Federal Court |
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Cour fédérale |
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
LE JUGE HARRINGTON
[1] M. Monge Monge est en prison parce que, selon les rapports de police cités dans la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire : [traduction] « [il] a abordé la victime et comme elle refusait de lui donner de l’argent, il s’est disputé avec elle. Il l’a saisie par la gorge et a menacé de l’étrangler. Elle a appuyé sur le bouton d’alarme de sa clé électronique. Il l’a poussée contre une autre voiture et il s’est enfui à bord de la voiture de la victime. Le lendemain, les policiers ont localisé la voiture et ont essayé d’arrêter M. Monge Monge, mais il a embouti trois véhicules de police et deux véhicules civils. Il est sorti du stationnement et a défoncé un véhicule de police identifié blessant par là un policier. Finalement, il a été appréhendé par les policiers. »
[2] Il a été déclaré coupable de vol à main armée, de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur et de possession d’une arme dans un dessein dangereux. Il a été condamné à trente mois d’emprisonnement. Même s’il était seulement âgé de vingt‑neuf ans, il s’agissait de sa vingt‑septième déclaration de culpabilité.
[3] M. Monge Monge est un Polonais et il est un résident permanent de longue date au Canada : seize années. Selon l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour grande criminalité s’il a été déclaré coupable au Canada d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été infligée. Il ne fait aucun doute que M. Monge Monge est interdit de territoire.
[4] La présente affaire traite du processus de renvoi du Canada d’une personne interdite de territoire et de l’étendue du pouvoir des personnes chargées de l’application de la LIPR de permettre, selon leur pouvoir discrétionnaire, au résident permanent interdit de territoire pour grande criminalité de rester ici.
[5] Dans la présente affaire, en conformité avec l’article 44 de la LIPR, un agent d’immigration a établi un rapport qu’il a transmis au ministre, rapport dans lequel il déclarait que, selon lui, M. Monge Monge était interdit de territoire. À son tour, le ministre a désigné une représentante afin qu’elle examine si le rapport était bien fondé. La représentante du ministre a conclu que le rapport était bien fondé et elle a déféré le rapport à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) pour enquête. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision.
[6] Le rapport en soi ne rend pas M. Monge Monge interdit de territoire. Il faut une décision de la Section de l’immigration. Néanmoins, le ministre n’estime pas que la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée. Il a été décidé à de nombreuses occasions que tant la décision de l’agent d’établir un rapport que la décision du représentant du ministre prise en application de l’article 44 de la LIPR peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire. En fait, le résultat de l’enquête ne fait aucun doute puisque l’article 45 de la LIPR prévoit que la Commission « rend » la mesure de renvoi applicable contre le résident canadien « sur preuve qu’il est interdit de territoire ». [Non souligné dans l’original.]
[7] En fait, lors de l’audience on m’a informé qu’étant donné qu’aucun sursis n’avait été accordé, l’enquête avait eu lieu et la mesure de renvoi de M. Monge Monge en Pologne avait été prise, le renvoi devenant exécutoire une fois qu’il aurait purgé sa peine. Cette décision ne peut pas faire l’objet d’un appel puisque l’article 64 de la LIPR nie au résident permanent tout droit d’appel auprès de la Section d’appel de l’immigration s’il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée. Au sens de l’article 64, l’interdiction de territoire pour grande criminalité vise l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.
[8] Toutefois, si j’accueillais la demande de contrôle judiciaire de la décision de la représentante du ministre, le fondement de l’enquête serait annulé et la décision serait infirmée. Les motifs de la présente demande de contrôle judiciaire sont que la représentante du ministre a refusé d’effectuer un examen des risques avant renvoi et qu’elle n’a pas estimé que la dépendance de M. Monge Monge à l’alcool et aux drogues était une déficience.
ANALYSE
[9] L’article 44 de la LIPR a attiré beaucoup d’attention. Il a été débattu au Parlement, il a fait l’objet d’un Guide du ministère, et il a été à la base de beaucoup de contrôles judiciaires. Il doit être interprété conjointement avec le paragraphe 3(1), les articles 36, 64, 65 et 67, qui sont tous annexés aux présents motifs. La LIPR accorde plus d’attention à la sécurité des Canadiens que ne le faisait l’ancienne Loi sur l’immigration. Dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, 2005 CSC 51, qui traitait de dispositions transitoires, la Cour suprême a fait observer que la LIPR comporte plusieurs dispositions destinées à faciliter le renvoi des résidents permanents qui se sont livrés à des activités de grande criminalité. La LIPR est encore plus rigoureuse en ce qui a trait aux non‑résidents. À ce titre, l’article 64 restreint le droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration.
