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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

Date : 20090610

Dossier : IMM-4356-08

Référence : 2009 CF 609

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2009

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

JOSE CABATU ESPINOSA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Jose Cabatu Espinosa, un citoyen des Philippines, a demandé la résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié. Un agent des visas à Manille a évalué la demande de M. Espinosa en application du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et lui a accordé 66 points, soit un de moins que le seuil de réussite. En conséquence, la demande de M. Espinosa a été rejetée.

 

[2]               M. Espinosa prétend que l’évaluation de l’agent était déraisonnable et que celui-ci a erré, en déclinant d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accepter la demande même s’il lui manquait un point.

 

I.               La décision de l’agent

 

[3]               Dans une lettre accompagnant sa demande, M. Espinosa a soutenu qu’on devrait lui attribuer 9 points dans la catégorie « capacité d’adaptation ». Cette proposition reposait sur deux faits : premièrement, les parents et les deux sœurs de l’épouse de M. Espinosa vivent au Canada et sont citoyens canadiens, et deuxièmement, son épouse a complété un total de quatorze années d’études à temps plein. M. Espinosa a proposé qu’il lui soit attribué 5 points pour le premier fait, et 4 points pour le deuxième.

[4]               L’agent a accordé 8 points à M. Espinosa pour la capacité d’adaptation : 5 pour sa famille installée au Canada et 3 pour les études de son épouse. S’il s’était vu attribuer les points qu’il croyait mériter, sa demande aurait été acceptée.

 

[5]               Les notes de l’agent révèlent que celui-ci s’est demandé s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de M. Espinosa, mais a finalement décidé qu’il n’aurait pas été approprié de le faire.

 

II.            Le cadre législatif

 

(a)                     Capacité d’adaptation

 

[6]               Selon le Règlement, un demandeur de la résidence permanente a le droit de se voir attribuer 4 points pour la capacité d’adaptation si son époux obtient 20 ou 22 points dans la catégorie « études » dans l’éventualité où l’époux demanderait lui-même la résidence permanente à titre de travailleur qualifié (alinéa 83(2)b) – les dispositions citées se trouvent à l’annexe « A »)

 

[7]               Un demandeur a droit à 20 points pour les études s’il a obtenu un diplôme postsecondaire nécessitant deux années d’études ou un baccalauréat, et a accumulé un total d’au moins 14 années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein (alinéa 78(2)d)). Un demandeur a droit à 22 points s’il a un diplôme postsecondaire nécessitant 3 ans d’études ou un baccalauréat, et a accumulé un total d’au moins 15 années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein (alinéa 78(2)e)).

 

(b)                    Pouvoir discrétionnaire

 

[8]               Selon le paragraphe 76(3) du Règlement, lorsqu’un demandeur est à court du nombre de points requis, l’agent peut substituer son appréciation de l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada aux critères stricts et à l’attribution de points prévue par le Règlement. L’agent peut accueillir la demande si le « nombre de points attribués ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada ».

 

III.          L’évaluation de la capacité d’adaptation par l’agent était-elle déraisonnable?

 

[9]               Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée, transparente et intelligible, et doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

[10]           La preuve soumise à l’agent démontrait que l’épouse de M. Espinosa avait terminé ses études secondaires (10 années d’études), un programme collégial de deux ans menant à un diplôme de secrétaire médicale, et fait deux autres années à l’Université Centro Escolar. La dernière période d’études lui a permis d’être reconnue en tant qu’« Associée en Arts (pré-dentisterie) » et lui donnait le droit d’obtenir un [traduction] « Certificat d’admissibilité au cours de dentiste ». Par conséquent, il est évident que l’épouse de M. Espinosa a terminé 14 années d’études à temps plein. 

 

[11]           Le ministre prétend que le plus haut diplôme d’études obtenu par l’épouse de M. Espinosa était son diplôme de secrétaire médicale. Ses deux années d’études supplémentaires ne lui ont pas permis d’obtenir un diplôme d’études additionnel, et, par conséquent, ne devraient pas être incluses dans le calcul des points pour les études en sa faveur. Le ministre se fonde sur Bhuiya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 878. La juge Anne Mactavish y avait conclu que les années d’études complétées après l’obtention d’un diplôme d’études donné (en l’occurrence une maîtrise) ne pouvaient être prises en compte dans le calcul du nombre total d’années d’études à temps plein. Il s’ensuivrait que, dans le cas de l’épouse de M. Espinosa, les deux années qu’elle a passées à l’université ne seraient pas considérées comme des études à temps plein si elles n’ont pas mené à un diplôme d’études. Selon ce raisonnement, elle n’aurait eu droit qu’à 12 points pour les études (alinéa 78(2)b)), et M. Espinosa n’aurait, par conséquent, eu droit qu’aux trois points correspondants pour sa capacité d’adaptation (alinéa 83(2)c)).

 

[12]           Les motifs de l’agent ne comportent toutefois pas d’analyse de ce type; l’agent n’a pas non plus fourni d’affidavit pour expliquer son évaluation de la capacité d’adaptation.

 

[13]           M. Espinosa prétend, contrairement à la conclusion tirée dans Bhuiya, précité, que le Règlement ne mentionne pas que les années d’études à temps plein doivent précéder ou mener au diplôme obtenu par un demandeur. Ils ne font qu’énoncer une exigence double d’un diplôme d’études et d’un nombre minimal d’années d’études à temps plein. L’objectif de ces exigences est de garantir un traitement uniforme de demandeurs provenant de pays variés dotés d’exigences et de systèmes d’éducation différents. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le RÉIR) qui accompagnait le Règlement énonce ce qui suit : 

Étant donné la variété des systèmes d'éducation et de formation dans le monde, ce mécanisme favorisera l'adoption de normes uniformes dans l'évaluation des études et de la formation, tout en continuant à insister sur l'essentiel — un titre de compétence et un niveau minimum pertinent d'études et de formation. (DORS/2002-227.)

