Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                      

 

Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090811

Dossier : IMM-570-09

Référence : 2009 CF 819

Ottawa (Ontario), le 11 août 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

ARIEL AVILA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 12 janvier 2009 (la décision) par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent), qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.  

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen colombien de 37 ans. Son épouse, Dre Sandra Mendosa, et lui‑même ont deux enfants âgés de 10 et 18 ans. Tous sont citoyens de la Colombie et d’aucun autre pays. Sandra Mendosa et les enfants se sont vu reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention le 3 décembre 2008 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR). Sandra a été persécutée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) à titre de représailles contre le demandeur, qui craint maintenant, s’il est renvoyé en Colombie, d’être à nouveau persécuté par les FARC en raison de ses activités passées pour s’opposer à celles-ci.

 

[3]               Le demandeur déclare qu’il occupait un poste de directeur et de diffuseur à la station de radio chrétienne familiale à Tunja, Boyacá, en Colombie. La station radiophonique préconisait la paix et s’opposait à la guerre civile en Colombie. Les guérilleros des FARC estimaient que ce message portait atteinte à leurs objectifs révolutionnaires. Le demandeur affirme que des membres des FARC l’ont menacé de mort s’il persistait à le transmettre. Il a toutefois continué à le faire, et en juillet 1998, les FARC ont déclaré qu’il constituait une cible militaire et qu’il avait signé son arrêt de mort.

 

[4]               Le demandeur et son frère, Hayder Avila, ont quitté leur famille respective pour fuir les guérilleros des FARC en Colombie. Le demandeur s’est enfui de la Colombie le 15 janvier 1999 et s’est rendu aux États-Unis. Son frère Hayder a quitté la Colombie le 31 mars 2000 et est aussi allé aux États-Unis. Ils sont tous deux arrivés au Canada à Fort Erie, en passant par Viva la Casa à Buffalo, le 24 décembre 2004. On leur a donné rendez-vous et demandé de revenir pour une entrevue le 19 janvier 2005, puis on les a renvoyés aux États-Unis. Par la suite, Hayder s’est présenté à son entrevue, mais le demandeur n’est pas revenu, de peur d’être déporté. Le Canada a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention à Hayder le 21 juillet 2005.

[5]               Le demandeur, son épouse et leurs enfants sont arrivés à Fort Erie, en Ontario, le 15 mai 2008 pour présenter une demande d’asile conjointe. Immigration Canada a informé le demandeur qu’il était réputé s’être désisté de sa demande d’asile, et on a inscrit sa demande dans le processus d’ERAR. Son épouse et ses enfants ont pu présenter une demande d’asile.  

 

[6]               Le demandeur a été jugé interdit de territoire au Canada parce qu’il avait été déclaré coupable aux États-Unis d’avoir conduit en état d’ébriété. Il a plus tard été accusé au Canada d’avoir commis des voies de fait à l’égard de son épouse, mais il a obtenu l’absolution sous conditions. Une mesure d’expulsion a été prise contre le demandeur le 21 juin 2007.

 

[7]               Le 25 juin 2007, le demandeur a présenté une première demande d’ERAR, avec documents à l’appui mais sans être représenté par un avocat, en raison de ce qu’il a qualifié de [traduction] « rupture dans la relation avec son avocat la semaine précédant l’échéance de la demande d’ERAR ». Les FRP de l’épouse et du frère du demandeur, qui étaient en possession du même avocat, n’ont pas été déposés. La première demande d’ERAR du demandeur a été rejetée par décision en date du 1er mai 2008, et le 20 octobre 2008, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire introduite en Cour fédérale à l’égard de ce premier refus a aussi été rejetée.

 

[8]               Le 15 décembre 2008, le demandeur et son épouse ont déposé (au nom de son épouse) des demandes de résidence permanente au Canada. Ces demandes sont actuellement sous étude.

 

[9]               Le demandeur a déposé une seconde demande d’ERAR le 21 décembre 2008. Le 4 février 2009, il a reçu un avis l’informant que cette seconde demande avait été rejetée le 12 janvier 2009.

 

[10]           Le demandeur a présenté à la Cour fédérale une première requête de sursis qui a été refusée, mais il a obtenu deux reports, l’un pour lui permettre de se procurer des titres de voyage, l’autre en attendant la décision relative à sa seconde demande d’ERAR. Le demandeur a obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le 25 février 2009.

 

DÉCISION CONTESTÉE

 

[11]           L’agent a relevé que le demandeur avait inclus dans ses observations des éléments de preuve antérieurs à la décision défavorable d’ERAR rendue le 1er mai 2008. Ces éléments comprenaient une copie de la décision de la CISR concernant Hayden Rodriguez, en date du 21 juillet 2005, le FRP signé par Sandra Ramirez le 5 juin 2007, et une plainte, traduite, adressée au bureau du procureur général à Duitama, Boyaca, en Colombie, portant la date du 10 décembre 1998. Aucune explication n’exposait pourquoi ces documents n’étaient pas disponibles à l’époque de la première décision d’ERAR, et l’agent ne les a pas pris en considération.

 

[12]           L’agent n’a accordé que peu de valeur à l’affidavit souscrit par Sandra Ramirez le 20 octobre 2008, parce qu’il émane, dit-il, [traduction] « d’une personne qui n’est pas désintéressée de la décision, et n’est pas étayé par une preuve indépendante provenant d’une autorité comme la police ou un représentant du gouvernement ». 

 

[13]           L’agent a aussi tenu compte de la décision rendue par la SPR le 3 décembre 2008, qui reconnaît la qualité de réfugié au sens de la Convention à l’épouse et aux enfants du demandeur. L’agent a conclu : [traduction] « Les décisions de la SPR et d’ERAR sont fondées sur les circonstances particulières de chaque cas. Par conséquent, j’accorde peu d’importance à cet élément de preuve ».

 

[14]           L’agent a également fait remarquer que les demandes de résidence permanente présentées au Canada [traduction] « ne traitent pas des risques auxquels le demandeur craint d’être confronté en Colombie, et je leur accorde peu d’importance ».  

