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Date : 20090731

Dossier : IMM-4953-08

Référence : 2009 CF 759

Montréal (Québec), le 31 juillet 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

MOHAMMED HUSSEIN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de révision judiciaire présentée par M. Mohammed Hussein en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), de la décision du Premier secrétaire de l’Ambassade du Canada à Damas (Premier secrétaire), rendue le 8 juin 2008 et rejetant la demande de visa de résidence permanente dans la catégorie d’époux de M. Hussein, au motif qu’il est interdit de territoire au Canada vu les fonctions qu’il a exercées dans le gouvernement irakien alors dirigé par Saddam Hussein.

 

II.        Faits

 

[2]               Le demandeur est citoyen irakien. Son épouse Worood Nasralla demande de le parrainer à titre de membre de la catégorie des époux et conjoints de fait.

 

[3]               Après analyse de son dossier, le Premier secrétaire conclut que le demandeur est visé par l’article 35(1)b) de la Loi, qu’il est donc interdit de territoire et, par ce motif,  rejette sa demande.

 

 

[4]               Plus précisément, le demandeur aurait exercé les fonctions de conseiller juridique de haut rang dans le gouvernement de Saddam Hussein entre 1996 et 2003, période pendant laquelle ce même gouvernement a commis des violations graves des droits de l’homme et des crimes contre l’humanité.

 

III.       Question en litige

 

[5]               La conclusion du Premier secrétaire à l’effet que le demandeur est interdit de territoire au Canada est-elle erronée ou déraisonnable au regard des faits et du droit et justifie-t-elle l’intervention de la Cour?

 

IV.       Analyse

A. Norme de contrôle judiciaire

[6]               La question en litige porte sur l’interprétation de la Loi et son application aux faits. Il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit; la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). La retenue judiciaire est de mise.

 

B. Cadre législatif

[7]               L’alinéa 35(1)b) et le paragraphe 35(2) de la Loi se lisent comme suit :

Atteinte aux droits humains ou internationaux

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

[…]

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

Human or international rights violations

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

[…]

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; or

 

[…]

[…]

Exception

(2) Les faits visés aux alinéas (1)b) et c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Exception

(2) Paragraphs (1)(b) and (c) do not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

[8]               L’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), définit l’expression « poste de rang supérieur au sein d’une administration » pour l’application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi comme suit :

Application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi

16. Pour l’application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, occupent un poste de rang supérieur au sein d’une administration les personnes qui, du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment :

Application of par. 35(1)(b) of the Act

16. For the purposes of paragraph 35(1)(b) of the Act, a prescribed senior official in the service of a government is a person who, by virtue of the position they hold or held, is or was able to exert significant influence on the exercise of government power or is or was able to benefit from their position, and includes

a) le chef d’État ou le chef du gouvernement;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) les hauts fonctionnaires;

e) les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomatique de haut rang;

g) les juges.

[Je souligne.]

(a) heads of state or government;

(b) members of the cabinet or governing council;

(c) senior advisors to persons described in paragraph (a) or (b);

(d) senior members of the public service;

(e) senior members of the military and of the intelligence and internal security services;

(f) ambassadors and senior diplomatic officials; and

(g) members of the judiciary.

[Emphasis added.]

 

[9]               Le demandeur soutient que le Premier secrétaire a commis une erreur de droit car les motifs invoqués par celui-ci sont déraisonnables, puisque ceux-ci ne sont pas selon lui fondés sur la preuve.

 

[10]           L’alinéa 35(1)b) est pertinent lorsque le gouvernement du pays d’origine a été désigné, comme c’est le cas ici, comme un régime qui s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

 

[11]           Il s’avère que les gouvernements irakiens d’Ahmed Hassan Al-Bakr et de Saddam Hussein, qui étaient au pouvoir depuis 1968 en Irak, font partie de la liste des régimes désignés par le ministre, le 3 septembre 1996, comme ayant commis des crimes, en commettant  notamment  des violations graves des droits de la personne.

 

[12]           Or, selon les renseignements fournis par le demandeur à l’occasion de sa demande de visa de résidence permanente, il a agi comme principal conseiller et haut fonctionnaire, pendant les sept années où il a servi le gouvernement de Saddam Hussein; il ne fait état d’aucune tentative de sa part de s’en dissocier. Il n’a jamais démissionné alors qu’il avait tout le loisir de le faire.

