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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090729

Dossier : IMM‑4223‑08

Référence : 2009 CF 779

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

SHIRLEY WU CAI HUA MA

AMY MA

BILLY MA

ANISA MA

ADA MA

GEOFFREY TINGFUN MA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision, en date du 5 septembre 2008, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a reconnu aux défendeurs la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi (la décision).

 

CONTEXTE

 

[2]               Les défendeurs disent craindre de retourner aux Îles Salomon, où ils auraient été victimes de harcèlement et de persécution en raison de leur origine ethnique chinoise.

 

[3]               Shirley et Geoffrey (la défenderesse et le défendeur adultes) sont nés en Chine. Geoffrey s’est rendu aux Îles Salomon en 1983 et il en est devenu un citoyen naturalisé en 1994. Les défendeurs adultes appellent les Îles Salomon leur pays et leurs quatre enfants y sont nés.

 

[4]               Geoffrey est retourné en Chine à trois reprises. Chaque fois, il a utilisé son passeport des Îles Salomon et il a obtenu un visa de touriste de la Chine.

 

[5]               Un incendie a rasé l’entreprise et la résidence des défendeurs pendant les émeutes survenues le 18 avril 2006 à Honiara. Les émeutes étaient dirigées contre les personnes d’une certaine origine ethnique, à savoir les résidents des Îles Salomon d’ascendance chinoise. Geoffrey n’était pas aux Îles Salomon lorsque les émeutes ont éclaté. En effet, il était retourné en Chine le 3 avril 2006 pour s’occuper des funérailles de son père.

 

[6]               Le haut‑commissaire de la Papouasie‑Nouvelle‑Guinée aux Îles Salomon a reconnu à Shirley et à deux de ses enfants, Billy et Amy, la qualité de [traduction] « personnes déplacées par des violences »; ceux‑ci se sont aussi vu délivrer des titres de voyage d’urgence datés du 24 avril 2016 en vue de leur évacuation vers la Chine. Les filles Anisa et Ada des défendeurs adultes fréquentaient une école en Australie au moment des émeutes et elles étaient titulaires d’un visa valide d’étudiant pour ce pays.

 

[7]               Le gouvernement chinois a prêté assistance aux habitants des Îles Salomon d’origine chinoise en envoyant des avions pour les en faire évacuer. Les membres de la famille ont été réunis en Chine le 25 avril 2006. Ils affirment qu’ils ont demandé [traduction] « à plusieurs reprises » la protection de la police lors des attaques, mais que les policiers leur avaient répondu de [traduction] « [se] débrouiller tout seuls ».

 

[8]               Lorsqu’il est retourné aux Îles Salomon, Geoffrey a constaté que la maison, l’entreprise et les effets personnels de la famille avaient été détruits, pillés et volés. Il est demeuré là‑bas du 5 mai 2006 au 25 mars 2007 pour tenter de se faire indemniser pour une partie de ses pertes par le gouvernement, de retrouver des documents et d’obtenir des passeports de remplacement pour son épouse et deux de leurs enfants, Billy et Amy. Geoffrey affirme que plusieurs fois pendant cette période des voyous l’avaient arrêté, l’avaient agressé et lui avaient soutiré de l’argent. Il soutient également qu’on lui a volé son automobile et que, lorsqu’il a signalé l’incident à des policiers, ceux‑ci avaient refusé d’établir un rapport et ils lui avaient dit qu’ils ne pouvaient rien faire. Geoffrey affirme qu’il a dû [traduction] « se cacher et vivre en permanence dans la crainte » et que les agresseurs [traduction] « l’avaient ciblé en raison de son origine ethnique ».

 

[9]               À l’exception de Geoffrey, les membres de la famille ne sont jamais retournés dans les Îles Salomon après s’en être enfuis en avril 2006. Shirley et deux des enfants sont par la suite venus au Canada, où ils sont arrivés le 21 mai 2006 à l’aéroport international de Vancouver. Ils ont demandé l’asile dès leur entrée au pays. Geoffrey est arrivé plus tard, le 30 mars 2007.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[10]           La Commission a conclu que les défendeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention et qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés aux Îles Salomon.

 

[11]           La Commission a formulé, comme suit, les questions qu’il lui fallait trancher :

a.                   Les demandeurs d’asile sont‑ils tenus de se réclamer à nouveau de la citoyenneté et de la nationalité antérieures auxquelles ils ont volontairement renoncé et qui n’existent plus avant de chercher à obtenir la protection du Canada?

b.                   Si la réponse à cette question est affirmative, la prochaine question consiste donc à déterminer si la Chine attribuerait la citoyenneté aux demandeurs d’asile et si celle‑ci les considérerait à nouveau comme des ressortissants de la Chine.

c.                   En dernier lieu, si la réponse à cette question est également affirmative, le tribunal doit donc analyser si les demandeurs d’asile craignent avec raison de retourner en Chine.

 

Crainte fondée de persécution aux Îles Salomon

 

[12]           La Commission s’est penchée sur la preuve, notamment documentaire, présentée par les défendeurs. Le ministre a fait valoir que le défendeur adulte n’était pas crédible et qu’il avait omis de mentionner dans l’exposé circonstancié de son FRP certains incidents qu’il invoquait à l’audience. La Commission a fait remarquer que le défendeur adulte avait mentionné dans son exposé circonstancié qu’il avait dû vivre dans la clandestinité et qu’il s’inquiétait de la capacité de l’État de lui offrir protection ainsi qu’à sa famille. La Commission a pris en considération l’attitude du défendeur et a elle souligné qu’il s’était présenté comme un « demandeur d’asile un peu simple, avec une éducation de base ». La Commission s’est dite satisfaite des « explications du demandeur d’asile relativement à son défaut d’inclure les incidents particuliers après son retour aux Îles Salomon ».

 

[13]           La Commission a conclu que les défendeurs risquaient d’être persécutés aux Îles Salomon du fait de leur origine ethnique chinoise. Elle a également conclu que la preuve documentaire indiquait que la protection de l’État n’était pas disponible et qu’il n’existait pas de possibilité raisonnable de refuge intérieur.

 

Nationalité chinoise

 

[14]           La Commission a dit estimer qu’il ne faisait « guère de doute que les [défendeurs] ne sont pas actuellement considérés comme des citoyens ou des ressortissants de la Chine. Même si les demandeurs d’asile adultes Geoffrey et Shirley Ma sont nés en Chine, au moment où ceux‑ci ont décidé de devenir des citoyens des Îles Salomon, ils ont perdu leur citoyenneté chinoise ».

 

[15]           En vertu de la loi de la Chine en matière de citoyenneté (article 3), la République populaire de Chine (RPC) ne reconnaît la double citoyenneté à aucun ressortissant chinois. La Commission a cité, comme suit, une partie de l’article 9 de la même loi : [traduction] « tout ressortissant chinois établi à l’étranger et ayant été naturalisé en tant qu’étranger ou ayant acquis la nationalité étrangère de son plein gré perd automatiquement la nationalité chinoise ».

 

[16]           La Commission a mentionné que les membres de la famille avaient dû obtenir des visas de visiteur pour leurs voyages précédents en Chine, et que cela démontrait comment ils étaient perçus par les autorités chinoises. La Commission a aussi jugé « extrêmement douteux » que les enfants des défenseurs adultes soient automatiquement admissibles à la citoyenneté du fait que leurs parents étaient tous les deux nés en Chine. Elle a cité à cet égard l’article 5 de la loi chinoise sur la nationalité :

[traduction] Toute personne née à l’étranger dont les deux parents sont des ressortissants de la Chine ou dont l’un des parents est un ressortissant de la Chine obtiendra la nationalité chinoise. Toutefois, quiconque dont les deux parents sont des ressortissants de la Chine et se sont établis à l’étranger ou dont l’un des parents est un ressortissant de la Chine et s’est établi à l’étranger, et qui a acquis une nationalité étrangère, ne pourra pas obtenir la nationalité chinoise à sa naissance.