 

[15]           L’agent a estimé que le demandeur avait omis d’établir le lien entre la preuve documentaire objective et les risques prospectifs auxquels il était personnellement exposé, et il a examiné cette preuve en combinaison avec la preuve objective obtenue par des recherches personnelles. 

 

[16]           L’agent a décidé que malgré la persistance des violations des droits de la personne, de la corruption politique et du conflit armé en Colombie, [traduction] « le United States Report on Human Rights rapporte des progrès » et que « bien qu’il y ait immixtion du gouvernement dans les forces paramilitaires de droite, les autorités ont pris contre des hauts fonctionnaires des mesures qui ont donné lieu à des accusations et des arrestations ». L’agent a aussi observé, se fondant sur le Presidential Program Against Kidnapping and Abductions, que [traduction] « le gouvernement a pris des dispositions pour réduire le nombre d’enlèvements ». À son avis, le gouvernement [traduction] « agit contre des paramilitaires démobilisés, même si l’appareil judiciaire est sous‑financé et débordé » et a mis en place [traduction] « un programme qui encourage et aide les membres des FARC à déserter ce groupe illégal ».

 

[17]           L’agent conclut ses remarques sur la preuve documentaire en déclarant : [traduction] « même si la situation en Colombie est loin d’être parfaite, et bien qu’il existe encore des groupes terroristes et paramilitaires actifs qui représentent un danger pour la population en général, le gouvernement réussit davantage à limiter les effets négatifs de ces organisations. Une recherche personnelle révèle également que les autorités prennent des mesures contre la corruption politique et les violations des droits de la personne perpétrées par les forces policières. »

 

[18]           Après avoir relevé que le demandeur réside à l’extérieur de la Colombie depuis neuf ans et que la mère de ce dernier a été forcée de déménager en 2004 et en 2007 parce qu’elle recevait des appels téléphoniques menaçants de membres des FARC qui voulaient savoir où se trouvaient le demandeur et son frère, l’agent a néanmoins conclu que [traduction] « cette affirmation n’est pas corroborée par des éléments de preuve provenant de la mère du demandeur ou d’autres sources indépendantes ». L’agent a rappelé le but de l’ERAR et indiqué que [traduction] « la preuve disponible n’établit pas que le demandeur présente un intérêt pour les guérilleros en Colombie ». L’agent a conclu : [traduction] « il n’existe pas de possibilité sérieuse que les guérilleros des FARC soient intéressés à nuire au demandeur s’il retourne en Colombie ».

 

[19]           L’agent a estimé que le demandeur n’était pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté comme l’indique l’article 96 de la Loi, et qu’il n’existait pas de motifs sérieux de croire que le demandeur risquait d’être soumis à la torture. Il n’y avait pas non plus de motifs raisonnables de croire que le demandeur était exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peine cruels et inusités, ainsi qu’il est prévu aux alinéas 97(1) a) et b) de la Loi, s’il était renvoyé en Colombie.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[20]           Le demandeur formule les questions suivantes, dans le cadre du présent contrôle :

a)                  L’agent a-t-il commis une erreur dans l’interprétation et l’application des articles 96, 97 et 113 de la Loi et du droit régissant la protection de l’État?

b)                  L’agent a-t-il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée ou a-t-il rendu une décision abusive, arbitraire ou prise sans tenir compte d’éléments de preuve dont il disposait?

c)                   L’agent a-t-il dérogé aux principes de justice naturelle, restreint l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou autrement outrepassé ou refusé d’exercer sa compétence?

d)                  Quelle est la norme de contrôle applicable à l’évaluation des demandes d’ERAR?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

 

[22]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent à la présente instance :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[23]           De l’avis du demandeur, la norme de contrôle générale qui s’applique à un refus dans le cadre de l’ERAR est celle de la décision raisonnable. Il cite à cet égard la décision Obeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 61, aux paragraphes 22 à 26.

 

[24]           Le défendeur convient que la norme de contrôle générale est celle de la décision raisonnable, mais il insiste sur le fait qu’il convient de faire preuve d’une grande retenue à l’endroit des conclusions de l’agent. La décision doit être justifiée, transparente et intelligible, et elle doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 47. Le défendeur souligne que la décision en l’espèce appelle tout particulièrement un degré élevé de retenue.

 

[25]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable sont distinctes sur le plan théorique, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a décidé qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de « raisonnabilité ».

 

[26]           La Cour suprême du Canada a également jugé, dans Dunsmuir, qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à l’analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[27]           Dans la décision Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, au paragraphe 22 (Elezi), la Cour fédérale a statué :

Dans l’appréciation des faits nouveaux dont il est question à l’alinéa 113a), il faut considérer deux questions distinctes. La première est celle de savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a interprété la disposition elle-même. C’est là une question de droit, à laquelle s’applique la norme de la décision correcte. Si l’agent n’a commis aucune erreur dans l’interprétation de la disposition, alors la Cour doit encore se demander s’il a commis une erreur dans sa manière d’appliquer la disposition aux circonstances particulières de l’espèce. C’est là une question mixte de droit et de fait, à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

 

[28]           Par conséquent, compte tenu de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions soulevées dans la présente demande est celle de la décision raisonnable, sauf pour ce qui est des questions d’équité procédurale ou de justice naturelle et de la question concernant l’erreur de droit. Dans un contrôle, l’analyse du caractère raisonnable d’une décision s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[29]           Le demandeur a également soulevé une question d’équité procédurale, à l’égard de laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1. J’ai aussi examiné l’erreur de droit alléguée en fonction de la norme de la décision correcte. Voir l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.S. no 46.

 

ARGUMENTS

            Le demandeur

 

[30]           Le demandeur soutient que l’agent a appliqué un critère erroné dans l’appréciation du risque auquel il est exposé et a fait erreur dans l’interprétation et l’application des articles 96, 97 et 113 de la Loi et du droit afférent à la protection de l’État. Pour l’application de la définition de réfugié au sens de la Convention énoncée à l’article 96, il suffit que le demandeur établisse que le risque est fondé et qu’il représente plus qu’une simple possibilité : Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 67 (C.A.F.).

 

[31]           Le demandeur se réfère au paragraphe 10.1(4) du guide opérationnel de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) intitulé Examen des risques avant renvoi (le Guide), à la page 39 :

Le Comité contre la torture a proposé les lignes directrices suivantes :

 

                                                               i.      Le pays visé présente-t-il un dossier d’atteintes répétées, graves, flagrantes et multiples aux droits humains? 

