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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale


Date : 20090727

Dossier : IMM-5193-08

Référence : 2009 CF 768

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

SULEIMAN MOHAMMED

ABDUL RAHMAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 6 novembre 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la demande du demandeur d’être considéré comme un réfugié au sens de la Convention ou comme une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi a été rejetée.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, âgé de 37 ans, est né dans le camp de réfugiés de Wievel, au Liban, et il y est toujours demeuré avant de venir au Canada. Il a hérité de la nationalité palestinienne et de son statut de réfugié et d’apatride de ses parents palestiniens, qui ont fui au Liban après la destruction de leur village lors de la guerre de 1947‑1948, qui a mené à la création de l’État d’Israël.

 

[3]               Le demandeur d’asile a été automatiquement enregistré comme étant un réfugié au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés parce que ses parents étaient des réfugiés enregistrés auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (l’UNRWA).

 

[4]               Le demandeur d’asile a étudié à la faculté des sciences de l’Université Libanaise à Beyrouth et a obtenu une maîtrise en électronique au mois de juin 1997.

 

[5]               Au moment où le demandeur d’asile a obtenu son diplôme universitaire, le Liban interdisait aux Palestiniens de travailler dans le domaine de l’électronique et, jusqu’à tout récemment, l’enseignement constituait aussi une profession interdite aux Palestiniens au Liban.

 

[6]               Le demandeur d’asile a travaillé illégalement comme enseignant de 1998 jusqu’à son arrivée au Canada en juin 2007. Le demandeur d’asile était payé moins cher qu’un enseignant libanais pour un travail semblable et ne recevait aucune prestation de sécurité sociale.

 

[7]               Étant donné que les Palestiniens doivent payer pour être traités dans les hôpitaux au Liban, les Nations Unies fournissent des services médicaux gratuits dans le camp de réfugiés du demandeur d’asile. Les Palestiniens n’ont aucun droit de propriété, à l’intérieur ou à l’extérieur des camps de réfugiés, et s’ils quittent le Liban, ils n’ont pas un droit absolu d’y retourner. Les Palestiniens ont été victimes de forces excessives et de meurtres délibérés dans le contexte de la guerre civile libanaise et du conflit constant au Moyen-Orient.

 

[8]               Depuis 1989, l’armée libanaise contrôle qui peut entrer dans le camp de réfugiés du demandeur d’asile et qui peut le quitter : elle vérifie l’identité des personnes et fouille ces personnes et leurs véhicules.

 

[9]               Au mois de septembre 2002, l’armée libanaise a envahi le camp du demandeur d’asile et les soldats pointaient leurs fusils sur quiconque sortait de son logement. Des réfugiés palestiniens ont été arrêtés sur la base de soupçon de participation à des groupes d’activistes palestiniens et ils ont été détenus, parfois pendant des années, sans procès. Il est également reconnu que la police torture les détenus. Le demandeur d’asile affirme avoir vécu toute sa vie dans la discrimination et l’insécurité.

 

[10]           En juillet 2006, Israël a déclenché une guerre qui dura 33 jours contre le Liban. La maison du demandeur a été quelque peu touchée et des débris sont tombés sur lui et sur sa famille lorsque Israël a bombardé un dépôt pétrolier situé tout près.

 

[11]           Le demandeur est arrivé à l’Aéroport international de Vancouver le 18 juin 2007 et a présenté sa demande d’asile le 22 juillet 2007 à Vancouver. L’audience relative à la demande d’asile du demandeur s’est tenue le 15 octobre 2008. La demande d’asile du demandeur a été rejetée dans une décision rendue le 6 novembre 2008.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[12]           La Commission a conclu que le demandeur d’asile n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention, car il n’avait pas de crainte fondée d’être persécuté au Liban pour un motif prévu à la Convention, et que, en outre, le demandeur d’asile n’avait pas qualité de personne à protéger, en ce sens qu’il ne serait pas personnellement, par son renvoi au Liban, exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités. Il n’y avait également aucun motif sérieux de croire que son renvoi au Liban l’exposerait personnellement au risque d’être soumis à la torture.

 

[13]           La Commission a estimé que le demandeur était un témoin crédible qui « n’a pas exagéré sa situation et […] [qui] a fourni amples détails quant à sa vie comme Palestinien réfugié au Liban ».

 

[14]           La Commission a conclu que la question déterminante était de savoir si le demandeur d’asile serait persécuté au Liban à cause de son statut de Palestinien. Elle a estimé que, malgré les problèmes vécus par les Palestiniens au Liban, le demandeur n’avait pas fait l’objet de persécution et ne serait pas persécuté s’il retournait au Liban. La Commission a affirmé qu’elle avait tiré cette conclusion non seulement en examinant soigneusement les diverses formes de discrimination qu’a endurées le demandeur d’asile, mais aussi en tenant compte du cumul des diverses formes de discrimination.

