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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale


Date : 20090602

Dossier : T‑674‑08

Référence : 2009 CF 570

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

COLLEEN HAMMOND

WILLIAM WESTCOTT

et GENEVIEVE GIBBONS

 

demandeurs

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 1er avril 2008 (la Décision) par laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) a rejeté les plaintes portées contre les défendeurs par les demandeurs, au motif qu’il y aurait eu abus de pouvoir dans des évaluations du mérite dans le cadre d’un processus de nomination annoncé à l’échelle internationale par Service Canada à St. John’s (Terre‑Neuve).

 

CONTEXTE

 

[2]               La nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la Loi) est entrée en vigueur le 31 décembre 2005 dans le cadre de l’adoption de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. Le projet de modernisation a donné lieu à la première modification d’importance apportée depuis 1967 à la législation relative aux ressources humaines de la fonction publique.

 

[3]               L’objectif visé par la nouvelle loi était de réformer l’ancien régime de dotation jugé être trop complexe et trop lent. Le nouveau régime de dotation permettait aux gestionnaires de doter les postes vacants en temps utile par des personnes qualifiées, de manière à ce que la fonction publique puisse bien s’acquitter de son rôle de servir les Canadiens. Avec le nouveau système on ne recourait plus à des « concours » ou à des concepts comme celui de « mérite relatif ». L’accent était mis, plutôt, sur la recherche de la personne la mieux qualifiée pour l’emploi tel qu’en décidait l’administrateur général de chaque ministère.

 

[4]               Les demandeurs travaillent au ministère des Ressources humaines et du Développement social (le Ministère). Mme Hammond est conseillère en programme d’assurance (PM‑03), M. Westcott est agent de prestations d’emploi (PM‑02), et Mme Gibbons est agente de programme (PM‑02).

 

[5]               Le 13 juin 2006, le Ministère a affiché une offre d’emploi pour certains postes de consultant régional (PM‑04) à St. John’s (Terre‑Neuve).

 

[6]               Les demandeurs ont participé à un processus de sélection visant à doter des postes de consultants régionaux, dans le cadre duquel des références étaient requises. La question en litige devant le Tribunal était liée aux références transmises pour le compte de Mme Hammond quant aux « qualités personnelles – travail d’équipe » et pour M. Westcott et Mme Gibbons quant aux « aptitudes – établissement de relations ».

 

[7]               Les consignes pour la vérification des références s’appliquaient à toutes les qualifications et figuraient sur la première page de la documentation fournie aux répondants. Chaque qualification évaluée faisait intervenir plusieurs éléments. On demandait dans les consignes de donner des exemples précis à l’égard de chaque qualification, comme suit : [traduction] « Veuillez formuler des commentaires faisant ressortir comment le candidat a fait montre dans son travail des aptitudes et habiletés ci‑après mentionnées. Des exemples de situations précises devraient être fournis au regard de chaque qualification ».

 

[8]               Selon les demandeurs, le comité d’évaluation requérait que chaque élément soit abordé pour qu’une référence soit considérée évaluer convenablement le mérite, mais aucun des répondants n’a fourni d’exemples précis à l’égard de chaque élément. On a omis dans les références de donner des exemples relativement à certains éléments, bien qu’on y ait formulé des commentaires généraux se rapportant à tous les éléments.

 

[9]               Lorsqu’aucun commentaire précis n’était formulé à l’égard d’un élément particulier d’une qualification, les demandeurs soutiennent‑ils, le comité d’évaluation a considéré que l’élément n’avait pas été évalué, et a fait abstraction des commentaires positifs généraux faits à leur éloge quant à tous les éléments, ou plusieurs d’entre eux, liés à la qualification. Le comité d’évaluation n’a pas demandé aux répondants de présenter de nouvelles références ni de donner des précisions pour l’une ou l’autre d’entre elles. Les demandeurs ont été éliminés du processus de nomination à l’étape de la présélection et ils ont ainsi perdu l’occasion d’obtenir une promotion.

 

[10]           On a jugé que Mme Hammond ne possédait pas la qualification du « travail d’équipe ». Pour les réponses données lors de son entrevue, elle a obtenu la note « faible – acceptable », et pour les réponses fournies par ses répondants, la note « acceptable ». Le comité d’évaluation a formulé le commentaire suivant : [traduction] « Acceptable d’après la référence. Pas traité suffisamment des QP [qualités personnelles] pour que soit démontré davantage qu’une compétence acceptable dans le domaine. Note globale f. – acceptable ». Le comité d’évaluation a attribué la note de 30, soit la plus faible pour la fourchette de l’acceptable, au titre des qualités personnelles. On mentionnait ce qui suit dans la référence de Mme Hammond :

[traduction]

Colleen est très bien dans ce domaine. Elle travaille bien en équipe + est très ouverte + sincère dans ses rapports avec les gens. Elle est très intègre + est très respectueuse de l’opinion d’autrui. Les conflits la troublent quelque peu + elle tend à les éviter plutôt qu’à y faire face.

 

[11]           Le comité d’évaluation a conclu que M. Westcott ne satisfaisait pas aux exigences de la qualification « établissement de relations ». Pour les réponses données lors de son entrevue, il a obtenu la note « faible », et pour les réponses fournies par ses répondants, la note « acceptable ». Le comité d’évaluation a formulé le commentaire suivant à l’égard de la référence : [traduction] « on n’a répondu qu’à 3 des 7 éléments dans la référence. La note globale est faible – acceptable ». Le comité d’évaluation a attribué la note 50, dans la fourchette de l’acceptable, au titre de l’établissement des relations pour M. Westcott. On mentionnait ce qui suit dans la référence de ce dernier :

[traduction]

Lorsque j’étais gestionnaire à SCC à St. John’s, Bill assurait la liaison avec la communauté des personnes handicapées et il a contribué à l’établissement d’alliances stratégiques et à la cueillette de renseignements sur diverses questions. Ses efforts dans ce domaine ont beaucoup aidé pour faire en sorte que nos services soient bien adaptés aux besoins de la clientèle. Bill a également établi des relations de travail avec le réseau EAS. Cela a été essentiel pour assurer l’efficacité du service à la clientèle. Il a fourni au réseau l’information nécessaire pour que le meilleur service possible soit dispensé aux clients. Bill avait noué de solides relations de travail avec ses pairs et son superviseur. Il manifestait de l’intérêt envers les activités des tiers, à qui il faisait profiter de ses connaissances et de son expérience au besoin.

 

[12]           Le comité d’évaluation a conclu que Mme Gibbons ne satisfaisait pas aux exigences de la qualification « établissement de relations ». Pour les réponses données lors de son entrevue, elle a obtenu la note « faible – acceptable », et pour les réponses fournies par ses répondants, la note « moyen – acceptable ». Le comité d’évaluation a formulé le commentaire suivant : [traduction] « On n’a pas traité des 7 éléments prévus pour la référence. On fait allusion au sens de la coopération et au professionnalisme de la candidate, mais pour l’essentiel on n’a pas abordé les éléments clés à l’égard de cette aptitude. » Le comité d’évaluation a attribué la note 50, dans la fourchette de l’acceptable, au titre de l’établissement de relations pour Mme Gibbons. On mentionnait ce qui suit dans la référence de cette dernière.

[traduction]

Tout au long de ce projet pilote, Genevieve a démontré qu’elle pouvait bien travailler avec divers types de personnes. Elle a travaillé en étroite collaboration avec les employés du JATE et, bien qu’il y ait eu parfois des tensions et des affrontements, elle a persévéré et tenté de régler toute question à laquelle ils pouvaient être confrontés. Je crois qu’être exposée pendant un certain temps à pareilles situations lui a donné l’occasion de mûrir et d’apprendre en faisant l’expérience d’un type de travail différent. Genevieve a souvent fait plus que le nécessaire pour aider l’organisation, pour ensuite découvrir que cela se retournait contre elle; cela l’a quelque peu peinée, mais elle a considéré qu’il s’agissait alors d’une occasion d’apprendre plutôt que d’une situation qui avait quelque chose de personnel. Son travail au Labrador pour notre ministère l’a obligée à faire face à de nombreuses questions d’adaptation aux différences culturelles, à diverses questions politiques et à d’importantes questions de développement économique; elle a alors toujours agi avec professionnalisme et à‑propos.

