Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20090327

Dossier : DES‑3‑08

Référence : 2009 CF 322

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2009

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile,

 

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR,

 

ET Hassan ALMREI

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les présents motifs expriment la décision rendue par la Cour à l’égard de deux requêtes introduites au nom de M. Almrei, ci‑après désigné le défendeur, en prévision d’audiences prochaines portant sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité délivré contre lui. Les deux parties ont présenté des observations écrites, ainsi qu’un plaidoyer à une audience publique tenue à Toronto (Ontario), le 18 février 2009.

 

[2]               La première requête se fonde en partie sur des arguments déjà entendus par le juge en chef Lutfy, dans l’affaire Re Almrei, 2008 CF 1216, dans le cadre d’une requête du défendeur concernant la constitutionnalité du paragraphe 85.4(2) et de l’alinéa 85.5b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Le juge en chef a rejeté la contestation par le défendeur de la constitutionnalité de ces dispositions au motif qu’elle était prématurée et dépourvue de contexte factuel, bien qu’il ait recouru à l’interprétation législative pour régler certaines questions. La Cour d’appel fédérale a refusé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision au motif que l’ordonnance rejetant la requête fondée sur la Constitution était de nature interlocutoire et ne constituait pas un jugement définitif.

 

[3]               Dans l’instruction donnée au greffe de ne pas inscrire l’appel, le juge Létourneau a fait remarquer que l’ordonnance rendue préservait le droit de toute partie de contester, s’il existait un contexte factuel adéquat, la constitutionnalité des dispositions en cause.

 

[4]               Selon le défendeur, un contexte factuel adéquat permet désormais d’introduire une requête fondée sur la Constitution, puisque les avocats spéciaux ont examiné la preuve secrète et qu’il a des questions stratégiques indépendantes à leur poser pour se préparer à l’audience sur le caractère raisonnable du certificat. Le défendeur soutient, subsidiairement, que la décision du juge en chef Lutfy laisse subsister la possibilité de demander une autorisation générale au juge présidant l’audience afin que les avocats spéciaux puissent répondre à ses questions.

 

[5]               En vertu du paragraphe 85.4(2) et de l’alinéa 85.5b) de la LIPR, l’avocat spécial ne peut, si ce n’est avec l’autorisation du juge, communiquer avec qui que ce soit au sujet de l’instance relative à un certificat de sécurité après avoir reçu des renseignements et des éléments de preuve non divulgués au défendeur. Le défendeur conteste en l’espèce la constitutionnalité de cette prescription, et demande l’autorisation de déposer des questions sous enveloppe scellée sans les divulguer à la Cour ou les signifier aux avocats des ministres. Le défendeur soutient que les questions sont de nature telle que les avocats spéciaux peuvent y répondre par un simple « oui » ou « non » sans risquer de dévoiler le moindre renseignement confidentiel qu’ils ont reçu. Selon le défendeur, la divulgation de ses questions à la Cour et aux ministres violerait les droits que lui garantit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.).

 

[6]               La seconde requête concerne la divulgation. Les observations du défendeur visent à aider la Cour à décider des questions liées à la divulgation à ce dernier des renseignements et autres éléments de preuve produits par les ministres, et ont aussi trait à l’exclusion d’éléments de preuve au motif qu’ils auraient pu être obtenus par suite du recours à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Tout en concédant que la requête relative à la divulgation a un caractère prématuré, le défendeur soutient qu’il s’agit là de la seule occasion pour lui et son conseil de présenter des observations sur ces questions avant que la Cour tienne, dans le cadre de l’instance, une audience à huis clos.

 

REQUÊTE RELATIVE À LA COMMUNICATION

 

Cadre législatif

 

[7]               Par suite de l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui 1), de la Cour suprême du Canada, le législateur fédéral a modifié la LIPR afin d’assurer, notamment, la participation des avocats spéciaux à la procédure pour certificats de sécurité, pour veiller à ce que les intérêts des personnes désignées soient convenablement défendus lorsque la Cour reçoit des « renseignements et autres éléments de preuve » lors d’une audience tenue à huis clos et en l’absence des personnes désignées et de leurs conseils.

 

[8]               Le juge Simon Noël a décrit avec justesse le rôle joué par les avocats spéciaux, dans les motifs de sa décision Re Harkat, 2009 CF 204, au paragraphe 58 :

 

[…] Le rôle primordial de l’avocat spécial consiste à protéger les intérêts de la personne visée lorsque la preuve est entendue en l’absence de celle‑ci. Il accomplit sa tâche en deux étapes : en maximisant la communication devant être faite à la personne visée et à son conseil et en vérifiant la fiabilité et la crédibilité de la preuve dans la partie tenue à huis clos de l’instance par le contre‑interrogatoire des témoins produits par les ministres. Toute autre mesure envisagée par les avocats spéciaux doit être autorisée par le juge qui est chargé de veiller à ce que l’instance se déroule de façon aussi rapide, informelle et juste que possible (LIPR, alinéa 85.2c), et Almrei c. Canada, 2008 CF 1216, au par. 57 à 59).

 

 

[9]               Bien que les avocats spéciaux jouent un rôle essentiel sous le régime des certificats de sécurité, leur participation se voit restreindre par les impératifs de sécurité nationale que la loi vise également à protéger. La Cour suprême a reconnu que ces impératifs pouvaient limiter l’étendue des renseignements à divulguer à l’intéressé (Charkaoui 1, précité, au paragraphe 58). Ces impératifs doivent aussi nécessairement entraîner, comme la loi le prévoit, la restriction des communications entre les avocats spéciaux et la personne désignée.

