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Date : 20090430

Dossier : IMM-3825-08

Référence : 2009 CF 422

Ottawa (Ontario), ce 30e jour d’avril 2009

En présence de l’honorable Orville Frenette

ENTRE :

WARDOUGOU AHAMAT

 

Partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), en date du 7 août 2008, par laquelle le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention », ni celle de « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et rejetant par conséquent la demande d’asile déposée par ce dernier.

 

Exposé des faits

[2]          Le demandeur, Wardougou Ahamat, est citoyen tchadien, d’origine ethnique gorane, et est âgé de 24 ans. Sa mère, sa sœur et ses trois frères habitent toujours le Tchad.

 

[3]          Le père du demandeur, un militaire de carrière et commandant dans l’Armée nationale tchadienne, aurait été ciblé par le gouvernement en place, suite à la dissidence d’un ancien ministre goran de la Défense. Le 2 juin 2007, le père du demandeur est parti en mission dans l’est du Tchad et, le 5 juin 2007, il déserta l’armée tchadienne pour joindre le mouvement rebelle de l’Union des forces pour la démocratie et le développement. Le père n’est pas revenu à son domicile depuis et il ne pourvoit plus aux besoins de sa famille.

 

[4]          Le 7 juin 2007, des militaires de la garde présidentielle et des agents de l’Agence nationale de sécurité ont fait irruption au domicile de la famille du demandeur à N’djamena, fouillant la maison, malmenant les personnes présentes et accusant le père du demandeur d’être un traître. Le demandeur a alors quitté le Tchad avec de faux documents et, le 5 août 2007, s’est rendu à New York (États-Unis d’Amérique). Depuis son départ, sa mère, sa sœur et ses frères continuent à résider au Tchad, sans problèmes majeurs sauf leurs moyens de subsistance et de la crainte.

 

[5]          Le 15 septembre 2007, il arrive au Canada et revendique le statut de réfugié.

 

La décision contestée

[6]          La SPR a conclu que le demandeur n’était ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger ». Elle a analysé la preuve et a considéré que le demandeur n’était pas crédible et que son récit était invraisemblable. Il avait été inventé pour les fins de sa revendication et le demandeur serait venu au Canada pour simplement continuer ses études.

 

[7]          La SPR a considéré que le demandeur se prétendait à risque parce que son père avait déserté l’armée pour joindre un mouvement rebelle. À l’audience, il a déclaré que tous les membres de sa famille ont été arrêtés; par ailleurs, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il déclarait : « les militaires ont battu mes oncles Maidé Ahamat et Hemchi Ahamat, et mon cousin Ali Adoum, ils les ont ligotés, et humiliés devant la famille ».

 

[8]          La SPR a relevé diverses contradictions et invraisemblances dans la version du demandeur ainsi que sa façon de témoigner, qui ont conduit à sa non-crédibilité. La SPR a conclu que le demandeur a inventé ce récit pour justifier sa revendication et est venu au Canada pour poursuivre ses études.

 

La question en litige

[9]          La décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

La norme de contrôle applicable

[10]      La norme de contrôle des décisions relatives à des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, est celle de la décision raisonnable simple. Lorsqu’il s’agit de questions de droit pur ou d’application des règles de la justice naturelle, la norme est celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). L’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, nous rappelle que les décisions des organismes administratifs sur des questions factuelles, emportent déférence.

 

Analyse

[11]      Le demandeur soutient que la SPR a commis des erreurs factuelles déterminantes et a tiré des conclusions d’une façon arbitraire ou abusive.

 

[12]      Avant d’analyser ces allégations, je crois primordial de considérer la décision de la SPR quant à la crédibilité du demandeur et les contradictions et invraisemblances soulevées.

 

[13]      Premièrement, le demandeur a admis qu’il s’était enfui du Tchad au moyen de faux documents. À mon avis, l’utilisation d’un tel moyen est un des nombreux facteurs qui peuvent servir à déterminer la crédibilité d’une personne. Or, tricher par un tel moyen peut laisser planer des doutes quant à la crédibilité.

 

[14]      Deuxièmement, lorsque appelé à expliquer durant l’audience le risque au Tchad, le demandeur a affirmé que le 7 juin 2007, des militaires et des agents de l’Agence nationale de sécurité ont « battu, ligoté et arrêté des membres de sa famille ». Or, dans son FRP, il ne mentionne pas qu’ils ont été « arrêtés », pourtant il s’agissait d’un point très important, qu’il mentionna lors de son témoignage.

 

[15]      Troisièmement, la mère et les frères du demandeur sont demeurés au Tchad sans aucun danger particulier sauf des difficultés financières. L’oncle du demandeur est un commerçant qui demeure au Nigéria. Un autre oncle du demandeur demeure et étudie au Tchad sans problèmes. Selon le demandeur, il a étudié au Ghana en 2006 et 2007 et il aurait pu y retourner pour étudier n’eut été de la question financière.

 

[16]      Quatrièmement, le demandeur a obtenu un visa d’étudiant pour les États-Unis et s’est rendu aux États-Unis pour y passer une semaine mais il n’y a pas cherché refuge.