 

[15]           La Commission a noté que le demandeur vivait dans un logement convenable, qu’il a eu l’occasion d’étudier à l’Université Libanaise à Beyrouth et qu’il a travaillé régulièrement comme enseignant spécialisé. Le demandeur aurait préféré travailler dans son domaine de prédilection, l’électronique, mais jusqu’à tout récemment le gouvernement du Liban le lui interdisait. Le demandeur est désormais en droit de chercher un tel emploi. La Commission a souligné qu’« [i]l est très probable qu’il ne puisse pas trouver du travail dans son domaine de prédilection, parce que les employeurs libanais ne sont pas enclins à embaucher légalement des Palestiniens quand cela leur coûte plus cher de le faire et quand de nombreux Palestiniens sont prêts à travailler illégalement ». La Commission a estimé que, même dans cette situation, le demandeur d’asile, en vertu de la nouvelle loi, serait autorisé à créer sa propre entreprise d’électronique, s’il le souhaitait.

 

[16]           La Commission a aussi noté que les Nations Unies s’étaient acquittées de nombreuses obligations que le Liban avait envers les réfugiés palestiniens. Le demandeur d’asile a reçu des soins médicaux et une scolarité de niveau primaire équivalant, à peu de choses près, à ce qu’offre le Liban à un grand nombre de ses propres citoyens.

 

[17]           La Commission a conclu que, malgré le cumul des discriminations dont le demandeur a fait l’objet, le demandeur ne serait pas exposé à de la persécution parce qu’il a « utilisé tous les droits » que le Liban a offerts au fil des ans et, lorsqu’il ne possédait pas de droits reconnus par la loi, il a trouvé un moyen de vivre comme s’il jouissait de ces droits. En outre, lorsque la famille du demandeur n’avait pas le droit, suivant la loi, de rénover le logement familial, elle l’a tout de même rénové, sans payer de pénalité. Même si le demandeur n’était pas en droit de travailler comme enseignant jusqu’à tout récemment, il a travaillé comme enseignant pendant des années.

 

[18]           La Commission a aussi souligné que le demandeur était né dans un camp de réfugiés au Liban qu’il vivait encore dans ce même camp de réfugiés : « Cela est démoralisant, mais ce n’est pas nécessairement de la persécution. » La Commission a estimé que le demandeur avait subi de la discrimination, mais qu’il n’était pas persécuté, « même [au] regard du cumul des discriminations ». La Commission a par la suite examiné les divers motifs de discrimination soulevés par le demandeur.

 

Logement

 

[19]           Le demandeur d’asile a affirmé dans son témoignage qu’il pouvait légalement déménager en dehors du camp de réfugiés et louer un logement s’il le souhaitait. Cependant, il a choisi de ne pas louer de logement parce que cela coûte cher et que c’est moins sécuritaire que vivre dans le camp. En outre, le déménagement l’aurait éloigné de sa famille, qui demeurait encore dans le camp de réfugiés. La Commission a conclu que, « [c]omme le demandeur d’asile vit dans un logement convenable et qu’il a la possibilité de déménager hors du camp, [il] n’est pas persécuté en ce qui concerne son logement ».

 

Soins médicaux

 

[20]           La Commission a estimé que le demandeur n’avait pas été persécuté en ce qui a trait aux soins de santé malgré que le Liban n’offre aucun soin de santé aux Palestiniens, parce que l’UNRWA fournissait « des soins de meilleure qualité que ceux que de nombreux citoyens libanais se voient offrir par leur propre gouvernement ».

 

Scolarité

 

[21]           La Commission a également conclu que le Liban ne persécutait pas les Palestiniens en ce qui a trait au droit des enfants d’obtenir de l’instruction : même si le Liban ne paie pas pour l’instruction de quelque enfant palestinien que ce soit, l’UNRWA s’occupe de fournir le même service aux réfugiés palestiniens. L’UNRWA se charge du financement et des infrastructures nécessaires à la scolarité au niveau primaire; il a aussi construit six écoles secondaires au cours des dernières années et, en outre, il a fourni 850 places en formation professionnelle, a mis en place un programme de formation des enseignants et a donné environ 200 bourses universitaires par année aux Palestiniens vivant au Liban.

 

[22]           La Commission a mentionné que le demandeur avait été gratuitement à l’école primaire et que sa famille avait payé sa scolarité dans trois écoles secondaires privées. Le demandeur s’est ensuite inscrit à l’Université Libanaise à Beyrouth. Il a payé davantage de frais de scolarité que ceux payés par un citoyen libanais, mais il a été en mesure d’obtenir légalement un diplôme d’études supérieures au Liban. La Commission a noté que cela ne semble pas être différent de la situation au Canada, où les étudiants étrangers paient des frais de scolarité plus élevés et de plus grandes primes d’assurance-maladie que payent les citoyens du Canada.

