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Date : 20090527

Dossier : T-1971-08

Référence : 2009 CF 554

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 mai 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

AYC PHARMACY LTD.

et NIKHIL BUHECHA

demandeurs

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA, représentée par

le MINISTRE DE LA SANTÉ,

le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET FIRST CANADIAN HEALTH MANAGEMENT CORPORATION INC.

 

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’un appel de l’ordonnance du protonotaire rejetant les requêtes des défendeurs en vue d’obtenir la radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

 

  • [2] Les demandeurs (désignés collectivement AYC) exploitent une pharmacie. First Canadian Health Management Corp. (FCH) gère le processus de facturation directe et de paiement lié aux réclamations présentées en vertu du Programme des services de santé non assurés. Santé Canada a créé ce Programme afin de fournir aux membres admissibles des Premières Nations, ainsi qu’aux Inuits et Innus reconnus, des biens et des services médicaux non couverts par les régimes d’assurance fédéraux, provinciaux ou territoriaux, ou par les régimes d’assurance privés.

 

  • [3] Le 21 novembre 2007, AYC et FCH ont conclu une entente écrite permettant à AYC d’être fournisseur de produits pharmaceutiques pour les clients du Programme des services de santé non assurés; AYC serait ensuite remboursé directement par la FCH pour ces produits et services. La section 8 de cette entente établit le droit de mettre fin à l’entente, soit en donnant un avis, pour cause sans avis, ou après avoir donné un avis de lacunes qui n’ont pas été corrigées. La disposition relative à la résiliation a précédemment été examinée par la juge Sharlow, tel était alors son titre, dans 687764 Alberta Ltd. v. Canada (Minister of Health), [1999] F.C.J. No. 545; 166 F.T.R. 87. Dans cette affaire, la résiliation a été effectuée pour cause sans avis. En l’espèce, l’entente a été résiliée à la fin de l’année civile en donnant un préavis par écrit d’au moins 90 jours.

 

  • [4] FCH a présenté cet avis de résiliation dans une lettre datée du 30 septembre 2008. Une journée avant, FCH a informé AYC, dans une lettre datée du 29 septembre 2008, qu’il avait été sélectionné pour une vérification sur place des demandes qui lui avaient été payées au nom des clients du Programme des services de santé non assurés. Les dates rapprochées de ces lettres ont mené AYC à penser qu’elles étaient liées. AYC soutient que ceci lui a donné une raison valable de croire que si la vérification cernait des préoccupations, AYC aurait la possibilité d’en discuter avec FCH pour convaincre cette dernière de retirer l’avis de résiliation.

 

  • [5] Cette vérification a été effectuée et un rapport a été publié le 19 novembre 2008, indiquant qu’AYC avait reçu des paiements en trop. L’avocat d’AYC a écrit à FCH pour contester certains aspects de la vérification et il a mentionné qu’AYC avait corrigé les lacunes relevées; il a demandé que l’avis de résiliation soit différé afin que les parties puissent discuter davantage de la vérification. FCH a répondu en indiquant que le contrat se terminerait le 31 décembre 2008, comme cela avait été annoncé précédemment.

 

  • [6] Les défendeurs ont présenté une requête en radiation de l’avis de demande au motif que la résiliation de l’entente entre AYC et FCH n’est pas susceptible de contrôle judiciaire et en tenant pour acquis que la demande n’a aucune chance d’être accueillie. Ils ont prétendu que la relation entre AYC et FCH était une question de droit privé des contrats et qu’elle n’était pas soumise à la décision d’un « office fédéral ». Ils ont fait valoir en outre qu’en résiliant l’entente, FCH n’agissait pas à titre d’entité qui exerçait ou était censée exercer la compétence et les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu d’une loi du Parlement, et par conséquent, la compétence de cette Cour ne s’appliquait pas. De plus et dans tous les cas, les défendeurs ont prétendu que les demandeurs n’avaient aucun droit d’être entendus avant que l’entente soit résiliée, citant la décision 867764 Alberta Ltd. Enfin, ils ont affirmé que même si FCH était considérée comme une autorité publique ou l’alter ego d’une autorité publique, la Cour suprême du Canada, dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, reconnaît que les fonctions du droit public ne sont pas mises en application lorsque la relation est contractuelle.