 

[10]           Un autre élément important de la loi c’est la responsabilité, énoncée à l’alinéa 83(1)d) de la LIPR, qui incombe au juge désigné de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui (les renseignements confidentiels). De la sorte, la loi à la fois confère comme responsabilité au juge de garantir la confidentialité des renseignements, et restreint les communications des avocats spéciaux, afin d’éviter la divulgation involontaire de renseignements confidentiels.

 

[11]           Les dispositions législatives pertinentes pour les besoins de la présente requête sont le paragraphe 85.4(2) et l’article 85.5 de la LIPR. On y décrit les obligations des avocats spéciaux à l’égard des renseignements confidentiels. Entre le moment où ils reçoivent ces renseignements et la fin de l’instance, les avocats spéciaux ne peuvent communiquer avec qui que ce soit au sujet de l’instance si ce n’est avec l’autorisation du juge et à certaines conditions. Les dispositions pertinentes sont reproduites ci‑après :

 

85.4 (1) Il incombe au ministre de fournir à l’avocat spécial, dans le délai fixé par le juge, copie de tous les renseignements et autres éléments de preuve qui ont été fournis au juge, mais qui n’ont été communiqués ni à l’intéressé ni à son conseil.

85.4 (1) The Minister shall, within a period set by the judge, provide the special advocate with a copy of all information and other evidence that is provided to the judge but that is not disclosed to the permanent resident or foreign national and their counsel.

 

Restrictions aux communications — avocat spécial

Restrictions on communications — special advocate

 

(2) Entre le moment où il reçoit les renseignements et autres éléments de preuve et la fin de l’instance, l’avocat spécial ne peut communiquer avec qui que ce soit au sujet de l’instance si ce n’est avec l’autorisation du juge et aux conditions que celui‑ci estime indiquées.

(2) After that information or other evidence is received by the special advocate, the special advocate may, during the remainder of the proceeding, communicate with another person about the proceeding only with the judge’s authorization and subject to any conditions that the judge considers appropriate.

 

85.5 Sauf à l’égard des communications autorisées par tout juge, il est interdit à quiconque :

 

85.5 With the exception of communications authorized by a judge, no person shall

a) de divulguer des renseignements et autres éléments de preuve qui lui sont communiqués au titre de l’article 85.4 et dont la confidentialité est garantie par le juge présidant l’instance;

 

(a) disclose information or other evidence that is disclosed to them under section 85.4 and that is treated as confidential by the judge presiding at the proceeding; or

 

b) de communiquer avec toute personne relativement au contenu de tout ou partie d’une audience tenue à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil dans le cadre d’une instance visée à l’un des articles 78 et 82 à 82.2.

 

(b) communicate with another person about the content of any part of a proceeding under any of sections 78 and 82 to 82.2 that is heard in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel.

 

[12]           Les parties conviennent que rien dans la loi n’interdit au défendeur de transmettre directement des questions aux avocats spéciaux sans autorisation préalable de la Cour. Toutefois, lorsque les avocats spéciaux cherchent à communiquer leurs réponses au défendeur et à son conseil sans avoir obtenu l’autorisation de la Cour, les restrictions prévues à la loi s’appliquent. Le défendeur souhaite que la Cour se tienne à l’écart pendant que les avocats spéciaux lui fourniraient les renseignements demandés. La Cour ne devrait pas avoir connaissance des réponses que les avocats spéciaux pourraient donner à des questions d’ordre tactique ou stratégique, selon le défendeur, parce que cela pourrait influer sur la décision sur le fond que rendra la Cour quant au caractère raisonnable du certificat.

 

Argumentation fondée sur la Charte

 

[13]           Le défendeur soutient que les dispositions contestées restreignent sérieusement et inutilement la capacité de l’avocat spécial de communiquer avec la personne désignée après qu’il a examiné la preuve présentée à huis clos. Il ajoute que l’interdiction absolue de communiquer sans autorisation judiciaire porte atteinte à son droit à une audition équitable ainsi qu’à sa relation avec ses avocats spéciaux, du type d’une relation entre un avocat et son client.

 

[14]           Le défendeur reconnaît que les impératifs de la sécurité nationale peuvent avoir une incidence sur la défense de ses intérêts, mais il fait valoir le paragraphe 61 de l’arrêt Charkaoui 1 pour soutenir qu’afin que soient respectés les droits que lui garantit l’article 7, il faut soit lui communiquer les renseignements nécessaires, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel. Le défendeur soutient qu’une telle autre façon de l’informer doit s’entendre d’une procédure permettant que lui‑même se voie communiquer suffisamment de renseignements pour pouvoir répondre convenablement aux allégations portées contre lui. Or en vertu des dispositions législatives actuelles, les avocats spéciaux ne peuvent, vu l’interdiction absolue prescrite de communiquer sans autorisation judiciaire, se renseigner auprès de la personne désignée d’une manière lui permettant de répondre aux renseignements examinés à huis clos et ex parte.

 

[15]           La communication, selon le défendeur, est restreinte de manière si importante que les avocats spéciaux ne constituent pas une autre façon valable de garantir ses droits à la divulgation. Le défendeur soutient, en outre, que les dispositions contestées sont de portée si générale qu’elles l’empêchent de savoir ce qu’il doit prouver et de participer utilement à l’instance.