[10] Au paragraphe 12 de l’arrêt Medovarski, la juge en chef McLachlin a fait l’observation suivante :
Lorsqu’elle a déposé la LIPR, la ministre a souligné énergiquement que les dispositions comme l’art. 64 avaient pour objet de retirer aux grands criminels le droit d’interjeter appel. Elle a dit souhaiter [traduction] « que l’on renvoie le plus rapidement possible [. . .] les personnes qui constituent un risque pour la sécurité du Canada » (Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 8 mai 2001).
[11] Il faut garder à l’esprit qu’il existe un grand nombre de raisons pour lesquelles un étranger ou un résident permanent peut être interdit de territoire. À un bout de l’échelle, il y a des infractions telles que la grande criminalité et les crimes contre l’humanité. À l’autre bout de l’échelle, une personne peut ne pas avoir respecté les exigences de résidence ou, d’un point de vue technique, ne pas être membre de la « catégorie du regroupement familial » admissible au parrainage, avoir échoué à un examen médical ou avoir dépassé la durée du séjour autorisée par son visa.
[12] Les affaires qui traitent de l’interdiction de territoire pour criminalité touchent un certain nombre de questions, notamment :
a) l’équité procédurale;
b) le pouvoir discrétionnaire de l’agent, si tant est que ce pouvoir existe, qui estime que le résident permanent est interdit de territoire pour grande criminalité, de ne pas établir ni transmettre le rapport au ministre selon le paragraphe 44(1);
c) la signification du terme « circonstancié » dans le rapport;
d) les facteurs, le cas échéant, que le ministre doit prendre en compte lorsqu’il se fait un avis sur la question de savoir si le rapport est bien fondé ou non;
e) le pouvoir discrétionnaire du ministre (généralement le représentant du ministre), si tant est que ce pouvoir existe, de ne pas déférer un rapport bien fondé à la Section de l’immigration pour enquête.
[13] Dans la présente affaire, le rapport établi par l’agent en application du paragraphe 44(1) est très précis. Les antécédents criminels de M. Monge Monge au Canada y sont exposés « comme étant son passé » difficile. Il a été placé dans un orphelinat par les autorités étatiques en Pologne; il déclare qu’il y a souffert de graves agressions sexuelles et physiques. Plus tard, il a été adopté par l’un des bénévoles de l’orphelinat au Canada. Sa famille adoptive a déménagé au Costa Rica et ensuite elle a immigré au Canada. Après qu’il eut menacé de tuer ses parents adoptifs, il a été confié aux soins du ministère des Enfants et du Développement de la Colombie‑Britannique. Il a vécu dans des maisons d’accueil et des foyers collectifs. L’agent a tenu compte de sa dépendance à l’alcool et aux drogues, ainsi que de ses perspectives d’avenir au Canada et en Pologne. Après avoir pris en compte des facteurs tels que l’âge de M. Monge Monge au moment de son établissement au Canada, sa famille au Canada et à l’extérieur du Canada, le soutien dont il bénéficie au Canada, son casier judiciaire, la gravité de l’infraction indexée, la durée de la peine infligée, ses remords et ses possibilités de réadaptation, l’agent a recommandé que l’affaire de M. Monge Monge soit déférée pour enquête.
[14]
La
représentante du ministre a suivi les lignes directrices du Guide ENF 6
préparé par Citoyenneté et Immigration Canada, qui traite de l’examen des rapports
établis en vertu de la L44(1) (le Guide). Le Guide énumère des
facteurs qui peuvent être pris en compte « dans les causes criminelles et non criminelles ».
Ces facteurs sont : l’âge au moment de l’établissement au Canada, la durée de résidence, la provenance
du soutien familial et les responsabilités, les conditions dans le pays d’origine,
le degré d’établissement, la criminalité et les antécédents de délinquance et l’attitude
au moment de l’examen.