 

 

 

[13]           Pour les références, le comité d’évaluation pouvait attribuer l’une des cotes suivantes : « insatisfaisant », « faible », « acceptable », « bien », « très bien » ou « excellent ». Le conseil a utilisé une grille pour convertir le résultat en une note variant de 0 à 50 points au regard des qualités personnelles et de 0 à 80 au regard de l’établissement de relations. Les résultats ont été consignés sur la feuille de résultats de chaque demandeur. On a additionné les notes obtenues par suite de la vérification des références et des entrevues des demandeurs pour obtenir la « cotation narrative globale » relativement aux qualifications en cause. Les demandeurs ne satisfaisaient pas aux exigences minimales pour ces qualifications, et ils ont ainsi été éliminés à la présélection. Si les demandeurs avaient obtenu pour leurs références les cotes plus élevées d’« acceptable » ou de « bien », ils auraient continué de prendre part au processus de sélection.

 

[14]           Entre le 13 février et le 5 mars 2007, chaque demandeur a déposé une plainte auprès du Tribunal en application de l’alinéa 77(1)a) de la Loi et a présenté des allégations distinctes. Le 2 octobre 2007, les plaintes ont été réunies. On alléguait dans les trois plaintes l’abus de pouvoir de la part des défendeurs et l’administrateur général de Service Canada dans l’évaluation de leurs qualifications. Tous les candidats, y compris les demandeurs, ont été évalués au moyen d’une entrevue et d’une vérification des références.

 

[15]           Mme Hammond a plus précisément allégué [traduction] « que le comité de sélection avait le pouvoir, et il en avait le devoir envers tous les candidats, de s’assurer que tous les renseignements sollicités et obtenus des répondants soient à jour ainsi que suffisants pour bien fonder son évaluation ». M. Westcott et Mme Gibbons ont pour leur part déclaré que [traduction] « [l]e comité de sélection a abusé de son pouvoir en décidant de ne pas demander au répondant ayant fourni une référence pour le sous‑facteur de qualification "aptitudes – établissement de relation" des éclaircissements au sujet des éléments jugés non abordés, et en n’assurant pas un suivi auprès de ce répondant [...] »

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[16]           Les demandeurs ont soutenu devant le Tribunal que les défendeurs avaient abusé de leur pouvoir, aux termes de l’article 77 de la Loi, en agissant sur la foi de renseignements incomplets et insuffisants quant aux vérifications de références effectuées dans le cadre du processus d’évaluation.

 

[17]           Le Tribunal a établi qu’il y avait deux questions à trancher :

1)                  Y a‑t‑il eu abus de pouvoir du fait de l’évaluation des candidats en fonction de renseignements insuffisants?

2)                  Le refus de fournir une référence à l’égard d’un candidat a‑t‑il constitué un abus de pouvoir?

 

[18]           Le Tribunal a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau leur incombant de présenter une preuve convaincante d’abus de pouvoir dans l’évaluation de leurs qualifications. Le Tribunal a également conclu que les demandeurs n’avaient pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs avaient abusé de leur pouvoir du fait de l’omission de gestionnaires de fournir des références, comme la Loi ne leur conférait aucun pouvoir.

 

[19]           Le Tribunal a conclu (1) qu’aucune preuve convaincante n’étayait la prétention selon laquelle le comité d’évaluation ne disposait pas de l’information nécessaire pour prendre une décision éclairée, (2) qu’aucune preuve convaincante ne démontrait que soit les répondants, soit les membres du comité avaient un parti pris ou n’avaient pas reçu des consignes ou des renseignements suffisants et (3) qu’aucun autre renseignement ne démontrait qu’une faille importante avait entaché le processus.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[20]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

1)                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2)                  Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur portant atteinte à l’équité procédurale en faisant expressément abstraction d’éléments de preuve documentaire et en déclarant à tort ne pas avoir été saisi d’un document pertinent?

3)                  Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère approprié pour établir si le comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[21]           Les dispositions qui suivent de la Loi sont applicables dans la présente instance.

2(4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

 

Principes

 

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

 

Définition du mérite

 

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

 

b) la Commission prend en compte :

 

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

 

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

 

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

 

Méthode d’évaluation

 

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous‑alinéa 30(2)b)(i).

 

 

 

Motifs des plaintes

 

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui‑ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

 

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

 

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en

 

contravention du paragraphe 37(1).

 

Zone de recours

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1), une personne est dans la zone de recours si :

 

 

a) dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, elle est un candidat non reçu et est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34;

 

b) dans le cas d’un processus de nomination interne non annoncé, elle est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34.

 

Exclusion

 

(3) Le Tribunal ne peut entendre les allégations portant qu’il y a eu fraude dans le processus de nomination ou que la nomination ou la proposition de nomination a résulté de l’exercice d’une influence politique.

 

102. (1) La décision du Tribunal est définitive et n’est pas susceptible d’examen ou de révision devant un autre tribunal.

2(4) For greater certainty, a reference in this Act to abuse of authority shall be construed as including bad faith and personal favouritism.

 

Appointment on basis of merit

 

30. (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

 

Meaning of merit

 

(2) An appointment is made on the basis of merit when

 

 

 

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

 

(b) the Commission has regard to

 

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

 

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

 

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

 

Assessment methods

 

36. In making an appointment, the Commission may use any assessment method, such as a review of past performance and accomplishments, interviews and examinations, that it considers appropriate to determine whether a person meets the qualifications referred to in paragraph 30(2)(a) and subparagraph 30(2)(b)(i).

 

 

Grounds of complaint

 

77. (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

 

 

 

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

 

 

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non‑advertised internal appointment process; or

 

(c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice

 

as required by subsection 37(1).

 

Area of recourse

 

(2) For the purposes of subsection (1), a person is in the area of recourse if the person is

 

(a) an unsuccessful candidate in the area of selection determined under section 34, in the case of an advertised internal appointment process; and

 

(b) any person in the area of selection determined under section 34, in the case of a non‑advertised internal appointment process.

 

Excluded grounds

 

(3) The Tribunal may not consider an allegation that fraud occurred in an appointment process or that an appointment or proposed appointment was not free from political influence.

 

 

102. (1) Every decision of the Tribunal is final and may not be questioned or reviewed in any court.

NORME DE CONTRÔLE

 

[22]           Les demandeurs soutiennent que la première question en litige dans le cadre de la présente demande a trait à l’équité procédurale, à l’égard de laquelle la cour de révision n’a pas à faire preuve de déférence et qui appelle la norme de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, paragraphe 46).

 

[23]           Les demandeurs soutiennent que la seconde question concerne l’application du critère approprié en matière d’abus de pouvoir. Il s’agit là d’une question de droit et une analyse contextuelle est nécessaire pour établir quelle norme de contrôle est applicable. On doit prendre en compte dans cette analyse la clause privative visant le Tribunal, la raison d’être et l’expertise de celui‑ci ainsi que la nature de la question juridique en jeu (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 64).

 

[24]           Les demandeurs soulignent à ce titre que, bien qu’une clause privative protège la Décision du Tribunal, elle n’a pas la force de pareilles clauses prévues dans d’autres lois fédérales. Même si la clause privative indique qu’il faut faire preuve d’une certaine déférence envers la Décision du Tribunal, ça n’a pas à être la plus grande (article 102 de la Loi, Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, paragraphe 27 (Dr. Q), et Dunsmuir, paragraphe 52).