 

[16]           Le défendeur soutient également que, pour que le régime des avocats spéciaux se conforme à l’article 7 de la Charte, il faut, à tout le moins, que ces derniers puissent fournir des conseils stratégiques, sans surveillance judiciaire, à la personne désignée dont ils défendent les intérêts lors des audiences à huis clos.

 

[17]           En outre, prétend le défendeur, la nécessité de protéger les renseignements confidentiels ne justifie en rien qu’on pénètre la sphère des communications confidentielles entre les avocats spéciaux et les personnes désignées, dont la relation est qualifiée par lui de relation sui generis semblable à celle existant entre un avocat et son client. Exiger que les avocats spéciaux obtiennent une autorisation judiciaire avant de communiquer avec la personne désignée, c’est risquer que se trouve divulguée de l’information confidentielle ayant trait à une stratégie juridique.

 

[18]           Il conviendrait, selon le défendeur, de donner aux articles 85.4 et 85.5 une interprétation atténuée pour que soient autorisées les communications relatives à des questions juridiques qui ne nécessitent pas la divulgation de renseignements confidentiels. Il demande à la Cour, subsidiairement, d’exercer le pouvoir discrétionnaire que la LIPR lui confère et d’autoriser la communication demandée.

 

[19]           Pour leur part, les ministres soutiennent que le nouveau régime offre une autre façon d’informer la personne désignée pour l’essentiel et lui fournit suffisamment l’occasion de savoir ce qu’elle doit prouver. La personne désignée reçoit un résumé de la thèse des ministres dès le départ, et on lui fournit des renseignements d’une façon suivie tout au long de l’instance. En outre, les avocats spéciaux nommés pour défendre les intérêts de la personne désignée ont accès aux renseignements confidentiels. Ils participent aux audiences tenues à huis clos et peuvent, avec l’autorisation du juge, communiquer avec la personne désignée et son conseil. Bien que la personne désignée ait droit à un processus équitable, celui‑ci n’a pas à être le plus favorable à ses intérêts. Selon les ministres, un texte législatif qui confère à la Cour un pouvoir discrétionnaire n’est pas inconstitutionnel et restreindre la communication de renseignements ne rend pas en soi une instance inéquitable.

 

Absence de faits en litige

 

[20]           Le défendeur fait valoir au soutien de sa requête des affidavits déposés antérieurement dans le cadre de sa première requête contestant la validité constitutionnelle du paragraphe 85.4(2) et de l’alinéa 85.5b), ainsi que l’affidavit sous serment de Sarah Boyd, stagiaire en droit. Les ministres soutiennent, et je suis également d’avis, que ces affidavits sont de bien peu d’aide. Mme Boyd énonce simplement dans son affidavit sous serment l’objet de la requête. On n’y présente pas de faits en litige pouvant aider la Cour à décider si les dispositions contestées enfreignent ou non la Charte, ou si la réparation particulière demandée devrait être accordée. On présente dans les autres affidavits les mêmes affirmations fondées sur l’interprétation par leurs auteurs des dispositions législatives sur lesquelles le juge en chef Lutfy avait à se prononcer.

 

[21]           Tel qu’il a été statué par le juge en chef dans la décision Re Almrei, précitée, les cours de première instance doivent se montrer prudentes avant de déclarer inconstitutionnelles des dispositions nouvellement adoptées.

 

[22]           La Cour a souvent souligné l’importance d’un fondement factuel dans les affaires fondées sur la Charte. Dans l’arrêt Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, on a fait une mise en garde selon laquelle les décisions liées à la Charte ne devaient pas être rendues dans un vide factuel. Dans l’arrêt R c. Mills, [1999] A.C.S. n° 68, aux paragraphes 36 et 37, la Cour suprême a traité comme suit de l’approche à adopter pour juger prématurée ou non une contestation constitutionnelle :

 

Le simple fait qu’il ne soit pas clair que l’intimé se verra effectivement refuser l’accès à des dossiers susceptibles d’être nécessaires pour pouvoir présenter une défense pleine et entière ne rend pas la demande prématurée.  L’intimé n’a pas à prouver que la mesure législative contestée porterait vraisemblablement atteinte à son droit à une défense pleine et entière. […]

 

[…] La question à laquelle il faut répondre est de savoir si le dossier d’appel contient suffisamment de faits pour permettre à la Cour de bien trancher les questions soulevées. [Non souligné dans l’original.]

 

[23]           Le défendeur soutient qu’il existe maintenant un « contexte factuel adéquat » puisque l’audience portant sur le caractère raisonnable a été mise au rôle et que les avocats spéciaux ont examiné les renseignements confidentiels. Le défendeur souhaite communiquer avec ses avocats spéciaux relativement à sa représentation en justice, et obtenir que ceux‑ci les aident, lui et son conseil, à se préparer en vue de cette audience. Selon moi, rien d’essentiel n’a changé depuis qu’il a été disposé de la requête précédente, si ce n’est que le défendeur a désormais une liste de questions qu’il souhaite soumettre aux avocats spéciaux.