 

Travail

 

[23]           La Commission a mentionné que, à compter du 7 juin 2005, les Palestiniens avaient dès lors accès à 50 des 72 professions auparavant interdites aux étrangers, mais, « [à] ce jour, il y a peu d’indications que ce changement dans la loi ait eu des retombées substantielles pour les Palestiniens ». La Commission a également reconnu que l’existence de « [t]oute une gamme de conditions financières et de coûts supplémentaires pour les employeurs, d’une part, et pour les employés palestiniens d’autre part, décourage la régularisation des emplois des Palestiniens au Liban ». En outre, l’employeur du demandeur a refusé de régulariser son statut. La Commission a conclu, cependant, qu’« il est trop tôt pour savoir si la modification de la loi sur l’emploi profitera vraiment aux Palestiniens. Cela devrait [par contre] faire toute la différence pour les Palestiniens désireux d’ouvrir leur propre entreprise. »

 

Activistes

 

[24]           La Commission a noté que, « [j]usqu’à maintenant, les autorités libanaises n’ont pas mis fin [aux] déplacements [du demandeur], mais le demandeur d’asile croit que cela pourrait se produire n’importe quand ». La Commission a par la suite affirmé que les autorités libanaises contrôlaient en effet les allées et venues des Palestiniens qui entraient au camp et qui en sortaient, et qu’elles laissaient en général aux Palestiniens les activités des services de sécurité dans le camp. La Commission a estimé qu’il y a une raison d’État légitime pour laquelle il faut contrôler l’identité des Palestiniens et les fouiller. De nombreux Palestiniens ont été impliqués dans des actions armées au fil des ans. La Commission a souligné que « [l]’État a le droit de contrôler l’importation illégale d’armes et [l’entrée] d’activistes dans les camps de réfugiés ».

 

[25]           La Commission a conclu comme suit : « Je comprends la fragilité de la vie dans les camps de réfugiés. Le demandeur […] craint d’être pris dans un chassé-croisé de fusillade. La violence éclate, et le demandeur […] peut ne pas être en mesure d’en éviter les conséquences. Il s’agit de violence généralisée. Il n’y a aucune preuve que la violence que craint le demandeur […] soit seulement ou partiellement attribuable au fait que celui-ci est un Palestinien. Le demandeur […] n’a présenté aucune preuve pour indiquer qu’il a été personnellement ciblé par quelque faction activiste, pour quelque raison que ce soit. »

 

Discrimination dans la société

 

[26]           La Commission a noté que le demandeur convenait que les problèmes de discrimination au Liban étaient dus aux politiques du gouvernement visant les Palestiniens et non le fait des Libanais eux‑mêmes.

 

Autres questions

 

[27]           L’avocate du demandeur a plaidé qu’il serait injuste de refuser au demandeur la qualité de personne à protéger alors que son frère l’a obtenue en 1994. La Commission a affirmé qu’elle ne pouvait analyser pourquoi le frère du demandeur a obtenu la protection, étant donné que la mesure la lui ayant accordée ne renfermait aucun motif. En outre, la Commission a estimé qu’elle ne pouvait pas examiner la situation au pays en 1994 ni les circonstances personnelles du frère du demandeur en comparaison à celles du demandeur.

 

[28]           La Commission a de nouveau souligné que le demandeur était franc et crédible et qu’il avait raconté l’histoire de sa vie sans exagérer : « Il vit sans espoir; son avenir est circonscrit par son statut au Liban. Le demandeur ne peut pas pleinement se réaliser parce qu’il en est empêché, n’étant pas citoyen du Liban. »

 

[29]           La Commission a noté que le frère du demandeur et ses parents vivaient au Canada et que le demandeur parlait anglais couramment. En outre, le demandeur détient un diplôme d’études supérieures et il a travaillé en tant que professeur pendant plusieurs années. Il est aussi « honnête et sincère ». La Commission a conclu en affirmant qu’elle espérait que « le ministre pourra prendre une mesure extraordinaire qui permettrait à cet être méritant de demeurer au Canada. [La Commission n’a] pas compétence pour prendre une mesure extraordinaire. »

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[30]           En l’espèce, le demandeur a soulevé les questions en litige suivantes :

a.                   La Commission a­t­elle commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère afin de déterminer l’existence d’une crainte fondée de persécution?

b.                   La Commission a­t­elle effectué une analyse adéquate lorsqu’elle a conclu que les motifs cumulés ne justifiaient pas d’accorder la demande?

c.                   La Commission a­t­elle fondé sa décision sur des conclusions de fait non fondées sur la preuve?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[31]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[32]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable à l’erreur de droit dont il a fait mention dans la première question est la décision correcte, alors que la norme de contrôle applicable aux autres questions en litige – à savoir l’omission d’effectuer une analyse adéquate et le fait que la Commission ait fondé sa décision sur des faits non étayés par la preuve – est la raisonnabilité. Je souscris aux observations du demandeur en ce qui concerne la norme de contrôle applicable.

 

[33]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable constituent des normes de contrôle différentes en théorie, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, paragraphe 44. La Cour suprême a donc conclu que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fondues pour n’en former qu’une seule : « la raisonnabilité ».

 

[34]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également établi qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Plutôt, si la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que si cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la norme de contrôle applicable.