 

[14]           M. Espinosa souligne aussi que le paragraphe 78(4) du Règlement peut servir de guide dans l’interprétation des règles d’évaluation des crédits d’études. Cette disposition énonce qu’un demandeur titulaire d’un diplôme donné, mais n’ayant pas accumulé le nombre d’années d’études requis devrait néanmoins « obtenir le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein ou à leur équivalent temps plein ». Cette disposition semble prévoir que la totalité des années d’études à temps plein doit faire partie du calcul, et non seulement les années qui précèdent l’octroi d’un certificat ou d’un diplôme.

 

[15]           À mon avis, il faudrait attendre que la Cour soit clairement saisie de ces dispositions avant de procéder à leur interprétation. Pour les besoins de l’instance, je ne trouve pas, dans le dossier qui m’a été soumis, un fondement me permettant de conclure que la décision de l’agent était justifiée, transparente et intelligible, pas plus que de conclure qu’elle appartient aux issues possibles et acceptables.

 

 

 

IV.         L’agent a-t-il omis à tort d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de M. Espinosa?

 

[16]           Compte tenu de ma conclusion sur la première question, il n’est pas nécessaire que je donne une réponse définitive à la seconde. Toutefois, dans l’éventualité où cela serait nécessaire lors de la réévaluation de la demande de M. Espinosa, je fais remarquer que l’agent ne semble pas avoir tenu compte de la somme de 270 670 $ accumulée par M. Espinosa pour l’installation, ainsi que de sa famille au Canada et de ses compétences langagières, lorsqu’il a conclu qu’il serait inapproprié d’accueillir sa demande.

[17]           Ces facteurs concernent l’aptitude de M. Espinosa à réussir son établissement économique au Canada et devraient être pris en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 76(3).

 

V.            Conclusion et dispositif

 

[18]           À mon avis, l’évaluation par l’agent de la capacité d’adaptation de M. Espinosa ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner une réévaluation de la demande de M. Espinosa par un autre agent. Compte tenu de la manière dont j’ai tranché les questions en litige, aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La demande de M. Espinosa doit être réévaluée par un autre agent.

 

« James W. O’Reilly »

                             Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.


Annexe « A »

 

Règlements sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Substitution de l’appréciation de l’agent à la grille

  76(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

 

 

 

 

Études (25 points)

  78(2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :

[…]

d) 20 points, si, selon le cas :

i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant deux années d’études et a accumulé un total de quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

(ii) il a obtenu un diplôme universitaire de premier cycle nécessitant deux années d’études et a accumulé un total d’au moins quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

e) 22 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études à temps plein et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

(ii) il a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total d’au moins quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

[…]

Circonstances spéciales

(4) Pour l’application du paragraphe (2), si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé à l’un des alinéas (2)b), des sous-alinéas (2)c)(i) et (ii), (2)d)(i) et (ii) et (2)e)(i) et (ii) ou à l’alinéa (2)f) mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein exigé par l’un de ces alinéas ou sous-alinéas, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans ces dispositions.

Études de l’époux ou du conjoint de fait

  83(2) Pour l’application de l’alinéa (1)a), l’agent évalue les diplômes de l’époux ou du conjoint de fait qui accompagne le travailleur qualifié comme s’il s’agissait du travailleur qualifié et lui attribue des points selon la grille suivante :

[…]

b) dans le cas où l’époux ou le conjoint de fait obtiendrait 20 ou 22 points, 4 points;

c) dans le cas où l’époux ou le conjoint de fait obtiendrait 12 ou 15 points, 3 points.

 

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Circumstances for officer's substituted evaluation

  76(3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

Education (25 points)

78(2) A maximum of 25 points shall be awarded for a skilled worker’s education as follows:



 

(d) 20 points for

(i) a two-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 14 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

(ii) a two-year university educational credential at the bachelor’s level and a total of at least 14 years of completed full-time or full-time equivalent studies;

 

 

 

 

(e) 22 points for

(i) a three-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 15 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

(ii) two or more university educational credentials at the bachelor’s level and a total of at least 15 years of completed full-time or full-time equivalent studies;

 

 

 

 

Special circumstances

(4) For the purposes of subsection (2), if a skilled worker has an educational credential referred to in paragraph (2)(b), subparagraph (2)(c)(i) or (ii), (d)(i) or (ii) or (e)(i) or (ii) or paragraph (2)(f), but not the total number of years of full-time or full-time equivalent studies required by that paragraph or subparagraph, the skilled worker shall be awarded the same number of points as the number of years of completed full-time or full-time equivalent studies set out in the paragraph or subparagraph.

 

Educational credentials of spouse or common-law partner

  83(2) For the purposes of paragraph (1)(a), an officer shall evaluate the educational credentials of a skilled worker's accompanying spouse or accompanying common-law partner as if the spouse or common-law partner were a skilled worker, and shall award points to the skilled worker as follows:

(b) for a spouse or common-law partner who would be awarded 20 or 22 points, 4 points; and

(c) for a spouse or common-law partner who would be awarded 12 or 15 points, 3 points.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4356-08

 

INTITULÉ :                                       ESPINOSA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 10 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter A. Chapman

 

POUR LE DEMANDEUR

Hilla Aharon

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chen and Leung

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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