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Date : 20090723

Dossier : T-247-08

Référence : 2009 CF 746

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

ADVENTURE TOURS INC.

demanderesse

et

 

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE ST. JOHN’S

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’un appel de l’ordonnance du protonotaire Kevin R. Aalto, rendue le 5 janvier 2009, rejetant en partie la requête de la défenderesse en radiation de la presque totalité de la déclaration déposée par la demanderesse contre la défenderesse. Adventure Tours Inc. (ATI) prétend que l’administration portuaire de St. John’s (APSJ) s’est livrée, par la conduite de certains membres de son conseil d’administration, à une série d’actes dont l’illégalité constitue un délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, qui lui aurait causé un préjudice.


[2]               Ayant examiné avec soin les dossiers des deux parties, ainsi que leurs observations orales et écrites, je conclus que la décision du protonotaire devrait être confirmée, puisqu’il n’a pas été démontré qu’elle était entachée d’une erreur flagrante même si les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

LES FAITS

 

[3]               La demanderesse est une société qui offre des visites touristiques et des excursions en bateau à partir du port de St. John’s. En mars 2004, la défenderesse a appliqué une nouvelle échelle tarifaire qui, pour la première fois, comportait un droit par passager imposé aux exploitants de bateaux d’excursion qui ne louaient pas de kiosque sur le nouveau quai 7. ATI louait un kiosque durant la saison 2004. Toutefois, en raison d’une importante baisse de revenus provenant de l’exploitation de ses bateaux d’excursion et de son incapacité à négocier un taux qu’elle considérait plus juste et raisonnable, elle a décidé de ne pas renouveler son bail en 2005. Par conséquent, elle devait payer un droit de 1,27 $ par passager, fixé selon 70 % de la capacité totale des exploitants de bateaux d’excursion. Le 3 juin 2005, ATI a déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada (OTC), prétendant que le droit par passager imposé aux exploitants de bateaux d’excursion par l’APSJ était discriminatoire et injuste et contrevenait au paragraphe 52(1) de la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10.

 

[4]               L’OTC a rejeté la plainte d’ATI le 31 octobre 2005, et cette dernière n’a pas interjeté appel ou demandé le contrôle de cette décision. Le président du comité d’examen a conclu que le tarif par passager était discriminatoire, mais qu’il ne constituait pas une discrimination injustifiée puisqu’il était fondé sur une stratégie économique admise commercialement et essentielle à l’élaboration du projet touristique du quai 7.  Un autre membre de la formation a statué que les droits des passagers perçus par l’APSJ ne constituaient pas une discrimination, puisque les exploitants de bateaux d’excursion ont tous le choix de payer un droit par passager ou des frais de location de kiosque.

 

[5]               Par la suite, ATI a déposé une autre plainte auprès de l’OTC, alléguant que l’APSJ avait exercé une discrimination injustifiée et pris des mesures excessives en refusant de lui accorder un permis pour exploiter un de ses bateaux à partir du quai 7 dans le port de St. John’s. Le 10 avril 2008, l’OTC a rejeté sa plainte, concluant qu’elle avait uniquement compétence pour examiner les plaintes liées aux droits fixés par l’administration portuaire. Comme la plainte était liée à l’incapacité d’obtenir un permis d’exploitation dans le port de St. John’s, qui relève d’une politique ou d’une pratique plutôt que d’un droit, l’OTC a décliné compétence.

 

[6]               Le 14 février 2008, ATI a déposé une déclaration introduisant une action contre l’APSJ. ATI allègue que l’APSJ a enfreint l’article 50 de la Loi maritime du Canada et que les membres de son conseil d’administration ont commis le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. La demanderesse prétend essentiellement qu’elle a subi des pertes et des dommages en raison du refus de la défenderesse de lui permettre d’accoster ses bateaux au quai 7 du port de St. John’s. La déclaration comporte un historique détaillé des actes précis qui, selon la demanderesse, constituent un comportement donnant lieu à une allégation de faute publique.