 

 

[17]           La Commission a conclu que, comme les deux parents ont obtenu la nationalité des Îles Salomon, leurs enfants ne seraient pas considérés comme des ressortissants chinois.

 

Réintégration dans la nationalité chinoise

 

[18]           La Commission a convenu avec le ministre que, pour régler cette question, il fallait se demander s’il était plus probable qu’improbable que les demandeurs d’asile obtiennent la nationalité de la RPC s’ils en faisaient la demande.

 

[19]           La Commission s’est fondée sur le critère énoncé dans l’arrêt Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126 (Williams), au paragraphe 22 :

Le véritable critère est, selon moi, le suivant : s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel il n’a aucune crainte fondée d’être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme « acquisition de la citoyenneté de plein droit » ou « par l’accomplissement de simples formalités » aient été employées, il est préférable de formuler le critère en parlant de « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur », car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d’asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l’aspect « subsidiaire » de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l’arrêt Ward et, contrairement à ce que l’avocat de l’intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du « contrôle » exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l’occurrence le fait que l’absence de « volonté » du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l’État entraîne le rejet de sa demande d’asile à moins que cette absence s’explique par la crainte même de persécution.

 

[20]           La Commission a conclu que les défendeurs satisfaisaient au critère énoncé dans la décision Williams, en ce sens que la réintégration dans la nationalité chinoise échappait à leur contrôle. Il est vrai que les défendeurs auraient pu présenter une demande de citoyenneté, mais les dispositions de la loi chinoise sur la nationalité rendaient son octroi « loin d’être automatique », et ainsi, conformément à Williams, ils [traduction] « “n’ont pas le pouvoir” de l’obtenir ».

 

[21]           La Commission a aussi invoqué la décision Crast c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 146 (Crast), laquelle confirme qu’il convient d’analyser le degré de certitude requis dans le processus de demande. Dans cette affaire, la preuve révélait que le résultat ne pouvait être prévu avec certitude, et la Commission avait omis d’évaluer le degré de certitude.

 

[22]           La Commission a fait remarquer que, comme les défendeurs ont quatre enfants, il était impossible de dire avec certitude que leur demande serait approuvée. Elle a précisé qu’il y avait une différence entre « le fait d’avoir le droit de présenter une demande et le résultat éventuel ». La Commission a également invoqué le passage suivant de la décision Mijatovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 685, au paragraphe 32 :

32     Conformément aux termes de la Loi sur la citoyenneté, la demanderesse aurait pu avoir le droit de demander la citoyenneté de la RFY. En effet, elle pourrait encore y avoir droit. Toutefois, cela ne signifie pas qu’elle était en fait citoyenne de la RFY. Dans le contexte d’une demande d’asile, le simple droit de présenter une demande de citoyenneté d’un pays particulier ne fait pas du demandeur un citoyen de ce pays, à moins que la demande constitue une simple formalité. La Cour d’appel fédérale a été saisie de cette question dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, [2005] A.C.F. n603.

 

 

[23]           La Commission s’est enfin appuyée sur le passage suivant tiré d’Immigration Law and Practice, 2e édition, volume 1, de Lorne Waldman, au paragraphe 8.399 :

[traduction] Partant, le concept de nationalité doit être interprété rigoureusement de sorte que la protection subsidiaire au Canada n’est refusée que dans les cas où la personne a, en réalité, acquis la citoyenneté dans un pays donné ou peut l’obtenir parce qu’il est en son pouvoir de le faire. Par conséquent, pour refuser une demande d’asile du fait que la personne a obtenu la citoyenneté dans ce pays, la Commission doit conclure que cette personne possède réellement la citoyenneté dans ce pays ou que celle‑ci a le droit absolu à une telle citoyenneté. Si la législation prévoit que le demandeur peut présenter une demande de citoyenneté, mais non pas que le demandeur possède réellement la citoyenneté ou l’obtiendra avec certitude, alors la personne ne devrait donc pas être tenue de montrer qu’elle était incapable d’obtenir la protection dans le pays de nationalité éventuelle.

 

 

[24]           La Commission a conclu sur ce point en déclarant que, contrairement à ce qu’avait déclaré le représentant du ministre, la loi n’exigeait pas que les demandeurs d’asile fournissent une preuve crédible et digne de foi qu’ils avaient présenté une demande de nationalité chinoise et que cette demande avait été rejetée.

 

Défaut de demander asile dans un autre pays

 

[25]           Le représentant du ministre a aussi soutenu que les défendeurs auraient dû présenter une demande d’asile en Australie, étant donné que ce pays était beaucoup plus près des Îles Salomon que le nôtre, qu’ils l’avaient déjà visité et que deux de leurs enfants y fréquentaient l’école. La Commission a déclaré que cette affirmation ne reposait sur aucun fondement juridique.

 

[26]           La Commission a conclu que les défendeurs avaient établi qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés dans les Îles Salomon du fait de leur origine ethnique chinoise. Elle a aussi conclu que la Chine n’était un pays de référence pour aucun des défendeurs. Par conséquent, tous les défendeurs avaient qualité de réfugié au sens de la Convention, et il a été fait droit à leurs demandes d’asile.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[27]           Dans le cadre de la présente demande, le demandeur soulève les questions suivantes :

1)                  La Commission a‑t‑elle conclu erronément que les défendeurs ne pouvaient se réclamer de la protection de l’État aux Îles Salomon?

2)                  La Commission a‑t‑elle conclu erronément que les défendeurs risquaient d’être persécutés aux Îles Salomon du fait de leur origine ethnique chinoise?

3)                  La Commission a‑t‑elle conclu erronément que les défendeurs n’étaient pas tenus de demander la citoyenneté chinoise avant que l’asile leur soit accordé au Canada?

 

DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

 

[28]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent dans la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) À qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[29]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 44, la Cour suprême du Canada a reconnu que, quoique la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples ». Par conséquent, la Cour suprême du Canada a décidé que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fusionnées pour en former une seule, celle de la décision raisonnable.

 

[30]           Par ailleurs, selon l’arrêt Dunsmuir, il n’est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse pour arrêter la norme de contrôle applicable. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière qui lui est soumise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[31]           Ainsi, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême et de la jurisprudence antérieure de la Cour, je conclus que la norme qui s’applique au contrôle des deux premières questions soulevées dans le cadre de la présente demande est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’il s’agit de contrôler une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, au paragraphe 47). En d’autres termes, la Cour devrait uniquement intervenir si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[32]           La troisième question nécessite de se pencher sur le critère juridique approprié (j’ai recouru pour ce contrôle à la norme de la décision correcte), et d’appliquer ce critère aux faits dont la Commission disposait (en recourant cette fois à la norme de la raisonnabilité). Le demandeur a fait valoir dans son argumentation que la Commission avait analysé en fonction d’un critère juridique inapproprié la question de la protection de l’État. J’ai aussi examiné cette question au regard de la norme de la décision correcte.

 

ARGUMENTS DES PARTIES

            Le demandeur

La Commission a conclu erronément que les défendeurs ne pouvaient se réclamer de la protection de l’État

 

[33]           Le demandeur fait valoir que la Commission a conclu en une phrase de ses motifs que les défendeurs ne pouvaient disposer de la protection de l’État aux Îles Salomon :

Le tribunal conclut que les demandeurs d’asile risquent d’être persécutés aux Îles Salomon du fait de leur origine ethnique chinoise. Le tribunal conclut également que la preuve documentaire donne à penser que la protection de l’État n’est pas disponible et que, par conséquent, il n’y a pas de possibilité raisonnable de refuge intérieur.

