Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20090708

Dossier : IMM‑48‑09

Référence : 2009 CF 713

Toronto (Ontario), le 8 juillet 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

NURIA BEN AMER

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Nuria Ben Amer (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 17 novembre 2008 par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent). Dans cette décision, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse sur le fondement du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi), à savoir une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]               La demanderesse, citoyenne de la Libye, est venue au Canada avec son époux le 1er janvier 1999 en tant que visiteuse. Le 16 janvier 1999, la demanderesse et son époux ont demandé l’asile en qualité de réfugiés au sens de la Convention. La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de l’époux de la demanderesse au motif que, en application la section Fa) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, Recueil des traités du Canada 1969 no 6, il était exclu de la protection offerte par le statut de réfugié au sens de la Convention. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée.

 

[3]               La demanderesse a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour la première fois en 2001. Cette demande a été rejetée, mais une demande de contrôle judiciaire a été accueillie, et l’affaire a été renvoyée pour nouvel examen.

 

[4]               Une autre décision défavorable a été rendue lors de la deuxième audience, et la demanderesse a de nouveau eu gain de cause dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. La troisième audience a de nouveau donné lieu à une décision défavorable, laquelle fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               En l’espèce, l’agent a tenu compte de la preuve documentaire qui avait été déposée par la demanderesse, du degré d’établissement de la demanderesse et de sa famille au Canada ainsi que de l’intérêt supérieur de ses trois enfants nés au Canada. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives qui justifieraient de rendre une décision favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[6]               La demanderesse conteste la décision au motif que l’agent n’a pas tenu compte de façon appropriée de l’intérêt supérieur de ses enfants nés au Canada et, en particulier du fait que deux de ses enfants sont inscrits à l’école et subiraient des conséquences néfastes s’ils devaient retourner en Libye étant donné qu’ils ne parlent pas arabe. La demanderesse allègue également que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en raison de la façon dont il a évalué son établissement au Canada, notamment le fait qu’elle a un emploi et qu’elle a acheté une maison avec son époux.

 

[7]               La demanderesse soutient également que les motifs de l’agent ne sont pas adéquats et que l’agent n’a donc pas respecté les exigences relatives à l’équité procédurale.

 

[8]               Selon la décision Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les normes de contrôle applicables aux décisions administratives sont la décision correcte ou la raisonnabilité. La jurisprudence peut servir de guide quant à la norme de contrôle applicable à une question : Dunsmuir, paragraphes 54 et 57. Vu cette directive de la Cour suprême et la nature de la question soulevée en l’espèce, à savoir l’examen de l’établissement en fonction du paragraphe 25(1) de la Loi, je suis convaincue que la raisonnabilité est la norme de contrôle appropriée en l’espèce; voir Buio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 60 Imm. L.R. (3d) 212, paragraphe 17.

 

[9]               La décision en question a été rendue en application du paragraphe 25(1) de la Loi, qui se lit comme suit :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[10]           Le paragraphe 25(1) de la Loi accorde au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) le pouvoir discrétionnaire absolu de permettre à une personne sollicitant le statut de résident permanent au Canada de présenter sa demande à l’intérieur du pays plutôt que dans un bureau à l’étranger. Pour qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit accueillie, il faut habituellement que le demandeur établisse qu’il serait soumis à des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente à l’étranger; voir Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1474 (C.F.)

 

[11]           La demanderesse soutient que l’agent a omis de tenir compte de son degré d’établissement au Canada et a commis une erreur en concluant que son établissement n’était pas supérieur à ce qu’on pourrait s’attendre d’une personne qui vit au Canada sans statut depuis plusieurs années. L’agent a mentionné ce qui suit :

[traduction]

[…] son degré d’établissement ne dépasse pas le degré normal d’établissement auquel on s’attendrait de la part de demandeurs dans leur situation. Par conséquent, je conclus que l’établissement des demandeurs au Canada n’est pas d’un tel degré que l’obligation de présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger constituerait une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive.

 

 

[12]           Sur le fondement des décisions Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385 (C.F. 1re inst.), et Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 29 Imm. L.R. (3d) 253 (C.F. 1re inst.), la demanderesse soutient que cette conclusion, tirée sans aucune analyse de sa situation particulière, est erronée. Dans la décision Jamrich, le juge Blais a mentionné ce qui suit au paragraphe 29 :

[29] J’estime que la CI en est arrivée à une conclusion de fait qui n’est pas raisonnable : les conclusions de la CI selon laquelle « leur degré d’établissement n’est pas supérieur à celui auquel on peut s’attendre à l’égard d’un réfugié qui aurait eu les mêmes possibilités au Canada » et selon laquelle elle n’est pas convaincue que dans leur cas, « leur degré d’établissement est suffisamment différent ou important pour que l’on puisse dire que la famille Jamrich est mieux établie que toute autre famille qui réside au Canada en attendant que se déroule le processus de détermination du statut de réfugié » sont manifestement déraisonnables, compte tenu des circonstances de l’espèce.

 

 

[13]           La décision Jamrich a été rendue en application de la Loi et du Guide de l’immigration : Traitement des demandes au Canada – 5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Je ne vois aucun motif pour ne pas souscrire à l’approche prise par la Cour dans la décision Jamrich et je suis convaincue que la demanderesse a établi que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle dans la façon dont il avait traité la question de l’établissement.

 

[14]           Bien que cette erreur constitue un motif suffisant pour accueillir la présente demande de contrôle judiciaire, j’examinerai brièvement les arguments soulevés par la demanderesse et portant sur le traitement par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse ainsi que du caractère adéquat des motifs.

 

[15]           Dans son allégation selon laquelle l’agent a omis de tenir compte de façon adéquate de l’intérêt supérieur de ses enfants nés au Canada, la demanderesse met l’accent sur l’établissement social de ses enfants au Canada et sur le fait que ses deux enfants les plus âgés vont à une école de langue anglaise. La demanderesse soutient que l’agent a omis de tenir compte du fait que ses enfants ne parlent pas arabe et que, par conséquent, ses enfants seraient désavantagés s’ils retournaient en Libye, où l’arabe est la langue d’enseignement à l’école.

 

[16]           Je ne suis pas convaincue que ces éléments n’ont pas été examinés de façon adéquate par l’agent. La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants est la raisonnabilité; voir Markis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2008), 71 Imm. L.R. (3d) 237, paragraphe 20. Le choix de la langue de formation revient aux parents, y compris à la demanderesse. La demanderesse a mentionné que l’arabe était sa langue maternelle et, à mon avis, si elle veut que ses enfants parlent cette langue, elle doit prendre des mesures afin que ses enfants l’apprennent. L’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans le cadre de l’examen de l’intérêt supérieur des enfants, notamment leur capacité à s’adapter à la vie en Libye, si nécessaire.

 

[17]           Enfin, il reste la question du caractère adéquat des motifs. La norme de contrôle applicable à la présente question est la décision correcte; voir Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 693, paragraphe 9. Je suis convaincue que les motifs sont clairs et intelligibles. La demanderesse n’a pas réussi à établir que l’agent avait commis quelque manquement que ce soit à l’équité procédurale.

 

[18]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l’agent sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. La présente affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision de l’agent est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen et elle soulève aucune question aux fins de certification.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑48‑09

 

INTITULÉ :                                                   NURIA BEN AMER c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 29 JUIN 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 JUILLET 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LA DEMANDERESSE

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.