 

[35]           Par conséquent, vu l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions en litige en l’espèce, à l’exception de la première question en litige, est la raisonnabilité. Lorsque la Cour contrôle une décision selon la raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[36]           La première question en litige est une question de droit et la norme applicable à cette question est la décision correcte. Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1.

 

ARGUMENTS

            Le demandeur

                        L’erreur de droit

 

[37]           Le demandeur soutient qu’afin d’établir l’existence d’une « [crainte] fondée de persécution » un demandeur n’a pas besoin d’établir qu’il a déjà été persécuté ou qu’il sera persécuté. Le demandeur cite la décision Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680, paragraphes 7 et 8 (C.A.F.) (l’arrêt Adjei) :

7     Nous adopterions cette formulation, qui nous semble équivalente à celle utilisée par le juge Pratte, de la Section d’appel, dans Seifu c. Commission d’appel de l’immigration (A-277-82, en date du 12 janvier 1983, non publié) :

 

[...] que pour appuyer la conclusion qu’un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n’est pas nécessaire de prouver qu’il « avait été ou serait l’objet de mesures de persécution; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d’être persécuté pour l’une des raisons énoncées dans la Loi ».

 

8     Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d’une part qu’il n’y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c’est‑à‑dire une probabilité), et d’autre part, qu’il doit exister davantage qu’une possibilité minime. Nous croyons qu’on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de possibilité « sérieuse », par opposition à une simple possibilité.

 

[38]           Le demandeur se fonde également sur la définition de « possibilité raisonnable » de persécution, comme la Cour d’appel fédérale l’a définie, c’est­à­dire comme étant quelque chose représentant « davantage qu’une possibilité minime » : Adjei; Naredo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] A.C.F. no 1130 (C.A.F.), et Ponniah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 359 (C.A.F.).

 

[39]           Le demandeur souligne que la Commission en l’espèce a mentionné ce qui suit au début de son analyse de la preuve :

La question déterminante est de savoir si le demandeur d’asile sera persécuté au Liban. Je dois décider si le demandeur d’asile sera persécuté au Liban à cause de sa situation de Palestinien apatride.

 

 

[40]           Le demandeur affirme que, en plus d’avoir mal interprété la question déterminante au début de son analyse, la Commission a mentionné, à plusieurs reprises, qu’elle n’appliquait pas le bon test. La Commission a affirmé qu’elle avait tenu compte du cumul des diverses formes de discrimination et avait demandé à ce que le demandeur établisse qu’il « [] a [] été persécuté et [qu’il] le sera » afin qu’elle établisse l’existence d’une crainte fondée de persécution sur le fondement de motifs cumulés. Le demandeur estime que la décision devrait être infirmée sur ce seul fondement.

 

[41]           Par ailleurs, le demandeur ajoute que la Commission a également commis une erreur en lui demandant de montrer qu’il avait été personnellement ciblé afin d’établir l’existence d’une crainte fondée de persécution. Dans le cadre de l’examen de la crainte du demandeur de subir un préjudice dans le contexte de la violence entre les activistes palestiniens et les autorités libanaises, la Commission a conclu que le demandeur craignait la « violence généralisée » et qu’il n’avait pas été « personnellement ciblé » par quelque faction activiste, pour quelque raison que ce soit.

 

[42]           Le demandeur soutient qu’un demandeur peut établir l’existence d’une crainte fondée de persécution sur le fondement de ce qu’ont vécu d’autres personnes dans une situation semblable à la sienne. Il n’a pas à établir qu’il court un plus grand risque que d’autres personnes. Le demandeur cite le paragraphe 18 de l’arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.F.) :

[traduction]

[…] Par conséquent, lorsqu’il s’agit de revendications fondées sur des situations où l’oppression est généralisée, la question n’est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n’importe qui d’autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manœuvres d’intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. Si des personnes comme le requérant sont susceptibles de faire l’objet d’un grave préjudice de la part des autorités de leur pays, et si ce risque est attribuable à leur état civil ou à leurs opinions politiques, alors elles sont à juste titre considérées comme des réfugiés au sens de la Convention.

 

 

[43]           Le demandeur note que la Commission n’a trouvé aucune preuve que la violence qu’il craint est seulement ou partiellement attribuable au fait qu’il est Palestinien, ce qui n’est pas raisonnable étant donné que des réfugiés ont été tués, blessés ou renvoyés du camp de réfugiés de Nahr el­Bared en mai 2007 simplement parce qu’ils étaient Palestiniens. Le demandeur vit dans un camp de réfugiés et il pourrait faire l’objet de violence ou être transféré de force au motif qu’il est un réfugié palestinien ou il pourrait être arrêté et agressé au motif qu’on le soupçonne d’appuyer des activistes précisément parce qu’il est Palestinien.