 

[25]           Le Tribunal ayant été constitué pour instruire les plaintes du type de celles portées par les demandeurs, ceux‑ci prétendent‑ils, il dispose d’une expertise particulière au regard des pratiques et procédures fédérales en dotation de la fonction publique. Le Tribunal n’a cependant aucune expertise à l’égard des questions de droit. La majorité de ses membres ne sont pas des avocats et la question en litige en l’espèce est le critère applicable en matière d’abus de pouvoir, soit, selon les demandeurs, une question d’ordre juridique qui échappe à l’expertise particulière du Tribunal. L’expertise du Tribunal quant au choix des facteurs pertinents pour l’application de la loi est moindre que celle d’une cour de révision, de sorte qu’aucune déférence n’est alors de mise (Dunsmuir, paragraphe 50; Dr. Q, paragraphes 28 et 29; Davies c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 188, paragraphes 21 et 22).

 

[26]           Les demandeurs soutiennent également que l’établissement du critère approprié pour l’abus de pouvoir constitue une question juridique d’ordre général ayant une incidence dans tous les domaines du droit administratif. C’est une question [traduction] « à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise du décisionnaire ». Ainsi, lorsque l’établissement de ce critère est en cause, selon les demandeurs, aucune déférence n’est de mise envers un tribunal administratif et c’est la norme de la décision correcte qu’il y a lieu d’appliquer. Les demandeurs ajoutent que c’est du fait de son erreur de droit que le Tribunal a pris en compte des éléments non pertinents, et fait abstraction d’éléments pertinents dont il disposait. Ce sont là des erreurs qui découlent, et font partie intégrante, de l’omission du Tribunal d’appliquer le critère convenant à l’abus de pouvoir, laquelle omission vicie sa Décision dans son ensemble (Dunsmuir, paragraphes 50, 54 et 59; Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 79, [2003] A.C.S. n° 64, paragraphe 62).

 

[27]           Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce, on peut dégager l’erreur du Tribunal sans prendre en compte les faits dont il était saisi; il ne s’agissait pas d’un cas où « le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent être aisément dissociés », aux termes de Dunsmuir, au paragraphe 53. Les demandeurs affirment toutefois également que, bien que la norme de la décision correcte soit celle applicable aux deux questions à l’examen en l’espèce, l’omission du Tribunal de reconnaître et de prendre en compte des documents qu’on lui avait soumis, ainsi que son omission d’appliquer le critère indiqué pour l’abus de pouvoir, étaient suffisamment flagrants pour que la Décision soit indéfendable, quel que soit le degré de déférence choisi. Par conséquent, selon les demandeurs, il manque à la Décision « la justification [...] la transparence et [...] l’intelligibilité » qui sont la marque d’une décision raisonnable (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

[28]           Les défendeurs soutiennent pour leur part que l’article 102 de la Loi constitue une clause privative claire et sans équivoque qui vise toutes les décisions du Tribunal. Il s’agit d’une « clause privative absolue et véritable » qui écarte tout contrôle par les cours et qui laisse voir que celles‑ci doivent faire preuve d’une grande déférence à l’égard des décisions du Tribunal.

 

[29]           Selon le préambule de la nouvelle Loi, la dotation doit permettre de compter sur une fonction publique non partisane et axée sur le mérite, et le pouvoir de dotation doit être délégué de manière à ce que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation. Les défendeurs affirment qu’en veillant à la réalisation de ce mandat, le Tribunal non seulement favorise les pratiques d’emploi équitables et transparentes, de même que les relations positives et harmonieuses entre la direction et le personnel, mais contribue également à ce qu’on dispose d’une fonction publique non partisane et axée sur le mérite, qui soit vouée à l’excellence et représentative de la diversité canadienne.

 

[30]           Les défendeurs font remarquer que le Tribunal est un tribunal spécialisé créé par une loi. Ses membres sont nommés par le gouverneur en conseil, et non des employés relevant de la Commission de la fonction publique, et la Loi requiert qu’ils aient de l’expertise ou des connaissances en matière d’emploi dans le secteur public. Le législateur reconnaît ainsi sans réserve l’expertise des membres du Tribunal. Il faut faire preuve d’une plus grande déférence à l’endroit d’un tribunal établi créé par une loi, qui est permanent et qui dispose d’un personnel ainsi que d’un service juridique, qu’à l’endroit d’un décisionnaire ad hoc (Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2005 CAF 366, paragraphe 21). Le Tribunal dispose d’une expertise relative quant aux questions de dotation de personnel.

 

[31]           Les défendeurs font également valoir le fait qu’en l’espèce, le Tribunal devait établir s’il y avait eu abus de pouvoir dans l’évaluation de qualifications, et en raison de l’omission de gestionnaires de fournir des références. Cela nécessitait d’apprécier tant des questions de droit que de fait, et n’équivalait pas, comme l’ont laissé entendre les défendeurs, à une question de droit « d’une importance capitale pour le système juridique » ou « étrangère au domaine d’expertise » du décisionnaire administratif. Selon les défendeurs, l’expertise du Tribunal dans l’interprétation des questions de dotation est plus grande que ne l’allèguent les demandeurs, ce qui donne lieu de croire que sa Décision commande une déférence plus élevée.

 

[32]           Les défendeurs soutiennent qu’on doit faire preuve d’une déférence élevée envers le Tribunal et, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir, que la norme de contrôle applicable en l’espèce devrait être celle de la raisonnabilité.

 

ARGUMENTATION DES PARTIES

            Les demandeurs

                                    L’omission du Tribunal de prendre en compte des éléments pertinents dont il était saisi

 

[33]           On a notamment versé au dossier du Tribunal, selon les demandeurs, les consignes pour la vérification des références; le dossier renvoie également au même document, dans le tableau où sont énumérées les pièces soumises au Tribunal. Celui‑ci a ainsi eu tort de dire dans ses motifs que ce document n’avait pas été produit en preuve et ne pouvait servir de fondement aux allégations qu’on lui avait fait valoir. Cela démontre que le Tribunal n’a pas pris en compte ce document et a jugé irréfuté le témoignage émanant du comité d’évaluation selon lequel « aucune exigence n’obligeait les répondants à fournir des commentaires pour chaque caractéristique ou comportement ».

 

[34]           Les demandeurs soulignent que les consignes pour la vérification des références constituaient un document clé pour établir le bien‑fondé de leur prétention selon laquelle les références sur lesquelles le comité d’évaluation s’était fondé pour procéder à son évaluation du mérite étaient incomplètes et insuffisantes. On renvoie à maintes reprises à ces consignes dans les observations écrites des demandeurs. Conjuguées aux feuilles de résultats, les consignes fournissaient clairement la preuve que les références sur lesquelles le comité s’est appuyé étaient incomplètes et insuffisantes aux fins de l’évaluation des qualifications en cause. En ne reconnaissant et ne prenant pas en compte la preuve dont il était saisi, ou en n’examinant pas convenablement les arguments avancés par les demandeurs relativement à la preuve qui y était citée, le Tribunal a commis une erreur portant atteinte à l’équité procédurale ainsi qu’aux droits procéduraux des demandeurs (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1996] A.C.S. n° 116, paragraphe 41; Nistor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 1805, paragraphe 37).

 

Omission d’appliquer le critère indiqué en matière d’abus de pouvoir

 

[35]           Les demandeurs relèvent qu’on a établi dans la Loi un nouveau régime de nominations en fonction du mérite au sein de la fonction publique fédérale. En vertu de la Loi, une nomination est fondée sur le mérite lorsque, selon la Commission de la fonction publique (ou son délégué), l’intéressé « possède les qualifications essentielles [...] pour le travail à accomplir ». Dans la Loi, l’ancien régime du mérite relatif a été remplacé en bonne partie par celui du mérite individuel. Les comités d’évaluation doivent établir, dans le cadre d’un processus de sélection interne, si les candidats possèdent les qualifications essentielles requises (paragraphe 30(2) de la Loi et Tibbs c. Canada (Sous‑ministre de la Défense nationale), 2006 TDFP 0008 (Tibbs), paragraphe 63).