 

[7]               Durant les mois suivants, la défenderesse a fait signifier à la demanderesse une demande de précisions en vue d’obtenir notamment les dates auxquelles elle lui aurait fait des observations et le nom des personnes visées par ces observations, et en vue de savoir si ces observations étaient écrites ou orales. La demanderesse ayant refusé de fournir certaines précisions demandées, le protonotaire Morneau a ordonné, à la suite d’une requête présentée par la défenderesse, que des précisions supplémentaires soient données à l’égard de certains paragraphes de la demande de précisions. Insatisfaite de la réponse de la demanderesse, la défenderesse a déposé un autre avis de requête le 16 juin 2008 en vue d’obtenir une ordonnance contraignant la demanderesse à respecter l’ordonnance du protonotaire. Suivant l’ordonnance du protonotaire, la demanderesse a fourni certaines précisions supplémentaires. Grâce à ces procédures, la demanderesse a maintenant fourni le nom de deux membres du conseil d’administration de l’APSJ et du directeur de port qui auraient agi illégalement.

 

[8]               Enfin, le 22 septembre 2008, la défenderesse a introduit une requête en radiation de la plupart des paragraphes de la déclaration. Elle a invoqué un certain nombre de motifs à l’appui de sa requête : 1) la déclaration est une tentative de faire examiner à nouveau les plaintes que la demanderesse avait antérieurement déposées auprès de l’OTC, lesquelles avaient été rejetées; 2) il n’y a pas de cause d’action valable, tout d’abord parce que le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique ne s’étend pas à l’APSJ, puisqu’elle n’est pas un fonctionnaire, et ensuite parce que les questions de location, de délivrance de permis et d’accostage ne revêtent pas de caractère suffisamment public pour être visées par ce délit; 3) dans la mesure où les questions de location, de délivrance de permis et d’accostage sont susceptibles, en tant que décisions d’un office fédéral, de contrôle, la demande de contrôle judiciaire est prescrite; 4) le délit spécial de manquement à une obligation d’origine législative n’existe pas en droit canadien; 5) l’OTC a déjà statué sur les actes de l’APSJ en estimant que son échelle tarifaire était légale; et 6) toute cause d’action découlant des pertes invoquées pour les années 2004 et 2005 est prescrite suivant la Limitations Act, S.N.L. 1995, ch. L-16.1.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[9]               Comme je l’ai déjà mentionné, le protonotaire Aalto a rejeté la requête en radiation, à l’exception de l’un des arguments soulevés par la défenderesse. Il a axé ses motifs sur ce qui semble avoir été le principal argument qui lui a été présenté, c’est‑à‑dire sur la question de savoir si la déclaration ou les précisions donnaient suffisamment de détails sur les personnes qui auraient commis l’acte fautif. L’essentiel de sa décision à cet égard se trouve dans les deux paragraphes suivants de ses motifs :

[traduction] Comme la plupart des entreprises, l’APSJ accomplit son mandat en fonction des décisions prises par son conseil d’administration et appliquées par ses employés. La défenderesse n’est pas au fait des discussions et des activités dont il est question lors d’une réunion de son conseil ou à l’intérieur de ses bureaux. Il s’agit de renseignements qui sont essentiellement connus de l’APSJ. Ainsi, il ne sert à rien de simplement nommer tous les membres du conseil d’administration ou de recourir à une approche tronquée pour nommer, autant que possible, tous les employés qui participent aux décisions liées à l’accostage des bateaux d’excursion dans le port de St. John’s. Le fait que la demanderesse a fourni, dans les précisions, le nom de deux membres du conseil d’administration et du directeur du port qui auraient agi illégalement est suffisant. Il se peut très bien que dans le cadre de la communication et de l’interrogatoire préalables, la demanderesse découvre que d’autres personnes auraient agi illégalement.