 

            Les motifs cumulés

 

[44]           Le demandeur soutient également que la Commission a appliqué le mauvais critère et aurait dû déterminer si les actes discriminatoires répétés qu’il a subis par le passé, de concert avec d’autres facteurs défavorables tels qu’une atmosphère générale d’insécurité dans le pays d’origine, avaient créé une crainte fondée ou une possibilité sérieuse de persécution à l’avenir. Le demandeur affirme que l’examen du cumul des discriminations effectué par la Commission était [traduction] « entaché par sa compréhension erronée du critère et, pour cette raison, l’examen doit être écarté sur ce seul fondement ». Voir : Kadhm c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 12 (C.F. 1re inst.) (la décision Kadhm), et le paragraphe 53 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du UNHCR).

 

[45]           Le demandeur soutient qu’une crainte raisonnable de persécution à l’avenir peut être fondée sur des motifs cumulés lorsqu’un demandeur a fait l’objet de mesures diverses qui, en soi, n’équivalent pas à de la persécution. Le Guide du UNHCR mentionne ce qui suit au paragraphe 53 :

[…] [U]n demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l’objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s’ajouter dans certains cas d’autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d’insécurité dans le pays d’origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d’esprit qui permet raisonnablement de dire qu’il craint d’être persécuté pour des «motifs cumulés».

 

[46]           Le demandeur souligne que la discrimination peut équivaloir à de la persécution lorsqu’elle entraîne des conséquences gravement préjudiciables pour la personne touchée, par exemple, de sérieuses restrictions au droit de gagner sa vie. La Cour fédérale a conclu que lorsqu’un État entrave grandement la capacité d’un demandeur de trouver du travail, la possibilité de travailler illégalement ne constitue pas une solution acceptable. Voir : le paragraphe 54 du Guide du UNHCR et la décision Xie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 286 (C.F. 1re inst.) (la décision Xie). Le demandeur a également cité le paragraphe 55 du Guide du UNHCR :

Lorsque les mesures discriminatoires ne sont pas graves en elles‑mêmes, elles peuvent néanmoins amener l’intéressé à craindre avec raison d’être persécuté si elles provoquent chez lui un sentiment d’appréhension et d’insécurité quant à son propre sort. […] Cependant, […] la requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s’il a déjà été victime d’un certain nombre de mesures discriminatoires telles que celles qui ont été mentionnées ci-dessus et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient.

 

 

[47]           Le demandeur affirme que la jurisprudence au Canada a confirmé que la Commission doit déterminer si des actes discriminatoires subis par le passé crée une possibilité sérieuse de persécution à l’avenir. Voir: Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 643; Mete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 840, et la décision Kadhm.

 

[48]           Le demandeur soutient également que l’ensemble des problèmes auxquels font face les Palestiniens au Liban pourrait établir une allégation de crainte fondée de persécution sur le fondement de motifs cumulés. La Cour n’est pas convaincue que la Commission aurait tiré les mêmes conclusions si elle avait appliqué le critère approprié dans l’appréciation de la preuve. Par conséquent, la décision doit être infirmée.

 

[49]           Le demandeur avance que la Commission n’a pas fourni d’analyse adéquate expliquant pourquoi les multiples mesures de discrimination, de concert avec l’atmosphère générale d’insécurité au Liban, n’établissaient pas son allégation. Le seul motif semble être que le demandeur a été capable de trouver des moyens de survivre en travaillant et en rénovant sa maison de façon illégale ainsi qu’en utilisant ses propres ressources afin de payer pour son instruction, et ce, malgré la discrimination et avec l’aide de l’UNRWA. Il ne s’agit pas de solutions adéquates en réponse à la grave discrimination à laquelle le demandeur et d’autres Palestiniens font face au Liban, leur pays de « résidence habituelle », étant donné qu’ils sont apatrides. Voir : Maarouf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 723, et la décision Xie.

 

Les conclusions non étayées par la preuve

 

[50]           Le demandeur soutient également que la Commission a tiré une série de conclusions qui n’étaient pas étayées par la preuve :

a.                   La Commission a conclu que la famille du demandeur avait été capable de « rénover la maison [où elle vivait] et de la garder en bonne condition » et qu’elle avait donc un « logement décent » en comparaison avec les Palestiniens qui vivaient dans des logements improvisés ou en ruines, dépourvus de l’infrastructure et des commodités de base. Il n’y avait cependant aucun élément de preuve quant à la condition du logement familial ou quant à son caractère convenable vu le nombre de personnes qui y vivaient. 

b.                   La Commission a conclu que les réfugiés palestiniens bénéficiaient de meilleurs soins de santé – bien que ces soins soient inadéquats – de la part de l’UNRWA que nombre de Libanais – c’est­à­dire ceux qui n’ont pas d’assurance­maladie – reçoivent de leur propre gouvernement. Rien ne permettait de conclure que les soins médicaux dont bénéficient les Palestiniens sont « supérieurs » aux soins que le gouvernement du Liban fournit à ses propres indigents;

c.                   Le Liban offre l’école publique gratuite à ses citoyens, et ce, jusqu’en 12e année, contrairement à la conclusion de la Commission.