 

 

La Commission a appliqué un critère inapproprié en matière de protection de l’État

 

[34]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit et a examiné en fonction d’un critère juridique inapproprié la question de savoir si les défendeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État aux Îles Salomon. La disponibilité de la protection de l’État est un élément essentiel lorsqu’il s’agit d’établir qu’un demandeur d’asile craint avec raison d’être persécuté. Si le demandeur d’asile peut se réclamer d’une telle protection, il n’a pas une crainte fondée de persécution (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, (Ward) aux pages 721 et 722; Munderere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 84, (Munderere) aux paragraphes 34 à 39).

 

[35]           Le demandeur cite également l’arrêt Ward (aux pages 721 à 723) au soutien du principe selon lequel il incombe à la personne qui demande l’asile dans un autre pays de prouver qu’elle ne peut se réclamer de la protection de l’État dans son pays de nationalité. Sauf lorsqu’il y a effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un pays est capable de protéger ses citoyens (Ward, aux pages 723 à 726).

 

[36]           Le demandeur fait valoir que tant la Cour suprême du Canada que la Cour d’appel fédérale ont jugé que, pour réfuter la présomption de capacité du pays de nationalité de protéger ses citoyens, il faut prouver que la protection de l’État ne peut être obtenue. Les demandeurs d’asile doivent produire une « preuve claire et convaincante » démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’insuffisance ou l’inexistence de la protection de l’État (Ward, aux pages 723 à 726; Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94).

 

[37]           Le demandeur souligne qu’en l’espèce, la Commission n’a pas tranché la question de savoir s’il y avait une « preuve claire et convaincante » démontrant que la protection de l’État ne pouvait être obtenue. La Commission a plutôt conclu que « la preuve documentaire donne à penser que la protection de l’État n’est pas disponible ».

 

[38]           Donc, selon le demandeur, conclure que la preuve documentaire « donne à penser » que la protection de l’État n’est pas disponible n’équivaut pas à conclure ou à juger qu’une « preuve claire et convaincante » démontre, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État ne peut être obtenue. La Commission a donc commis une erreur de droit et a appliqué un critère inapproprié en concluant que la protection de l’État n’était pas disponible puisque c’est ce que la preuve documentaire « donne à penser ».

 

[39]           Selon le demandeur, en concluant que la preuve « donne à penser » que la protection de l’État n’est pas disponible, la Commission n’a pas conclu qu’il était plus probable qu’improbable que la protection de l’État ne pouvait être obtenue. Ainsi, tout au plus, on peut affirmer que selon cette conclusion, il est possible que cette protection ne soit pas disponible, et non qu’il est plus probable qu’improbable que les défendeurs ne pouvaient s’en réclamer.

 

[40]           Le demandeur fait également remarquer que la Commission n’a fait état dans ses motifs d’aucun élément de preuve lui permettant de conclure que la protection de l’État n’était pas disponible. Elle a plutôt simplement déclaré que c’est ce que la « preuve documentaire » laissait entendre. La Commission n’a pas même mentionné sur quels éléments de « preuve documentaire » elle s’était fondée.

 

La Commission n’a pas pris en compte la preuve

 

[41]           Le demandeur soutient qu’en plus d’appliquer un critère inapproprié, la Commission n’a pas pris valablement compte de la preuve dont elle disposait lorsqu’elle a conclu que la preuve documentaire « donnait à penser » que la protection de l’État n’était pas disponible.

 

[42]           Le demandeur souligne que la Commission n’a pas précisé sur quels éléments de preuve elle s’était fondée pour déclarer que la « preuve documentaire donne à penser » que la protection de l’État n’est pas disponible. Pour tirer cette conclusion, la Commission a seulement mentionné dans ses motifs les éléments de preuve documentaire suivants qui pourraient être pertinents : (1) un document dans lequel le professeur Clive Moore critiquait la façon dont la police des Îles Salomon a agi lors des émeutes d’avril 2006; (2) un avis aux voyageurs dans lequel le gouvernement du Canada affirmait que la police des Îles Salomon disposait de moyens limités qui ne lui permettaient pas de répondre avec efficacité aux crimes avec violence; (3) deux reportages mentionnant que le gouvernement australien avait envoyé des troupes supplémentaires pour rétablir le calme dans les Îles Salomon.

 

[43]           Le demandeur soutient que la Commission n’a procédé qu’à un examen sommaire de la preuve documentaire sur la disponibilité de la protection de l’État aux Îles Salomon. Pourtant, des éléments de preuve documentaire auxquels la Commission n’a pas fait allusion rapportaient que la Mission régionale d’assistance dans les Îles Salomon (RAMSI), une force de police multinationale mise sur pied par l’Australie, s’était rendue aux Îles Salomon à la demande de son gouvernement en 2003, et qu’elle y avait rétabli la loi et l’ordre après une période de troubles civils dans le pays.

 

[44]           Le demandeur souligne par ailleurs que les défendeurs n’ont pas répondu à son argument selon lequel la Commission avait conclu erronément qu’ils avaient une crainte fondée de persécution s’ils ne pouvaient pas se réclamer de la protection de l’État. La Commission ne disposait d’aucune preuve établissant que les défendeurs seraient exposés à un risque advenant leur retour aux Îles Salomon.

 

[45]           Le demandeur soutient aussi qu’il n’est pas raisonnable d’inférer des divers documents cités par la Commission que la protection de l’État n’est pas disponible aux Îles Salomon. Même si l’on prête foi aux critiques formulées par le professeur Moor et si, effectivement, la RAMSI s’est montrée malhabile lors des émeutes d’avril 2006, un demandeur d’asile ne peut se contenter de montrer que son gouvernement n’a pas toujours protégé les personnes dans sa situation de manière efficace pour établir qu’il ne peut se réclamer de la protection de l’État. Le demandeur ajoute que le professeur Moor est optimiste quant à l’aptitude de la RAMSI de maintenir l’ordre public aux Îles Salomon. Il conclut son article en disant que le futur gouvernement des Îles Salomon semble en meilleure posture que les gouvernements qui se sont succédés depuis 1998 et que la présence de la RAMSI devrait permettre la réalisation des réformes nécessaires (voir Clive Moore, « No More Walkabout Long Chinatown: Asian Involvement in the Solomon Islands Economic and Political Processes », une communication présentée à une conférence tenue le 16 mai 2006 à l’Australian Centre for Peace and Conflict Studies de la University of Queensland.

 

[46]           Quant à l’avis aux voyageurs émis par le gouvernement du Canada, le demandeur affirme que le fait que la police ne soit pas toujours en mesure de réprimer efficacement le crime ne démontre pas que l’État est incapable d’offrir sa protection. La police canadienne elle non plus ne peut pas toujours réprimer efficacement le crime.

 

[47]           Selon le demandeur, le commentaire suivant figurant dans une fiche d’information consulaire de septembre 2007 du Département d’État des États‑Unis et traitant de la capitale Honiara est « digne de mention » :

[traduction] La Mission régionale d’assistance aux Îles Salomon (RAMSI), qui réunit des forces militaires et policières provenant de l’Australie et de plusieurs autres nations insulaires du Pacifique, a aidé le gouvernement des Îles Salomon à faire respecter l’ordre public dans ce pays. Le gouvernement et la grande majorité des habitants des Îles Salomon ont bien accueilli cette intervention, et la sécurité s’est améliorée dans la capitale Honaira depuis l’arrivée de la RAMSI en 2003. On considère, de façon générale, que les visiteurs peuvent se promener sans danger dans les rues, le jour et la nuit, et on ne rapporte aucun incident qui aurait menacé la sécurité de visiteurs.

 

[48]           Pour conclure sur ce point, le demandeur affirme que les reportages nous informant de l’envoi de troupes additionnelles par le gouvernement australien aux Îles Salomon pour y rétablir le calme ne démontrent pas que la protection de l’État n’est pas disponible dans ce pays. Cela dénote plutôt l’engagement à faire bénéficier les citoyens des Îles Salomon de la protection de l’État. Le demandeur fait aussi remarquer qu’un des reportages sur lesquels la Commission s’est fondée a été réalisé en 2004, il y a environ quatre ans, et est ainsi sans lien, ou presque sans lien, avec la situation actuelle aux Îles Salomon.

