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Date : 20090710

Dossier : T-1515-05

Référence : 2009 CF 717

ENTRE :

MONSANTO CANADA INC. et

MONSANTO COMPANY

demanderesses

et

 

CHARLES RIVETT

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE ZINN

 

[1]               Dans mes motifs du jugement du 26 mars 2009, j’ai indiqué que la question des dépens avait été prise en délibéré, en attendant la réception des observations des parties. Ces observations ont maintenant été reçues et examinées.

 

[2]               L’action des demandeurs en contrefaçon de brevet a été introduite en septembre 2005. Le juge Simon Noël a rendu un jugement sur consentement le 11 janvier 2007, statuant que M. Rivett avait contrefait plusieurs revendications du brevet canadien no 1,313,830 (le brevet 830) en semant, cultivant et vendant des récoltes dont il savait qu’elles contenaient des gènes et des cellules revendiquées dans le brevet 830. M. Rivett a aussi été enjoint, de façon permanente, à cesser toute activité de contrefaçon et a dû rendre toutes les semences et tous les plants contrefaits qu’il avait en sa possession à Monsanto Canada Inc. Un procès a été instruit dans cette affaire, mais seulement sur les questions de la réparation, des dépens et des intérêts. Les demanderesses ont opté pour une restitution des bénéfices, plutôt que pour les dommages-intérêts. Mes motifs du 26 mars 2009 ont établi que M. Rivett doit restituer la somme de 40 137,24 $ au titre des bénéfices aux demanderesses, en plus des intérêts accumulés avant le jugement et après le jugement sur la totalité de cette somme.

 

[3]               Les parties s’entendent sur le fait que les demanderesses ont droit aux dépens, conformément à la règle habituelle voulant que les dépens suivent l’issue de la cause, et les deux parties semblaient opter pour une somme globale. Le paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales permet d’adjuger des dépens par somme globale, et je conviens qu’une telle adjudication est appropriée, compte tenu des circonstances de l’affaire, surtout étant donné que le défendeur ne s’oppose pas aux déboursés allégués par les demanderesses et a plutôt mis l’accent sur la somme totale qu’il doit verser, plutôt que de contester des points précis des honoraires contenus dans le projet de mémoire de frais des demanderesses.

 

[4]               Les demanderesses prétendent que la partie des honoraires des dépens devrait être établie selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, soit selon un échelon plus élevé que l’échelon ordinaire prévu à l’article 407, qui renvoie à la colonne III du tarif B, et leur projet de mémoire de frais est calculé sur la base des valeurs prévues à la colonne IV, soit l’échelon supérieur de la fourchette prévue. Les demanderesses affirment que l’adjudication d’une somme globale appartenant au plus haut échelon est justifiée par le caractère délibéré de la contrefaçon de leur brevet par le défendeur. Elles soulignent aussi les déclarations publiques du défendeur voulant que sa responsabilité dans la contrefaçon ne doive pas se chiffrer au-delà des frais d’une licence, ainsi que la perte de temps occasionnée par la vaine tentative du défendeur de présenter une preuve d’expert en contravention des Règles. Elles signalent à la Cour les dépens adjugés dans la décision Dimplex North America Ltd. c. CFM Corp., 2006 CF 1403, où des dépens correspondant à un tarif plus élevé ont été adjugés en raison de la nature délibérée de la contrefaçon effectuée par le défendeur, même si la Cour a refusé d’accorder des dommages punitifs à la demanderesse dans l’action principale.

 

[5]               La partie des honoraires contenue au projet de mémoire des frais des demanderesses s’élève à 26 712 $, tandis que la partie des débours se chiffre à 4 997,50 $, plus TPS.

 

[6]               Ce montant est substantiellement plus élevé que la somme globale de 3 000 $ et débours, en plus de la TPS appliquée à la totalité du montant, proposée par le défendeur dans ses observations sur les dépens. Le défendeur propose ce chiffre parce qu’il soutient qu’un bon nombre de facteurs lui étant favorables devraient être pris en compte dans l’adjudication des dépens, soit son admission de la contrefaçon dès qu’il lui était possible de le faire, sa coopération avec les demanderesses, ainsi que ses offres de règlement présentées en 2004 et 2007. Il demande aussi à la Cour de tenir compte du fait que la contrefaçon était « un événement unique » et qu’il a obtenu un [traduction] « succès important en ce qui concerne l’évaluation des bénéfices ».