 

À mon sens, compte tenu du contexte factuel exhaustif de la déclaration et des précisions, les éléments du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique sont valablement invoqués. Il ne fait aucun doute que l’APSJ connaît la preuve qu’elle doit réfuter. Dans le cadre de la communication et de l’interrogatoire préalables, si la demanderesse découvre que d’autres personnes auraient agi illégalement et que cette conduite lui aurait causé des dommages, ces personnes seront désignées. Le fait que l’APSJ ne dispose pas du nom de toutes les personnes qui pourraient avoir agi illégalement ne lui cause donc aucun préjudice à cette étape de l’instance. Comme je l’ai signalé, deux membres du conseil sont nommés précisément, comme l’est le directeur du port, à qui sont reprochés les nombreux actes qui constitueraient une faute dans l’exercice d’une charge publique. Ces allégations suffisent, pour les besoins de l’acte de procédure, à fonder la cause d’action.

 

 

[10]           En revanche, le protonotaire Aalto a souscrit à l’opinion de la défenderesse portant que la demanderesse ne pouvait élargir le sens du par. 50(1) de la Loi maritime du Canada de manière à ce qu’il vise toute discrimination. Bien que cette disposition de la Loi semble viser toute forme de conduite discriminatoire, elle doit être interprétée conjointement avec la Loi dans son ensemble et, plus particulièrement, dans le contexte des droits parce qu’elle se trouve dans la partie de la Loi intitulée « Droits ». S’appuyant sur la jurisprudence étayant cette interprétation, le protonotaire a conclu que l’interprétation plus générale de la disposition invoquée par la demanderesse à l’appui de ses nombreuses allégations portant que les divers actes de l’APSJ constituent une discrimination était vouée à l’échec. Par conséquent, il a ordonné que les références aux violations du par. 50(1) de la Loi dans la déclaration soient radiées, même si les allégations de fait pouvaient être maintenues.

 

 

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[11]           La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si le protonotaire a commis une erreur en statuant que le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique est valablement invoqué dans la déclaration et qu’au moins deux membres nommés du conseil d’administration de la défenderesse auraient agi illégalement, ou subsidiairement, s’il a commis une erreur en n’ordonnant pas de précisions supplémentaires concernant les particuliers, les fonctionnaires ou les personnes physiques qui auraient agi d’une manière illégale et délibérée. 

 

ANALYSE

 

[12]           Bien que les Règles des cours fédérales ne prescrivent pas de norme de contrôle applicable aux appels des ordonnances discrétionnaires des protonotaires, le critère qu’il convient d’appliquer a été établi par la Cour d’appel fédérale dans R. c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, où le juge MacGuigan a affirmé ce qui suit au par. 97 :

Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou en se fondant sur une mauvaise appréciation des faits.

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

[…]

 

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

 

 

[13]           Ce critère a été confirmé plus tard par le juge Bastarache de la Cour suprême du Canada dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, et subséquemment reformulé de la façon suivante par la Cour d’appel fédérale dans Merck Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488 :

Afin d’éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu’il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l’occasion pour renverser l’ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d’abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l’issue de l’affaire. Ce n’est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J’énoncerais le critère comme suit : « Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. »

 

 

[14]           Il est vrai que le critère du « caractère déterminant » doit être rigoureux si l’on veut donner effet à l’intention du législateur exprimée à l’article 12 de la Loi sur les Cours fédérales, selon laquelle les fonctions du protonotaire visent à promouvoir « l’exécution des travaux » de la Cour. Pour déterminer si une question a une influence déterminante sur l’issue du principal, l’accent doit donc être mis sur le sujet des ordonnances et non sur leur effet (Merck Co. c. Apotex, précité, par. 18).