 

[24]           La réparation principale est uniquement demandée sur le fondement de l’hypothèse du défendeur sur les effets de la restriction de la communication. Cette restriction, soutient‑il, porte atteinte à son droit à une audition équitable ainsi qu’aux droits que lui garantit l’article 7 de la Charte. La prémisse de cet argument, toutefois, c’est la supposition qu’à leur face même, les paragraphes 85.4 et 85.5 sont entachés de vices manifestes et sans équivoque sur le plan constitutionnel. Bien que la quantité de faits nécessaires pour évaluer les demandes fondées sur la Constitution puisse varier, je partage l’avis formulé par le juge en chef dans la décision Re Almrei, précitée, selon lequel les demandes fondées sur l’article 7 de la Charte nécessitent davantage de faits en litige lorsque la violation alléguée concerne les effets sur l’équité procédurale (au paragraphe 34).

 

[25]           La présente requête ne diffère pas essentiellement de celle qu’a tranchée le juge en chef en novembre dernier. En l’absence d’un contexte factuel adéquat pour établir si est fondée l’allégation du défendeur de manquement à l’équité procédurale, il demeure prématuré d’évaluer si les dispositions contestées enfreignent ou non les droits reconnus par la Charte au défendeur.

 

Réparation subsidiaire

 

[26]           Le défendeur demande subsidiairement à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de permettre que son conseil et lui‑même communiquent avec ses avocats spéciaux au moyen d’une enveloppe scellée renfermant des questions concernant la représentation de M. Almrei, questions auxquelles il serait répondu par « oui » ou par « non » et qui ne seraient divulguées ni aux ministres, ni à la Cour.

 

[27]           Le conseil du défendeur assure que la communication demandée ne mettrait pas en cause des renseignements ou autres éléments de preuve confidentiels présentés dans le cadre de la présente instance. Les ministres soutiennent de leur côté que cette demande vise à remplacer indûment la Cour par les avocats spéciaux pour ce qui est de garantir la confidentialité de l’instance, et fait courir le risque d’une divulgation involontaire.

 

[28]           Le législateur a selon moi manifestement prescrit, au paragraphe 85.4(2) de la LIPR, que les avocats spéciaux devaient, après réception des renseignements confidentiels, obtenir l’autorisation du juge pour toute communication. Cela est cohérent, à mon avis, avec l’obligation imposée au juge désigné de garantir la confidentialité des renseignements confidentiels (alinéa 83(1)d) de la LIPR). Cette supervision judiciaire vise à empêcher la divulgation volontaire ou involontaire de ces renseignements. Les commentaires du juge en chef Lutfy dans la décision Re Almrei, précitée, au paragraphe 105, vont en ce sens :

 

À mon avis, si l’objectif du législateur doit être atteint, alors les avocats spéciaux ne peuvent pas, sans l’autorisation du juge, communiquer avec une autre personne à propos de l’instance, même concernant une ordonnance ou directive rendue publique par le juge présidant l’instance. S’il était permis aux avocats spéciaux de déterminer eux‑mêmes le moment où ils peuvent communiquer à propos de l’instance, quand bien même des renseignements confidentiels n’y seraient pas débattus, la volonté du législateur de limiter la divulgation involontaire de renseignements confidentiels serait entravée. […]

 

[29]           Il incombe aux avocats spéciaux de défendre les intérêts de la personne désignée lorsqu’est tenue une audience à huis clos. Bien que les avocats spéciaux jouent un rôle unique et important dans l’instance relative à un certificat de sécurité, leurs pouvoirs et attributions se limitent à ceux énumérés aux articles 85.1 et 85.2 de la LIPR. Toute autre mesure que les avocats spéciaux se proposent de prendre, notamment communiquer avec la personne désignée et son conseil après avoir examiné les renseignements confidentiels, doit être autorisée par le juge désigné, qui doit procéder, autant qu’il est possible, sans formalisme, selon la procédure expéditive et de façon équitable, mais qui doit aussi garantir la confidentialité des renseignements confidentiels.

 

[30]           La juge Eleanor Dawson a rendu le 5 mars 2009 une décision (2009 CF 240) traitant de deux questions de droit soulevées dans quatre des instances relatives à un certificat de sécurité. L’une des questions avait trait au rôle du juge désigné lorsque les avocats des ministres et les avocats spéciaux s’entendent pour qu’une partie des renseignements divulgués conformément à l’arrêt Charkaoui 2 puisse être communiquée à la personne désignée. La juge Dawson a conclu qu’aucun renseignement déposé à titre confidentiel auprès de la Cour conformément à Charkaoui 2 ne pouvait, sans autorisation préalable de celle‑ci, être divulgué à la personne désignée dans un certificat de sécurité. La conclusion de la juge Dawson était motivée par le rôle fondamental assigné au juge désigné de garantir la confidentialité des renseignements :

 

Il appert donc d’une simple lecture de la Loi qu’aucun élément de la présentation exigée par Charkaoui 2 ne peut être communiqué à l’intéressé ou à l’avocat de celui‑ci sans que le juge désigné ait d’abord eu la possibilité de se conformer à son obligation découlant de l’alinéa 83(1)d) de la Loi. [Au paragraphe 31.]

 

[31]           Je fais mien le raisonnement de la juge Dawson pour les besoins de la présente requête. Pour m’acquitter des obligations que m’impose la Loi, par conséquent, je dois passer au crible toutes les communications entre les avocats spéciaux et la personne désignée et/ou son conseil. La Cour doit se soucier même du moindre risque de divulgation involontaire.