 

[51]           Le demandeur conclut en affirmant que, en tant que réfugié apatride palestinien au Liban, il a subi de la discrimination et souffert d’insécurité toute sa vie. Il allègue être un réfugié au sens de la Convention en raison d’une crainte fondée de persécution établie sur le fondement de motifs cumulés. La Commission a appliqué le mauvais critère lorsqu’elle a conclu que le demandeur devait établir qu’il subirait de la persécution au Liban et elle a commis d’autres erreurs de fait et de droit.

 

Le défendeur

 

[52]           Le défendeur soutient que la Commission a adéquatement examiné la demande présentée par le demandeur. La décision dans son ensemble établit que la Commission a appliqué les critères appropriés en matière de crainte fondée de persécution.

 

[53]           Le défendeur avance que le demandeur tente d’établir que d’être discriminé pendant des années équivaut à de la persécution. La Cour a conclu que la Commission devait effectuer une analyse des faits pertinents afin de déterminer l’existence de discrimination ou de persécution. Le défendeur se fonde sur le paragraphe 3 de l’arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 796, rendu par la Cour d’appel fédérale, dans lequel il a été conclu que, dans toutes les affaires, il incombe à la Commission de tirer une conclusion sur un contexte factuel donné en effectuant une analyse minutieuse de la preuve déposée et en soupesant comme il convient les divers éléments de preuve. L’intervention de la Cour n’est justifiée que si la conclusion tirée par la Commission semble être arbitraire et déraisonnable. Voir : El Hof c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1515.

 

[54]           Le défendeur soutient que la Cour a conclu que la question de savoir ce qui constitue de la persécution donne lieu à une analyse de nombreux facteurs, y compris la répétition, la gravité et la nature des incidents reprochés. Voir : Ranjha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 637, et Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 450.

 

[55]           Le défendeur souligne qu’en l’espèce la Commission a effectué une analyse minutieuse des facteurs suivants :

a.                   Logement – La Commission a conclu que le demandeur vivait dans une maison que sa famille avait pu rénover et garder en bonne condition. Le demandeur a également affirmé dans son témoignage qu’il pouvait vivre à l’extérieur du camp de réfugiés et louer un logement s’il le souhaitait.

 

La Commission a conclu que, étant donné qu’il avait un logement décent et qu’il avait la possibilité de déménager à l’extérieur du camp, le demandeur n’était pas persécuté en ce qui a trait au logement.

 

b.                   Soins médicaux – L’UNRWA fournit des soins supérieurs à ceux que le gouvernement du Liban offre à ses propres indigents. Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il avait accès à une clinique médicale dans son camp de réfugiés.

 

La Commission a conclu que le demandeur n’était pas persécuté en ce qui a trait aux soins médicaux étant donné qu’il recevait des soins médicaux supérieurs à ceux que recevaient nombre de citoyens du Liban.

 

c.                   Scolarité – Le demandeur a pu aller gratuitement à l’école primaire. Sa famille a payé sa scolarité dans trois écoles secondaires privées. Il a obtenu une maîtrise en électronique de la faculté des sciences de l’Université Libanaise de Beyrouth.

 

La Commission a conclu que, même si le demandeur avait payé davantage de frais de scolarité que les autres citoyens du Liban, il s’agissait de la même situation au Canada où les étudiants étrangers devaient payer davantage de frais de scolarité et de primes d’assurance­maladie que les non­Canadiens.

 

d.                   Travail – La Commission a conclu que malgré l’ancienne discrimination prévue par la loi envers les Palestiniens en milieu de travail, le demandeur avait travaillé sans arrêt comme enseignant de 1998 à 2007.

 

La Commission a conclu que, même si le demandeur ne travaillait pas dans son domaine de prédilection, l’électronique, il était en mesure d’obtenir du travail qui nécessitait des études supérieures. En outre, la nouvelle loi en matière de droit du travail faisait en sorte qu’il serait capable d’ouvrir sa propre entreprise dans le domaine de l’électronique.

 

e.                   Activistes – La Commission a estimé qu’il y a une raison d’État légitime pour laquelle il faut contrôler l’identité des Palestiniens et les fouiller. La Commission a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une forme de persécution. Le demandeur n’a pas déposé de preuve établissant qu’il avait personnellement été ciblé par quelque faction activiste, pour quelque raison que ce soit.

 

f.                     Discrimination dans la société – Le demandeur ne se sentait pas agressé émotionnellement et psychologiquement par les Libanais parce qu’il était Palestinien. Ce qu’il remet en question c’est le gouvernement du Liban et ses politiques.

 

[56]           La Commission a conclu que malgré les politiques historiques expresses du gouvernement libanais et les conditions de vie de la majorité des Palestiniens au Liban, le demandeur n’a pas été persécuté et ne le serait pas s’il retournait au Liban. La Commission a également mentionné qu’elle avait tiré cette conclusion non seulement en examinant soigneusement les diverses formes de discrimination qu’a endurées le demandeur d’asile, mais aussi en tenant compte du cumul des diverses formes de discrimination.