[15] Tout comme l’agent dans son rapport, la représentante du ministre a soigneusement exposé les raisons pour lesquelles elle déférait l’affaire de M. Monge Monge pour enquête et a pris en compte les facteurs exposés dans le Guide.
[16] Elle a conclu qu’elle n’était pas convaincue que les considérations d’ordre humanitaire invoquées avaient plus de poids que lourd le casier judiciaire de M. Monge Monge. Elle est arrivée à cette conclusion après avoir soupesé la situation difficile de M. Monge Monge par rapport au préjudice qu’il causait à la société canadienne. [traduction] « Il n’a pas tiré de leçon de ses erreurs antérieures et il n’a pas été en mesure de s’affranchir de ses habitudes quant aux drogues et à l’alcool, même après plusieurs tentatives au sein de différents établissements ».
[17] Le paragraphe des motifs qui a mené au présent contrôle judiciaire est le suivant :
[traduction]
L’avocat a produit des rapports sur l’alcoolisme décrit comme étant une maladie et sur l’usage de drogues en Pologne et comment cela pouvait conduire à une contamination au virus du VIH/SIDA en raison de l’utilisation de seringues souillées et de drogues contaminées. L’avocat a aussi présenté des articles sur les risques du retour en Pologne. Je n’ai pas examiné ce risque puisque M. Monge Monge aurait la possibilité de présenter une demande d’examen des risques avant son renvoi du Canada si une mesure d’expulsion était prise contre lui.
[18] Bien que dans la présente affaire l’interdiction de territoire de M. Monge Monge soit une question de fait et non d’avis, le paragraphe 44(1) prévoit que l’agent peut établir un rapport et le paragraphe 44(2) prévoit que, s’il estime que le rapport est bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire pour enquête. Le terme « peut » connote généralement un certain degré de pouvoir discrétionnaire, comme cela ressort en fait de la Loi d’interprétation. La première question à trancher est de déterminer la portée du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre, si tant est que ce pouvoir existe, de ne pas déférer l’affaire pour enquête. Comme le juge Décary l’a fait observer dans Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409, au paragraphe 19 :
Dans la décision Ruby c.
Canada (Solliciteur général) (C.A.), [2000] 3 C.F. 589, aux
pages 623 à 626, le juge Létourneau nous a rappelé que l’emploi
du terme « peut » indique souvent qu’une certaine latitude a été
laissée au décideur administratif. Selon le contexte, le terme
« peut » peut parfois être interprété comme signifiant
« doit »; la présomption selon laquelle le mot « peut »
exprime la notion d’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de
facultés, énoncée à l’article 11 de la Loi d’interprétation
(L.R.C. 1985, ch. I‑21) peut alors être réfutée. Il peut aussi
n’être qu’une indication de la part du législateur que le fonctionnaire est
autorisé à faire quelque chose. En outre, même lorsqu’il y a lieu d’interpréter
le mot « peut » comme conférant un pouvoir discrétionnaire, sa portée
peut être variable : selon l’objet et le but de la disposition législative
concernée, elle peut être très large, ou très étroite.
[19] L’arrêt Cha confirme aussi que la détermination de la portée du pouvoir discrétionnaire est une question de droit et que la norme de contrôle est la décision correcte. Aucune déférence n’est due au représentant du ministre.
[20] Il convient de souligner en particulier cinq affaires. En plus de l’arrêt de la Cour d’appel Cha, précité, il y a la décision de la juge Snider dans Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3; la décision du juge Mosley dans Awed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 469; la décision du juge Blais, maintenant juge en chef de la Cour d’appel fédérale, dans Spencer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 990, 298 F.T.R. 267; la décision du juge Mosley dans Richter c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 806, [2009] 1 R.C.F. 675, confirmée par la Cour d’appel fédérale dans le dossier 2009 CAF 73.
[21]
Dans Hernandez,
il s’agissait d’un résident permanent déclaré coupable de
possession de cocaïne à des fins de trafic et condamné à 30 mois d’emprisonnement. La peine maximale pour une
telle infraction est l’emprisonnement
à vie. Un agent avait établi le
rapport prévu au paragraphe 44(1), le représentant du ministre avait déféré
l’affaire pour enquête en application du paragraphe 44(2), et un
commissaire de la Section de l’immigration avait ordonné qu’il soit
expulsé au motif qu’il était visé par l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.