 

[7]               Il est évident, à la lecture des observations du défendeur sur les dépens et des observations en réponse du demandeur, que les parties ne s’entendent pas sur plusieurs questions, incluant celle de déterminer si les déclarations publiques du défendeur ont encouragé des tiers à contrefaire les brevets de Monsanto, et de savoir si la demande principale des demanderesses au procès visait une « évaluation des dommages » se chiffrant à 200$ par acre semé par des semences contrefaites.

 

[8]               Pour les besoins de la présente affaire, il n’est pas nécessaire pour la Cour de parvenir à une conclusion sur ces différends, sauf pour mentionner que la description de l’objet du litige par le défendeur, ainsi que son allégation d’avoir obtenu un « succès important » dans l’évaluation des bénéfices ne devraient pas rester inchangées. Les demanderesses ont obtenu gain de cause. Il doit être clair, à la lecture des motifs de la Cour rendus le 26 mars 2009, que le « succès » obtenu par le défendeur était inhérent au calcul de la réparation qui a été choisie par les demanderesses.

 

[9]               À part cela, pour des raisons qui seront détaillées ci-dessous, il n’est pas nécessaire de commenter les désaccords des parties. Comme il le sera expliqué, la Cour n’estime pas que les offres qui ont été portées à son attention, par une ou l’autre des parties, ne devraient avoir de répercussions sur les dépens. En ce qui concerne l’encouragement allégué des tiers à la contrefaçon par le défendeur, selon l’avis de la Cour, le reproche le plus grave que l’on pourrait adresser au défendeur est qu’il a encouragé une conception de la responsabilité civile qui, même si elle est erronée, n’est pas ridicule au point de ne pas avoir été plaidée de bonne foi à la Cour par de distingués avocats en matière de brevets. 

 

Analyse

[10]           Comme il a été mentionné par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thibodeau c. Air Canada, 2007 CAF 115, les objectifs de l’adjudication des dépens sont l’indemnisation partielle, l’incitation à régler et la dissuasion des comportements abusifs. La Cour d’appel a aussi fait remarquer que « le tarif B se veut un compromis entre une pleine compensation de la partie gagnante et l’imposition d’un écrasant fardeau à la partie perdante » et que « la colonne III vise les cas d’une complexité moyenne ou habituelle ».

 

[11]           Le paragraphe 400(3) dresse une liste des facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’adjuger et de quantifier les dépens. Ceux-ci incluent notamment le résultat de l’instance, les sommes réclamées et les sommes recouvrées, l’importance et la complexité des questions en litige, le partage de responsabilité, l’existence d’offre écrite de règlement, le défaut de la part d’une partie de reconnaître ce qui aurait dû être admis, la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou tout autre question que la Cour « juge pertinente ».

 

[12]           Les demanderesses ont proposé plusieurs offres de règlement. En octobre 2004, soit avant d’intenter leur action, elles ont offert de régler le différent moyennant le versement d’une somme de 50 000 $, ainsi qu’un engagement de la part de M. Rivett à acheter des herbicides Monsanto pour les trois années suivantes. En décembre 2004, elles ont présenté une offre révisée de règlement qui prévoyait le versement d’une somme de 40 000 $ répartie sur quatre ans, ainsi qu’un engagement de la part de M. Rivett à acheter exclusivement des herbicides Monsanto pour les trois années suivantes. En mars 2007, les demanderesses ont offert de régler soit sur la base d’un jugement convenu de 30 000 $, conjugué à un accès interdit aux technologies actuelles ou futures de Monsanto, ou d’un jugement convenu de 60 000 $ accompagné d’un engagement à acheter 60 000 $ de produits Monsanto au cours des cinq prochaines années. Chaque option aurait aussi obligé M. Rivett à publier une déclaration dans le bulletin d’information du Ontario Farmer dans laquelle il admettait la contrefaçon et reconnaissait le versement de dommages supérieurs aux droits de licence. Finalement, en novembre 2007, les demanderesses ont offert de régler sur la base d’un jugement de 94 700 $, en plus des intérêts et des dépens; ces derniers étant renoncés si le principal était versé. L’offre était toujours valide au début du procès.  

 

[13]           M. Rivett, le défendeur, a aussi offert de régler. En décembre 2004, il a proposé un règlement dans lequel il offrait de verser de manière échelonnée 20 000 $, ainsi qu’un engagement à acheter exclusivement des produits Monsanto pendant cinq ans. En mars 2007, il a offert de régler sur la base d’un versement de 19 000 $, ainsi que les dépens. Cette offre était toujours valide au début du procès.