 

[57]           Le défendeur soutient que la Commission a effectué l’analyse appropriée et qu’elle a déterminé la gravité, la répétition et la nature des incidents reprochés. La conclusion de la Commission, selon laquelle le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, constituait une issue raisonnable.

 

La raisonnabilité des conclusions

 

[58]           Le défendeur soutient également que la Commission a fondé sa conclusion sur le témoignage du demandeur à l’audience, lors duquel le demandeur a affirmé que sa famille avait été capable de rénover la maison et de la garder en bonne condition. Sur le fondement de ce témoignage, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur avait accès à un logement décent. Il s’agit d’une conclusion raisonnable à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve d’une grande retenue : Dunsmuir, paragraphe 47.

 

[59]           Le demandeur n’a pas déposé la transcription de l’audience à l’appui de son argument selon lequel il n’avait pas affirmé dans son témoignage que sa famille avait rénové la maison et l’avait gardée en bonne condition, mais qu’il avait plutôt déclaré qu’il avait emporté des matériaux de construction dans sa maison en 1975. Il incombe au demandeur d’établir ses prétentions et, même si le demandeur n’avait pas affirmé que sa famille avait été capable de rénover sa maison et de la garder en bonne condition, il était raisonnable que la Commission conclût que les matériaux de construction avaient servi à rénover la maison.

 

[60]           Le défendeur note que le demandeur soutient que la Commission a tiré une conclusion sans fondement lorsqu’elle a affirmé que les réfugiés palestiniens bénéficiaient de meilleurs soins de santé de la part de l’UNRWA que nombre de citoyens du Liban. Le défendeur reconnaît que, même si la preuve documentaire ne renferme pas ce renseignement particulier, il s’agissait d’une conclusion raisonnable que la Commission pouvait tirer sur le fondement des renseignements dont elle disposait, lesquels mentionnaient l’inégalité dans les soins médicaux dont pouvaient bénéficier les diverses classes sociales dans la société libanaise et les soins médicaux dont pouvaient bénéficier les Palestiniens auprès de l’UNRWA.

 

ANALYSE

 

[61]           La Commission, dans sa décision, a tiré certaines conclusions dont le raisonnement n’est pas clair et qui ne sont pas étayées par la preuve. Par exemple, la conclusion au paragraphe 44, selon laquelle la violence que craint le demandeur est de la « violence généralisée » et selon laquelle il n’y a « aucune preuve que la violence que craint le demandeur d’asile soit seulement ou partiellement attribuable au fait que celui­ci est un Palestinien », est extrêmement difficile à comprendre étant donné la preuve dont disposait la Commission concernant les faits qui ont entraîné le départ du demandeur du Liban, ainsi que la preuve selon laquelle les Palestiniens sont victimes de violence simplement parce qu’ils sont Palestiniens. Cette violence ne vise pas et ne touche pas la population générale du Liban.

 

[62]           Le demandeur n’a pas non plus à présenter des éléments de preuve « pour indiquer qu’il a été personnellement ciblé », comme semble le donner à penser la Commission. Comme la Cour d’appel fédérale l’a clairement mentionné dans l’arrêt Saliban [traduction] « [s]i des personnes comme le requérant sont susceptibles de faire l’objet d’un grave préjudice de la part des autorités de leur pays, et si ce risque est attribuable à leur état civil ou à leurs opinions politiques, alors elles sont à juste titre considérées comme des réfugiés au sens de la Convention ».

 

[63]           Cependant, la Cour n’a pas besoin de mentionner les évidentes erreurs susceptibles de contrôle relevées dans certaines conclusions de la Commission : il y a deux problèmes fondamentaux qui ressortent de l’ensemble de la décision et qui font en sorte que la présente affaire doit être renvoyée pour nouvel examen.

 

[64]           Le premier problème est l’omission de la Commission de traiter du cumul des faits issus de la longue et extrêmement décourageante discrimination que le demandeur a de toute évidence subie en tant que Palestinien apatride au Liban.

 

[65]           Au paragraphe 21 de sa décision, la Commission affirme que la conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas persécuté s’il retournait au Liban a été tirée « non seulement en examinant soigneusement les diverses formes de discrimination qu’a endurées le demandeur d’asile, mais aussi [en tenant compte du cumul] des diverses formes de discrimination ». La Commission a par la suite examiné séparément les « diverses formes de discrimination », mais n’a jamais fourni de véritable explication quant à savoir pourquoi l’effet cumulatif n’équivalait pas à de la persécution.

 

[66]           Comme la juge Dawson l’a souligné au paragraphe 9 de la décision Mete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 840, « il ne suffit pas pour la SPR de dire simplement qu’elle a tenu compte de la nature cumulative des actes discriminatoires ».