[22] Selon l’ancienne loi, la Loi sur l’immigration, M. Hernandez aurait eu le droit d’interjeter appel à la Section d’appel de l’immigration, qui aurait pris en compte un grand nombre de facteurs (les facteurs de la décision Ribic), facteurs qui comprennent notamment : la gravité de l’infraction, l’importance des difficultés, la possibilité de réadaptation, la période passée au Canada et le degré d’établissement ici, la situation familiale et le soutien dont il bénéficie ici. Ces facteurs ont été confirmés par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84.
[23] Selon les fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration, ces facteurs doivent encore être examinés dans les affaires relatives à la grande criminalité. La juge Snider a fait référence aux commentaires faits devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration par le sous‑ministre adjoint et au Guide de procédures du ministère. Selon l’interprétation de la juge, le paragraphe 44(1) exige premièrement de l’agent qu’il se fasse un avis sur l’interdiction de territoire et, deuxièmement, si l’agent estime que la personne est interdite de territoire, il doit ensuite décider si oui ou non il établit un rapport. Bien qu’elle admette que le Hansard joue un rôle limité dans l’interprétation des lois, et malgré que les guides et lignes directrices ne lient pas les tribunaux, la juge a conclu ce qui suit aux paragraphes 38 et 39 :
[38] Lorsqu’un agent décide de ne pas préparer de rapport, cela ne change pas le fait que l’intéressé est interdit de territoire au sens de la LIPR; cela ne signifie pas qu’il devient « admissible ». L’effet pratique d’une telle décision est de mettre l’accent, en dépit de l’interdiction de territoire prévue par la LIPR, sur l’existence de motifs sérieux d’autoriser l’intéressé à demeurer au Canada.
[39] Ce raisonnement s’applique aussi à l’égard de la décision que doit prendre le représentant du ministre relativement au bien-fondé du rapport, sous le régime du paragraphe 44(2).
[24] Cette décision contredisait les décisions antérieures, qui avaient adopté une approche plus stricte. Malgré que la juge ait certifié des questions, l’appel a été abandonné avant qu’il soit entendu sur le fond.
[25] La pierre angulaire de toute analyse de la Cour est l’arrêt rendu par le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour d’appel dans Cha, précité. Cet arrêt est important non seulement pour ce qu’il dit, mais aussi pour ce qu’il s’abstient de dire. Lorsqu’il a examiné le pouvoir discrétionnaire que les représentants du ministre peuvent avoir en application du paragraphe 44(2), le juge a fait observer que la LIPR crée des différences entre les résidents permanents et les étrangers, et entre ceux qui bénéficient du statut de personne protégée en tant que réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies et ceux qui n’en bénéficient pas. M. Cha, un étranger étudiant au Canada à la faveur d’un visa étudiant, avait été déclaré coupable de conduite en état d’ivresse, une infraction criminelle qui emporte une peine d’un emprisonnement maximal de cinq ans. Il avait été poursuivi par procédure sommaire et il avait été condamné à une amende et à la suspension de son permis de conduire. Il n’avait pas été emprisonné. Le rapport prévu au paragraphe 44(1) de la LIPR avait été établi. Comme M. Cha était un étranger, et non pas un résident permanent, la représentante du ministre avait directement pris une mesure de renvoi plutôt que de déférer l’affaire pour enquête. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge Lemieux avait annulé la mesure au motif que la représentante du ministre avait compromis son pouvoir discrétionnaire et qu’elle n’avait pas respecté les principes d’équité procédurale. L’affaire avait été examinée en appel par suite d’une question certifiée. La Cour d’appel avait infirmé la décision. La plus grande partie de l’affaire portait sur l’équité procédurale, question qui n’est pas soulevée en l’espèce.