 

[36]           Les demandeurs font valoir qu’en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi, le Tribunal doit examiner la plainte selon laquelle une personne n’a pas été nommée dans le cadre d’un processus de nomination interne du fait d’un « abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2) ».

 

[37]           Les demandeurs soulignent que le Tribunal, se conformant ainsi aux objectifs déclarés de sa loi habilitante, a donné une large définition au concept d’abus de pouvoir. L’abus de pouvoir n’a pas à être intentionnel et la Loi n’en restreint pas la définition aux seules questions particulières qui y sont mentionnées de la mauvaise foi, du favoritisme personnel ou de la discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6. Les demandeurs soutiennent que le Tribunal s’est fondé à maintes reprises sur le cadre analytique formulé par David Phillip Jones et Anne S. de Villars dans l’ouvrage Principles of Administrative Law, 4e éd. (Toronto: Thomson Carswell, 2004), aux pages 197 et 198. On présente dans ce cadre les catégories suivantes d’abus :

a)         Un pouvoir discrétionnaire est exercé dans une intention illégitime, en visant un but non autorisé ou des desseins secrets, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes.

b)         On se fonde sur des éléments insuffisants, du fait qu’on ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’on ne tient pas compte d’éléments pertinents.

c)         On exerce un pouvoir discrétionnaire en vue d’obtenir un résultat inéquitable, notamment lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires, rétroactives ou à visée incertaine sont prises.

d)         Une erreur de droit est commise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

e)         Une politique est adoptée ou un contrat passé qui entrave l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

Se reporter à Tibbs, paragraphes 70 et 72 et à Jolin c. Canada (Administratrice générale de Service Canada), 2007 TDFP 0011, paragraphe 70 (Jolin).

 

[38]           Les demandeurs signalent que le Tribunal a paraphrasé comme suit la seconde catégorie relevée par Jones et de Villars : « [l]orsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (notamment lorsqu’il ne dispose d’aucune preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents) ». C’est la seconde catégorie d’abus de pouvoir qui était en cause en l’espèce. Les catégories sont de large portée et s’appliquent à tous les domaines du droit administratif. Une demande peut devoir être adaptée au contexte factuel particulier où s’inscrivent les allégations.

 

[39]           Selon les demandeurs, lorsqu’on allègue qu’il y a eu abus de pouvoir du fait qu’un décisionnaire s’est fondé sur des éléments insuffisants, il est nécessaire d’examiner si ces éléments étaient bien insuffisants. Il faut alors aussi établir si l’on s’est fondé sur ces éléments insuffisants. Si le décisionnaire s’est véritablement fondé sur des renseignements insuffisants, il sera en outre nécessaire d’établir si le fait de se fonder sur ceux‑ci a eu un effet déterminant sur l’issue du litige (Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] A.C.S. n° 49 (Oakwood), pages 7 et 8; Tucci c. Canada (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), [1997] A.C.F. n° 159 (C.F. 1re inst.), paragraphes 8 et 9).

 

[40]           Les demandeurs affirment que le Tribunal n’a rien établi de ce qui précède lorsqu’il a appliqué le critère relatif à l’abus de pouvoir et qu’il a fait abstraction de la jurisprudence de la Cour fédérale quant au caractère suffisant des outils d’évaluation dans le cadre des processus de sélection de la fonction publique fédérale. Le Tribunal n’a pas compris, par conséquent, qu’était applicable l’arrêt Madracki c. Canada, [1986] A.C.F. n° 727 (CAF) (Madracki).

 

[41]           Dans l’arrêt Madracki, La Cour d’appel a statué qu’un outil d’évaluation doit véritablement évaluer la qualification en cause pour qu’il y ait évaluation au mérite. En l’espèce, le Tribunal a strictement porté son attention sur le fait qu’« il n’y a[vait] tout simplement pas de preuve qui permette de conclure que l’outil d’évaluation, soit celui qui portait sur la vérification des références, ne pouvait servir à évaluer correctement la qualification ». Il n’avait toutefois pas allégué devant le Tribunal qu’une vérification des références correctement réalisée, conformément aux consignes données, aurait constitué un outil déficient. Le Tribunal était par contre saisi d’une preuve montrant clairement que les références utilisées par le comité d’évaluation pour établir le mérite avaient un caractère incomplet et insuffisant. Elles ne satisfaisaient pas à l’exigence d’évaluation des qualifications en cause fixée dans l’arrêt Madracki, à la page 4.

 

[42]           Le Tribunal a déclaré ne pas avoir appliqué le raisonnement adopté dans l’arrêt Madracki parce que l’actuelle Loi ne requiert plus d’établir le mérite relatif. Or, le Tribunal a fait abstraction du fait que la Loi actuelle exige que les nominations soient conformes au principe du mérite, en fonction des critères établis par la Loi. Et l’un des critères concerne la question de savoir si le candidat possède ou non les qualifications essentielles pour le poste. Ainsi, en omettant d’examiner si la vérification des références avait valablement permis d’évaluer la qualification en cause, le Tribunal a mal appliqué le critère fixé dans Madracki quant au caractère suffisant d’un outil d’évaluation.

 

[43]           Les demandeurs signalent que le premier document permettant de constater le caractère insuffisant, en l’espèce, des références était les consignes pour la vérification des références. On demandait dans ces consignes de fournir des exemples précis à l’égard de chaque qualification; il n’est toutefois pas clair si on entend par « qualification » une large catégorie, comme « qualités personnelles – travail d’équipe », ou l’un des éléments énumérés d’une telle catégorie. Il ressort toutefois clairement des feuilles de résultats que le comité d’évaluation, quel qu’ait pu être le témoignage fait en son nom, a considéré qu’il était nécessaire que chaque élément soit abordé pour qu’une qualification soit valablement évaluée. Le Tribunal a déclaré à tort : « aucune preuve démontrant une mauvaise compréhension [...] de la part des répondants n’a été fournie ».

 

[44]           Les feuilles de résultats constituent également une preuve du caractère insuffisant des références fournies. On n’y traitait ni des qualifications en cause, ni d’éléments suffisants de pareilles qualifications. Bien qu’il ait conclu que « les commentaires écrits sur les feuilles de correction sommaire [étaient] très brefs et, dans chaque cas, la référence fournie permettait d’évaluer seulement certains aspects de la qualification en cause », le Tribunal a néanmoins fait abstraction d’éléments pertinents, comme il a dit : « il n’y a tout simplement pas de preuve qui permette de conclure que l’outil d’évaluation, soit celui qui portait sur la vérification des références, ne pouvait servir à évaluer correctement la qualification qui semble faire défaut à chaque plaignant ». Selon les demandeurs, le fait que seuls certains aspects des qualifications aient été examinés au moyen des vérifications de références a rendu ces vérifications incomplètes et insuffisantes aux fins de l’évaluation des qualifications.

 

[45]           Les demandeurs soulignent le fait que le Tribunal a reconnu que les « membres du comité d’évaluation auraient pu communiquer de nouveau avec les répondants pur obtenir d’autres renseignements mais, selon M. McCarthy, ils estimaient en avoir suffisamment ». Cela veut dire que le Tribunal n’a nullement examiné si les vérifications de références avaient permis d’évaluer suffisamment le mérite, et, malgré cela, il a reconnu ouvertement que ces vérifications avaient servi à éliminer les demandeurs à la présélection. Le Tribunal a prêté foi au témoignage donné devant lui par M. McCarthy, sans admettre ou prendre en compte une preuve écrite contemporaine qui le contredisait directement. Or, bien que le Tribunal n’ait pas à mentionner expressément tout document dont il est saisi, il ne peut faire abstraction des éléments de preuve contradictoires.

