y retournait.

 

 

 

[10]      La Convention souligne également la différence entre la persécution et la discrimination en notant que :

54. Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l'objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d'un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n'est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d'exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d'avoir accès aux établissements d'enseignement normalement ouverts à tous.

 

55. Lorsque les mesures discriminatoires ne sont pas graves en elles-mêmes, elles peuvent néanmoins amener l'intéressé à craindre avec raison d'être persécuté si elles provoquent chez lui un sentiment d'appréhension et d'insécurité quant à son propre sort. La question de savoir si ces mesures discriminatoires par elles-mêmes équivalent à des persécutions ne peut être tranchée qu'à la lumière de toutes les circonstances de la situation. Cependant, il est certain que la requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s'il a déjà été victime d'un certain nombre de mesures discriminatoires telles que celles qui ont été mentionnées ci-dessus et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient.

 

 

 

[11]      Bien que le tribunal ait trouvé les demandeurs crédibles sur le récit qu’ils font des incidents qu’ils ont subis, les conclusions qu’il a tirées de ces faits ne lui ont pas permis de trouver que les demandeurs aient établi une crainte raisonnable de persécution advenant un retour dans leur pays.

 

[12]      Selon la jurisprudence, pour que des mauvais traitements subis ou anticipés soient considérés comme de la persécution, ils doivent répondre à deux critères : ils doivent avoir un caractère grave et ils doivent posséder un caractère répétitif ou systématique.

 

[13]      Tout d’abord, les mauvais traitements doivent avoir un caractère grave, tel qu’énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chan c. Canada (M.E.I.), [1995] 3 R.C.S. 593 :

69     À mon avis, cette méthode est extrêmement judicieuse. Elle refait de la question essentielle de savoir s'il y a véritablement menace aux droits fondamentaux de la personne l'objet principal de l'audition de la revendication du statut de réfugié. Notre Cour a fait ressortir ce point dans l'arrêt Ward, à la p. 733, en déclarant que « [l]a Convention repose sur l'engagement qu'a pris la communauté internationale de garantir, sans distinction, les droits fondamentaux de la personne ». Dans cet arrêt, notre Cour a souscrit au point de vue que le droit relatif aux réfugiés devrait s'appliquer aux cas de négation fondamentale de la dignité humaine et que la négation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne serait la norme appropriée. Notre Cour a affirmé ceci, aux pp. 733 et 734 :

 

Ce thème fixe les limites de bien des éléments de la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention ». Par exemple, on a donné le sens suivant au mot « persécution » qui n'est pas défini dans la Convention : [Traduction] « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l'absence de protection de l'État »; voir Hathaway, [The Law of Refugee Status. Toronto, 1991], aux pp. 104 et 105. Goodwin-Gill, [The Refugee in International Law. Oxford, 1983], fait lui aussi remarquer, à la p. 38, que [Traduction] « l'analyse exhaustive exige que la notion générale [de persécution] soit liée à l'évolution constatée dans le domaine général des droits de la personne ». C'est ce que la Cour d'appel fédérale a récemment reconnu dans l'affaire Cheung.

 

70     Les arrêts Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Mayers, [1993] 1 C.F. 154 et Cheung ont été approuvés dans Ward parce qu'ils proposent des critères faisant de l'examen de la question des droits fondamentaux de la personne l'objet principal de l'enquête concernant le statut de réfugié d'une personne. On a fait remarquer que les obligations et les responsabilités du Canada ne s'étendaient pas aux groupes définis par une caractéristique changeable ou dont il est possible de se dissocier, dans la mesure où aucun de ces choix n'exige la renonciation aux droits fondamentaux de la personne. La question essentielle est de savoir si la persécution alléguée par le demandeur du statut de réfugié menace de façon importante ses droits fondamentaux de la personne. Il faut se poser cette question, en l'espèce, relativement aux allégations de l'appelant.

 

 

 

[14]      Ensuite, les mauvais traitements doivent posséder un caractère répétitif ou systématique, et ne pas être des actes isolés (Rajudeen c. Canada (M.E.I.) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.)) :

[14]     La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le requérant craint d'être persécuté. La définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l'immigration ne comprend pas une définition du mot « persécution ». Par conséquent, on peut consulter les dictionnaires à cet égard. Le Living Webster Encyclopedic Dictionary définit [TRADUCTION] « persécuter » ainsi :

 

[TRADUCTION] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d'une croyance ou d'un culte particulier. »

 

Le Shorter Oxford English Dictionary contient, entre autres, les définitions suivantes du mot « persécution » :

 

[TRADUCTION] « Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine. »

 

 

 

[15]      Je suis d’avis, comme le soutient le défendeur, que les événements, quoique malheureux, ne peuvent être assimilés à de la persécution. En effet, ces événements ne sont pas « graves » au sens où l’entend la Convention; ces événements ne peuvent tout simplement pas être assimilés à une négation soutenue ou systématique des droits fondamentaux de la personne, telle qu’exposée dans Chan, ci-dessus.

 

[16]      Je souligne qu’une lecture du dossier nous permet d’apprendre qu’il n’y a aucune preuve objective qui permet de corroborer le récit de la demanderesse quant à son risque personnel ou même général d’être victime d’agression en public.

 

[17]      De plus, le tribunal a interrogé les demandeurs quant à cette preuve objective afin de la concilier avec les faits, en particulier on les a questionnés sur le fait que « there was little evidence of societal discrimination or violence against religious minorities » et ces derniers n’avaient aucun commentaire. Leur avocat a toutefois expliqué que ce manque de preuve reflète le fait que les gens ne portent pas plainte car le message dans la communauté arménienne est que cela n’apportera pas de résultat; donc, en plus d’une crainte d’être persécutés par la société syrienne en général en raison de leur religion, les demandeurs ont une crainte de se rendre aux autorités (Dossier du tribunal aux pages 576 à 578).

 

[18]      En essence, les demandeurs soutiennent qu’en tant que minorité chrétienne dans un pays majoritairement musulman, ils sont victimes d’harcèlement, d’agressions et de menaces de la part de « certains musulmans ». Le résultat est que la famille vit en détresse causant des signes d’anxiété à caractère fort traumatique, qui peuvent compromettre leur santé mentale. Le problème avec ce raisonnement comme justification de contrôle judiciaire, c’est qu’il s’appliquerait généralement à tous les chrétiens en Syrie; une proposition que serait inacceptable (voir l’arrêt Makhtar et al. c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 16, relatif à la situation des chrétiens en Syrie).

 

[19]      Il est bien établi, qu’en droit, le harcèlement ne constitue pas de la persécution à moins que les conditions précitées ne soient établies en preuve, ce qui n’a pas été fait dans ce dossier. La seule question soulevée est de décider si la décision tombe dans la gamme de celles qui peuvent être supportées par une analyse raisonnable de la preuve (voir Dunsmuir, ci-dessus).

 

[20]      À mon avis, la décision satisfait à cette norme; en conséquence la demande ne peut être accueillie.  

 

 

 

 

JUGEMENT

 

          La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 14 juillet 2008, est rejetée.

 

          Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3538-08

 

INTITULÉ :                                       KANTRANIK MAKSOUDIAN, ARDA AGOPJIAN, ANI MAKSOUDIAN, KRIKOUR MAKSOUDIAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              L’honorable Orville Frenette, Juge suppléant

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Diane Favreau                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Alain Langlois                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Diane Favreau                                                              POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

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