 

                                                             ii.      Le demandeur a-t-il été torturé ou maltraité dans le passé par ou à l’instigation ou avec le consentement ou l’acquiescement d’un officier public ou d’une autre personne agissant à titre officiel? Dans l’affirmative, s’agit-il d’un passé récent?

 

                                                            iii.      Existe-t-il une preuve médicale ou autre preuve indépendante au soutien de la demande démontrant qu’il a été torturé ou maltraité dans le passé? La torture a-t-elle laissé des séquelles?

 

                                                           iv.      La situation évoquée au paragraphe a) a-t-elle changé? La situation interne en matière de droits humains a-t-elle changé?

 

                                                             v.      Le demandeur s’est-il engagé dans des activités politiques ou autres activités à l’intérieur ou à l’extérieur du pays visé ayant pour effet de le rendre particulièrement vulnérable au risque de torture s’il était expulsé, renvoyé ou extradé dans le pays visé?

 

                                                           vi.      Y a-t-il des faits contradictoires dans le cadre de la demande?

 

 

[32]           Le demandeur allègue que l’agent n’a pas appliqué les lignes directrices pour l’évaluation du risque, et soutient que son cas s’inscrit tout à fait dans le champ d’application des lignes directrices, pour les motifs suivants :

                        [traduction]

a)      L’agent disposait d’une preuve crédible et digne de foi que des atteintes répétées, graves, flagrantes et multiples aux droits humains étaient toujours commises par les FARC, notamment l’enlèvement et l’exécution d’opposants politiques présumés, perpétrés par le groupe même qui a agressé le demandeur et sa famille en Colombie (réponse à la demande d’information COL 102779.FE en date du 9 avril 2008; rapport d’Amnistie Internationale de juillet 2008 sur la Colombie; US Department of State Country Reports in Human Rights Practices concernant la Colombie, en date du 11 mars 2008; rapport annuel du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et rapports du Bureau du Haut Commissaire et du secrétaire général en date du 28 février 2008);

 

b)      Une preuve corroborante indépendante avait été soumise à l’agent, à savoir la décision de la CISR en date du 3 décembre 2008 reconnaissant la qualité de réfugiés au sens de la Convention à l’épouse et aux enfants du demandeur. Cette décision était fondée sur l’exposé circonstancié du FRP de son épouse et sur le témoignage de celle-ci;

 

c)      L’agent disposait d’une preuve documentaire considérable portant que la situation n’avait pas changé en Colombie depuis le départ du demandeur (rapport d’Amnistie Internationale de juillet 2008 sur la Colombie; US Department of State Country Reports in Human Rights Practices concernant la Colombie, en date du 11 mars 2008);

 

d)      La déclaration du demandeur selon laquelle il s’est engagé dans des activités politiques ou autres activités à l’intérieur ou à l’extérieur de son pays semble avoir pour effet de le rendre particulièrement vulnérable au risque de torture. L’agent a reconnu ce fait.

 

e)      Il n’y a pas de faits contradictoires dans le cadre de la demande.

 

 

[33]           Le demandeur estime qu’en interprétant et en appliquant les propres lignes directrices du défendeur suivant leur sens ordinaire, il a fait la preuve d’un risque fondé de persécution.

 

[34]           En ce qui concerne l’article 97 de la Loi, le demandeur soutient que la norme de preuve applicable à l’appréciation d’un risque de torture ou d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités consiste à déterminer s’il est plus probable qu’improbable qu’il soit exposé à un risque à sa vie ou au risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités : Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1. Le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur en appliquant la mauvaise norme de preuve. Étant donné que les erreurs de droit donnent lieu à révision suivant la norme de la décision correcte, la décision de l’agent doit être annulée : arrêt Pushpanathan.

 

[35]           De l’avis du demandeur, l’agent a commis une erreur en se préoccupant principalement de la période depuis laquelle le demandeur se trouvait à l’extérieur de la Colombie. La preuve dont disposait l’agent établit que la qualité de réfugié au sens de la Convention a été reconnue au frère du demandeur en juillet 2005, puis à son épouse et ses enfants le 3 décembre 2008. Le frère du demandeur vit à l’extérieur de la Colombie depuis mars 2000, et son épouse et ses enfants, depuis juin 2001. Pourtant, bien qu’ils aient quitté la Colombie depuis plusieurs années, ils sont exposés à un risque actuel sérieux de persécution. La crainte du demandeur d’être persécuté et exposé à des traitements ou peines cruels et inusités est liée aux demandes d’asile de son frère et de son épouse; de ce fait, la décision de l’agent constitue une incompatibilité, est manifestement déraisonnable et a été prise sans égard à la preuve dont disposait l’agent.  

 

[36]           Le demandeur avance que l’agent a aussi fait erreur dans son interprétation et dans l’application de l’alinéa 113a) de la Loi, du fait qu’il a refusé de tenir compte des FRP respectifs de son frère et de son épouse, Sandra. Le demandeur cite l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, qui, aux paragraphes 13 à 15, traite de la signification de l’alinéa 113a) de la Loi :

[traduction]

13     Selon mon interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit respecter la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

1.  Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.  Pertinence : Les preuves nouvelles sont-elles pertinentes à la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer. 

3.  Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

(a)  à prouver la situation courante dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

(b)  à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?  

(c)  à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

4.  Caractère substantiel : les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est-à-dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5.  Conditions législatives explicites :

(a)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

(b)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

 

14     Les quatre premières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, résultent implicitement de l’objet de l’alinéa 113a), dans le régime de la LIPR se rapportant aux demandes d’asile et aux examens des risques avant renvoi. Les questions restantes sont posées explicitement par l’alinéa 113a).

 

15     Je ne dis pas que les questions énumérées ci-dessus doivent être posées dans un ordre particulier, ou que l’agent d’ERAR doit dans tous les cas se poser chacune d’elles. L’important, c’est que l’agent d’ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci-dessus.