 

[15]           Il est évident que la défenderesse, dans sa requête en radiation de certains paragraphes de la déclaration et dans le présent appel, fait principalement valoir que le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique peut être invoqué seulement contre une personne physique. Selon la demanderesse, cette question n’a pas, en soi, une influence déterminante sur l’issue de la présente affaire puisqu’on pouvait y répondre sans qu’il soit mis fin à l’instance. En effet, la défenderesse elle‑même prétend que le protonotaire a commis une erreur en n’ordonnant pas de précisions supplémentaires concernant les personnes visées par les allégations de conduite délibérée et illégale. Une question ne devient pas déterminante quant à l’issue du principal, prétend la demanderesse, simplement parce que le demandeur débouté de sa requête présentée au protonotaire prétend qu’elle aurait pu être tranchée d’une façon qui aurait permis de régler la demande.

 

[16]           Bien qu’il soit ingénieux, cet argument de la demanderesse ne peut être retenu. Il est important de se rappeler que la requête présentée au protonotaire n’était pas une demande de précisions, mais bien une requête en vue d’obtenir une ordonnance radiant les actes de procédure. La possibilité d’ordonner des précisions n’a été soulevée qu’à titre subsidiaire, apparemment à la demande de la demanderesse. 

 

[17]           La défenderesse soulève principalement dans sa requête que, s’agissant du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, la désignation du fonctionnaire est un élément essentiel pour pouvoir invoquer le délit et ne saurait être établie à l’interrogatoire préalable. Peu importe si la défenderesse a raison, il s’agit clairement d’une question qui a une influence déterminante sur l’issue du principal. Elle concerne l’essence même du délit reproché ayant causé les dommages. Même si elle est examinée avant que le protonotaire ne se prononce sur son caractère déterminant, il me semble qu’elle a manifestement une influence déterminante sur la conclusion de l’affaire. 

 

[18]           Il était loisible au protonotaire d’ordonner des précisions ou de permettre une modification à la déclaration dans les circonstances. Il a refusé de le faire. Ainsi, si la demanderesse doit désigner une personne physique, comme le prétend la défenderesse, dans la mesure où cette personne n’est pas déjà désignée dans les actes de procédure, ceux‑ci doivent être radiés. À ce titre, je le répète, il s’agit d’une question déterminante. Par conséquent, je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

 

[19]           La défenderesse fait valoir que le protonotaire a commis une erreur de droit et de fait. S’agissant du droit, l’avocat de la défenderesse a réitéré les arguments qui ont été présentés au protonotaire, selon lesquels il est essentiel, pour pouvoir invoquer le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, particulièrement en ce qui concerne une personne morale, qu’une personne ou un groupe défini de personnes soient désignés dans les actes de procédure. Il en est ainsi, selon la défenderesse, parce que les éléments moraux nécessaires à l’établissement du délit (c.‑à‑d. la malice et la mauvaise foi) sont des états mentaux qui ne peuvent être attribués qu’à des personnes physiques.

 

[20]           Le protonotaire a fait remarquer qu’une requête en radiation ne sera pas accueillie à la légère. Le paragraphe 221(1) des Règles des cours fédérales prévoit que la Cour peut ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure s’il ne révèle aucune cause d’action valable (221(1)a)), ou s’il constitue autrement un abus de procédure (221(1)f)). Ainsi, le protonotaire a conclu à bon droit que la défenderesse doit s’acquitter d’un lourd fardeau et que la cause d’action peut seulement être invalidée si l’acte de procédure et la demande de précisions n’ont aucune chance d’être accueillis.

 

[21]           Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, les origines du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique remontent à la common law britannique. Il peut être commis de deux façons : soit par la conduite qui vise précisément à causer préjudice à une personne ou à une catégorie de personnes, soit par le fonctionnaire public qui agit en sachant qu’il n’est pas habilité à exécuter l’acte qu’on lui reproche et que cet acte causera vraisemblablement préjudice au demandeur. Dans les deux cas, deux éléments forment le délit : premièrement, le fonctionnaire public doit avoir agi en cette qualité de manière illégitime et délibérée et, deuxièmement, le fonctionnaire public doit avoir été conscient du caractère non seulement illégitime de sa conduite, mais aussi de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur (Succession Odhavji, précité, par. 22-23).

