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Date : 20090708

Dossier : T-1344-08

Référence : 2009 CF 708

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2009

EN PRÉSENCE DE L’HONORABLE MAX M. TEITELBAUM

 

ENTRE :

Syed Mohammad ARIF

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté (L.R., 1985, ch. C-29) (la Loi) et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R., 1985, ch. F-7 ), visant la décision du 26 mai 2008 par laquelle la juge de la citoyenneté, Gordana Caricevic-Rakovich (la juge), a rejeté la demande de citoyenneté canadienne présentée par M. Syed Mohammad Arif.

 


Contexte

[2]               Le demandeur, né le 21 juin 1964 à Karachi (Pakistan) est âgé de 43 ans. Le 31 mars 2001, il a obtenu la résidence permanente au Canada et est arrivé au Canada le même jour.

 

[3]               Le 12 juin 2005, il a demandé la citoyenneté canadienne et a obtenu une audience devant la juge le 8 avril 2008.

 

[4]               Le 26 mai 2008, la juge a rejeté la demande de citoyenneté canadienne et a avisé le ministre de cette décision.

 

[5]               Le 4 juillet 2008, la juge a envoyé une lettre au demandeur, confirmant le rejet de sa demande de citoyenneté à la suite de l’examen des documents additionnels demandés à l’audience.

 

La décision contestée

[6]               La juge a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, qui prévoit que l’auteur d’une demande de citoyenneté est tenu d’avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans ayant précédé la date de sa demande.

 

[7]               La période de quatre ans en l’espèce s’étend du 12 juin 2001 au 12 juin 2005 (la période examinée).

 

[8]               Après avoir souligné que le demandeur s’était absenté du pays pendant 326 jours au cours de la période examinée, la juge a indiqué que la principale question à trancher était celle de savoir si le demandeur satisfaisait à l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Dans son raisonnement le menant à conclure que le demandeur ne satisfaisait pas à cette obligation de résidence, la juge a formulé les observations suivantes :

a.       Il y a une divergence entre le questionnaire sur la résidence du demandeur et la déclaration solennelle de sa sœur. Le demandeur affirme qu’il habite chez sa sœur depuis juillet 2002, tandis que sa sœur a écrit qu’il y habite depuis le 31 mars 2001.

b.      Le demandeur n’a pu trouver du travail dans son domaine et a produit des déclarations de revenus pour 2003 et 2004 ne signalant aucun revenu (zéro dollar) pour ces deux années.

c.       Le demandeur n’a pas mis fin à ses activités professionnelles à l’étranger parce qu’il s’agit d’une entreprise familiale gérée par son frère, et le demandeur a signalé des voyages à l’étranger à des fins professionnelles et familiales.

d.      Les relevés bancaires et les factures de services téléphoniques sans fil Rogers ne suffisent pas, à eux seuls, pour établir la résidence.

e.       Le demandeur est séparé de son épouse, qui vit avec leurs enfants au Royaume‑Uni. Sa mère et sa sœur habitent au Canada.

 

[9]               Dans sa lettre au demandeur avisant ce dernier de la décision défavorable, la juge explique qu’elle estime, après avoir examiné tous les documents, y compris les documents additionnels demandés à l’audience, que le demandeur ne satisfait pas à l’obligation exposée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

La question à trancher

[10]           La Cour doit trancher la question suivante :

1)      La juge a-t-elle commis une erreur en concluant que la preuve présentée par le demandeur n’établit pas qu’il satisfait aux conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

 

Le cadre législatif

[11]           Les dispositions législatives applicables sont les suivantes :

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

 


Analyse

La norme de contrôle

[12]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême a décidé qu’il n’est pas nécessaire de faire l’analyse de la norme de contrôle lorsque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante le degré de déférence à accorder à une catégorie de questions en particulier (paragraphe 57).