 

 

[37]           Le demandeur plaide que même si les commentaires de la juge Sharlow s’inscrivent dans le contexte d’un ERAR subséquent à une audience devant la SPR, les principes s’appliquent à la présente instance, par analogie. Contrairement à l’interprétation qu’a faite l’agent du paragraphe 113(1) de la Loi, la preuve soumise par le demandeur, notamment le FRP de son frère et celui de son épouse, répondent tout à fait aux critères de l’alinéa 113a) de la Loi, étant une preuve [traduction] « crédible, pertinente, nouvelle et substantielle ». Par conséquent, l’agent a commis une erreur en omettant d’informer à l’avance le demandeur des préoccupations qu’il entretenait au sujet des FRP de l’épouse et du frère de ce dernier afin de lui permettre d’expliquer pourquoi ces documents n’étaient pas accessibles au moment de la décision antérieure d’ERAR.

 

[38]           Le demandeur explique que les FRP de son frère et de son épouse n’ont pas été présentés dans le cadre de la première demande d’ERAR en raison de la rupture survenue dans la relation procureur‑client avec son précédent avocat, au cours de la semaine précédant l’échéance de sa demande d’ERAR. Son avocat de l’époque avait préparé les FRP de son frère et de son épouse et les avait en sa possession. Le demandeur avait retenu les services de cet avocat dans le but précis de remplir sa demande d’ERAR. Par suite des services inefficaces de son ancien avocat et de la rupture de leur relation professionnelle survenue la semaine précédant l’échéance de sa demande d’ERAR, le demandeur a été incapable de produire les FRP pour sa première demande d’ERAR, le 25 juin 2007.

 

[39]           De l’avis du demandeur, les conclusions de l’agent portant que sa crainte de persécution n’est pas fondée, qu’il n’est pas exposé à un risque sérieux de préjudice et que l’État en Colombie offre une protection adéquate, constituent des conjectures et des hypothèses qui ne sont pas étayées par la preuve. Le demandeur cite la décision rendue dans Isse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1020 (Isse), au paragraphe 14 :

14     La conclusion du tribunal à propos de la grossesse tardive de la demanderesse est tirée sans justification probante, et repose plutôt sur les propres vues du tribunal, lesquelles étaient elles‑mêmes fondées sur la connaissance qu’avait le tribunal de la culture et de la tradition somaliennes; toutefois, si tel est le cas, l’importance de cette culture et de ces traditions n’est pas expliquée. Tout ce qui est dit, c’est qu’il était peu plausible que l’époux attende 16 ans après le mariage pour que naisse un premier enfant. La conclusion du tribunal était de nature purement conjecturale. Dans un arrêt récent, Mahalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)1, le juge Gibson a résumé en ces termes le droit relatif à la conjecture :

 

Cependant, la section du statut n’a cité aucune preuve à l’appui de sa propre spéculation ou de son propre sentiment. Dans l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Robert Satiacum [(1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.)], le juge MacGuigan écrit ceci :

La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l’arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202, (H.L.) :

 

[traduction] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J’estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.

 

Dans R. v. Fuller (1971), 1 N.R. 112, à la p. 114, le juge Hall a conclu, au nom de la Cour d’appel du Manitoba, que [traduction] « [l]e tribunal des faits ne peut faire appel à des conclusions toutes théoriques et conjecturales ». La Cour suprême a ensuite confirmé ces motifs à l’unanimité : [1975] 2 R.C.S. 121, à la p. 123, 1 N.R. 110, à la p. 112.

En l’absence d’éléments de preuve, cités par la section du statut et évalués au regard de la preuve contraire pour appuyer ce « sentiment », je conclus que la section du statut en est arrivée à une conclusion toute théorique et conjecturale qui était manifestement essentielle à sa décision. En agissant ainsi, elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

 

 

[40]           Le demandeur estime que les conjectures et hypothèses formulées par l’agent au sujet de la crainte de persécution du demandeur constituent une erreur susceptible de révision.

 

[41]           Le demandeur affirme également que l’absence de toute indication précise de l’agent quant aux éléments auxquels il ajoutait foi et ceux qu’il ne croyait pas dans la preuve du demandeur, notamment dans l’exposé des faits de sa demande d’ERAR, les exposés circonstanciés des FRP de son frère et de son épouse et l’affidavit de cette dernière, ainsi que l’absence de motifs justifiant les conclusions de l’agent, font que l’agent a commis une erreur de droit. Le demandeur fonde son argument sur la décision Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 275 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 5 :

5     Par conséquent, la SSR n’a pas cru la preuve présentée par la demanderesse relativement au kidnapping et au viol, étant donné les conclusions de manque de vraisemblance qu’elle a tirées. Le droit est clair en ce qui a trait aux conclusions de manque de vraisemblance en général, comme l’a expliqué le juge Muldoon aux paragraphes 6 et 7 de la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2001] A.C.F. no 1131 :

 

Présomption de véracité et vraisemblance

Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

 

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON: Butterworths, 1992), au paragraphe 8.22]

 

[42]            Le demandeur résume comme suit les motifs pour lesquels la Cour devrait faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire :

a)              l’interprétation erronée faite par l’agent des articles 96, 97 et 113 de la Loi et du droit régissant la protection étatique;

b)             l’omission de l’agent d’examiner équitablement la demande du demandeur;

c)              l’exclusion injustifiée d’éléments de preuve pertinents et le défaut de l’agent de tenir compte d’éléments de preuve;

d)             la conjecture et les hypothèses sur lesquelles l’agent a fondé sa décision, sans tenir compte de la preuve;

e)              l’exposé erroné ou la mauvaise compréhension de la preuve par l’agent;

f)               le fait que l’agent a restreint son pouvoir discrétionnaire et enfreint les principes de justice naturelle.

 

[43]           Le demandeur fait valoir que puisqu’on ne lui a pas donné la possibilité de faire entendre sa demande d’asile, il a été empêché de prouver le bien-fondé de sa crainte de persécution. Il affirme aussi que la décision de l’agent est déraisonnable parce que :

a)              les FARC poursuivent leurs activités en Colombie, commettent des actes de violence et sont responsables de violations graves des droits de la personne, y compris des enlèvements et des exécutions;

b)             les personnes ciblées par les FARC ne peuvent compter ni sur une protection adéquate de l’État ni sur la possibilité d’un refuge intérieur;

c)              des rapports objectifs témoignent de l’existence de collusion entre des paramilitaires et des membres haut placés d’institutions étatiques, et l’impunité demeure un problème sérieux.