[26] Le juge Décary a clairement souligné que tant la décision Hernandez, dans laquelle la juge avait conclu que l’article 44 conférait un vaste pouvoir discrétionnaire au représentant du ministre, que les affaires antérieures, qui avaient donné une portée plus étroite au pouvoir discrétionnaire, touchaient toutes des résidents permanents interdits de territoire pour grande criminalité au Canada. Au paragraphe 13, le juge Décary a déclaré : « je ne souhaite pas qu’on en déduise que j’approuve ou désapprouve les décisions qu’on y a rendues ». Après nous avoir rappelé que l’immigration est un privilège et non pas un droit, il a analysé l’article 36 de la LIPR et a déclaré ce qui suit :
[27] On fait une distinction à l’article 36 entre la criminalité des résidents permanents et celle des autres étrangers. Une distinction est également établie entre les infractions commises au Canada et celles commises à l’extérieur du Canada. Une autre distinction est établie entre les infractions constituant ce qu’on qualifie de « grande » criminalité (les infractions punissables d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou les infractions pour lesquelles un emprisonnement de plus de six mois est infligé) et les infractions que, faute d’un meilleur terme, je qualifierai de « simples » (une infraction punissable par mise en accusation ou deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits).
[28] Le législateur souhaitait, par conséquent, que certaines personnes ayant commis certaines infractions dans certains territoires soient interdites de territoire, quelle que soit la peine infligée. Les paragraphes 36(1) et 36(2) de la Loi ont été rédigés avec soin. Rien n’a été laissé au hasard et il n’y a pas non plus matière à interprétation.
[29] On n’a guère prêté attention lors des débats ou dans la jurisprudence au paragraphe 36(3) de la Loi. Ce texte a néanmoins, selon moi, un caractère déterminant lorsqu’il s’agit d’apprécier le rôle respectif des agents d’immigration et des représentants du ministre dans le cadre de l’enquête.
[30] Selon mon interprétation du paragraphe 36(3), le législateur a promulgué un code exhaustif, détaillé et clair prescrivant la manière dont les agents d’immigration et les représentants du ministre doivent exercer les pouvoirs qui leur sont respectivement conférés par l’article 44 de la Loi. Les infractions mixtes commises au Canada sont assimilées à des infractions punissables par mise en accusation indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu (alinéa a)). Les déclarations de culpabilité n’entrent pas en ligne de compte en cas de réhabilitation ou en cas de verdict d’acquittement (alinéa b)). On ne peut par ailleurs prendre en compte la réhabilitation que dans certaines circonstances déterminées (alinéa c)). La gravité relative de l’infraction et l’âge du contrevenant ne sont des facteurs pertinents que lorsque la Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47 et la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, ch. Y‑1 sont en jeu (alinéa e)).
[27] Il a conclu que les articles 36 et 44 de la Loi et les dispositions applicables du Règlement n’accordent aucune latitude aux agents d’immigration et aux représentants du ministre lorsqu’ils tirent des conclusions quant à l’interdiction du territoire en vertu des paragraphes 44(1) et 44(2) de la Loi, à l’égard de personnes déclarées coupables d’infractions simples ou graves, « sauf pour ce qui est des exceptions prévues explicitement par la Loi et le Règlement ». Il a aussi souligné que malgré le fait que des questions eussent été certifiées dans Hernandez, l’affaire n’était pas allée en appel.
[28] Dans la foulée de cet arrêt, le juge Mosley rendit sa décision dans l’affaire Awed. M. Awed était un étranger reconnu comme étant un réfugié au sens de la Convention. Il n’était pas résident permanent. Il avait été déclaré coupable de nombreuses infractions criminelles pour lesquelles une peine d’emprisonnement de neuf mois lui avait été infligée. Appliquant l’arrêt Cha, le juge Mosley a fait observer que les réfugiés bénéficiaient d’une plus grande protection que les étrangers, notamment qu’ils avaient le droit d’interjeter appel, le droit de ne pas être refoulés dans un pays où ils pourraient être persécutés. Au paragraphe 20 de ses motifs, il a cependant conclu que « La mission de l’agent consiste à rechercher les faits et, lorsqu’il constate qu’il y a eu grande ou simple criminalité, il est tenu d’établir un rapport et de le transmettre au ministre. »
[29] Dans Spencer, le juge Blais examinait l’affaire d’une résidente permanente qui n’était pas une réfugiée. Elle avait fait l’objet du rapport prévu au paragraphe 44(1) au motif qu’elle était interdite de territoire pour grande criminalité. Le rapport avait été déféré pour enquête. Après avoir examiné Cha, Hernandez et Awed, le juge avait conclu que les agents pouvaient prendre en considération les facteurs énoncés dans le Guide lorsqu’ils rendaient une décision en application de l’article 44 de la Loi, mais qu’ils n’avaient pas l’obligation de le faire. Quoi qu’il en soit, selon le juge, l’agent avait pris en compte les considérations d’ordre humanitaire.