 

[32]           On l’a dit, le défendeur peut transmettre ses questions sans l’intervention de la Cour. Mais il incombe à celle‑ci en vertu de la loi de garantir la confidentialité des renseignements protégés. Pour bien s’acquitter de cette responsabilité, il lui faut selon moi surveiller les communications des avocats spéciaux une fois qu’ils ont eu accès aux renseignements confidentiels.

 

[33]           M. Almrei et son conseil ont toute liberté pour communiquer avec les avocats spéciaux sans autorisation préalable. Toutefois, la LIPR oblige explicitement les avocats spéciaux à obtenir l’autorisation du juge s’ils désirent communiquer un renseignement quelconque à la personne désignée et à son conseil, quelle que soit la nature de la communication. Par conséquent, M. Almrei et son conseil peuvent envoyer leurs questions aux avocats spéciaux sans mon consentement, mais les réponses de ces derniers doivent nécessairement passer au crible de la Cour.

 

[34]           Le juge en chef Lutfy a statué dans Re Almrei, précitée, qu’il était loisible aux avocats spéciaux de demander des instructions au juge désigné en vue de communiquer avec la personne désignée et/ou son conseil en l’absence des avocats des ministres. Les avocats des ministres affirment toutefois s’attendre, tout au moins, à ce qu’on les avise d’une demande faite par les avocats spéciaux d’autorisation de communiquer. Cela peut être indiqué en certaines circonstances; je suis toutefois peu disposé à me prononcer de manière définitive sur une telle obligation d’aviser.

 

[35]           La section 9 de la LIPR accorde aux juges désignés une marge de manœuvre suffisante pour pouvoir trancher convenablement, dans des circonstances diverses, les demandes de communication qui leur sont présentées. En cas de demande d’autorisation faite par un avocat spécial en application du paragraphe 85.4(2), le juge décidera dans quelle mesure (le cas échéant) des renseignements pourront être communiqués à la personne désignée et/ou à son conseil. Informer les avocats des ministres d’une telle divulgation pourra être indiqué en certaines circonstances, mais rien n’interdit aux avocats spéciaux de demander une autorisation de communication sans en aviser les ministres.

 

[36]           Pour ces motifs, je ne peux faire droit à la demande de communication du défendeur en la forme qui a été présentée. En conformité avec l’alinéa 85.2c) et le paragraphe 85.4(2) de la LIPR, si les avocats spéciaux souhaitent communiquer leurs réponses aux questions du défendeur appelant un « oui » ou un « non », ils devront d’abord en obtenir l’autorisation par requête soumise à la Cour, avec ou sans avis aux ministres.

 

PRINCIPES APPLICABLES AUX REQUÊTES EN DIVULGATION

 

[37]           Même si le défendeur reconnaît qu’il est prévu à la LIPR qu’une partie de l’instance peut se dérouler à huis clos et ex parte, il soutient qu’il ne devrait pas lui être interdit de présenter des observations relativement aux principes généraux qui devraient s’appliquer à des questions pouvant être soulevées à l’audience à huis clos. En prévision de l’audience sur le caractère raisonnable, il tente de faire préciser la position de la Cour sur des questions liées à l’alinéa 83(1)e) de la LIPR.

 

[38]           On l’a dit, le conseil du défendeur concède que la présente requête est largement prématurée. Néanmoins, en prévision de la nécessité pour la Cour de rendre des décisions quant à savoir si davantage de renseignements devraient lui être divulgués, le défendeur demande qu’il soit décidé au préalable que la Cour appliquera le critère de mise en balance d’intérêts du paragraphe 38.06(2) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C., 1985, ch. C‑5.

 

[39]           Les observations du défendeur visent aussi à aider la Cour à décider si des éléments de preuve devraient être exclus s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (les peines ou traitements CID).

 

[40]           Les dispositions législatives applicables, reproduites ci‑après, sont l’alinéa 83(1)e) et le paragraphe 83(1.1) de la LIPR et le paragraphe 38.06(2) de la Loi sur la preuve au Canada :

 

83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

 

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

 

e) il veille tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’intéressé un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause;

(e) throughout the proceeding, the judge shall ensure that the permanent resident or foreign national is provided with a summary of information and other evidence that enables them to be reasonably informed of the case made by the Minister in the proceeding but that does not include anything that, in the judge’s opinion, would be injurious to national security or endanger the safety of any person if disclosed;

 

[…]

 

[…]

 

Précision

Clarification

 

(1.1) Pour l’application de l’alinéa (1)h), sont exclus des éléments de preuve dignes de foi et utiles les renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture, au sens de l’article 269.1 du Code criminel, ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au sens de la Convention contre la torture.

 

 

(1.1) For the purposes of paragraph (1)(h), reliable and appropriate evidence does not include information that is believed on reasonable grounds to have been obtained as a result of the use of torture within the meaning of section 269.1 of the Criminal Code, or cruel, inhuman or degrading treatment or punishment within the meaning of the Convention Against Torture.

 

Ordonnance de divulgation

Disclosure order

 

38.06 (1) Le juge peut rendre une ordonnance autorisant la divulgation des renseignements, sauf s’il conclut qu’elle porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

 

38.06 (1) Unless the judge concludes that the disclosure of the information would be injurious to international relations or national defence or national security, the judge may, by order, authorize the disclosure of the information.

 

Divulgation modifiée

 

Disclosure order

 

(2) Si le juge conclut que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation, il peut par ordonnance, compte tenu des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ainsi que de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime indiquées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux‑ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés.

(2) If the judge concludes that the disclosure of the information would be injurious to international relations or national defence or national security but that the public interest in disclosure outweighs in importance the public interest in non‑disclosure, the judge may by order, after considering both the public interest in disclosure and the form of and conditions to disclosure that are most likely to limit any injury to international relations or national defence or national security resulting from disclosure, authorize the disclosure, subject to any conditions that the judge considers appropriate, of all of the information, a part or summary of the information, or a written admission of facts relating to the information.

 

 

Principes applicables à la divulgation à la personne désignée

 

Prétentions du défendeur

 

[41]           Le défendeur soutient que, pour régler la question de la divulgation dans une affaire de certificat de sécurité, il convient de mettre en balance les intérêts de la personne désignée et le risque de préjudice à la sécurité nationale, de la manière prévue à l’article 38.06 de la Loi sur la preuve au Canada, et que l’analyse servant à déterminer la portée de la divulgation devrait se conformer au cadre énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CAF 246.

 

[42]           Tel qu’on l’a dit relativement à la première requête, le défendeur soutient que la seule présence d’avocats spéciaux dans l’instance relative à un certificat de sécurité ne fait pas recouvrer adéquatement à la personne désignée son droit à une audition équitable. Le défendeur prétend que l’alinéa 83(1)e) de la LIPR vise un double objectif : assurer la divulgation la plus complète possible et protéger les renseignements dont la divulgation porterait atteinte à l’intérêt national. Selon lui, la coexistence des deux intérêts divergents, combinée à l’objectif des dispositions législatives adoptées à la suite de l’arrêt Charkaoui 1, permettent de soutenir qu’une mise en balance appropriée de ces intérêts est nécessaire.

 

[43]           Le défendeur soutient en outre que le critère préliminaire à respecter pour la préservation du caractère confidentiel de renseignements, c’est que leur divulgation constituerait un danger. L’emploi du conditionnel rend nécessaire, non seulement l’existence d’un « risque vraisemblable de préjudice probable », mais aussi la preuve d’une atteinte actuelle et particulière. La Cour doit être convaincue que la divulgation portera atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui pour que soit justifiée la non‑divulgation. Pour satisfaire au critère de Ribic, les ministres doivent présenter une preuve de préjudice qui n’est pas générale, vague ou imprécise pour démontrer le bien‑fondé de leur demande de confidentialité pour raison de sécurité nationale.

 

[44]           En fonction de la formule énoncée dans la Loi sur la preuve au Canada, si la Cour conclut que la divulgation de renseignements causerait un préjudice, elle doit ensuite déterminer si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur celles qui justifient la non‑divulgation. Le défendeur soutient qu’on devrait procéder dans le présent contexte à la même mise en balance des intérêts divergents concernés. Dans la foulée des arrêts Charkaoui 1 et Charkaoui 2, affirme‑t‑il, tout parti pris, lorsqu’on s’adonne à un tel exercice de mise en balance, devra nécessairement être favorable à la divulgation la plus complète possible.

 

[45]           Le défendeur ajoute que l’emploi du mot « suffisamment » dans la version française de l’alinéa 83(1)e) fait voir que la personne désignée doit avoir assez d’information sur la thèse des ministres à son encontre. Le juge désigné doit donc mettre en balance la nécessité pour la personne désignée de se voir divulguer assez de renseignements pour bénéficier d’une audition équitable et le risque que la divulgation puisse causer préjudice à la sécurité nationale. Lorsque les conséquences possibles de la divulgation sont minimes et qu’est grande l’importance pour la personne désignée d’être informée de ce qu’elle doit prouver, le pouvoir discrétionnaire conféré au juge devrait être exercé en faveur de la divulgation.

 

[46]           Le défendeur soutient subsidiairement que, si l’on devait interpréter l’alinéa 83(1)e) comme interdisant la méthode de la mise en balance, cette disposition enfreindrait l’article 7 de la Charte d’une manière que ne peut justifier l’article premier. Selon le défendeur, un régime qui restreint la divulgation de renseignements dans des cas où entre en jeu l’article 7 est fondamentalement inéquitable.

 

Prétentions des ministres

 

[47]           Les ministres soutiennent que la contestation par M. Almrei de la validité constitutionnelle de l’alinéa 83(1)e) est prématurée parce qu’elle ne repose pas sur un fondement probatoire convenable. En effet, l’audience portant sur le caractère raisonnable n’ayant pas encore commencé (au moment du dépôt de la requête), nulle audience à huis clos n’a pu nécessiter que davantage de renseignements soient divulgués. En l’absence de toute preuve d’atteinte réelle aux droits constitutionnels de M. Almrei par la disposition contestée, ce dernier demande que décision soit rendue sur sa contestation dans un vide factuel. Or, la jurisprudence s’est montrée défavorable à ce qu’on tranche sans fondement factuel des questions constitutionnelles. La Cour devrait donc s’abstenir de statuer sur la validité constitutionnelle de l’alinéa 83(1)e) avant qu’une audience n’ait été tenue à huis clos, que le juge désigné et les avocats spéciaux n’aient exercé les fonctions qui leur incombent et qu’un fondement probatoire convenable n’ait été présenté.

 

[48]           Les ministres affirment qu’on ne peut interpréter l’alinéa 83(1)e) comme autorisant la mise en balance de raisons d’intérêt public, parce que le sens de la disposition est manifeste – le juge désigné ne doit permettre aucune divulgation de renseignements qui porterait atteinte à la sécurité nationale. Le libellé clair et non ambigu de la loi ne peut être interprété comme prescrivant la mise en balance des raisons d’intérêt public justifiant la divulgation et des raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation. On ne peut recourir à la Charte comme outil d’interprétation pour affirmer que la loi prévoit la mise en balance d’intérêts, parce que la loi n’est pas ambiguë.

 

[49]           Selon les ministres, l’intention manifeste du législateur à l’alinéa 83(1)e) était qu’on ne procède pas à une mise en balance d’intérêts. Lors des délibérations entourant les modifications proposées à la LIPR, on a entendu en Chambre des observations sur le recours à la mise en balance d’intérêts, mais le législateur a choisi de ne pas suivre cette voie. Dans l’arrêt Charkaoui 1, la Cour suprême s’est penchée sur divers régimes, notamment celui de la Loi sur la preuve au Canada, où l’on avait concilié la nécessité d’assurer la protection, d’un côté, de renseignements afférents à la sécurité nationale, et de l’autre, de droits procéduraux constitutionnels. La Cour suprême a conclu que la Loi sur la preuve au Canada ne traitait pas des mêmes problèmes que la LIPR et, qu’en conséquence, elle n’était que d’une utilité limitée.

 

[50]           Le législateur a donc opté pour un régime différent de celui prévu par la Loi sur la preuve au Canada. Le législateur a insisté sur l’importance qu’il y avait de protéger les renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le législateur n’ayant pas suivi la recommandation d’introduire dans la LIPR un critère de mise en balance d’intérêts, il n’y a pas lieu, selon les ministres, d’interpréter cette loi comme comportant une telle exigence.

 

[51]           Les ministres font valoir la conformité aux principes de justice fondamentale de la disposition contestée, celle‑ci prévoyant un processus qui assure la protection des intérêts de M. Almrei lorsqu’une audience est tenue à huis clos. Comme la Cour suprême l’a reconnu dans l’arrêt Charkaoui 1, le droit à la divulgation pourrait ne pas être absolu dans les affaires de certificat de sécurité.

 

[52]           Les ministres ajoutent qu’il ne découle pas des principes de justice fondamentale la nécessité d’offrir à la personne désignée la procédure la plus favorable. Ces principes commandent uniquement que soit équitable la procédure servant à établir le caractère raisonnable du certificat de sécurité. Lorsqu’est en cause la sécurité nationale, ce que la justice fondamentale requiert c’est la mise en place d’un mécanisme convenable visant à assurer, autant qu’il est possible, la protection adéquate des droits et intérêts de la personne désignée.

 

[53]           Selon les ministres, le législateur a atténué les désavantages qu’il y avait pour M. Almrei d’être absent de l’audience tenue à huis clos en prévoyant la désignation d’avocats spéciaux chargés de défendre ses intérêts. Ceux‑ci veilleront à ce que le droit et tous les faits pertinents soient présentés au juge désigné et à ce que M. Almrei obtienne autant de renseignements qu’il est possible pour connaître l’essentiel de la thèse des ministres contre lui. Les avocats spéciaux s’acquitteront de cette tâche en examinant les renseignements confidentiels et en vérifiant la pertinence, la fiabilité et le caractère suffisant des éléments de preuve présentés. Ils contesteront les prétentions en matière de divulgation des ministres en veillant à convaincre le juge désigné que soient inclus autant de renseignements que possible dans les résumés fournis à M. Almrei et à son conseil.

 

Analyse

 

[54]           Tout comme les ministres, j’estime au stade actuel de l’instance et en l’absence de preuve quant à la façon dont la disposition législative contestée pourrait porter atteinte aux droits reconnus par la Charte au défendeur, qu’il serait prématuré de formuler plus avant des commentaires sur la constitutionnalité de cette disposition.

 

[55]           Après examen par le juge désigné et les avocats spéciaux, les renseignements et autres éléments de preuve qui sont pertinents et dont la divulgation ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui seront communiqués à M. Almrei et à son conseil sous forme de résumés. Les résumés établis et communiqués, outre les renseignements déjà reçus, pourraient rendre M. Almrei et son conseil suffisamment informés de l’essentiel de la thèse des ministres contre le défendeur. La Cour pourra juger que certains renseignements ne sont pas pertinents pour la cause de M. Almrei et refuser de les entendre ou de les admettre en preuve. Pour bien évaluer s’il y a effectivement eu violation du droit du défendeur à une audition équitable, il est nécessaire de disposer des résumés et de connaître les autres renseignements et éléments de preuve dont la divulgation peut lui être faite après la tenue des audiences à huis clos.

 

[56]           Jusqu’à ce que le juge désigné ait eu l’occasion, avec les avocats spéciaux, d’examiner et de vérifier les renseignements et éléments de preuve soumis par les ministres à huis clos, ainsi que d’en établir un résumé en application de l’alinéa 83(1)e), ce n’est que de manière hypothétique qu’on pourrait conclure en la violation du droit du défendeur de connaître la thèse présentée contre lui et de pouvoir se préparer à y répondre. Il faut laisser le juge désigné et les avocats spéciaux s’acquitter du rôle qui leur est assigné en ce qui concerne la réception, l’évaluation et la divulgation de la preuve présentée à huis clos par les ministres.