 

La Commission a conclu erronément que les défendeurs étaient exposés à un risque aux Îles Salomon

 

 

[49]           Le demandeur soutient qu’en plus d’avoir recouru à un critère trop peu rigoureux pour conclure à la non‑disponibilité de la protection de l’État aux Îles Salomon, la Commission a conclu erronément que les défendeurs, s’ils ne pouvaient se réclamer de cette protection, craignaient avec raison d’être persécutés.

 

[50]           Le demandeur affirme que la Commission n’a pas pris en considération la preuve dont elle disposait lorsqu’elle a conclu que les défendeurs craignaient avec raison d’être persécutés aux Îles Salomon. Selon le demandeur, la Commission a examiné de manière superficielle la preuve concernant le risque que courraient les défendeurs aux Îles Salomon ainsi que des documents traitant de la disponibilité de la protection de l’État dans ce pays.

 

[51]           Le demandeur souligne que pour se prononcer sur le bien‑fondé de la crainte d’être persécuté, l’on doit recourir à un [traduction] « critère prospectif », qui oblige les demandeurs d’asile à démontrer qu’ils seraient exposés à un risque de persécution advenant un retour dans leur pays d’origine.

 

[52]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en transférant essentiellement le fardeau de preuve qui incombait aux défendeurs – démontrer qu’ils risqueraient d’être persécutés aux Îles Salomon – au ministre, qui devait selon elle démontrer qu’ils ne seraient pas exposés à un tel risque.

 

[53]           Le demandeur affirme que la Commission a uniquement mentionné dans ses motifs, comme éléments de preuve concernant la situation actuelle aux Îles Salomon, des avis aux voyageurs émis par les gouvernements de l’Australie et du Canada où l’on mentionnait que la criminalité avec violence s’était intensifiée aux Îles Salomon, particulièrement dans le quartier chinois de la capitale, Honiara.

 

[54]           Le demandeur soutient qu’une lecture objective des avis aux voyageurs des gouvernements de l’Australie et du Canada révèle une certaine inquiétude face à la criminalité et aux troubles civils, particulièrement à Honiara, mais ne permet pas de croire en un risque de persécution fondé sur l’origine ethnique chinoise. Selon le demandeur, la preuve d’une hausse de la criminalité dans un quartier d’une ville n’est pas la preuve d’une crainte fondée d’être persécuté en raison de son origine ethnique. La criminalité peut être plus élevée dans une partie d’une ville pour des motifs qui n’ont rien à voir avec l’origine ethnique. De même, l’existence éventuelle de troubles civils et d’activités criminelles à Honiara n’est la preuve ni d’un risque couru partout aux Îles Salomon ni de l’absence de protection de l’État.

 

[55]           Le demandeur souligne pour conclure que hormis la question de la disponibilité de la protection de l’État, la Commission n’a pas examiné correctement la question de savoir s’il existait pour les défendeurs une possibilité de refuge intérieur. La question de la protection de l’État n’est en effet pas pertinente, selon le demandeur, si les défendeurs ne sont pas exposés à un risque partout aux Îles Salomon – la prétendue absence de protection de l’État n’est pas cause de risque si un tel risque est par ailleurs inexistant.

 

La Commission a conclu erronément que les défendeurs n’étaient pas tenus de demander la citoyenneté chinoise

 

 

[56]           Le demandeur soutient que la Commission a conclu à tort que les défendeurs n’avaient pas à tenter d’acquérir à nouveau la citoyenneté chinoise avant de pouvoir obtenir l’asile au Canada.

 

[57]           Le demandeur rappelle à la Cour le principe fondamental du droit de la protection des réfugiés selon lequel cette protection se veut uniquement une protection de secours ou de substitution jouant un rôle subsidiaire par rapport à la protection que les ressortissants d’un pays s’attendent à recevoir de leur pays de nationalité. Un demandeur d’asile n’a accès à la protection internationale des réfugiés que si aucune solution de rechange n’est disponible. Les demandeurs d’asile sont donc tenus de rechercher d’abord protection auprès de leur pays de nationalité, à moins de démontrer que cela est objectivement déraisonnable, avant que la responsabilité à ce titre d’autres États ne soit engagée (voir Ward et Munderere, aux paragraphes 34 à 39).

 

[58]           Selon le demandeur, l’objet de la protection des réfugiés n’est pas de permettre de « rechercher le pays le plus accommodant », mais bien d’offrir un havre à ceux qui en ont véritablement besoin. On n’offre pas cette protection pour que les immigrants ne pouvant ou ne voulant pas acquérir le statut de résident permanent de la manière habituelle disposent d’un mode rapide et aisé d’obtention de ce statut. On ne peut choisir entre devenir réfugié dans un pays et devenir citoyen d’un autre (Grygorian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 111 FTR 316 (CF 1re inst)) (Grygorian).

 

[59]           Le demandeur cite l’arrêt Williams (au paragraphe 22) pour affirmer que la qualité de réfugié sera refusée à un demandeur d’asile, même s’il craint avec raison d’être persécuté dans un pays, « s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel il n’a aucune crainte fondée d’être persécuté ».

 

[60]           Le demandeur souligne que la Cour a constamment jugé qu’un demandeur d’asile a en son pouvoir d’obtenir une telle citoyenneté, de sorte que sa demande doit être rejetée s’il dispose d’un droit « automatique » à la citoyenneté dans un pays sûr (Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 296; M.R.A. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 207; De Barros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 283; Grygorian; Bouianova c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 67 FTR 74).

 

[61]           Le demandeur soutient que la question en litige en l’espèce est de savoir si une personne peut avoir en son pouvoir d’acquérir une citoyenneté même si elle n’a pas un droit « automatique » à cette citoyenneté.

 

[62]           Le demandeur invoque l’arrêt Williams (au paragraphe 22) pour faire valoir le principe qu’une personne peut avoir en son pouvoir d’acquérir la citoyenneté d’un pays même lorsqu’elle doit accomplir davantage que de « simples formalités », comme déposer les documents requis. La Cour d’appel fédérale a déclaré, dans l’arrêt Williams, qu’un demandeur d’asile verra sa demande rejetée s’il est en son pouvoir d’acquérir la citoyenneté d’un autre pays (au paragraphe 27) : « lorsque la citoyenneté d’un autre pays peut être réclamée, le demandeur est censé entreprendre des démarches pour l’obtenir et [...] il se voit refuser la qualité de réfugié s’il est démontré qu’il était en son pouvoir d’acquérir cette autre citoyenneté ».

 

[63]           Selon le demandeur, la décision Crast laisse sans réponse la question de savoir si, même quand cela n’est ni assuré ni automatique, une personne peut avoir en son pouvoir d’acquérir la citoyenneté d’un tiers pays sûr en certaines circonstances. Le demandeur invoque la décision Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CF 583, où la Cour a jugé qu’une personne n’avait pas en son pouvoir d’acquérir la citoyenneté d’un pays lorsque les autorités y disposaient du pouvoir discrétionnaire de rejeter sa demande de citoyenneté (voir aussi Mijatovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 685).

 

[64]           Le demandeur souligne que la Commission a conclu que la réintégration dans la nationalité chinoise échappait au contrôle des défendeurs. Tout en admettant que les défendeurs avaient le droit de demander cette réintégration, la Commission a affirmé que l’acceptation d’une telle demande était incertaine. Selon le demandeur, l’interprétation de la Commission est [traduction] « trop restrictive et incompatible avec le principe du caractère de substitution de la protection des réfugiés ». La décision de la Commission incite en outre à procéder à la recherche du pays le plus accommodant.

 

[65]           Le demandeur affirme qu’il ressort de la preuve dont la Commission disposait que les défendeurs pouvaient obtenir havre et protection en Chine s’ils devaient être exposés à un risque aux Îles Salomon. Lorsque les émeutes ont éclaté dans ce pays en avril 2006, le gouvernement chinois a fait évacuer vers la Chine la défenderesse adulte et ses deux plus jeunes enfants.