 

[14]           Même si le paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales prévoit explicitement que l’existence d’offres de règlement est un facteur dont la Cour peut tenir compte dans l’adjudication des dépens, et même si l’incitation au règlement est une finalité avouée de l’adjudication des dépens, la Cour n’estime pas que les offres de règlement proposées par les parties en l’espèce devraient avoir une quelconque incidence sur les dépens. Les offres du défendeur équivalaient à moins de la moitié que ce qu’il a ultimement été obligé à verser. Les offres des demanderesses, y compris leur meilleure offre de décembre 2004, comprenaient toutes des conditions qui ne relevaient pas que de la simple quantification pécuniaire et qui, dans certains cas, auraient sérieusement restreint l’indépendance commerciale de M. Rivett.

 

[15]           En ce qui concerne la prétendue perte de temps causée par le non-respect des Règles des Cours fédérales de la part du défendeur en ce qui concerne la preuve d’expert, qui a fait en sorte que les demanderesses ont dû se préparer pour un contre-interrogatoire qui n’a jamais eu lieu, des irrégularités de la sorte, quoique regrettables, ne sont pas inhabituelles, ni exceptionnelles. En l’espèce, la Cour n’a pas eu à consacrer beaucoup de temps à cette question, et le temps, quel qu’il ait été, consacré par l’avocat des demanderesses à la préparation en vue du contre-interrogatoire est présumément inclus au projet de mémoire des dépens présenté à la Cour, sous l’objet 13, « honoraires d’avocats ». De plus, l’irrégularité a été plus que compensée par la conduite du défendeur en général, par exemple la franchise dont il a fait preuve lors de son témoignage, sa coopération avec l’avocat de la partie adverse, et le prononcé d’aveux qui ont accéléré les procédures et rétréci la portée des questions en litige. 

 

[16]           Enfin, en ce qui concerne l’observation des demanderesses selon laquelle la Cour devrait appliquer le jugement Dimplex, précité, et adjuger les dépens selon un échelon plus élevé que l’échelon habituel en raison du caractère intentionnel de la contrefaçon effectuée par le défendeur, il n’y a aucun principe général selon lequel la contrefaçon délibérée d’un brevet devrait être punie par l’adjudication de dépens plus élevés. De plus, les faits de Dimplex peuvent être distingués de ceux de l’espèce : le défendeur dans cette affaire était une société de pointe qui était incapable de parvenir à une solution compétitive, et qui a par conséquent choisi de copier une recette éprouvée dont les droits appartenaient au demandeur. En l’espèce, les parties ne sont pas concurrentes en affaires. De plus, la décision d’adjuger les dépens selon l’échelon supérieur de la colonne V dans Dimplex avait été rendue à la lumière de toutes les circonstances, y compris la grande quantité de travail que le demandeur devait accomplir afin de faire valoir ses droits, ainsi que de l’existence de propositions de règlement qui auraient résulté en de substantielles économies pour les défendeurs. Ces circonstances ne sont pas présentes en l’espèce.  

 

[17]           Puisqu’il ne s’agissait pas une affaire inhabituellement complexe, et à la lumière de mon opinion sur les autres facteurs plaidés par les parties, je n’estime pas qu’il s’agisse d’une affaire où il serait justifié de déroger aux colonnes habituelles du tarif, en dépit des arguments des demanderesses. Par conséquent, je vais fixer les dépens en me fondant sur le projet de mémoire de frais des demanderesses, en réduisant les « honoraires d’avocats » d’environ 50 %, afin de ramener cette somme à la médiane des montants prévus à la colonne III. 

 

[18]           Il s’ensuit que les dépens seront fixés à 13 000 $ au titre des honoraires d’avocats et à 4 997,55 $ au titre des débours, pour un total de 17 997,55 $, plus la TPS. Une ordonnance sera rendue en conséquence dans le jugement officiel sur l’action principale.

                                                                                                            « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

10 juillet 2009

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1515-05

 

INTITULÉ :                                       MONSANTO CANADA INC. et

                                                            MONSANTO COMPANY c.

                                                            CHARLES RIVETT

                                                                                                                                                                                   

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 12,13 et 14 janvier 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : Le juge Zinn

                                                           

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 juillet 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur B. Renaud

L. E. Trent Horne

 

POUR LES DEMANDERESSES

Donald R. Good

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bennett Jones LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Donald R. Good & Associates

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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