 

[44]           Le demandeur insiste également sur le fait qu’il satisfaisait aux critères prévus dans la Loi et le Règlement pour obtenir une audience. L’agent a mésestimé la crédibilité de son affirmation selon laquelle il risque toujours d’être persécuté par les guérilleros des FARC s’il est renvoyé en Colombie, et a dévalorisé l’affidavit de son épouse, ne le jugeant pas crédible. Une audience aurait permis au demandeur de connaître les préoccupations de l’agent et d’y répondre avant que celui-ci ne rende une décision définitive.

 

Le défendeur

            La décision relative à l’ERAR est raisonnable

 

[45]           Selon le défendeur, le demandeur n’a pas établi que la décision de l’agent n’appartient pas aux issues possibles acceptables. L’agent a souligné que chaque demande d’asile est appréciée suivant son propre fondement, de sorte que l’octroi de l’asile aux membres de la famille du demandeur ne signifie pas que le demandeur est méritant et qu’il devrait aussi être accepté. L’agent a tenu compte de la situation personnelle du demandeur, y compris les conditions actuelles dans le pays et le fait que le demandeur vit à l’extérieur de la Colombie depuis neuf ans. Quelle que soit la menace qui a forcé le demandeur à quitter la Colombie, cette menace est aujourd’hui dissipée.

 

[46]           Il est bien établi, rappelle le défendeur, que l’examen de la question de savoir si un demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou est une personne à protéger, est un exercice tourné vers l’avenir. Indépendamment de ce qui est arrivé dans le passé, le décideur est tenu de décider s’il existe des motifs de croire que le renvoi du demandeur dans son pays de nationalité ou de résidence habituelle l’exposera à un risque injustifié d’être persécuté ou de subir un préjudice proscrit par les articles 96 et 97 de la Loi.

 

[47]           De l’avis du défendeur, l’agent a raisonnablement conclu que la preuve est insuffisante pour étayer une décision selon laquelle les menaces qui ont forcé le demandeur à fuir la Colombie voilà plus de neuf ans subsistent aujourd’hui. Le fait que les demandes d’asile de la famille du demandeur ont été acceptées est sans pertinence, et même si les demandes de sa famille étaient fondées sur les mêmes menaces que celles auxquelles le demandeur est confronté, le fait que sa famille a été jugée à risque au moment où il a été statué sur leurs demandes ne signifie pas qu’il est défendu ou inapproprié de procéder à une évaluation du risque actuel. C’est à juste titre que l’agent a examiné la situation dans le pays et conclu que les risques qui ont forcé le demandeur à fuir ont disparu. Le demandeur n’a pas établi qu’il n’était pas raisonnablement loisible à l’agent de tirer cette conclusion.

 

[48]           L’allégation du demandeur portant que l’agent a commis une erreur en ne lui accordant pas d’audience n’est pas valable, selon le défendeur, car le demandeur n’a pas démontré en quoi l’article 113 de la Loi et l’article 167 du Règlement s’appliquent à lui. 

 

[49]           Le défendeur fait valoir que la demande en l’espèce est une contestation du rejet d’une demande d’ERAR. Par conséquent, le défendeur approprié est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, non le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Le défendeur demande que l’intitulé soit modifié en conséquence.

 

[50]           Le défendeur plaide également qu’il est bien établi en droit que les demandes de contrôle judiciaire sont limitées au dossier dont disposait le décideur administratif. Or, signale le défendeur, le dossier du demandeur contient des renseignements qui n’ont pas été présentés à l’agent.

 

[51]           Le défendeur signale que le demandeur n’a cité ni précédent ni doctrine pour étayer la proposition selon laquelle il incombait à l’agent d’ERAR de demander une explication au demandeur ou de l’informer à l’avance de ses préoccupations quant à la présentation de renseignements préexistants.

 

[52]           Le défendeur estime que l’arrêt Raza ne s’applique pas en l’espèce, parce que dans Raza, tous les documents soumis à l’agent avaient été créés après le rejet des demandes d’asile. Selon le défendeur, le demandeur [traduction] « méconnaît l’importance des conditions expresses de l’alinéa 113a) de la Loi […] [et] fait abstraction des principes d’évaluation fondamentaux dans le cadre de l’ERAR ».

 

ANALYSE

 

[53]           Le demandeur a avancé plusieurs motifs pour lesquels la décision contiendrait une erreur susceptible de révision. J’ai examiné chacun de ces motifs. À mon avis, rien dans la décision ne donne à penser que l’agent s’est appuyé sur des critères erronés ou a appliqué les mauvaises normes de preuve à l’égard des prétentions du demandeur concernant les articles 96 et 97. En réalité, les arguments du demandeur reviennent à dire que la décision est déraisonnable.

 

[54]           De même, je ne peux conclure que l’agent a commis une erreur donnant lieu à révision relativement à l’alinéa 113a) de la Loi du fait qu’il a refusé de tenir compte des FRP respectifs du frère et de l’épouse du demandeur. Ces éléments de preuve étaient disponibles avant la première décision défavorable d’ERAR, et l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur les verse en preuve. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il ne les a pas déposés plus tôt, et rien n’obligeait l’agent à faire part au demandeur de ses préoccupations à cet égard et à lui demander une explication que le demandeur avait omis de donner. L’on ne saurait blâmer l’agent d’avoir exclu des éléments de preuve en l’absence de toute explication pour justifier qu’ils n’avaient pas été fournis auparavant. Le fait de présenter une explication à la Cour dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire n’est d’aucune utilité pour l’agent qui devait prendre la décision et n’indique pas qu’une erreur donnant lieu à révision a été commise. Le contrôle des décisions se fait en fonction des éléments dont disposait le décideur au moment où il a rendu sa décision.

 

[55]           Le seul motif sérieux de contestation, à mon avis, réside dans l’affirmation du demandeur selon laquelle la décision est déraisonnable parce qu’aucune preuve ne justifiait de conclure que le demandeur n’est pas exposé à des risques décrits aux articles 96 et 97. À vrai dire, plaide le demandeur, la preuve tend à établir tout le contraire de la conclusion de l’agent à cet égard, et c’est à tort que l’agent l’a écartée.