 

[13]           Récemment, le juge Blanchard a expliqué ce qui suit, aux paragraphes 7 et 8) de la décision Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 483 :

La question de savoir si un appelant répond aux conditions de résidence est une question mixte de droit et de fait, pour laquelle les décisions des juges de la citoyenneté ont droit à une certaine retenue parce que c’est un domaine où ils justifient d’une spécialisation. Dans de nombreux jugements, la Cour a dit que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une question de ce genre est la norme de la décision raisonnable simpliciter. (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2006] A.C.F. n119, 2006 CF 85, paragraphe 6; Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2005] A.C.F. n2029, 2005 CF 1641, paragraphe 5; Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2005] A.C.F. n88, 2005 CF 700, paragraphe 13; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, [2004] A.C.F. n88, 2004 CF 60, paragraphe 7).

 

Dans l’arrêt David Dunsmuir c. Sa Majesté la Reine du chef de la province du Nouveau‑Brunswick, A.C.S. no 9, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a récemment décidé qu’il n’y a maintenant que deux normes de contrôle : la décision raisonnable et la décision correcte. Après examen des principes et facteurs exposés dans cet arrêt, je suis persuadé que la norme de contrôle applicable à la question dont je suis saisi est la norme de la décision raisonnable.

 

[14]           Cela dit, bien que le juge de la citoyenneté soit libre de choisir le critère de résidence à adopter pour trancher une demande, la fusion de plusieurs critères est une erreur de droit et constitue un motif d’appel : Sio c. Canada, [1999] A.C.F. no 422 (Q.L.), paragraphe 10; Hsu c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 579. Une compréhension erronée de la jurisprudence se rapportant à la résidence entraînera le contrôle judiciaire de la décision suivant la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Xiong, 2004 CF 1129.

 

[15]           Le demandeur soutient essentiellement que la juge a commis une erreur en fusionnant plusieurs critères de résidence. Selon le demandeur, en faisant renvoi à un nombre précis de jours de présence effective, puis en critiquant longuement la preuve documentaire fournie par le demandeur, la juge a fusionné les critères. De l’avis du demandeur, cette erreur est aggravée du fait que le demandeur avait été effectivement présent au Canada pendant au moins trois des quatre années qui ont immédiatement précédé sa demande de citoyenneté.

 

[16]           Selon le défendeur, les motifs de la juge révèlent que le demandeur n’a pas satisfait au premier volet de l’examen en deux étapes visant à déterminer s’il avait respecté ses conditions de résidence : soit la question préliminaire de savoir si le demandeur a bien établi sa résidence. Le défendeur soutient que la juge, ayant conclu que le demandeur n’avait pas satisfait au premier volet, a eu raison de rejeter la demande de citoyenneté présentée par le demandeur. La juge n’a jamais abordé le deuxième volet de l’analyse et, par conséquent, ne pouvait pas avoir commis l’erreur de fusionner les différents critères de résidence.

 

[17]           Il est généralement reconnu que la démarche qui convient pour mener une analyse pour les besoins de l’alinéa 5(1)c) de la Loi est exposée dans la décision Goudimenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2002] CFPI 447, au paragraphe 13 :

[…] l’enquête se déroule en deux étapes. À la première étape, il faut décider au préalable si la résidence au Canada a été établie et à quel moment. Si la résidence n’a pas été établie, l’enquête s’arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape de l’enquête consiste à décider si le demandeur en cause a été résident pendant le nombre total de jours de résidence requis. C’est à l’égard de la deuxième étape de l’enquête, et particulièrement à l’égard de la question de savoir si les périodes d’absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence, qu’il y a divergence d’opinions au sein de la Cour fédérale.