[30] Mme Richter était une résidente permanente déclarée coupable de grande criminalité. Le juge Mosley a répété ce qu’il avait dit dans Awed, c’est‑à‑dire que lorsqu’il est prouvé que des faits de grande criminalité existent, l’agent a la responsabilité en conformité avec le paragraphe 44(1), d’établir un rapport et il n’a pas de pouvoir discrétionnaire. En ce qui concerne la décision du représentant du ministre de déférer l’affaire conformément au paragraphe 44(2), il a fait observer que, dans l’arrêt Cha, la question avait été laissée en suspens quant à savoir si le représentant du ministre disposait d’un pouvoir discrétionnaire minime lorsqu’il décidait si oui ou non il devait déférer l’affaire à la Section d’appel de l’immigration dans les cas où la personne concernée est résidente permanente. Le juge Mosley n’a pas répondu à la question puisque, quoi qu’il en fût, il était convaincu que les considérations d’ordre humanitaire avaient été prises en compte.
[31]
La Cour
d’appel confirma sa décision et elle déclara qu’elle souscrivait pour l’essentiel
à ce qu’il avait dit. Toutefois, puisqu’en appel la question qui se posait portait
sur l’équité procédurale, je n’estime pas que cette affaire clôt le débat et
que la Cour d’appel a retenu l’interprétation de l’article 44 faite par le
juge Mosley plutôt que celle de la juge Snider.
[32] Vu la divergence dans la jurisprudence, il serait inapproprié que je dise quoi que ce soit de plus que ce qui est nécessaire pour trancher la présente affaire. Soit la représentante du ministre avait le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte les facteurs de la décision Ribic, soit elle ne l’avait pas. Soit elle avait le pouvoir discrétionnaire de déférer pour enquête l’affaire de la personne faisant l’objet du rapport qu’elle estimait bien fondé, soit elle ne l’avait pas. Il n’est pas nécessaire que je me prononce.
[33] Toutefois, si la représentante du ministre avait ce pouvoir discrétionnaire, elle l’a exercé de façon raisonnable. Sa décision traitait des facteurs de la décision Ribic et elle appartenait aux issues acceptables (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).
[34] La représentante du ministre n’avait certainement aucune obligation d’effectuer ce qui en fait aurait été un examen des risques avant renvoi puisque, quoi qu’il en soit, M. Monge Monge est en droit d’obtenir un tel examen.
[35] L’argument relatif au fait de traiter la dépendance comme étant une déficience est une tentative d’invoquer l’égalité devant la loi énoncée à l’article 15 de la Charte, qui prévoit que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment la discrimination basée sur « les déficiences mentales ou physiques ».
[36] Il n’y a pas de discrimination en l’espèce. Les grands criminels peuvent faire l’objet d’un renvoi, sans qu’il y ait de discrimination, peu importe leur race, leur origine nationale ou ethnique, leur couleur, leur religion, leur sexe, leur âge ou leurs déficiences mentales ou physiques. Dans l’arrêt Medovarski, précité, la Cour suprême a été décidé que le renvoi de personnes déclarées coupables de grande criminalité ne portait pas atteinte à l’article 7 de la Charte (sécurité de la personne). Il en va de même pour l’article 15.
[37] Mis à part un examen des risques avant renvoi, M. Monge Monge peut invoquer l’article 25 de la LIPR pour demander de l’intérieur du Canada que le statut de résident temporaire ou celui de résident permanent lui soit accordé pour des motifs d’ordre humanitaire.
[38] Je modifie l’intitulé de la cause de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit remplacé en tant que défendeur par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.
[39] M. Monge Monge a jusqu’au 24 août 2009 pour signifier et déposer une question pour certification qui pourrait étayer un appel. Le ministre a sept jours à partir du dépôt pour répondre.
« Sean Harrington »
Ottawa (Ontario)
Le 10 août 2009
Traduction certifiée conforme
Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.
Annexe A
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-138-09
INTITULÉ : MONGE MONGE
c.
MSPPC
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie‑Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : le 14 juillet 2009
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : le juge HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : le 10 août 2009
COMPARUTIONS :
Lobat Sadrehashemi
|
POUR LE DEMANDEUR |
Helen Park
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pivot Legal, LLP Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |