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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 


Date : 20090731

 

Dossier : IMM-685-09

 

Référence : 2009 CF 790

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2009

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

SHAHRAM ALVANDI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

 

[1]               Le demandeur, M. Shahram Alvandi, est un citoyen de l’Iran qui est arrivé au Canada en 1996 et qui a réclamé l’asile, sa demande ayant été déclarée abandonnée le 12 mars 2001. Le demandeur a alors été déporté en Iran où, selon lui, il a été immédiatement arrêté et incarcéré à la prison d’Evin à Téhéran. Après huit mois de détention, le demandeur a été libéré pendant une semaine après que sa famille eut soudoyé les responsables de la prison. Il s’est immédiatement caché et est revenu illégalement au Canada en août 2005. Après avoir fait l’objet d’une mesure


d’expulsion le 25 mai 2007, le demandeur a présenté une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) le 25 juillet 2007.

 

[2]               Dans une décision datée du 8 janvier 2009, l’agente d’ERAR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution, à un risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Iran. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.        Questions en litige

 

[3]               La présente demande soulève les deux questions suivantes :

 

1)                  L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en accordant peu de poids aux allégations non corroborées portant sur les risques auxquels le demandeur sera exposé s’il retourne en Iran?

2)                  L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État?

 


III.       Décision de l’agent d’ERAR

 

[4]               La décision de l’agente d’ERAR était fondée sur les conclusions suivantes :

 

·                    Le fondement de la demande se trouve dans le l’exposé circonstancié du demandeur datant de 1996 et n’a été corroboré ni étayé par aucune source indépendante, par exemple un organisme gouvernemental, la police ou la presse. On lui a donc accordé peu de poids;

 

·                    Bien que les rapports concernant la situation en Iran démontrent que ce pays a de mauvais antécédents de violation des droits de la personne, de corruption, d’impunité politique et de discrimination religieuse, le demandeur n’a pu faire de lien entre ces éléments de preuve et le fait qu’il serait exposé à des risques à l’avenir;

 

·                    Malgré les problèmes de corruption et de violation des droits de la personne, les documents d’information du pays démontrent que l’Iran a des forces policières et militaires établies et que des efforts raisonnables sont déployés pour protéger les citoyens. Le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État par une preuve claire et convaincante. Les éléments de preuve objectifs établissent que le système judiciaire iranien prévoit différents recours à l’intention des victimes d’un traitement injuste par les autorités.


IV.       Analyse

 

A.        Question no 1 : Absence de corroboration

 

[5]               La question de savoir si l’agente d’ERAR a commis une erreur en accordant peu de poids aux risques allégués par le demandeur repose sur la suffisance de la preuve dont disposait l’agente.

 

[6]               Le demandeur a présenté peu d’éléments de preuve pour étayer sa demande. Il a fourni un Formulaire de renseignements personnels non daté (datant probablement de 1996) ainsi qu’une déclaration dans sa demande d’ERAR, laquelle est rédigée ainsi : [traduction] « J’ai passé trois ans en prison : j’ai été harcelé, arrêté, emprisonné, interrogé plusieurs fois. » À part cela, le demandeur a uniquement présenté la lettre de l’avocat qui le représentait à cette époque, laquelle comprend des détails additionnels sur l’emprisonnement du demandeur en Iran.

 

[7]               L’agente a écrit ce qui suit concernant ces éléments de preuve :

[traduction]

Le demandeur a présenté un exposé circonstancié dans son Formulaire de renseignements personnels non daté ainsi que des éléments de preuve objectifs dont le dossier de référence sur l’Iran de la CISR et le rapport américain sur l’Iran daté du 6 mars 2007.

 

L’exposé circonstancié décrit les événements qui se sont produits en Iran et qui ont poussé le demandeur à quitter ce pays en 1996 et à demander ensuite l’asile au Canada en décembre 1996. Cet exposé circonstancié a été fourni par le demandeur et n’est corroboré ni étayé par aucune source indépendante, par exemple un organisme gouvernemental, la police ou la presse, et nous lui accordons donc peu de poids.

[8]               Le demandeur fait valoir que, étant donné que son témoignage n’a pas été contredit, l’agente a commis une erreur en accordant peu de poids à son exposé circonstancié et en concluant que son témoignage n’était pas crédible simplement en raison de l’absence d’une preuve corroborante. Compte tenu que l’agente n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité de la preuve, le demandeur soutient que son exposé circonstancié aurait dû être accepté comme étant crédible et vrai (Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 971) et que l’agent n’aurait pas dû y accorder peu de poids.

 

[9]               Dans la décision Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, le juge Zinn a traité sensiblement de la même question en examinant le cas d’une Jamaïcaine qui alléguait être exposée à des risques parce qu’elle était lesbienne. Aux paragraphes 25 et 26, le juge Zinn fait la distinction entre la crédibilité et le poids devant être accordé à un élément de preuve lorsqu’un agent doit déterminer si le demandeur s’est acquitté du fardeau de preuve :

25    Lorsqu’un demandeur d’ERAR présente une preuve, soit sous forme orale, soit sous forme documentaire, l’agent peut effectuer deux évaluations différentes de cette preuve. Premièrement, il peut évaluer si la preuve est crédible. Lorsqu’il conclut que la preuve n’est pas crédible, en réalité, c’est une conclusion selon laquelle la source de la preuve n’est pas fiable. […]

 

26    Si le juge des faits décide que la preuve est crédible, une évaluation doit ensuite être faite pour déterminer le poids à lui accorder. Il n’y a pas seulement la preuve qui a satisfait au critère de fiabilité dont le poids puisse être évalué. Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la réponse à la première question n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable. Par exemple, la preuve des tiers qui n’ont pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels ils témoignent, se verra probablement accorder peu de poids, qu’elle soit crédible ou non.

 

[10]           Dans Ferguson, précité, le juge Zinn a conclu qu’il était raisonnable pour l’agent d’ERAR d’avoir accordé peu d’importance aux observations de l’avocat de Mme Ferguson parce qu’il n’existait aucune preuve à l’appui de ces observations.

 

[11]           Il y a lieu d’appliquer le même raisonnement en l’espèce. Le demandeur cherche à étayer sa demande en s’appuyant sur des observations faites par l’avocat qui le représentait auparavant et sur son exposé circonstancié personnel non daté. Aucun de ces documents n’a été établi sous serment et il n’existait aucune autre preuve corroborante, ne serait-ce qu’un affidavit souscrit par le demandeur ou par l’un des membres de sa famille qui aurait été au courant des incidents allégués. Par conséquent, il était raisonnablement loisible à l’agente d’ERAR d’accorder peu de poids à la preuve dont elle disposait.

 

[12]           Bien que j’ai conclu que l’agente n’a pas agi de façon déraisonnable en accordant peu de poids à la preuve, je souligne qu’elle n’a pas rejeté l’exposé circonstancié complet du demandeur, dans lequel il affirme avoir été emprisonné dans la prison d’Evin et avoir échappé aux autorités, au motif qu’il n’était pas crédible.

 

B.         Question no 2 : protection de l’État

 

[13]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a commis une erreur en exigeant que le demandeur fournisse une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de la protection adéquate de l’État puisque les représentants de l’État sont à l’origine de la persécution en l’espèce. Selon les faits propres à chaque espèce, la jurisprudence démontre que lorsque les représentants de l'État sont eux-mêmes à l'origine de la persécution et que la crédibilité du demandeur n'est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l'État sans devoir épuiser tout recours possible au pays (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, par. 15; Gallo Farias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1035, par. 19).

 

[14]           L’agente, dans sa décision, a fait référence à de nombreuses reprises aux problèmes en Iran, y compris ses mauvais antécédents de violation des droits de la personne, de corruption, d’impunité politique et de discrimination religieuse. L’agente a plus particulièrement fait des commentaires sur les problèmes que connaît l’Iran en matière d’application de la loi. L’agente semble s’être fortement appuyée sur les éléments de preuve objectifs renvoyant aux organismes qui se chargent des plaintes en matière de corruption et de violation des droits. Plus particulièrement, l’agente d’ERAR a conclu que [traduction] « les éléments de preuve objectifs établissent que le système judiciaire iranien prévoit différents recours à l’intention des victimes d’un traitement injuste par les autorités ». Le problème que pose cette conclusion est que l’agente ne précise pas les [traduction] « différents recours » qui s’offrent au demandeur qui allègue que les représentants de l’État sont ses persécuteurs et qu’elle n’explique pas comment ces « différents recours » pourraient aider le demandeur.

 

[15]           Il ressort très clairement de la jurisprudence que tout demandeur doit réfuter la présomption de la protection de l’État à l’aide d’une preuve claire et convaincante (Flores Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Or, dans un pays comme l’Iran, où le concept de la démocratie est flou, il me semble qu’il est plus facile pour le demandeur de réfuter cette présomption. En l’espèce, le demandeur ajoute une dose de complexité en alléguant que ses craintes proviennent de mesures policières. Il est vrai que l’agente a jugé que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour étayer adéquatement sa demande, mais elle n’a tiré aucune conclusion explicite portant que le récit du demandeur était inventé. De plus, la demande d’asile qu’avait présentée le demandeur n’a jamais été instruite. Dans de telles circonstances, je m’attends à ce que l’agent analyse attentivement les documents portant sur la situation du pays en tenant compte des circonstances particulières du demandeur. Une analyse de la protection de l’État confinée aux normes n’est pas suffisante pour trancher la présente affaire. Cela ne veut pas dire que l’agent d’ERAR aurait dû conclure que le demandeur ne pouvait être protégé par l’État. Il est toujours loisible à l’agent de rejeter une demande, pourvu que les éléments de crainte du demandeur soient pris en compte.

 

[16]           En somme, l’agente d’ERAR n’a simplement pas analysé la preuve documentaire en tenant compte des circonstances particulières du demandeur. À mon avis, la conclusion de l’agente d’ERAR portant que le demandeur n’a pas fourni de preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de la protection adéquate de l’État ne faisait pas partie des issues acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47).

 

VI.       Conclusion

 

[17]           Pour ces motifs, la demande sera accueillie. Aucune partie ne propose de question aux fins de la certification.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agente d’ERAR est annulée et que l’affaire est renvoyée au défendeur pour qu’un autre agent d’ERAR procède à un nouvel examen;

 

2.                  aucune question de portée générale n'est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL. B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-685-09

 

INTITULÉ :                                       SHAHRAM ALVANDI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 juillet 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marc J. Herman

 

POUR LE DEMANDEUR

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Herman & Herman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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