 

[13]           Les postes qu’il a occupés étaient tous de rang supérieur suivant l’organigramme annexé aux renseignements fournis au Premier secrétaire: Counselor, Legal and Consular Affairs – Iraqi Permanent Mission to the UN in Geneva, 1996-1998; Counselor, Legal Advisor – Legal Department, Ministry of Foreign Affairs, Baghdad, 1998-2001; Counselor and acting Charge d’Affairs – Iraqi Embassy, Madrid, Spain, 2001-2003.

 

[14]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adam, [2001] 2 C.F. 337 (C.A.F.), après avoir examiné l’ancien alinéa 19(1)l de la Loi, lequel était alors en vigueur, et dont le texte est presque identique à l’actuel alinéa 35(1)b), la Cour d’appel fédérale a statué que, lorsqu’une personne a occupé l’un des postes énumérés à l’article 16 du RIPR, elle est présumée avoir occupé un poste par lequel elle était en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par son gouvernement. La Cour a de plus décidé dans cet arrêt que la présomption édictée par l’ancien alinéa 19(1)l de la Loi était irréfragable; de sorte que la personne réputée avoir occupé un poste de rang supérieur n’a pas la possibilité de démontrer que, même si elle jouissait en principe de hautes responsabilités, elle n’était pas en mesure d’exercer une influence sur l’exercice du pouvoir par son gouvernement.

 

[15]           La Cour fut appelée déjà à interpréter l’alinéa 35(1)b) de la Loi dans l’affaire Lutfi c. Canda  (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1391; après avoir cité l’arrêt Adam (précité), sous la plume du juge Harrington, elle a fait les observations suivantes : 

M. Lutfi n'a pris part personnellement à ces atrocités ni par ses propos, ni par ses actions. La question est de savoir s'il occupe un poste de rang supérieur. Le cas échéant, il n'est tout simplement pas pertinent que M. Lutfi ne soit pas personnellement blâmable […].

[Je souligne.]

 

[16]           Il faut conclure de ces décisions et du texte même de la Loi que l’alinéa 35(1)b) consacre   une responsabilité absolue : en ce qui a trait à la question de l’interdiction de territoire, il importe peu que l’intéressé ait été complice des violations reprochées au gouvernement du pays d’origine ou en ait eu connaissance.

 

[17]           Le demandeur se borne à soutenir qu’il n’avait aucune connaissance des actes commis par le régime pour le compte duquel il travaillait et il se fonde presque exclusivement sur des jurisprudences relatives à ces cas d’exclusion pour cause de complicité à des crimes contre l’humanité. Cependant, à supposer que cette ignorance soit avérée, il entre malgré tout dans les prévisions de l’alinéa 35(1)b) de la Loi régissant l’interdiction de territoire aux membres de gouvernements responsables de violations graves contre l’humanité, ainsi que leurs principaux conseillers et hauts fonctionnaires.

 

[18]           Le demandeur peut difficilement prétendre qu'il n’était qu’un fonctionnaire subalterne. Vu l’importance de son poste au sein du régime de Saddam Hussein, il n’est pas déraisonnable de conclure qu'il ne pouvait ignorer les crimes commis par ce dernier; et comme il n’indique pas avoir pris des mesures afin de mettre fin à ses fonctions ou s’être opposé aux crimes du gouvernement qu’il servait, il n’est pas déraisonnable de conclure aussi, jusqu’à preuve du contraire, qu’il a été complice du gouvernement en ce qui concerne les crimes commis sous l’autorité de celui-ci, même si la décision attaquée par le présent recours n’en fait pas état.

 

[19]            En conséquence, la décision attaquée était justifiée, tant sur le plan des faits que du droit applicable; cette décision était donc raisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[20]           Aucune question importante de portée générale n’a été proposée ou n’a lieu de l’être; par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

 

 


JUGEMENT

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4953-08

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMED HUSSEIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 31 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Karkar

 

POUR LE DEMANDEUR

Alain Langlois

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony Karkar

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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