 

[66]           Le demandeur souligne que la Commission n’a mentionné aucun élément de preuve montrant qu’il était plus probable qu’improbable que les défendeurs n’obtiendraient pas la nationalité chinoise s’ils en faisaient la demande. La Commission a plutôt simplement supposé que les défendeurs pourraient ne pas obtenir cette citoyenneté parce qu’ils avaient quatre enfants. Les autorités chinoises ont toutefois déjà reconnu l’existence d’un lien des défendeurs avec la Chine, et elles leur ont déjà offert protection.

 

[67]           Le demandeur souligne que la Chine et l’Australie ont déjà offert havre et protection aux défendeurs mais que malgré cela ces derniers, plutôt que de demander la réintégration dans la nationalité chinoise, ou l’obtention de cette nationalité, ont choisi de demander l’asile au Canada. La Commission aurait donc commis une erreur en concluant que les défendeurs n’étaient pas tenus de demander la réintégration dans la nationalité chinoise avant de pouvoir obtenir l’asile au Canada.

 

[68]           Le demandeur fait remarquer que les défendeurs ne traitent pas directement dans leurs observations de la question de savoir si un individu peut avoir le pouvoir d’acquérir la citoyenneté d’un pays tiers. Une demande d’asile devrait être rejetée dans une telle situation, selon l’arrêt Williams, même si l’intéressé ne dispose pas d’un droit « automatique » à la citoyenneté. Le demandeur considère qu’il s’agit d’une question ayant joué un rôle central dans la décision de la Commission, étant donné que celle‑ci a conclu que l’arrêt Williams ne s’appliquait pas puisqu’on ne pouvait dire avec certitude que la demande de citoyenneté chinoise des défendeurs serait approuvée et n’a pas cherché à savoir si l’on pouvait néanmoins dire dans les circonstances qu’il était toujours en leur pouvoir d’obtenir cette citoyenneté.

 

Les défendeurs

 

[69]           Les défendeurs font valoir que la preuve documentaire comprenait un article sur les Îles Salomon dans lequel il était écrit ceci :

[traduction] Les émeutes d’avril étaient dans une certaine mesure préméditées. Les violences étaient stratégiquement ciblées et, avant qu’elles n’éclatent, des indices auraient dû avertir la police d’éventuels troubles. Vu l’absence de renseignements communiqués au commissaire de police et l’absence apparente de tout plan d’urgence pour parer aux événements d’une éventuelle journée explosive, associées au travail médiocre de la police de la RAMSI et au manque de coordination entre celle‑ci et la police locale, des modifications à long terme seront nécessaires si l’on veut que la RAMSI demeure crédible.

 

 

[70]           Les défendeurs ajoutent que l’on mentionne aussi dans l’article que la corruption et la mauvaise gestion sont endémiques au sein du gouvernement des Îles Salomon et que les émeutes de 2006 étaient préméditées et visaient clairement la population chinoise. Les défendeurs soulignent également qu’une réponse à une demande d’information a confirmé que cette population avait été ciblée et qu’une bonne partie du quartier chinois avait été détruite, et que cela avait conduit le gouvernement chinois à faire transporter 325 citoyens par avion vers la Chine. Beaucoup de citoyens d’origine chinoise ont tout perdu lors des émeutes. Une année après les émeutes, on n’avait encore rien reconstruit dans le quartier chinois de la capitale et un avis aux voyageurs a été émis qui conseillait à ces derniers d’éviter les Îles Salomon en raison de la violence qui y sévissait. Le Département d’État des États‑Unis a émis un avis aux voyageurs semblable et des troupes australiennes ont été envoyées aux Îles Salomon pour y rétablir le calme.

 

[71]           Les défendeurs font aussi valoir que, parmi les éléments de preuve dont la Commission disposait, l’article 13 de la loi de la République populaire de Chine sur la nationalité prévoyait ce qui suit :

[traduction] Les ressortissants étrangers qui ont déjà eu la nationalité chinoise peuvent demander de recouvrer la nationalité chinoise s’ils ont des raisons valables; celui dont la demande de recouvrer la nationalité chinoise a été approuvée ne peut plus conserver sa nationalité étrangère.

 

 

[72]           Les défendeurs citent également le passage suivant d’une réponse à une demande de renseignements :

[traduction] Il est possible de recouvrer la nationalité chinoise après qu’elle a été perdue. Pour ce faire, l’intéressé doit d’abord renoncer à son autre nationalité et présenter un document qui l’atteste, par exemple une preuve de renonciation à l’autre nationalité, ainsi qu’une demande de réintégration dans la nationalité chinoise adressée aux autorités de la Chine. Les demandes d’acquisition, de perte ou de recouvrement de la citoyenneté peuvent être présentées et traitées à l’étranger, par l’entremise des consulats et des ambassades de la Chine, ou en Chine même, par l’entremise du ministère de la Sécurité publique.

 

 

            Témoignages des défendeurs à l’audience

 

 

[73]           Geoffrey, le défendeur adulte, a exposé en détail à l’audience les problèmes auxquels les autres membres de sa famille et lui‑même ont été confrontés aux Îles Salomon. Les défendeurs soulignent qu’ils ont aussi présenté à l’audience des réponses aux demandes d’information provenant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans lesquelles il était écrit ce qui suit :

[traduction]

 

[l]e climat prédominant de criminalité accompagné de fréquentes éruptions de violence, d’extorsion répandue et de la capacité affaiblie de la police royale des Îles Salomon, dont les dirigeants entretenaient des liens avec des bandes de criminels, ont nettement nui au rétablissement de la situation.

 

Depuis la fin de 2002, l’engagement continu du gouvernement envers la réforme et la discipline financière a été de plus en plus affaibli par l’extorsion et autres méthodes d’intimidation utilisées par les bandes de criminels contre le gouvernement des Îles Salomon. L’assassinat de Sir Fred Soaki, ancien commissaire de police (1982-1996) et conseiller national pour la paix, à Auki le 10 février 2003 ainsi que la fermeture de deux jours des banques commerciales à Honiara à la fin du mois de mai, en raison de menaces, ont souligné la gravité de la criminalité dans les Îles Salomon.

 

 

[74]           Les défendeurs ont conclu sur ce point en soulignant que Shirley, la défenderesse adulte, avait déclaré à l’audience que, même avant les émeutes d’avril 2006, la police n’avait aucunement réagi lorsque son époux et elle avaient été victimes de vols à leur magasin. La défenderesse adulte a ajouté dans son témoignage qu’un individu avait blessé son époux à la tête et à l’œil avec un marteau et que les policiers avaient alors dit qu’ils [traduction] « n’[avaient] pas de véhicule pour se rendre sur les lieux » et n’avaient jamais donné suite à l’affaire.

 

Conclusions de la Commission

 

[75]           Selon les défendeurs, la Commission a tiré deux importantes conclusions : (1) elle les a jugés crédibles, et (2) elle a accepté leurs explications quant aux éléments omis dans le FRP. Les défendeurs font valoir que, comme le ministre n’a pas contesté ces conclusions, on doit tenir pour avérés, aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, les faits qu’ils ont allégués.

 

[76]           Les défendeurs soutiennent également que la conclusion sur la protection de l’État tirée par la Commission était raisonnable, compte tenu des éléments dont elle disposait concernant les actes de violence, nombreux et répétés, dont ils ont été victimes sur une longue période de temps et le défaut répété des autorités de les protéger et de la preuve documentaire attestant de l’absence de protection par les policiers.

 

[77]           Les défendeurs insistent sur le fait que la Commission a jugé le témoignage de Geoffrey crédible. Comme le demandeur n’a pas allégué que la Commission avait commis une erreur en ce qui concerne la crédibilité, c’est à juste titre que cette dernière s’est appuyée sur leur preuve selon laquelle ils n’avaient pu obtenir à plusieurs reprises la protection de l’État.