 

  • [7] En rejetant la requête, le protonotaire a conclu que bien que les défendeurs aient [traduction] « soulevé des arguments convaincants », il n’était pas convaincu que la demande n’avait aucune chance d’être accueillie, ou que l’objection des défendeurs devrait être examinée à l’aide d’une injonction interlocutoire en l’absence d’un dossier de preuve complet.

 

  • [8] Le critère applicable à un appel interjeté de la décision d’un protonotaire a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Merck & Co. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459. Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf si la question soulevée a une influence déterminante sur l’issue de l’affaire ou que l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. Dans ces cas, la Cour peut examiner l’affaire de novo.

 

  • [9] Les défendeurs prétendent que la question déterminante en l’espèce est l’effet de l’entente [traduction] « sur les droits de FCH et d’AYC lorsqu’une des parties décide de résilier l’entente sur préavis de 90 jours ». La Cour a conclu que ce n’est pas la question, mais le résultat qui détermine si la question en litige est déterminante : voir Peter G. White Management ltd. c.. Canada, [2007] A.C.F. no 931, 2007 CF 686; Chrysler Canada Inc. c. Canada, 2008 CF 1049; Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc., [2009] A.C.F. no 179, 2009 CF 120. Par conséquent, lorsqu’une procédure a été radiée, cette décision est déterminante pour l’issue du litige puisqu’elle statue effectivement sur l’action ou la demande dont la Cour est saisie; toutefois, dans un cas comme celui en espèce où le protonotaire n’a pas radié la procédure, la décision n’a pas offert de conclusion quant à l’affaire et ne peut donc pas être jugée déterminante pour l’issue de l’affaire.

 

  • [10] Par conséquent, en l’espèce, pour effectuer un examen de novo, la Cour doit déterminer que le protonotaire a mal interprété les faits ou s’est appuyé sur un mauvais principe. Les défendeurs n’indiquent aucunement que le protonotaire a mal interprété les faits en l’espèce. Ils prétendent qu’il s’est appuyé sur un mauvais principe.

 

  • [11] Les défendeurs affirment premièrement que le protonotaire a commis une erreur en n’appliquant pas le principe voulant que puisque la relation entre AYC et FCH est une relation contractuelle, il s’agit d’une question de droit privé et un contrôle judiciaire n’est pas disponible puisqu’il n’envisage pas la participation du Canada. En l’espèce, toutefois, les demandeurs font valoir qu’AYC est l’alter ego, ou un organisme administratif, du ministre de la Santé. Si cela est établi, cette affaire pourrait relever de la compétence de la Cour. Bien que cette observation semble ténue dans le dossier actuel, on ne peut pas dire qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie, surtout puisqu’un dossier complet n’a pas encore été élaboré.

 

  • [12] Les défendeurs prétendent en deuxième lieu que le protonotaire a commis une erreur en ne tenant pas adéquatement compte de la décision dans Dunsmuir et ils se fondent sur l’opinion dissidente du juge Deschamps dans Société de l’assurance automobile du Québec c. Cyr, [2008] A.C.F. no 13, 2008 CSC 13, en tant qu’illustration de l’incidence de la décision Dunsmuir. Le juge Deschamps a conclu qu’il y avait une relation contractuelle entre les parties et a écrit que « [les] lacunes qui justifiaient le recours au droit public ne sont pas présentes dans les cas où il existe un rapport contractuel établi ».