 

[67]           Comme dans l’affaire Mete, l’analyse de la Commission en l’espèce « ne prenait absolument pas en considération l’effet cumulatif de la conduite que la SPR considérait comme de la discrimination ou du harcèlement, comme l’exigeait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Retnem, et comme on l’explique dans le Guide sur le statut de réfugié ». Il ne suffit pas que la Commission mentionne simplement qu’il a tiré sa conclusion « [en tenant compte du cumul] des diverses formes de discrimination ». Les motifs doivent expliquer pourquoi l’épouvantable discrimination si longtemps exercée par l’État du Liban contre le demandeur en tant que Palestinien apatride n’équivaut pas à de la persécution. La décision ne fait aucunement état du critère appliqué par la Commission ou de son raisonnement sur la question de savoir si l’effet cumulé des discriminations équivalait à de la persécution.

 

[68]           Le second grave problème de la décision est que cette dernière n’est aucunement claire en ce qui concerne la norme de preuve qui a été imposée au demandeur par la Commission en ce qui concerne l’établissement par le demandeur du fait qu’il a été persécuté. À première vue, la décision donne à penser que la Commission s’attendait à ce que le demandeur établisse que l’État du Liban « [persécuterait le demandeur] à cause de sa situation de Palestinien apatride ». Ce problème est aggravé par d’autres mentions dans la décision, selon lesquelles le demandeur devait également établir qu’il avait été ou qu’il serait personnellement ciblé.

 

[69]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a clairement énoncé au paragraphe 17 de l’arrêt Salibian, un « [demandeur] n’a pas à prouver qu’il avait été persécuté lui-même dans le passé ou qu’il serait lui-même persécuté à l’avenir ». La Commission en l’espèce commet l’erreur précise contre laquelle une mise en garde avait été formulée par le juge Martineau, en application de l’arrêt Salibian, aux paragraphes 14 à 16 de la décision Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 3 R.C.F. 400, 2006 CF 1125 :

14     Cela dit, il est bien établi en droit que l’existence de la persécution en vertu de l’article 96 de la LIPR peut être établie par un examen du traitement de personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur et que celui‑ci n’a pas à prouver qu’il a été persécuté dans le passé ou qu’il serait persécuté à l’avenir. Lorsqu’il s’agit de revendications fondées sur des situations où l’oppression est généralisée, la question n’est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n’importe qui d’autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manœuvres d’intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. Si une personne comme le demandeur est susceptible de faire l’objet d’un préjudice grave de la part des autorités de son pays et si ce risque est attribuable à son état civil ou à ses opinions politiques, alors elle est à juste titre considérée comme une réfugiée au sens de la Convention (Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250, à la page 259 (C.A.); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 235 N.R. 316 (C.A.) (Q.L.).

 

15     Dans Salibian, susmentionnée, la décision faisant l’objet d’un contrôle avait trait à une demande d’asile présentée par un citoyen du Liban. Il semblait que le demandeur avait été victime de divers incidents en raison du fait qu’il était Arménien et chrétien. Malgré ce témoignage, la CISR a rejeté la demande pour le motif que le demandeur était « victime au même titre que tous les autres citoyens libanais ». La Cour d’appel fédérale a conclu que la CISR a commis une erreur de droit et a tiré une conclusion de fait de façon arbitraire et abusive. En ce qui a trait au droit, le juge Robert Décary a clairement mentionné qu’une situation de « guerre civile » dans un pays donné « ne fait pas obstacle à la revendication pourvu que la crainte entretenue soit non pas celle entretenue indistinctement par tous les citoyens en raison de la guerre civile, mais celle entretenue par le [page 407] requérant lui‑même, par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d’un risque de persécution fondé sur l’un des motifs énoncés dans la définition [de réfugié au sens de la Convention] » (Salibian, susmentionnée, à la page 258 [non souligné dans l’original]).

 

16     Par conséquent, une demande d’asile présentée dans un contexte de violence généralisée dans un pays donné doit satisfaire aux mêmes exigences que toute autre demande. Le contenu de ces exigences n’est pas différent pour une telle demande et celle‑ci ne fait pas l’objet d’exigences supplémentaires ou de déchéance. À la différence de l’article 97 de la LIPR, en vertu de l’article 96 de la LIPR, il n’y a aucune obligation que le demandeur démontre que sa crainte de la persécution est « personnalisée » s’il peut démontrer autrement qu’elle est « entretenue par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d’un risque de persécution fondée sur l’un des motifs énoncés dans la définition [de réfugié au sens de la Convention] » (Salibian, susmentionnée, à la page 258 [non souligné dans l’original]).

 

[70]           En outre, étant donné que la Commission semble imposer au demandeur d’établir qu’il « sera persécuté » et que nulle part dans sa décision la Commission ne mentionne le fardeau de la preuve et les critères qu’elle a appliqués aux faits, la Cour n’est pas convaincue que la Commission a appliqué le bon critère afin de déterminer l’existence d’une crainte fondée de persécution. Voir Adjei.

 

[71]           Pour ces motifs, je suis d’avis que la décision contestée doit être renvoyée pour nouvel examen.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.      que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

 

2.      qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5193-08

 

INTITULÉ :                                                   SULEIMAN MOHAMMED ABDUL RAHMAN

                                               

c.

                       

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 27 JUILLET 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Brenda Wemp                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brenda Wemp                                                  POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

                       

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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