 

[78]           Les défendeurs relèvent que le demandeur n’a pas allégué l’existence d’autres moyens de protection, ni l’absence d’efforts de leur part pour obtenir une protection. La preuve montre que les défendeurs ont fait des efforts, mais sans succès, et qu’ils ont subi de graves préjudices. La preuve présentée suffisait amplement à étayer la conclusion que l’État n’avait pas pu les protéger.

 

[79]           Les défendeurs invoquent le passage suivant de l’arrêt Carrillo (au paragraphe 30) :

30     À mon humble avis, il ne suffit pas que la preuve produite soit digne de foi; elle doit aussi avoir une valeur probante. Pensons par exemple au cas d’éléments de preuve dénués de pertinence : ils seront peut‑être dignes de foi, mais ils n’auront aucune valeur probante. Non seulement la preuve doit être digne de foi et avoir une valeur probante, mais il faut aussi que cette valeur probante se révèle suffisante pour satisfaire à la norme de preuve applicable. La preuve aura une valeur probante suffisante si elle convainc le juge des faits de l’insuffisance de la protection accordée par l’État considéré. Autrement dit, le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante.

 

 

[80]           Selon les défendeurs, la Commission devait décider s’ils s’étaient acquittés de leur fardeau de preuve et avaient démontré l’absence de protection de l’État au moyen d’une preuve digne de foi, ayant valeur probante et qui satisfaisait à la norme de preuve applicable. La Commission a jugé que la preuve présentée par les défendeurs satisfaisait à cette norme. L’emploi par la Commission de l’expression « donne à penser » n’était qu’une façon de dire que la preuve révélait l’absence de protection de l’État. La formulation utilisée n’était donc pas incorrecte et dénotait que la Commission estimait plus probable qu’improbable que la protection de l’État ne serait pas disponible.

 

[81]           Pour ce qui est de l’appréciation de la preuve, les défendeurs font valoir que plusieurs principes fondamentaux se dégagent de la jurisprudence. Ainsi, la Commission n’a pas besoin de traiter de chacun des éléments de preuve documentaire et a le droit de prêter foi à leur preuve concernant ce qui leur était arrivé. Les défendeurs relèvent à cet égard que la Commission a estimé la preuve documentaire lacunaire, qu’elle les a jugés crédibles et qu’elle a accepté leur version des faits concernant les agressions répétées dont le défendeur adulte avait fait l’objet et l’incapacité des autorités d’assurer leur protection.

 

[82]           Les défendeurs concluent que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la conclusion de la Commission n’avait rien de déraisonnable.

 

Citoyenneté chinoise

 

[83]           Les défendeurs disent d’abord sur ce point que le ministre n’a pas soulevé la question de l’existence en Chine d’autres modes de protection, ne mettant pas en cause la citoyenneté, et que la Commission n’avait pas à connaître de cette question. Ainsi, le simple fait que la Chine ait évacué certains des défendeurs n’était pas pertinent ni n’avait de valeur probante au regard de la question soumise à la Commission.

 

[84]           En ce qui concerne la citoyenneté, les défendeurs soutiennent qu’il n’y a qu’une seule question à trancher, énoncée dans l’arrêt Williams : l’intéressé est‑il un citoyen d’un pays, ou est‑il en mesure d’acquérir la citoyenneté d’un pays? Les défendeurs citent le passage suivant de Williams (au paragraphe 22) :

[...] Le véritable critère est, selon moi, le suivant : s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel il n’a aucune crainte fondée d’être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme « acquisition de la citoyenneté de plein droit » ou « par l’accomplissement de simples formalités » aient été employées, il est préférable de formuler le critère en parlant de « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur », car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d’asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l’aspect « subsidiaire » de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l’arrêt Ward et, contrairement à ce que l’avocat de l’intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du « contrôle » exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l’occurrence le fait que l’absence de « volonté » du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l’État entraîne le rejet de sa demande d’asile à moins que cette absence s’explique par la crainte même de persécution. Le paragraphe 106 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, [Genève, 1992] précise bien que « [c]haque fois qu’elle peut être réclamée, la protection nationale l’emporte sur la protection internationale ». Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada fait observer, à la page 752, que « [l]orsqu’il est possible de l’obtenir, la protection de l’État d’origine est la seule solution qui s’offre à un demandeur ».

 

[85]           Les défendeurs estiment que la Commission n’a pas commis d’erreur, particulièrement si l’on tient compte des lois de la Chine en matière de citoyenneté. Les défendeurs soulignent que la Commission s’est penchée sur la situation et a relevé à juste titre qu’ils n’avaient pas la citoyenneté chinoise puisqu’à chaque fois qu’ils étaient retournés en Chine, ils avaient dû obtenir des visas temporaires. La Commission a pris la preuve en considération et appliqué le critère de l’arrêt Williams, puis elle a fait observer que, sur le fondement de la preuve, les défendeurs ne disposaient pas d’un droit automatique à la citoyenneté. La Commission a donc fait exactement ce qu’elle devait faire.

 

[86]           Selon les défendeurs, le demandeur tente de laisser croire [traduction] « qu’il incombait au tribunal de connaître la nature du pouvoir discrétionnaire qu’on exercerait en Chine ». Aucune preuve n’avait toutefois été présentée sur ce point, et les seuls éléments soumis montraient, outre l’existence d’un pouvoir discrétionnaire, que le résultat ne pouvait être prévu avec certitude. En l’absence de preuve quant à l’issue éventuelle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, la Commission n’a pas conclu de manière déraisonnable qu’il n’avait pas été satisfait au critère de l’arrêt Williams.

 

[87]           Les défendeurs font également valoir qu’on ne prévoit pas dans l’arrêt Carrillo un fardeau de preuve plus élevé. La question en litige n’est pas liée à celle de la protection de l’État, mais est plutôt une question de fait que la Commission doit trancher en fonction du critère énoncé dans l’arrêt Williams, indépendamment de celle de la protection de l’État.

 

[88]           Selon les défendeurs, il faut se demander s’il suffit ou non d’accomplir de simples formalités pour obtenir la citoyenneté. La Commission a déclaré qu’au vu de la preuve présentée, tel ne serait pas le cas pour les défendeurs. Les défendeurs citent à cet égard le paragraphe 32 de l’arrêt Williams :

32     Quatrièmement, on ne saurait prétendre qu’une personne est privée de son droit de citoyenneté lorsqu’on lui offre la possibilité de renoncer à la citoyenneté d’un pays où elle court le risque d’être persécutée en échange de l’acquisition de plein droit de la citoyenneté d’un pays où elle ne s’expose à aucun risque. On gagne d’un côté ce que l’on perd de l’autre. De plus, il semble qu’un citoyen rwandais ait un droit automatique, naturel et historique à la citoyenneté rwandaise même s’il y a renoncé en vue d’acquérir une citoyenneté étrangère (Rapport sur le Rwanda, octobre 2002, paragraphes 5.3 à 5.5 et note infrapaginale 25g), dossier d’appel, vol. 1, onglet A, pages 119 et 165).

 

 

[89]           D’après les défendeurs, nulle jurisprudence n’étaye la prétention du demandeur qu’on peut dans de tels cas inférer qu’il y aura acquisition de la citoyenneté. Les défendeurs soutiennent que la question évoquée par le demandeur concernant l’existence d’une protection subsidiaire en Australie et en Chine n’avait pas non plus été soulevée. Aucune preuve ne permet de tirer une conclusion d’exclusion fondée sur la section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1951 par une conférence de plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides convoquée par l’Organisation des Nations Unies en application de la résolution 429 (V) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1950, entrée en vigueur le 22 avril 1954, conformément aux dispositions de l’article 43 (la Convention). Il faudrait, pour tirer une telle conclusion, la preuve d’un statut permanent équivalant à la citoyenneté.