 

[46]           Selon les demandeurs, le comité d’évaluation s’est bel et bien fondé sur des renseignements incomplets ou insuffisants, et le Tribunal a simplement relevé que le comité avait attribué pour les références des notes semblables à celles attribuées pour les entrevues des demandeurs. Or c’était là un facteur non pertinent, les demandeurs soutiennent‑ils, puisque les notes obtenues lors des entrevues ne pouvaient avoir d’aucune manière un effet déterminant sur les résultats obtenus pour les références. Il n’était pas loisible au Tribunal de fonder ses conclusions sur des faits non pertinents (Vo c. Alberta (Workers’ Compensation Board, Appeals Commission), [2006] A.J. n° 1628 (C.B.R. Alb.), paragraphes 81, 86 et 88).

 

[47]           Les demandeurs ajoutent que, même si les qualifications en cause ont également été évaluées par le biais de questions lors des entrevues, une vérification des références suffisante ou complète aurait pu, selon toute probabilité, donner lieu à une évaluation du mérite différente pour chacun des demandeurs. Les demandeurs n’ont toutefois pas cherché à substituer leurs propres évaluations de leurs qualifications à celles tant des répondants que du comité d’évaluation.

 

[48]           Le Tribunal n’a pas pris en compte l’écart existant entre la cote « acceptable » attribuée par le comité d’évaluation aux demandeurs et les commentaires favorables formulés par les répondants. On ne peut à ce titre concilier de manière logique, selon les demandeurs, les énoncés du Tribunal. La note de chaque candidat se situait dans la fourchette de l’« acceptable », relativement tant à la qualification qu’à la vérification des références elle‑même, tandis que le comité de vérification n’a pas reconnu le caractère nettement favorable des références fournies. Le Tribunal a commis une erreur en ne prenant pas en compte ce facteur pertinent (Choudhry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 2181 (C.F.), paragraphes 44 et 48).

 

[49]           Les demandeurs soutiennent également qu’en faisant abstraction des consignes pour la vérification des références, de la nature nettement favorable des références autant que des feuilles de résultats mentionnant que les références incorrectement remplies ne permettaient pas d’évaluer les qualifications en cause, le Tribunal n’a pas pris en compte des éléments directement liés à la question dont il était saisi. Il n’était pas loisible au Tribunal de ne pas résoudre les contradictions dans la preuve ou de faire abstraction de questions pertinentes (Bocangel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 1259 (C.F.), paragraphe 13; Khemiri c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. n° 1028, paragraphe 22).

 

[50]           Les demandeurs concluent en disant qu’en ne se penchant pas sur la question du caractère suffisant des vérifications de références faites par le comité d’évaluation, pour l’évaluation du mérite au regard des qualifications en cause, non plus que sur la mesure dans laquelle le comité de vérification s’était fié sur ces éléments insuffisants et où ceux‑ci avaient influé sur l’issue du processus de sélection, le Tribunal a mal appliqué le critère relatif à l’abus de pouvoir et a commis une erreur de droit (Oakwood, pages 7 et 8; Tucci, paragraphes 8 et 9; Madracki, page 4).

 

Le procureur général, défendeur

 

[51]           Selon le procureur général, les demandeurs fondent leurs prétentions de déni d’équité procédurale sur le fait que le Tribunal a déclaré ne pas s’être fait soumettre à l’audience les consignes fournies aux répondants. Or, le dossier du Tribunal permet clairement de constater le contraire. Le procureur général soutient que cet argument des demandeurs est une habile diversion, car le Tribunal a conclu que ceux‑ci ne s’étaient pas acquittés de leur propre fardeau de preuve démontrer que les défendeurs avaient abusé de leur pouvoir dans l’évaluation de leurs qualifications. Que les consignes aux répondants aient ou non été déposées auprès du Tribunal ne change rien au fait que les demandeurs n’ont pas réussi à s’acquitter de leur propre fardeau de preuve.

 

[52]           Le procureur général soutient que les propres réponses des demandeurs ne suffisaient pas pour démontrer qu’ils possédaient les qualifications essentielles en cause. Peu importe donc si les répondants ont donné des réponses mieux notées que celles des candidats eux‑mêmes, cela ne suffisait pas pour que les demandeurs atteignent un niveau où ils seraient considérés posséder ces conditions essentielles. Le procureur général ajoute que la prétention des demandeurs selon laquelle le comité d’évaluation devait communiquer de nouveau avec les répondants pour obtenir d’autres renseignements est déraisonnable et ne cadre pas avec les principes généraux prévus par la Loi en matière d’abus de pouvoir. Le comité d’évaluation a dit que les réponses données par les répondants s’accordaient avec celles données par les demandeurs eux‑mêmes lors de leurs entrevues.

 

[53]           De l’avis du procureur général, le comité d’évaluation n’a pas enfreint l’équité procédurale en concluant que la teneur des entrevues et celle des références étaient compatibles. Aucun éclaircissement additionnel n’était nécessaire.

 

Abus de pouvoir

 

[54]           Le procureur général soutient qu’est élevé le seuil à atteindre pour conclure qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation des qualifications essentielles. Le demandeur a pour fardeau d’établir que la décision de procéder à une nomination a été prise de mauvaise foi, était teintée de favoritisme personnel ou était entachée d’une autre manière semblable. Le procureur général signale que l’expression « abus de pouvoir » n’est pas définie de manière exhaustive dans la Loi, son paragraphe 2(4) prévoyant toutefois que cette expression s’entend notamment de la mauvaise foi et du favoritisme personnel.

 

[55]           Le procureur général affirme que les composants communs, ou les traits déterminants, d’éléments particuliers de « mauvaise foi » ou de « favoritisme personnel » constituent des actes fautifs manifestes ou très graves. Le procureur général cite la décision Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1997] A.C.F. n° 1811, au paragraphe 30, de la Cour pour faire valoir qu’il « est [...] grave et [...] préjudiciable de prétendre et de conclure qu’un ministre a agi de mauvaise foi ».

 

[56]           Le procureur général affirme également que la gravité d’une telle allégation a été reconnue par le Tribunal, qui a souligné qu’on ne devait pas recourir à la procédure de plainte simplement pour exposer ce que l’on considère comme une injustice. Une allégation d’abus de pouvoir, une question très grave, ne doit pas être faite à la légère. L’employé doit comprendre qu’il ne suffit pas d’exposer ce que l’on considère comme une injustice en portant une plainte (Portree c. Canada (Ministère des Ressources humaines et Développement social Canada), 2006 TDFP 0014, paragraphes 47 à 50).

 

[57]           On a trouvé dans la doctrine et la jurisprudence d’autres expressions particulières cadrant avec une catégorie restreinte, notamment les expressions [traduction] « corruption », « grave manque de diligence », « se montrer hostile », « se venger pour des raisons politiques » (bien que ce dernier élément soit exclu au paragraphe 77(3)) et « malhonnêteté » (Lewis Klar, Tort Law (Calgary: Carswell, 1991), page 198; Rayonier Canada (B.C.) Ltd. and International Woodworkers of America, Local 1‑217 c. Ross Anderson c. Forest Industrial Relations, [1975] 2 Can. L.R.B.R. 196, 201 (B.C.L.R.B.) citée par la Cour suprême dans l’arrêt Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298; Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509). Le procureur général a également tiré du Black’s Law Dictionary (St. Paul, Minn. : Thomson West, 2004) des définitions pour les expressions [traduction] « corruption », « acte frauduleux » et « faute lourde », en concluant que ces concepts avaient en commun d’être de nature très grave.

 

[58]           Le procureur général soutient que, tel que l’a déjà établi le Tribunal, plus que de simples erreurs ou omissions sont nécessaires pour qu’il y ait abus de pouvoir. Le seuil est beaucoup plus élevé pour qu’on considère qu’il y a eu un tel abus, et l’acte ou l’omission doit constituer une très grave transgression (Tibbs, paragraphe 65, et Portree, paragraphe 47).