 

[17]      La SPR a considéré tous ces éléments ainsi que le comportement du demandeur lors de l’audience constatant qu’il tentait d’ajuster ses réponses aux questions qui lui étaient posées, pour conclure à la non-crédibilité de son récit ou de sa version.

 

[18]      Le demandeur soulève que la SPR a interprété déraisonnablement les faits sur les cinq points suivants : (1) l’arrestation de ses oncles et de son cousin; (2) le défaut de revendiquer aux États-Unis; (3) le refuge au Ghana; (4) sa mère, sa sœur et ses frères demeurent au Tchad et (5) l’impartialité de la SPR.

 

[19]      Concernant le premier point, le demandeur réfère au mot « ligotés », dans son FRP plutôt qu’au mot « arrêtés » à l’audience.

 

[20]      Concernant le deuxième point, le demandeur reproche à la SPR d’avoir ignoré sa déclaration à l’effet qu’il avait toujours l’intention de venir au Canada, pourtant il n’a pas expliqué le motif pour lequel il a décidé d’obtenir un visa d’étudiant pour les États-Unis au lieu du Canada alors qu’il prétend qu’il désirait étudier au Canada.

[21]      Concernant le troisième point, le demandeur explique qu’il n’a pas demandé refuge au Ghana parce qu’il n’avait plus les moyens financiers d’y poursuivre ses études. Pourtant, il déclare venir au Canada pour y poursuivre ses études.

 

[22]      Concernant la résidence de sa mère, sa sœur et ses frères au Tchad, le demandeur n’a pas déclaré qu’ils étaient à risque sauf pour référer à la preuve documentaire générale.

 

[23]      Concernant l’impartialité du tribunal, le demandeur prétend que la SPR avait des idées préconçues quant aux enfants originaires de pays francophones africains. Le défendeur conteste cette allégation, expliquant que la référence aux pays francophones d’Afrique ne constitue pas un élément suffisant d’apparence de partialité selon le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et al. c. L’Office national de l’énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395. Je suis d’avis que le défendeur a raison et que cette allégation de partialité est farfelue.

 

[24]      Lorsqu’on analyse les reproches du demandeur contre la décision de la SPR sur des points microscopiques, on doit conclure, pour les motifs suivants, qu’ils sont non fondés en fait et en droit.

 

[25]      La SPR a vu et entendu le demandeur; elle a le droit de considérer son comportement et sa façon de témoigner et les contradictions et les invraisemblances soulevées précédemment (Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Jarada c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 409; Singh c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 62). La SPR a aussi le droit d’invoquer le bon sens et la raison pour juger de la crédibilité et de la vraisemblance des propos d’un revendicateur (Mahamat c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 157; Singh c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 408).

 

[26]      Le revendicateur du statut de réfugié a le fardeau de démontrer tant l’élément subjectif que l’élément objectif de sa crainte de retourner dans son pays d’origine (Chan c. Canada (M.E.I.), [1995] 3 R.C.S. 593; Gilgorri c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 559).

 

[27]      Quant à l’asile, le « shopping d’asile » n’est pas permis. Le demandeur aurait pu demander asile aux États-Unis mais il ne l’a pas fait. Pourquoi le Canada? Le demandeur aurait dû demander asile à la première opportunité (Saleem c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1412, au paragraphe 28; Reyes c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 418; Samseen c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 542).

 

[28]      Le demandeur reproche à la SPR de ne pas avoir considéré ou mentionné toute la preuve orale ou écrite ou documentaire qu’elle a considéré. Or, pour accepter ce reproche, il aurait fallu qu’il repousse la présomption à l’effet que le tribunal a considéré toute la preuve; ce qu’il n’a pas réussi à faire (Florea c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL); Ahmad c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 471, au paragraphe 26). De plus, le décideur n’était pas obligé d’étaler toutes les facettes de la preuve pour justifier sa décision.

 

[29]      La Cour ne peut réévaluer la preuve et simplement substituer son opinion à celle du tribunal (Chen c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 551 (C.A.) (QL); Zrig c. Canada (M.C.I.), [2003] 3 C.F. 761 (C.A.); Ahmad, ci-dessus; Singh c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 743; Arizaj c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 774).

 

[30]      Qu’il y ait eu quelques inexactitudes ou erreurs mineures qui ont pu se glisser dans la compréhension de la preuve résultant du témoignage confus ou ambigu du demandeur, ne constitue pas un motif de révision à moins que ce sont des erreurs importantes, ce qui n’est pas le cas dans le dossier en l’espèce (Kar c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 143, paragraphe 32; Anwar et al. c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 305, paragraphe 26; Ielovski c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 739, paragraphe 9).

 

Conclusion

[31]      Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la décision de la SPR était mal fondée en fait et en droit. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

          La Cour ordonne :

 

          La demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du 7 août 2008 est rejetée.

 

          Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3825-08

 

INTITULÉ :                                       WARDOUGOU AHAMAT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              L’honorable Orville Frenette, Juge suppléant

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patil Tutunijian                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Isabelle Brochu                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associés                                                       POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

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