 

[90]           Les défendeurs affirment qu’on n’a pas à démontrer de quelle manière le pouvoir discrétionnaire serait exercé dans une décision en matière de citoyenneté. Seule la preuve de l’existence du pouvoir discrétionnaire est requise.

 

ANALYSE

            Protection de l’État

 

[91]           Le demandeur affirme que la Commission a recouru à un critère inapproprié pour l’analyse de la question de la protection de l’État. Pour le démontrer, il fait grand cas de l’emploi par la Commission de l’expression « la preuve documentaire donne à penser que la protection de l’État n’est pas disponible ».

 

[92]           La lecture de l’ensemble de la décision me donne à penser que la Commission n’a pas déplacé le fardeau de preuve en ce qui concerne l’absence de protection de l’État, ni abaissé la norme de preuve. L’argument avancé équivaut à soutenir qu’en déclarant au paragraphe 15 de la décision que « la question consiste à déterminer si ces demandeurs d’asile risquent d’être persécutés aux Îles Salomon du fait de leur origine ethnique chinoise », la Commission impose aux défendeurs un fardeau trop élevé en les obligeant à démontrer qu’ils seront exposés à la persécution et seront pris personnellement pour cibles. À mon avis, pour bien comprendre le sens de telles déclarations, il convient de les interpréter en tenant compte de la décision dans son ensemble.

 

[93]           L’on ne doit pas interpréter l’expression « donne à penser » isolément pour en déduire que, selon la Commission, il suffit de laisser entendre que la protection de l’État n’est pas adéquate. La Commission emploie manifestement l’expression dans son sens familier pour dire quelque chose comme [traduction] « démontre » ou « révèle ». L’ensemble de la décision permet aussi de constater qu’en ce qui concerne la protection de l’État, la Commission a beaucoup insisté sur la preuve originale présentée par les défendeurs. Ainsi, lorsque la Commission s’est tournée vers la preuve documentaire, c’était en fait pour dire qu’elle étayait cette preuve originale.

 

[94]           À mon avis, l’on n’a ainsi ni transféré le fardeau de preuve ni imposé une obligation moins rigoureuse aux défendeurs, qui doivent démontrer par une preuve claire et convaincante, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État n’est pas adéquate.

 

[95]           Je ne puis conclure, en fonction de la norme de la décision correcte, qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise sur ce point.

 

Examen de la preuve

 

[96]           Le demandeur fait également valoir que la Commission a examiné de façon sommaire la preuve dont elle disposait sur la question de la protection de l’État. La Commission aurait en fait transféré le fardeau de preuve au ministre en l’obligeant à prouver que la protection de l’État n’était pas insuffisante, et ce, alors que la documentation sur le pays était lacunaire.

 

[97]           Il est vrai que la Commission a elle‑même reconnu que « la documentation se révél[ait] lacunaire pour aider le tribunal à déterminer le traitement actuel réservé aux personnes de descendance chinoise aux Îles Salomon ». Le mot « lacunaire » peut dénoter l’insuffisance dans certains contextes; il peut aussi s’entendre du petit nombre ou de la petite quantité. Pour ce qui est de la décision, celui qui l’a rédigée avait à l’esprit le deuxième sens étant donné qu’il a estimé que, quoique moins de documentation ait été disponible pour les Îles Salomon que pour d’autres régions du monde, elle était néanmoins suffisante pour qu’il puisse conclure qu’elle étayait les prétentions des défendeurs et leur compte rendu de la situation aux Îles Salomon.

 

[98]           Je crois qu’en fait le demandeur estime que la preuve était insuffisante pour étayer les conclusions de la Commission quant au caractère inadéquat de la protection de l’État. Comme le demandeur l’a toutefois lui‑même souvent souligné à la Cour dans d’autres affaires, il ne m’est pas loisible de simplement apprécier la preuve de nouveau pour arriver à une conclusion différente qui lui soit favorable.

 

Caractère prospectif du risque

 

[99]           Le demandeur affirme également que la Commission n’a pas procédé à une évaluation prospective du risque. Cela semble toutefois contredit par la description que la Commission fait de sa propre démarche. Lorsqu’elle mentionne la « documentation objective sur le pays » au paragraphe 16, la Commission indique clairement que son évaluation porte sur « le traitement actuel réservé aux personnes de descendance chinoise aux Îles Salomon » (non souligné dans l’original), et, au paragraphe 24, elle énonce sa conclusion finale quant au risque : « les demandeurs d’asile risquent d’être persécutés » et « la protection de l’État n’est pas disponible ».

 

[100]       Encore une fois, je crois que ce dont le demandeur se plaint véritablement est du fait que la preuve présentée n’étaye pas, selon lui, les conclusions tirées quant au risque prospectif.

 

[101]       Faisant abstraction de la question de la citoyenneté, j’estime ainsi en dernière analyse que le demandeur demande en fait à la Cour d’examiner la preuve disponible et de décider si elle étaye ou non les conclusions de la Commission sur le risque et sur la protection inadéquate de l’État. Aux fins de cet exercice, je ne dois pas oublier la jurisprudence abondante et les mises en garde formulées dans de nombreuses autres affaires présentées par le demandeur lui‑même, selon lesquelles la Cour n’a pas pour rôle d’apprécier à nouveau la preuve. C’est à la Commission qu’il incombe d’apprécier la preuve. Le demandeur doit pour sa part convaincre la Cour que la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », pour reprendre la formule bien connue employée dans l’arrêt Dunsmuir.

 

Preuve

 

[102]       Il ressort de l’ensemble de la décision que la Commission a fondé ses conclusions sur le témoignage jugé crédible des défendeurs au sujet de leur expérience passée et de leurs craintes pour l’avenir. Le représentant du ministre a expressément mis en doute le témoignage de Geoffrey à l’audience, car celui‑ci avait omis de mentionner certains incidents dans son FRP. La Commission a néanmoins jugé satisfaisantes les explications données par Geoffrey sur ce point, sans émettre la moindre réserve quant à la crédibilité.

 

[103]       La Commission a tiré les conclusions suivantes au paragraphe 24 de la décision :

a)                  les défendeurs risquent d’être persécutés aux Îles Salomon du fait de leur origine ethnique chinoise;

b)                  la preuve documentaire donne à penser que la protection de l’État n’est pas disponible et que, par conséquent, il n’existe pas de possibilité de refuge intérieur.

 

[104]       L’avocate du demandeur a attiré mon attention sur certains éléments précis du dossier où, selon elle, la preuve révèle le caractère indéfendable des conclusions de la Commission. L’avocat des défendeurs a quant à lui renvoyé à d’autres éléments du dossier qui permettaient de considérer raisonnablement viables, selon lui, les conclusions de la Commission. Cela amène inévitablement la Cour à examiner et apprécier la preuve.

 

[105]       Je me suis penché sur chaque élément préoccupant signalé par le demandeur, et je constate que la Commission aurait pu, sur le fondement de la même preuve, tirer d’autres conclusions et donner d’autres interprétations que celles qu’elle a retenues. J’estime, par exemple, qu’il aurait très bien pu être raisonnable de rendre une décision favorable au demandeur relativement aux questions fondamentales du risque et de la protection de l’État. Ce que je ne puis toutefois affirmer, c’est que la décision favorable aux défendeurs n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, et Dunsmuir).

 

Citoyenneté

 

[106]       Le demandeur soutient que sur ce point aussi la Commission a transféré indûment le fardeau de preuve au ministre, celui‑ci devant démontrer cette fois qu’une demande de citoyenneté ne pourrait aucunement être rejetée, et que la citoyenneté serait bel et bien octroyée.

 

[107]       Le demandeur affirme également que, dans l’arrêt Williams, la Cour d’appel fédérale n’a pas traité du problème soulevé en l’espèce. Dans la présente affaire, les autorités chinoises ont le pouvoir discrétionnaire résiduel d’accorder la citoyenneté aux défendeurs. Il est impossible de dire comment ces autorités auraient exercé leur pouvoir discrétionnaire si les défendeurs leur avaient présenté des demandes de citoyenneté.