 

[56]           L’agent a écarté l’affidavit de l’épouse parce qu’il n’avait à son avis qu’une faible valeur probante, du fait qu’il émanait [traduction] « d’une personne qui n’est pas désintéressée de la décision, et n’est pas étayé par une preuve indépendante provenant d’une autorité comme la police ou un représentant du gouvernement ».

 

[57]           Toutefois, comme le signale aussi l’agent, l’affidavit de l’épouse avait pour but de souligner que sa propre demande d’asile de même que celles de ses enfants et du frère du demandeur, qui ont toutes été accueillies, sont en grande partie fondées sur la persécution subie par le demandeur en Colombie. Effectivement, Mme Ramirez déclare que sa [traduction] « crainte de persécution est en partie fondée sur la persécution vécue par mon époux. Nos demandes sont interdépendantes, comme il appert de nos FRP respectifs, joints à l’affidavit souscrit par mon époux dans la présente instance ».

 

[58]           Comme je l’ai dit, l’agent a refusé à juste titre d’examiner les FRP parce qu’aucune explication n’avait été présentée pour justifier qu’ils n’avaient pas été produits plus tôt. Toutefois, les assertions de Mme Ramirez quant à l’interdépendance des demandes ne sont pas pour autant dépourvues de corroboration.

 

[59]           Premièrement, le demandeur a lui-même attesté cette interdépendance, et l’agent semble avoir écarté cette affirmation sans explication. Comme l’agent n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur, la preuve de ce dernier à cet égard doit être réputée véridique, parce qu’il n’y a pas de raison de ne pas y ajouter foi. Voir l’arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, et la décision Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 275.

 

[60]           En outre, les demandes d’asile de Mme Ramirez, des enfants et du frère du demandeur ont été accueillies, et ce fait avait été porté à la connaissance de l’agent. L’agent écarte cependant cet élément en disant : [traduction] « Les décisions de la SPR et d’ERAR sont fondées sur les circonstances particulières de chaque cas. Par conséquent, j’accorde peu d’importance à cet élément de preuve ».

 

[61]           Il est vrai, naturellement, que les décisions de la SPR et d’ERAR sont fondées sur les circonstances particulières de chacun, mais les circonstances personnelles du demandeur incluent une preuve claire de l’interdépendance des faits à l’origine de ses craintes et des risques auxquels étaient exposés les autres membres de sa famille à qui on a reconnu la qualité de réfugiés au sens de la Convention. Dans les faits, l’agent estime qu’il convient de n’attribuer que [traduction] « peu d’importance » à ce facteur parce que les circonstances de chaque cas diffèrent, mais si ce n’est de ce truisme, il n’explique pas pourquoi les circonstances du demandeur seraient si différentes de celles d’autres membres de sa famille, alors qu’il dispose d’éléments de preuve attestant l’interdépendance des demandes et d’une preuve démontrant que la qualité de réfugié a été reconnue aux membres de la famille du demandeur.

 

[62]           La preuve du demandeur n’a jamais été soumise à l’appréciation de la SPR. On a prononcé le désistement de sa demande d’asile parce qu’il ne s’est pas présenté à l’entrevue fixée. Dans les circonstances, l’agent n’explique pas véritablement pourquoi il convient de n’attribuer que « peu d’importance » à l’interdépendance des demandes et au fait que les demandes d’asile des membres de sa famille ont été accueillies, alors que ces facteurs constituent de toute évidence un aspect essentiel et très pertinent des [traduction] « circonstances particulières » du demandeur.

 

[63]           Il me semble également que l’analyse que fait l’agent de la situation dans le pays est déraisonnable. L’agent reconnaît [traduction] « qu’il existe encore des groupes terroristes et paramilitaires actifs qui représentent un danger pour la population en général […] ». Le fait que le gouvernement puisse [traduction] « réussi[r] davantage » ou « pren[dre] des mesures contre la corruption politique et les violations des droits de la personne perpétrées par les forces policières » ne peut en rien justifier de conclure que le demandeur n’est pas menacé, compte tenu de la manière dont il dit avoir été ciblé et de la manière dont la SPR a conclu que sa famille était menacée. L’agent disposait de nombreux éléments de preuve indiquant que la situation en Colombie n’a pas changé depuis le départ du demandeur, notamment le rapport d’Amnistie Internationale de juillet 2008 et le rapport sur la Colombie qui figure dans le US Department of State Country Reports in Human Rights Practices du 11 mars 2008.

 

[64]           L’importance que l’agent a accordée à la durée depuis laquelle le demandeur vit à l’extérieur de la Colombie pour justifier de minimiser les risques auxquels celui-ci serait confronté, ne tient pas compte de la preuve selon laquelle Mme Ramirez et les enfants vivent à l’extérieur de la Colombie depuis juin 2007 et ont néanmoins été reconnus réfugiés en décembre 2008. De même, le frère du demandeur vit à l’extérieur de la Colombie depuis mars 2000. La preuve indique que les demandes sont interdépendantes, et les documents qui traitent des conditions dans le pays ne portent pas à croire que quoi que ce soit a changé.  

 

[65]           Le premier agent d’ERAR a décidé que le demandeur n’éprouvait pas une crainte fondée d’être persécuté en Colombie et qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire qu’il serait exposé aux risques décrits à l’article 97 s’il était renvoyé. 

 

[66]           Le premier agent d’ERAR a convenu que l’État colombien n’offre pas une protection adéquate pour les personnes ciblées par des groupes comme les FARC et qu’il y a collusion entre des paramilitaires et des membres haut placés d’institutions étatiques. Il a aussi conclu que l’impunité reste un problème sérieux et qu’il n’existe pas de PRI pour les personnes ciblées.