 

[59]           La manière dont un administrateur général, ou son délégué, exerce son choix entre un processus annoncé et un processus non annoncé, ou fixe et évalue les qualifications essentielles au regard d’un poste particulier, ne devraient pas être susceptibles de révision. La seule exception, c’est lorsqu’il est établi par un demandeur, selon la prépondérance des probabilités et par une preuve claire et solide, qu’il y a eu un élément de mauvaise foi, de favoritisme personnel, de discrimination, de corruption, de faute lourde ou d’acte fautif de grave nature semblable.

 

[60]           Selon le procureur général, les seules questions que le Tribunal avait véritablement à trancher concernaient ce qui suit :

1)                  la prétention des demandeurs selon laquelle l’évaluation de leurs qualifications a constitué un abus de pouvoir;

2)                  la question de savoir si la décision des gestionnaires de ne pas fournir les références qu’on leur demandait a constitué un abus de pouvoir.

À cet égard, fait‑il remarquer, aucune preuve n’a été présentée quant à l’existence de graves fautes ou erreurs se rapportant à l’une ou l’autre de ces questions.

 

[61]           Le Tribunal s’est référé dans le passé au critère en cinq volets énoncé par Jones et de Villars, à la page 168 de leur ouvrage, et laissé entendre dans la décision Jolin, aux paragraphes 69 et 70, que le critère doit être appliqué dans son intégralité lors du contrôle de décisions relatives à l’abus de pouvoir en application de l’article 77 de la Loi.

 

[62]           Le procureur général soutient qu’on doit uniquement utiliser le critère pour en dégager des lignes directrices, et qu’il n’est d’importance particulière que lorsqu’on procède à un contrôle concernant l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire en l’absence d’un cadre législatif. Le critère ne devrait pas avoir d’effet déterminant pour décider des plaintes d’abus de pouvoir portées en application de la Loi. On doit distinguer les affaires d’abus de pouvoir dans le contexte de la Loi de celles où le contrôle judiciaire vise le pouvoir discrétionnaire d’un ministre, tel qu’il ressort des décisions fondées sur le critère.

 

[63]           Le procureur général affirme également qu’aucune des six décisions citées au paragraphe 69 de Jolin ne traite d’une question d’abus de pouvoir. Aucune des décisions discrétionnaires à l’examen ne mettait en cause un cadre législatif tel celui prévu par la Loi. Dans les décisions à l’examen, plutôt, un large pouvoir discrétionnaire était conféré au ministre ou à son délégué, et la loi habilitante ne prévoyait aucune ligne directrice quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire non plus que d’entrave à cet exercice, ni n’établissait le moindre paramètre permettant à la cour de révision de fonder sa décision.

 

[64]           Bien que les principes généraux du droit administratif énoncés dans l’ouvrage de Jones et de de Villars puissent convenir dans les cas où l’on n’a pas circonscrit l’exercice du pouvoir discrétionnaire, toutes les décisions citées dans Jolin peuvent être distinguées d’autres, en matière de dotation, où le contrôle vise l’exercice de pouvoirs délégués en vertu de la Loi, qu’il s’agisse notamment du choix du type de processus de nomination, du pouvoir de faire enquête ou de l’établissement et de l’application de qualifications pour un poste à doter. Le procureur général cite à cet égard la décision Portree (paragraphe 51), et fonde ses prétentions sur celle‑ci :

L’objet de l’alinéa 77(1)a) n’est pas de servir de redressement « passe‑partout » aux plaignants qui invoquent l’abus de pouvoir dès qu’ils ne sont pas satisfaits des résultats d’un processus de sélection. Le plaignant ne doit pas traiter le Tribunal comme une solution de dernier recours pour interjeter appel de la décision d’un administrateur général sur la nomination ou la nomination proposée, uniquement parce que sa candidature n’a pas été retenue [...]

 

 

 

[65]           Le procureur général soutient que l’alinéa 77(1)a) ne constitue également pas un redressement « passe‑partout » pour les plaignants insatisfaits des choix discrétionnaires faits par des administrateurs généraux quant au mode de réalisation du processus de nomination. Permettre que de telles plaintes puissent être formulées risquerait de faire réapparaître le caractère inquisitoire des appels sous le régime de l’ancienne Loi.

 

[66]           Le procureur général cite et fait valoir de même Carpenter Fishing, où l’on souligne que les allégations d’abus de pouvoir sont si graves et si potentiellement préjudiciables pour un administrateur général « qu’une partie à un litige [...] devrai[t] tout au moins le faire d’une manière explicite et non équivoque ». Or, selon le procureur général, les demandeurs n’ont pas formulé de manière explicite leur très grave allégation de mauvaise foi, de favoritisme personnel, de corruption ou d’acte fautif semblable, et ils n’ont produit aucun élément pour la prouver.

 

[67]           Le procureur général rappelle à la Cour qu’un tout nouveau régime a été établi par la nouvelle Loi, de sorte que plusieurs principes de l’ancienne ne sont plus applicables. Il n’est plus nécessaire de classer les candidats, ni d’établir une liste d’admissibilité, non plus que d’examiner plus d’une candidature. Il n’est plus davantage nécessaire de trouver le candidat le plus apte; il faut toutefois nommer une personne qui possède les qualifications essentielles, fixées par un administrateur général ou son délégué. En vertu de l’article 36 de la Loi, la Commission ou son délégué peut recourir à toute méthode d’évaluation des qualifications d’un candidat qu’elle estime indiquée. Le législateur a consciemment choisi de se démarquer de l’ancien régime et de son approche prescriptive. (Robbins c. Canada (Ministère des Ressources humaines et Développement social Canada), 2006 TDFP 0017, paragraphes 45 à 50)

 

[68]           Le procureur général fait remarquer que cette orientation nouvelle différant sensiblement de l’ancien régime de dotation est attestée par la seconde lecture du projet de loi C‑25 à la Chambre des communes et les témoignages devant le Comité des opérations gouvernementales cités ci‑après. On peut ainsi se reporter à la seconde lecture, Chambre des communes (projet de loi C‑25, Loi sur la modernisation de la fonction publique), ministre Robillard, présidente du Conseil du Trésor et ministre promoteur de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, devant le Comité des opérations gouvernementales, n° 12, 2e session, 37e législature; S. Fraser, BVG, Comité permanent des orientations gouvernementales, n° 12, 2e session, 37e législature; S. Fraser, BVG, Comité permanent des orientations gouvernementales, n° 20, 2e session, 37e législature, 20 mars 2003; T. Tirabassi (1), secrétaire parlementaire de la ministre Robillard, Comité permanent des orientations gouvernementales, n° 32, 2e session, 37e législature, 28 avril 2003; J. Mooney, membre du personnel du Groupe de travail sur la modernisation des ressources humaines, BCP, Comité permanent des orientations gouvernementales, n° 41, 2e session, 37e législature, 13 mai 2003; T. Tirabassi (2), Comité permanent des orientations gouvernementales, n° 41, 2e session, 37e législature, 13 mai 2003.

 

[69]           Le procureur général souligne que la Loi confère à l’administrateur général un large pouvoir discrétionnaire en matière de dotation et de nominations. Et l’article 36 de la Loi laisse à la Commission et à son délégué une même latitude, voire une plus grande, quant au choix des méthodes d’évaluation pour décider si une personne possède les qualifications requises. On a reconnu l’existence d’une telle marge de manœuvre dans la décision Tibbs, au paragraphe 62 :

[...] Le préambule de la LEFP est clair et est d’une aide importante dans l’interprétation du concept d’abus de pouvoir. La section suivante mérite d’être soulignée : « le pouvoir de dotation devrait être délégué (...) pour que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens ».