 

[22]           Dans l’arrêt Jones c. Swansea City Council, [1990] 1 W.L.R. 1453, la Cour d’appel britannique a déterminé que dans certaines circonstances, un organisme public comme un conseil peut être tenu responsable du délit. La Cour d’appel de l’Ontario est arrivée à une conclusion semblable dans O’Dwyer c. Ontario (Racing Commission), 2008 ONCA 446. Évidemment, une entreprise ne peut agir que par l’intermédiaire de ses employés ou de ses directeurs. Cela dit, le mobile peut parfois être établi par la preuve. Il vaut mieux que la question de savoir si le nombre d’employés de l’APSJ ou de membres de son conseil d’administration ayant participé aux décisions ou aux actes qui seraient malicieux est suffisant pour rendre l’entreprise responsable en soi soit tranchée par le juge de première instance, une fois que l’enquête a eu lieu et que la preuve a été présentée.

 

[23]           Le protonotaire connaissait de toute évidence les décisions et les principes juridiques pertinents, et il a examiné la question en conséquence. Si le droit est ambigu sur la question de savoir si une entreprise peut être tenue responsable du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique et, le cas échéant, dans quelles circonstances, il vaut mieux laisser la question au juge de première instance. À cette étape préliminaire, on ne m’a pas convaincu que la déclaration n’a aucune chance d’être accueillie. 

 

[24]           Quoi qu’il en soit, le protonotaire ne semble pas avoir fondé sa décision tant sur la possibilité que l’APSJ, à ce titre, soit tenue responsable du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, mais plutôt sur le fait qu’elle connaît la preuve qu’elle doit réfuter puisque le nom de deux membres de son conseil d’administration et du directeur du port a été fourni dans les précisions. Vu la nature précise de la déclaration, l’APSJ ne peut prétendre qu’elle sera prise par surprise, et l’obligation de désigner les personnes est remplie.

 

[25]           Il ne fait aucun doute que les précisions fournies concernant les deux membres du conseil d’administration et le directeur du port sont plutôt vagues, qu’elles ne donnent pas beaucoup de détails concernant leur participation à la faute reprochée et qu’elles ne se rapportent qu’à certaines allégations formulées dans la déclaration. Mais il s’agit précisément de la difficulté à laquelle sont exposées les parties à un litige qui doivent désigner les personnes visées par des décisions prises à l’intérieur d’une entreprise. Cela ne devrait pas être un obstacle au déroulement de l’instance. Il se pourrait bien que la demanderesse puisse désigner davantage de personnes ou préciser le rôle qu’elles ont joué, soit à la suite de l’interrogatoire préalable, par la production de témoins, soit en tirant des inférences convaincantes. En revanche, si la preuve n’est pas concluante et ne satisfait pas à la norme de preuve requise dans ce genre d’affaire, le juge de première instance pourra rejeter l’action.

 

[26]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que l’appel doit être rejeté. La décision du protonotaire était bien motivée et n’était certainement pas entachée d’une erreur flagrante. Il a bien appliqué le droit aux faits qui lui ont été présentés et a bien exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas radier les actes de procédure puisqu’ils ne contrevenaient pas aux critères prévus au paragraphe 221(1) des Règles des cours fédérales.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que le présent appel de la décision du protonotaire Aalto datée du 5 janvier 2009 soit rejeté avec dépens.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-247-08

 

INTITULÉ :                                       ADVENTURE TOURS INC.

                                                            c. ADMINISTRATION PORTUAIRE DE ST. JOHN’S

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 St. John’s (Terre-Neuve)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juillet 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lutz

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jamie Smith, c.r.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McInnes, Cooper

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Smith, cabinet d’avocats

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

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