 

[108]       Dans une telle situation, selon le demandeur, il incombe aux défendeurs de produire des éléments de preuve montrant qu’ils ne pourront acquérir la citoyenneté, de la même manière qu’il leur faut démontrer qu’ils ne disposeront pas d’une protection adéquate de l’État s’ils devaient retourner aux Îles Salomon. Le demandeur ajoute que le ministre aurait sinon pour tâche impossible de devoir prouver que les autorités chinoises ne refuseraient pas la citoyenneté aux défendeurs s’ils la lui demandaient.

 

[109]       Le conseil du ministre a soulevé cette question précise devant la Commission, qui l’a abordée expressément dans la décision. La Commission s’est d’ailleurs dite du même avis que le conseil au sujet du fardeau et de la norme de preuve (au paragraphe 32 de la décision) :

Au paragraphe 10 de ses observations, le représentant de la ministre mentionne ceci : [traduction] « La question devient donc la suivante : selon la prépondérance des probabilités, est‑il probable que les demandeurs d’asile obtiennent la nationalité de la RPC si ceux‑ci en font la demande? » Le tribunal est d’accord, il s’agit de la bonne question à poser.

 

 

[110]       Encore une fois, c’est au sujet de la preuve disponible sur ce point que la Commission n’a plus été d’accord avec le demandeur, comme on peut le voir au paragraphe 33 de la décision :

C’est ici que le tribunal n’est pas d’accord. En effet, le tribunal estime que les éléments de preuve montrent que la réintégration dans la nationalité chinoise ne serait ni garantie, ni automatique, ni une simple formalité.

 

 

[111]       Il s’agit donc de décider en l’espèce si les défendeurs devaient démontrer autre chose que l’obtention de la citoyenneté ne serait pas une simple formalité s’ils présentaient une demande en ce sens. Devaient‑ils démontrer qu’il était plus probable qu’improbable que leur demande éventuelle de citoyenneté serait rejetée?

 

[112]       La Commission mentionne elle‑même (au paragraphe 36) que sa décision se fonde sur l’arrêt Williams, dont elle cite un passage clé :

Le tribunal conclut que les demandeurs d’asile ont satisfait aux critères énoncés dans Williams. La réintégration dans la nationalité chinoise échappe à leur contrôle. Même si les demandeurs d’asile auraient pu présenter une demande, les dispositions de la loi chinoise en matière de citoyenneté précisent clairement que l’octroi est loin d’être automatique. Conformément à Williams, les demandeurs d’asile [traduction] « n’ont pas le pouvoir » de l’obtenir.

 

 

[113]       En citant ce passage de Williams, la Commission montre clairement qu’elle savait parfaitement que le critère approprié était celui du « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur », plutôt que d’autres comme celui de « l’accomplissement de simples formalités ».

 

[114]       La Commission montre aussi qu’elle comprend bien ce qui est en cause en comparant directement la situation en jeu dans l’affaire Williams – « il lui était loisible d’acquérir la citoyenneté ougandaise si le demandeur d’asile avait la volonté de l’obtenir » – et la situation des défendeurs dans la présente affaire :

Dans le cas qui nous occupe, ce n’est pas exactement la question. Les interdictions visant la réacquisition de la nationalité chinoise ne dépendent pas seulement de la renonciation mécanique à leur citoyenneté des Îles Salomon, comme c’était le cas dans Williams. En ce qui a trait à la Chine, le processus n’est pas automatique; il comprend un processus de demande et il exige l’approbation des représentants du gouvernement.

 

[115]       La Commission a donc conclu que les défendeurs avaient « satisfait aux critères énoncés dans Williams ». En effet, selon elle, « [c]onformément à Williams, les demandeurs d’asile [traduction] “n’ont pas le pouvoir” de l’obtenir ».

 

[116]       Qui plus est, en appliquant Williams, la Commission a bien expliqué pourquoi, selon elle, les défendeurs n’avaient pas le pouvoir d’acquérir la citoyenneté chinoise :

40.       Compte tenu du fait que ces demandeurs d’asile ont quatre enfants, il est impossible de dire avec certitude que la demande serait approuvée. La preuve afférente à ce qui pourrait se produire à leur retour est équivoque et, par conséquent, incertaine. Par ailleurs, dans ses observations, le représentant de la ministre mentionne, à la lumière d’un des documents de la Commission, que, généralement, les personnes qui retournent [...] sont accueillies chaleureusement et les enfants nés à l’extérieur de la Chine sont largement pardonnés. Le même document confirme pourtant que les principes de la politique de l’enfant unique demeurent en vigueur et, selon ce qui est indiqué, s’appliquent aux Chinois qui reviennent de l’étranger et à leur famille. Le même document laisse sous‑entendre que des amendes sociales représentant de trois à six fois le revenu net moyen par tête s’appliqueraient pour toute violation à la politique sur la planification familiale et ce même document mentionne une tentative de la part des autorités d’obliger une femme qui était retournée à mettre fin à sa grossesse (la demande a été par la suite retirée).

 

41.       Les demandeurs d’asile adultes ont également témoigné au sujet de leurs inquiétudes face à leur retour en Chine. Ils ont affirmé avoir fait enquête, et il leur a été dit qu’ils devraient, au mieux, verser une amende importante, et, au pire, se faire stériliser. Dans le contexte de la politique de l’enfant unique de l’État, il est raisonnable de conclure que les demandeurs d’asile craignaient de demander de nouveau la nationalité chinoise.

 

 

[117]       La preuve dont a été saisie la Commission démontre que les défendeurs n’avaient pas le pouvoir d’obtenir la citoyenneté chinoise, soit le critère établi dans l’arrêt Williams. À eux seuls, les enfants seraient la source de divers problèmes et Shirley a déclaré dans son témoignage qu’elle serait probablement forcée de subir une stérilisation.

 

[118]       Le demandeur fait en outre valoir que les défendeurs sont tenus de prouver qu’il était plus probable qu’improbable que leur demande de citoyenneté en Chine serait refusée. Lors de l’audience relative à la demande d’asile et dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a en fait également allégué que les défendeurs étaient tenus de prouver qu’ils avaient fait une demande de citoyenneté en Chine et que cette demande avait été refusée.

 

[119]       Selon moi, c’est à bon droit que la Commission a rejeté cet argument au motif qu’il était contraire à l’arrêt Williams. Cet argument démontre toutefois vers où le demandeur veut pousser l’examen de la question. À mon avis, étendre l’examen au‑delà de l’arrêt Williams afin de faire ce que le demandeur sollicite aurait pour effet d’imposer un fardeau intolérable à des personnes dans une situation telle que celle des défendeurs.

 

[120]       Les défendeurs ont certainement le pouvoir de présenter une demande de citoyenneté en Chine, mais, selon la preuve, ceux‑ci n’avaient pas le pouvoir de l’obtenir et la Commission a constaté, au vu de la preuve, qu’ils ont éprouvé de grandes difficultés dans le cadre de ce processus.

 

[121]       J’estime ainsi que la Commission a appliqué correctement l’arrêt Williams aux faits d’espèce. Je ne puis déceler aucune erreur de droit sur ce point, et la conclusion tirée en appliquant le droit aux faits appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[122]       Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la demande doit être rejetée.

 

[123]       Les avocats sont priés de signifier et de déposer leurs observations au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours de la réception des présents motifs de jugement. Chaque partie aura trois jours de plus pour signifier et déposer toute réponse aux observations de l’autre partie, à la suite de quoi, le jugement sera rendu.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER DE LA COUR :              IMM‑4223‑08

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

c.

 

SHIRLEY WU CAI HUA MA et autres

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 juillet 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Banafsheh Sokhansanj                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne Waldman                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

                       

Lorne Waldman                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

Waldman et associés

Toronto (Ontario)

 

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