 

 

[70]           Le procureur général fait alors remarquer qu’il y a lieu, compte tenu de cette [traduction] « marge de manœuvre clairement énoncée par le législateur quant au choix d’un processus de nomination et à l’établissement d’un processus d’évaluation », de ne pas souscrire à un argument qui conduirait à un processus statique et sans souplesse contraire aux objectifs visés par le législateur à l’égard de la nouvelle Loi.

 

[71]           Le principe « Appartient à celui qui fait une allégation de la prouver » est le fondement de notre système juridique, et l’allégation d’abus de pouvoir est grave et son bien‑fondé ne saurait être présumé. En outre, rien ne laisse croire dans le régime prévu par la Loi et le Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006‑6, que le fardeau de preuve incombe aux défendeurs. Ainsi, la personne alléguant qu’elle aurait dû être promue a le fardeau de le prouver. Se reporter à cet égard à Morley R. Gorsky et al., Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration (Toronto : Carswell, 2001), 9‑13, 9‑15, 9‑24.

 

[72]           Ce n’est pas au procureur général que doit incomber le fardeau de démontrer que, lorsqu’on a choisi les qualifications essentielles pour un poste et procédé à l’évaluation pour veiller à ce que la personne nommée possède bien ces qualifications, il n’y a pas eu abus de pouvoir. Le Tribunal a déclaré que c’est au plaignant qu’il incombe de prouver le bien‑fondé de ses allégations d’abus de pouvoir (Tibbs, paragraphe 55). Dans d’autres décisions antérieures à la Loi actuelle, comme Tucci, c’est en l’absence d’un cadre législatif qu’on s’est penché sur la question de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Or la Loi actuelle énonce un tel cadre, particulièrement dans les définitions du paragraphe 2(4).

 

[73]           Le procureur général conclut en déclarant que, compte tenu de la large marge de manœuvre accordée à l’administrateur général quant à l’établissement et à l’évaluation des qualifications essentielles, les demandeurs n’ont pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités et au moyen d’une preuve claire et solide, qu’un facteur correspondant à de l’abus de pouvoir au sens de la Loi avait influé d’une manière ou d’une autre sur les actes des membres du comité d’évaluation. Les allégations des demandeurs en ce qui concerne l’interprétation à donner aux dispositions pertinentes de la Loi et les exigences qui en découlent sont tout simplement sans fondement. Les demandeurs n’ont pas démontré que le Tribunal avait commis une erreur révisable justifiant l’intervention de la Cour.

 

La Commission de la fonction publique, défenderesse

 

[74]           Le 15 octobre 2008, la Commission de la fonction publique a informé la Cour fédérale, par lettre, qu’elle ne produirait pas de dossier dans le cadre de la présente demande.

 

ANALYSE

 

[75]           Les demandeurs affirment que la membre du Tribunal a correctement formulé la question à trancher – L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en évaluant les plaignants en fonction de renseignements insuffisants? –, mais qu’elle n’a pas traité de cette question et, en fait, n’a pas tenu compte de certains éléments pertinents et n’a pas appliqué le critère approprié pour l’abus de pouvoir.

 

[76]           Dans la Décision elle‑même, le raisonnement quant à la question de l’abus de pouvoir semble avoir été le suivant :

a.       La catégorie d’abus pertinente dans la présente demande, parmi les catégories énoncées dans Tibbs, est celle qui suit : « Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants [...] » (paragraphe 5).

b.       L’outil d’évaluation visé par les plaintes est la vérification des références et le « Tribunal n’a reçu aucune allégation ni aucun élément de preuve indiquant que l’outil en soi, c’est‑à‑dire les consignes écrites fournies aux répondants, ait été déficient ou inadéquat » (paragraphe 14).

c.       « [L]’application d’un outil d’évaluation reste un élément essentiel d’une évaluation [...] » (paragraphe 15).

d.       Les comités d’évaluation n’ont pas à communiquer avec plus d’un répondant et le recours à une seule référence ne constitue pas, en soi, un abus de pouvoir. De plus, aucune exigence n’oblige les comités d’évaluation à effectuer un suivi à l’égard d’une référence et à clarifier les renseignements fournis par un répondant, et un comité d’évaluation a le pouvoir discrétionnaire de décider s’il a suffisamment d’information pour prendre une décision éclairée concernant les qualifications d’un candidat. Toutefois, « ces conclusions ne devraient pas être interprétées comme une permission d’évaluer les candidats au moyen de renseignements insuffisants » (paragraphe 16).

e.       Les notes inscrites par le comité d’évaluation sur les feuilles de correction sommaire des plaignants étaient « si brèves qu’elles [avaient] peu de valeur » (paragraphe 17).

f.         Les deux sources d’information sur lesquelles le comité d’évaluation a fondé ses évaluations en l’espèce – « les réponses des candidats aux questions de l’entrevue et une référence » – ont produit des résultats semblables (paragraphe 18).

g.       Il n’y a pas eu abus de pouvoir du fait qu’on se serait fondé sur des renseignements insuffisants pour les motifs qui suivent :

« Les réponses des plaignants aux questions de l’entrevue ont été jugées faibles ou acceptables, des niveaux insuffisants pour satisfaire aux exigences de la qualification. Les références des plaignants ont été jugées acceptables, ce qui ne suffit pas non plus. Les membres du comité d’évaluation auraient pu communiquer de nouveau avec les répondants pour obtenir d’autres renseignements mais, selon M. McCarthy, ils estimaient en avoir suffisamment. Le fait que l’information provenant de ces deux sources était uniforme vient appuyer ce point de vue » (paragraphe 18).

 

h.       Il n’existe « aucune preuve convaincante permettant de conclure que le comité d’évaluation ne disposait pas de l’information nécessaire pour prendre des décisions éclairées à l’égard des qualifications des plaignants » (paragraphe 19).

 

[77]           Au cœur des motifs pour lesquels le Tribunal a conclu à l’absence d’abus de pouvoir, il y avait ses affirmations selon lesquelles les membres du comité d’évaluation « estimaient en avoir suffisamment (de renseignements) » pour juger les références acceptables et il n’existait « aucune preuve convaincante permettant de conclure que le comité d’évaluation ne disposait pas de l’information nécessaire [...] »

 

[78]           Le Tribunal a clairement reconnu dans ses motifs que, pour établir si le comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir en évaluant les plaignants en fonction d’éléments insuffisants, il devait d’abord conclure si était défendable l’assertion de M. McCarthy selon laquelle, des renseignements, les membres du comité « estimaient en avoir suffisamment ». Le Tribunal a estimé pouvoir prêter foi au témoignage de M. McCarthy sur ce point, en en donnant comme motif : « Le fait que l’information provenant de ces deux sources [les répondants et les entrevues] était uniforme vient appuyer ce point de vue. »

 

[79]           Cela revient à dire que, puisque les demandeurs avaient obtenu du comité d’évaluation la même note pour leurs réponses orales et pour leurs références, cela prouvait que les répondants avaient fourni suffisamment de renseignements pour que les références permettent de procéder à une évaluation.

 

[80]           Cela n’a guère de sens à mon avis. Le Tribunal prête foi au témoignage de M. McCarthy quant au caractère suffisant des renseignements en se fondant sur la cohérence entre les deux sources utilisées pour évaluer les demandeurs. La plainte dont le Tribunal était saisi, toutefois, c’était que le comité d’évaluation avait tout simplement attribué pour les entrevues les mêmes notes que pour les références parce que les renseignements tirés de celles‑ci ne permettaient pas à ce dernier outil de donner lieu à une véritable évaluation. En d’autres mots, le Tribunal a esquivé la principale question dont il était saisi en faisant état du résultat à titre de motif même du rejet des plaintes.