 

 

[67]           Essentiellement, la décision du premier agent d’ERAR énonce ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur vit à l’extérieur de la Colombie depuis plus de neuf ans. Le dernier incident personnel qu’il relate s’est produit en décembre 1998, et le dernier incident impliquant son frère est survenu en août 1999. La preuve n’indique pas qu’on a recherché le demandeur depuis cette époque, ni que sa famille a été harcelée ou ciblée. J’estime qu’il est objectivement déraisonnable de penser que les FARC continuent de s’intéresser au demandeur après plus de huit ans. Celui-ci affirme que le fait d’être ciblé par les FARC équivaut à un arrêt de mort parce que le groupe est capable de retracer les gens dans tout le pays. Je conviens que les FARC poursuivent leurs activités en Colombie, commettent des actes de violence et sont responsables de violations graves des droits de la personne. Je reconnais également que les personnes ciblées par les FARC ne peuvent pas compter sur une protection adéquate de l’État ni sur la possibilité d’un refuge intérieur. Néanmoins, la seule existence des FARC en Colombie ne fait pas foi de l’existence d’un risque personnel prospectif pour le demandeur. La preuve ne permet pas de conclure que la crainte qu’éprouve le demandeur à l’égard des FARC est objectivement fondée.

 

 

[68]           La seconde demande d’ERAR a été présentée sur la base d’un changement de circonstances qui, de l’avis du demandeur, pallie le manque de preuve relevé dans sa première demande quant au risque personnel prospectif. Dans ses observations, le demandeur affirme :

[traduction]

Mon frère (décision favorable de la SPR rendue le 21 juillet 2005) ainsi que mon épouse et mes enfants (décision favorable de la SPR rendue le 3 décembre 2008) ont tous été reconnus réfugiés au sens de la Convention au Canada. Je joins aux présentes une copie des décisions de la SPR leur reconnaissant la qualité de réfugiés au sens de la Convention. Leurs demandes d’asile sont fondées en grande partie sur les expériences de persécution que j’ai vécues en Colombie, et nos demandes respectives sont interdépendantes.

 

 

[69]           Malheureusement, si ce n’est cette seule assertion d’interdépendance, le demandeur n’explique pas les faits qui étayent sa position. L’asile a été accordé au frère en 2005, de sorte que le premier agent d’ERAR devait être informé de ce fait, et les décisions de la SPR ne fournissent pas les faits ou les motifs pour combler cette lacune. Le demandeur comptait essentiellement sur la reconnaissance du statut de réfugié à son épouse et à ses enfants en 2008 comme preuve nouvelle du bien-fondé de sa seconde demande d’ERAR.

 

[70]           Dans le cadre de sa seconde demande d’ERAR, le demandeur a aussi déposé un affidavit souscrit par son épouse le 20 octobre 2008, dans lequel Mme Ramirez présente les renseignements suivants :

[traduction]

Ma crainte de persécution tient en partie à la persécution subie par mon époux. Nos cas sont interdépendants, comme il est expliqué dans nos FRP respectifs, joints à l’affidavit souscrit par mon époux en la présente instance.

 

 

[71]           Malheureusement, le FRP de Mme Ramirez a été exclu parce qu’il ne constituait pas une preuve nouvelle et qu’aucune raison n’avait été donnée pour expliquer pourquoi il n’avait pas été déposé avec la première demande d’ERAR du demandeur. Toutefois, aux paragraphes 9 à 12 de son affidavit, Mme Ramirez témoigne de ce qui suit :

9.         Je souhaite qu’Ariel demeure au Canada en permanence avec mes enfants et moi-même.

 

10.       Mes enfants et moi craignons qu’Ariel, s’il est renvoyé du Canada, ne se retrouve en Colombie et que nous puissions ne plus jamais le voir. La situation là-bas s’est détériorée depuis notre départ de la Colombie. Nous croyons que sa vie est menacée en Colombie en raison de ses activités passées contre les FARC et de l’incapacité de l’État colombien d’assurer sa protection.

 

11.       Depuis mon départ, plusieurs membres de ma famille ont été forcés de fuir la Colombie en raison d’attaques des FARC. Mon père, Guillermo Mendoza, a dû quitter la Colombie vers décembre 2007 par suite d’attaques de la part des FARC. Il vit aux États-Unis. Il était pasteur et exploitait une station de radio chrétienne dans la ville de Tunja, en Colombie. Mon père utilisait la station de radio pour protester contre les FARC et pour conseiller aux gens de s’opposer aux efforts de recrutement des FARC. Ariel est l’annonceur de radio qui diffusait les mises en garde contre les FARC, jusqu’à ce qu’il soit forcé de quitter. Mon père a ensuite pris la relève, s’occupant lui‑même des émissions jusqu’au moment où les FARC ont bombardé la station. 

 

12.       Ariel et mon père sont tous deux bien connus des FARC en raison de leurs activités de protestation. Mon père est resté en Colombie après le départ d’Ariel, et il s’est engagé dans une campagne évangélique contre les FARC durant laquelle il s’est rendu dans plusieurs villes pour propager son message. Il changeait constamment d’adresse pour éviter d’être capturé par les FARC, parce qu’il ne croyait pas que la police pourrait le protéger.

 

[72]           Dans sa décision, le second agent d’ERAR minimise l’importance de cette preuve, déclarant :

[traduction]

Je remarque que l’épouse du demandeur affirme, dans son affidavit du 20 octobre 2008, que sa demande d’asile est fondée en partie sur celle du demandeur. Les décisions de la SPR et d’ERAR sont fondées sur les circonstances particulières de chaque cas. Par conséquent, j’accorde peu d’importance à cet élément de preuve.

 

 

[73]           L’agent fait également peu de cas de l’affidavit de Mme Ramirez pour les motifs suivants :

[traduction]

Le demandeur a présenté un affidavit souscrit par son épouse, Sandra Mendoza Ramirez, le 20 octobre 2008. Mme Ramirez y déclare qu’elle-même et de nombreux membres de sa famille ainsi que son époux et les membres de la famille de ce dernier ont été ciblés par les FARC en raison de leur lien avec une station de radio chrétienne en Colombie. Cet affidavit émane d’une personne qui n’est pas désintéressée de la décision et n’est pas étayé par une preuve indépendante provenant d’une autorité comme la police ou un représentant du gouvernement. Par conséquent, je ne lui accorde qu’une faible valeur probante.