(Non souligné dans l’original)

 

 

[18]           Cette divergence d’opinions, signalée ci-dessus en rapport avec la deuxième étape de l’examen, renvoie aux différentes façons d’aborder la définition de « résidence » prévue par la Loi sur la citoyenneté. En voici un bref exposé dans  la décision Seiffert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1072, au paragraphe 6 :

Dans un cas donné, le juge de la citoyenneté est libre de choisir parmi trois critères adoptés par la Cour, à savoir le critère rigoureux appliqué par le juge Muldoon dans la décision Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232 (1re inst.), le critère flexible appliqué par le juge Thurlow dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), et le critère exposé par la juge Reed dans la décision Re Koo, [1992] A.C.F. no 1107 (1re inst.), qui complète la décision Re Papadogiorgakis.

 

 

 

[19]           La Cour explique ces divers critères au paragraphe 4 de la décision Ping c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 777 :

[…] Un de ces critères, connu comme le critère de la présence physique ou le critère de la décision Pourghasemi, exige que le demandeur soit physiquement présent au Canada pendant une période minimale de 1095 jours. Les deux autres critères reposent sur des interprétations plus souples des conditions de résidence. Par exemple, le critère de la décision Koo exige que l’on calcule les absences du demandeur du Canada en vue de déterminer quel genre de liens ce dernier entretient avec le Canada et s’il y « vit régulièrement, normalement ou ordinairement ». Un juge de la citoyenneté peut appliquer l’un de ces trois critères, et la Cour peut réexaminer la décision pour s’assurer que le critère choisi par le juge de la citoyenneté a bien été appliqué.

 

 

 

[20]           Par conséquent, d’après ce qui précède, l’analyse que commande l’alinéa 5(1)c) de la Loi est une analyse en deux étapes. À la première étape, il faut décider si le demandeur s’est établi au Canada et à quel moment. À la deuxième étape, il s’agit de compter le nombre de jours selon l’une des trois méthodes reconnues.

 

[21]           À mon avis, il faut se sentir privilégié d’obtenir la citoyenneté dans un pays comme le Canada. Quelle que soit la méthode adoptée par le juge de la citoyenneté, il ne faudrait accorder la citoyenneté qu’aux personnes qui sont disposées non seulement à accepter les avantages de la citoyenneté canadienne, mais aussi à remplir les obligations qu’elle comporte. La résidence ne peut être établie qu’une fois que le demandeur a démontré qu’il est ainsi disposé. L’alinéa 5(1)e) de la Loi le confirme en exigeant que les demandeurs ait une connaissance des responsabilités conférées par la citoyenneté. Malheureusement, le libellé de la Loi n’exige pas des demandeurs qu’ils soient prêts à remplir les obligations de la citoyenneté. Elle exige seulement une connaissance des responsabilités conférées par la citoyenneté.

 

[22]           En l’espèce, la juge a souligné que le demandeur avait produit des déclarations de revenus pour les années 2003 et 2004, ne signalant aucun revenu. Pourtant, le demandeur a reconnu que, depuis la date de son droit d’établissement et au cours des années 2003 et 2004, il a voyagé à l’étranger pour des raisons familiales et professionnelles. Or, comme l’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu exige que le revenu imposable inclue les revenus gagnés à l’étranger, il aurait fallu que le demandeur déclare tous les revenus qu’il a gagnés durant ses voyages d’affaires. La production de déclarations d’impôt véridiques et exactes est certainement une importante responsabilité que confère la citoyenneté canadienne. En l’espèce, le demandeur n’a pas été prié d’expliquer pourquoi il n’avait pas touché de revenus pour le temps qu’il avait consacré à l’entreprise familiale, mais il aurait fallu lui poser la question.

 

[23]           Je renvoie la présente affaire à un autre juge de la citoyenneté pour la tenue d’une nouvelle audience. Je mets en garde le juge de la citoyenneté de ne pas fusionner les différents critères de résidence.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli et que l’affaire soit renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

 

           « Max M. Teitelbaum »

                  Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme,

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1344-08

 

INTITULÉ :                                                   SYED MOHAMMAD ARIF c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 18 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Viken G. Artinian

 

POUR LE DEMANDEUR

Mario Blanchard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Viken G. Artinian

Joseph W. Allen

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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