 

[81]           Qui plus est, le Tribunal était saisi d’une « preuve convaincante » considérable laissant croire que M. McCarthy était dans l’erreur en estimant qu’il y avait suffisamment de renseignements. À cet égard, le Tribunal a omis de traiter et même fait entièrement abstraction des éléments qui vont suivre.

a.       Lorsque M. McCarthy a évalué Mme Gibbons, lui‑même a déclaré ceci : « On n’a pas traité des 7 éléments prévus pour la référence. On fait allusion au sens de la coopération et au professionnalisme de la candidate, mais pour l’essentiel on n’a pas abordé les éléments clés à l’égard de cette aptitude. » Il est alors difficile de comprendre comment M. McCarthy a pu juger par la suite qu’on avait obtenu des répondants suffisamment de renseignements pour évaluer les candidats alors qu’il avait lui‑même déclaré que des « éléments clés » n’avaient pas été abordés. Mis à part l’affirmation sommaire faite par la suite par M. McCarthy au Tribunal, rien au dossier n’indique que, malgré l’omission des répondants de traiter d’« éléments clés », on disposait d’assez de renseignements pour procéder à une évaluation.

b.       Des commentaires semblables ont été formulés au regard des références fournies pour les autres candidats, d’où se dégage fortement l’impression qu’insuffisamment de renseignements ont été fournis, tandis que rien n’indique que les renseignements fournis par les répondants suffisaient pour qu’on procède à une véritable évaluation.

c.       Le Tribunal déclare catégoriquement que « les consignes données aux répondants concernant les qualifications en cause n’ont même pas été produites, et encore moins remises en question ». Or, il ressort clairement de la preuve que les consignes avaient bel et bien été produites et constituaient un important élément des observations finales de l’avocate quant au caractère suffisant des renseignements dont était saisi le comité d’évaluation.

d.       Lorsqu’on compare les commentaires faits par les répondants et les feuilles de résultats, tout porte à croire qu’on a attribué aux demandeurs des notes en fonction de lacunes entachant les références mêmes. En d’autres mots, il se dégage fortement l’impression que les références ont été évaluées, mais que les demandeurs, eux, ne l’ont pas été.

 

[82]           L’avocat des défendeurs soutient que le comité d’évaluation n’a jamais dit tout uniment que les renseignements fournis par les répondants ne suffisaient pas pour qu’on puisse procéder à une évaluation. Dans leurs commentaires, l’avocat soutient‑il, les membres du comité n’ont pas dit qu’ils ne pouvaient attribuer une note aux demandeurs; ils ne pouvaient simplement pas leur accorder une note supérieure.

 

[83]           La preuve ne donne pas lieu à une telle interprétation selon moi. Par exemple, les commentaires de M. McCarthy sur la référence dont il s’est servi pour évaluer Mme Gibbons font clairement voir qu’il ne disposait pas des « éléments clés » sollicités dans les consignes aux répondants. Cela ne me semble pas indiquer que M. McCarthy a bien reçu des renseignements suffisants pour évaluer Mme Gibbons au regard de la qualification en cause.

 

[84]           Le Tribunal n’a pas abordé cette question fondamentale. Il a simplement prêté foi au témoignage ultérieur de M. McCarthy quant à l’existence de renseignements suffisants, en en donnant comme motif : « Le fait que l’information provenant de ces deux sources était uniforme vient appuyer ce point de vue. » Le Tribunal a fait totalement abstraction de l’importante preuve qui, au contraire, dément ce point de vue, et il semble ne pas être au fait qu’il était saisi des consignes données aux répondants, et ce, même si l’avocate avait présenté des observations approfondies sur ce point.

 

[85]           Somme toute, cela laisse croire que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir en appuyant son évaluation sur des renseignements insuffisants et que le Tribunal a totalement fait abstraction de solides éléments de preuve sur ce point.

 

[86]           À mon avis, cela soulève une question d’équité procédurale qu’il convient d’évaluer selon la norme de la décision correcte (Sketchley, paragraphe 46). Toutefois, même si je devais évaluer la question selon la norme de la raisonnabilité, tel que le laissent entendre les défendeurs, il me faudrait dire que l’erreur commise rend la Décision déraisonnable, au sens où l’entend l’arrêt Dunsmuir.

 

[87]           La seconde question soulevée par les demandeurs concerne le défaut du Tribunal d’avoir appliqué le critère approprié à l’égard de l’abus de pouvoir.

 

[88]           L’argument des demandeurs sur ce point, c’est que le Tribunal a omis d’évaluer si le comité d’évaluation était saisi d’éléments insuffisants, et à supposer qu’ils soient insuffisants, qu’il a omis d’évaluer si le comité s’était fondé sur eux et, dans cette dernière hypothèse, si cela avait eu un effet déterminant sur l’issue du processus.

 

[89]           Selon les demandeurs, le Tribunal a tout simplement fait abstraction de la jurisprudence de la Cour fédérale sur le caractère suffisant des outils d’évaluation utilisés dans le cadre de processus de sélection des employés de la fonction publique fédérale. Ils affirment tout particulièrement que le Tribunal n’a pas compris qu’était applicable l’arrêt Madracki de la Cour d’appel fédérale. Cela vient du fait qu’en omettant d’examiner si on avait valablement évalué au moyen des vérifications de références la qualification en cause, le Tribunal a appliqué erronément le critère, établi dans cet arrêt, quant au caractère suffisant d’un outil d’évaluation.

 

[90]           Le Tribunal a conclu que, « [b]ien que la décision Madracki soit antérieure au cadre législatif actuel, ce principe demeure valide » (paragraphe 13). Le Tribunal a toutefois également conclu que ce principe « ne s’appliqu[ait] pas en l’espèce » (paragraphe 13) parce que « l’outil d’évaluation visé par les plaintes en l’espèce [était] celui qui [servait] à vérifier les références » et que « [l]e Tribunal n’a[vait] reçu aucune allégation ni aucun élément de preuve indiquant que l’outil en soi, c’est‑à‑dire les consignes écrites fournies aux répondants, ait été déficient ou inadéquat ».

 

[91]           Dans la décision Penney (05‑CSD‑00146), le Comité d’appel de la Commission de la fonction publique (au paragraphe 47) a cité et fait valoir l’arrêt Madracki au soutien du principe suivant : « bien que l’utilisation d’un outil de sélection particulier puisse être raisonnable pour un poste particulier, elle ne permet pas nécessairement d’obtenir toute l’information nécessaire pour que le jury de sélection en arrive à une conclusion complète et raisonnable ».

 

[92]           En concluant que l’arrêt Madracki n’était pertinent que quant à la question de savoir si l’outil lui‑même – la vérification des références en l’espèce – était déficient ou inadéquat, le Tribunal n’a pas examiné si les vérifications de références avaient produit dans l’affaire qui nous concerne les données et renseignements requis pour procéder à une évaluation. Le comité a par conséquent fait défaut d’examiner si les vérifications avaient un caractère suffisant, si on s’était fondé sur elles et si cela avait eu un effet déterminant.

 

[93]           Bien que cela ne soit pas strictement nécessaire pour que je rende ma décision, parce que j’ai tranché à l’encontre des défendeurs la question de l’équité procédurale, j’estime, comme les demandeurs que, peu importe si on applique la norme de la décision correcte ou celle de la raisonnabilité à cette deuxième question, le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision à cet égard.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La présente demande est accueillie et la Décision du Tribunal est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre membre du Tribunal afin qu’il rende une nouvelle décision qui soit conforme à mes motifs.

2.      Les demandeurs ont droit à leurs dépens dans le cadre de la présente demande.

 

 

 

     « James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                T‑674‑08

 

INTITULÉ :                                                               COLLEEN HAMMOND
WILLIAM WESTCOTT et
GENEVIEVE GIBBONS

                                                                                    c.

                                                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                                                                    LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 21 AVRIL 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 2 JUIN 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Edith Bramwell                                                             POUR LES DEMANDEURS

 

Neil McGraw                                                               POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alliance de la Fonction publique du Canada                  POUR LES DEMANDEURS

Direction de la négociation collective

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

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