 

[57]           Deux concepts sous‑tendent le régime des certificats de sécurité, soit la protection de la sécurité nationale et le droit à une audition équitable. L’alinéa 83(1)d) de la LIPR impose comme obligation au juge désigné de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. La disposition contestée, l’alinéa 83(1)e) de la LIPR, requiert du juge qu’il veille à ce que soit fourni à la personne désignée un résumé de ces renseignements et autres éléments de preuve qui lui permette d’être suffisamment informé de la thèse des ministres.

 

[58]           Bien que le mot « suffisamment » utilisé dans la version française de l’alinéa 83(1)e) soit habituellement rendu par l’expression « sufficiently » en anglais, j’estime, si je lis l’alinéa en son entier, que les mots utilisés dans les versions française et anglaise ont le même sens. La disposition vise à permettre qu’assez de renseignements soient divulgués à la personne désignée pour qu’elle soit suffisamment informée de la thèse des ministres. Ce qui est ou non suffisant dépendra en grande partie de la pertinence des renseignements en cause.

 

[59]           Le législateur a enjoint au juge désigné de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le législateur a également enjoint au juge désigné de fournir à la personne désignée, tout au long de l’instance, des résumés lui permettant d’être suffisamment informée de la thèse des ministres. Ces concepts ne sont pas nécessairement, selon moi, divergents ni incompatibles. Quoi qu’il en soit, en l’absence d’un contexte factuel présenté, qui oblige la Cour à choisir entre la divulgation et la protection de renseignements, il est prématuré de laisser entendre que la Cour ferait obstacle à la divulgation de renseignements pertinents qui pourraient aider le défendeur.

 

Preuve obtenue par suite du recours à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

 

[60]           Le défendeur sollicite une déclaration de principes devant s’appliquer pour trancher la question de savoir si des renseignements seront exclus parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus d’une manière tombant sous le coup de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Rés. A.G. 39/46, annexe, 39 Doc. off. AG Nu, supp. no 51, 197, Doc. N.U. A/39/51 (1984)], 1465 RTNU.

 

[61]           Le défendeur reconnaît qu’il n’a jamais été allégué à ce jour dans le cadre de la présente instance que des renseignements ou autres éléments de preuve s’inscrivant dans la thèse des ministres à son encontre avaient été obtenus par suite du recours à la torture ou à d’autres peines ou traitements CID.

 

[62]           Le paragraphe 83(1.1) de la LIPR prévoit qu’on ne doit pas considérer la preuve obtenue sous ce mode digne de foi ou utile pour les besoins de toute instance relative à un certificat de sécurité. La torture est définie par renvoi aux infractions applicables du Code criminel prohibant un tel comportement, mais les peines ou traitements CID ne sont quant à eux définis ni dans la LIPR ni au Code criminel. Le défendeur estime que la Cour devrait combler ce vide législatif et définir les peines ou traitements CID.

 

[63]           Le défendeur soutient en outre que lorsque son conseil ou les avocats spéciaux affirment de manière vraisemblable que des éléments de preuve ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à d’autres peines ou traitements CID, il conviendrait que la Cour examine la question de savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire que les renseignements en cause ont bel et bien été obtenus par recours à de tels traitements ou peines. Le défendeur soutient qu’il ne devrait pas être nécessaire de démontrer que le renseignement particulier en cause a été obtenu par suite du recours à un tel traitement ou peine, et laisse entendre qu’un renseignements présenté par le gouvernement devrait être exclu lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il a été obtenu d’une source, d’un État ou d’un service qui recourt de manière systématique à la torture ou à d’autres peines ou traitements CID.

 

[64]           Les ministres soutiennent pour leur part, et je suis d’accord avec eux, que cette requête est également prématurée. Comme l’application de ces principes nécessite un fondement probatoire très particulier, je ne vois aucun avantage d’en traiter pour le moment dans l’abstrait.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête fondée sur la Constitution concernant la communication par les avocats spéciaux est rejetée parce que prématurée, sans qu’il soit porté atteinte au droit de toute partie de contester plus tard, s’il existe un contexte factuel adéquat, la constitutionnalité du paragraphe 85.4(2) et de l’alinéa 85.5b) de la LIPR.
  2. La réparation subsidiaire sollicitée est refusée. Les avocats spéciaux doivent obtenir l’autorisation de la Cour avant de communiquer leurs réponses aux questions posées par le défendeur.
  3. La requête en vue d’introduire le critère de la mise en balance d’intérêts énoncé à l’article 38.06 de la Loi sur la preuve au Canada est rejetée, sans qu’il soit porté atteinte au droit de toute partie de contester plus tard, s’il existe un fondement factuel adéquat, la constitutionnalité de l’alinéa 83(1)e) de la LIPR.
  4. La Cour ne prononcera pas de déclaration de principes en ce moment au sujet de la divulgation de renseignements au défendeur.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                     DES‑3‑08

 

INTITULÉ :                                    AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR),

 

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR,

 

ET Hassan ALMREI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :            Le 18 février 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                    Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :         Le 27 mars 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Marianne Zoric

Urszula Kaczmarczyk

Bernard Assan

Marcel Larouche

 

Lorne Waldman

pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité

publique et de la Protection civile

 

 

pour Hassan Almrei

 

Paul Copeland

 

pour les avocats spéciaux

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité

publique et de la Protection civile

 

Waldman and Associates

Toronto (Ontario)

 

Copeland, Duncan

Toronto (Ontario)

 

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Ottawa (Ontario)

pour Hassan Almrei

 

 

pour les avocats spéciaux

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.