 

 

[74]           Ainsi, le demandeur se trouve dans une impasse lorsqu’il doit prouver l’interdépendance de sa demande et de celles de son épouse et de sa famille. Dans son propre affidavit, il s’appuie sur des FRP qui sont exclus; quant à l’affidavit de Mme Ramirez, l’agent reproche à cette dernière de n’être pas un témoin désintéressé. L’audience de la SPR n’a pas été suivie de motifs, de sorte que nous ne connaissons pas les conclusions de la SPR relativement au frère et à l’épouse du demandeur et nous ne savons pas si leurs demandes d’asile s’inscrivent effectivement dans un exposé général concernant la persécution de cette famille, et notamment du demandeur, par les FARC.

 

[75]           Les FRP constituent probablement la meilleure preuve de l’interdépendance des demandes, et même si l’agent les a à bon droit exclus du fait qu’on ne lui avait pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas été produits plus tôt, j’éprouve un réel malaise devant la façon dont le système pourrait avoir empêché le demandeur de présenter sa cause. Je crains qu’il puisse être réellement menacé par les FARC mais qu’il n’ait pu le démontrer pour diverses raisons. Sa demande d’asile n’a pas été examinée au même moment que celle de son frère parce qu’il craignait d’être expulsé vers la Colombie et n’est pas revenu comme on le lui avait demandé; par ailleurs, ses tentatives pour demander l’asile avec son épouse et ses enfants ont été contrecarrées du fait qu’il était réputé s’être désisté de sa demande d’asile et qu’on a inscrit sa demande dans le processus d’ERAR.

 

[76]           En raison de ce malaise, j’ai examiné les FRP de Mme Ramirez et du frère du demandeur même s’ils ont été exclus par l’agent d’ERAR et ne faisaient pas partie de la décision de ce dernier. 

 

[77]           Le FRP de Mme Ramirez révèle que ses craintes sont directement liées à des menaces de mort faites contre le demandeur et que ce sont les activités du demandeur à la station de radio qui ont attiré l’attention des FARC sur la famille. Il ressort aussi clairement du FRP du frère que c’est le demandeur qui a attiré les foudres des FARC sur sa propre famille et que le demandeur est tout aussi menacé qu’ils l’ont été.

 

[78]           Je ne peux pas dire que l’agent a eu tort d’exclure les FRP, mais il m’apparaît évident que le demandeur court un risque grave s’il est renvoyé en Colombie.

 

[79]           Manifestement, ce risque était également source de préoccupation pour l’agent d’ERAR, parce que celui-ci, dans sa décision, insiste beaucoup sur les documents concernant les conditions dans le pays et donne à entendre que la situation n’est pas aussi mauvaise qu’elle l’a déjà été en Colombie. Or, cette position semble aller totalement à l’encontre des conclusions tranchées à l’effet contraire formulées par le premier agent d’ERAR huit mois auparavant. De plus, le second agent d’ERAR ne traite pas de la preuve contradictoire, dans la documentation en preuve, selon laquelle rien n’a véritablement changé en Colombie.

 

[80]           Je dois conclure, à la lumière de la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires et a omis de traiter de ces éléments.

 

[81]           Toutefois, cet état de choses ne vicierait pas la décision si les conclusions du premier agent d’ERAR restent valables et si le demandeur n’a pas établi l’existence d’un risque personnel prospectif parce qu’il n’a pas montré qu’il a été, ou qu’il sera, ciblé par les FARC.

 

[82]           Les FRP de l’épouse et du frère du demandeur illustrent clairement que le demandeur est menacé, et tant l’épouse que le frère ont obtenu l’asile (en 2008 dans le cas de l’épouse) sur la foi d’un exposé circonstancié qui révèle que les activités du demandeur ont attiré les foudres des FARC sur toute sa famille.  

 

[83]           À mon avis, il était tout à fait déraisonnable de la part de l’agent de ne pas tenir compte de la preuve exposée dans l’affidavit de l’épouse au motif que cette preuve émanait [traduction] « d’une personne qui n’est pas désintéressée de la décision, et n’est pas étayé[e] par une preuve indépendante provenant d’une autorité comme la police ou un représentant du gouvernement », parce que cette décision de l’agent fait abstraction du fait, essentiel, que l’épouse a été jugée un témoin crédible par la SPR dans la présentation de sa propre demande d’asile. Cette décision fait aussi abstraction de l’affirmation de l’épouse selon laquelle les demandes sont interdépendantes, affirmation corroborée par le demandeur même, dont la crédibilité n’est pas mise en doute et dont la preuve doit être réputée véridique. Elle est également déraisonnable parce que, même s’il est exact de dire que [traduction] « les décisions de la SPR et d’ERAR sont fondées sur les circonstances particulières de chaque cas », la situation personnelle du demandeur inclut le fait qu’il est au cœur d’une situation familiale au regard de laquelle tant son frère que son épouse ont été reconnus réfugiés, et que sa propre version du caractère central de son rôle, présentée dans sa demande d’ERAR, n’est jamais mise en doute par une conclusion défavorable sur sa crédibilité et doit donc être réputée véridique. L’octroi de l’asile à son épouse et sa famille constitue une preuve nouvelle qui avait une incidence sur l’ensemble de l’exposé du demandeur. On n’a pas accordé à cet élément le poids qu’il convenait, et la situation du demandeur n’a pas été examinée à la lumière de cet important changement de circonstances. Cet élément, à mon avis, rend déraisonnable l’ensemble de la décision.  

 

[84]           C’est avec un certain soulagement que je parviens à cette conclusion, car, comme le révèlent clairement les FRP qui ont été exclus, le demandeur serait exposé à un danger réel s’il était renvoyé, et les documents traitant des conditions dans le pays ne me semblent pas indiquer que les FARC sont moins efficaces qu’ils ne l’étaient, en dépit des efforts louables déployés par le gouvernement de la Colombie pour remédier à la situation.  

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.      L’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration », et non le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, soit désigné à titre de défendeur.

 

2.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent en conformité avec les motifs qui précèdent.

 

3.      Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       IMM-570-09

 

INTITULÉ :                                      ARIEL AVILA

 

                                                           c.

 

                                                           LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

                                                           DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 8 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 11 août 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

 

Roger Rowe                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

A. Leena Jackkimainen                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Roger Rowe                                                     POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.