 

  • [13] On fait valoir, d’après cette jurisprudence, que la demande de contrôle judiciaire est vouée à l’échec. Si tel est le cas, elle n’a aucune chance d’être accueillie et elle devrait être radiée à un stade préliminaire.

 

  • [14] Sans aucun doute, ces décisions présenteront un obstacle important pour les demandeurs en l’espèce. Le mois dernier, la Cour d’appel fédérale dans Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), [2009] A.C.F. no 449, 2009 CAF 116, a observé que l’incidence de ces décisions était telle qu’un contrôle judiciaire a pratiquement été éliminé au moment de traiter des ententes commerciales.

Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour a examiné (aux paragraphes 102 à 117), de l’imposition d’une obligation d’équité avant la démission d’un employé de la Couronne et titulaire de charge publique. La Cour a statué que, en règle générale, une obligation d’équité procédurale, et les réparations autres que des dommages-intérêts pour violation de contrat, n’ont pas leur place dans une relation juridique entre le ministère public, d’une part, et les titulaires de charge publique et les employés, d’autre part, lorsque leur relation est essentiellement issue d’un contrat.

 

Certes, les faits en l’espèce sont différents de ceux dans l’arrêt Dunsmuir puisque les appelantes ne peuvent opposer aucun droit contractuel à TPSGC. Néanmoins, le raisonnement général formulé dans les arrêts Design Services et Dunsmuir tient à ce que lorsque la Couronne conclut un contrat, ses droits et obligations, ainsi que les recours dont elle dispose, doivent généralement être déterminés par le droit des contrats.

 

 Enfin, si, dans une affaire, l’inconduite des autorités gouvernementales était accablante au point de mettre en jeu l’intérêt public de maintenir l’intégrité du processus d’acquisition, il ne faudrait pas que soit exclue la possibilité d’une intervention judiciaire sur l’initiative d’un sous-traitant. Toutefois, compte tenu des solides raisons pour lesquelles les litiges liés au processus d’acquisition devraient demeurer régis par le droit des contrats, tout contrôle judiciaire visant à demander à la Cour d’examiner l’équité du processus ne sera accordé à des sous-traitants que dans des circonstances exceptionnelles.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

  • [15] On fait valoir, d’après cette jurisprudence, que la demande de contrôle judiciaire est vouée à l’échec. Si tel est le cas, elle n’a aucune chance d’être accueillie et elle devrait être radiée à un stade préliminaire. La Cour d’appel fédérale n’écarte pas la possibilité qu’il puisse y avoir des cas où un contrôle judiciaire ait été approprié, même en présence d’un contrat commercial. À mon avis, il n’est pas possible d’affirmer à cette étape de la procédure que l’espèce est un cas où il est possible d’affirmer clairement et de façon évidente qu’un contrôle judiciaire n’est pas disponible; un dossier complet est nécessaire avant de pouvoir rendre une telle décision. Je conclus que le protonotaire n’a pas agi en fonction d’un mauvais principe en ne procédant pas à une radiation sur la base de la décision rendue dans Dunsmuir. Par conséquent, l’appel est rejeté avec dépens attribués aux demandeurs.


 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE ce qui suit : Les appels des défendeurs sont rejetés, avec dépens attribués aux demandeurs.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :  T-1971-08

 

INTITULÉ :  AYC PHARMACY LTD. ET NIKHIL BUHECHA

  c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par LE MINISTRE DE LA SANTÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

  et FIRST CANADIAN HEALTH MANAGEMENT CORPORATION INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 25 MAI 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS:  LE 27 MAI 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Harvey, c.r.

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Toireasa Jespersen

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

 

Ryan Dalziel

POUR LE DÉFENDEUR

FIRST CANADIAN HEALTH MANAGEMENT CORPORATION INC.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MACKENZIE FUJISAWA LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES APPELANTS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

 

BULL, HOUSSER & TUPPER LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

FIRST CANADIAN HEALTH MANAGEMENT CORPORATION INC

 

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