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Cour fédérale

 

 

 

Federal Court

 


Date : 20090804

Dossier : IMM-74-09

Référence : 2009 CF 798

Ottawa (Ontario), le 4 août 2009

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

ELIN EDITH MORA MARTINEZ

et EMILIANO SANCHEZ MORA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), en date du 11 décembre 2008, selon laquelle ceux-ci ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens mexicains. La demanderesse principale revendique le statut de réfugiée au Canada en raison d’une crainte de persécution basée sur son appartenance à un groupe social particulier, soit celui des femmes victimes de violence physique et psychologique. L’autre demandeur, le fils mineur de la demanderesse principale, base sa demande d’asile sur celle de sa mère.

 

[3]               La demanderesse principale soutient avoir été victime de violence domestique aux mains de son ex-conjoint de fait, M. Pedro Israel Sanchez Hernandez, lequel aurait été tout aussi violent avec leur fils mineur. La demanderesse et M. Hernandez auraient cohabité pour une période d’environ un an et demi entre le 14 avril 2001 et décembre 2005, période au cours de laquelle la demanderesse aurait été victime de menaces de mort, dont certaines ont fait l’objet d’une dénonciation formelle auprès des autorités mexicaines. M. Hernandez aurait fait preuve d’autant plus de violence suite à la perte de son emploi en 2004, car il aurait alors été impliqué dans le commerce et la consommation de stupéfiants. La demanderesse principale et son fils sont arrivés au Canada le 6 juin 2006.

 

[4]               Le tribunal a décidé que la demanderesse principale n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, tout d’abord parce que celle-ci n’a pas apporté une preuve crédible ou digne de foi au soutien de sa revendication, le tribunal ayant constaté à cet égard « plusieurs contradictions, omissions et inconsistances dans le témoignage de la demanderesse ».

 

[5]               Au titre de l’évaluation de la crainte objective de persécution, la Commission a jugé également qu’il y avait en l’espèce possibilité pour les demandeurs de solliciter et d’obtenir la protection de l’État mexicain. En effet, le tribunal a conclu que la demanderesse principale n’avait pas fourni une preuve claire et convaincante permettant de réfuter la présomption selon laquelle l’État mexicain est en mesure d’assurer la protection de ses citoyens. En l’espèce, le tribunal n’était pas satisfait que la demanderesse ait démontré qu’elle avait fait tout ce qui était raisonnable afin de bénéficier de cette protection.

 

[6]               Enfin, le tribunal a jugé qu’en l’espèce, il y avait possibilité d’un refuge interne au Mexique ainsi que la possibilité pour les demandeurs d’y recevoir le traitement psychologique nécessaire.

 

[7]               La question de la crédibilité du demandeur et de l’évaluation de la preuve appelle un degré élevé de déférence envers la décision du tribunal, en ce qu’il n’appartient pas à cette Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer son opinion à celle du tribunal. En somme, cette Cour n’interviendra que si la décision du tribunal s’avère être basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou encore si la décision a été rendue sans que le tribunal ne tienne compte des éléments de preuve dont il disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,  [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 SCC 12 (Khosa) au para. 46). Rappelons que le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para. 47; Khosa au para. 59).

 

[8]               Le tribunal a fourni des motifs détaillés qui appuient sa conclusion de non-crédibilité et qui apparaissent rationnels et raisonnables à première vue. Ainsi, après avoir obtenu la confirmation de la demanderesse principale quant à l’exactitude du contenu de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le tribunal note qu’un seul épisode où la demanderesse a été victime de menaces de mort y est mentionné, soit celui qui serait survenu en mai 2005, tandis qu’au cours de son témoignage, la demanderesse a plutôt fait référence à sept autres occasions entre 2000 et 2006 où elle aurait été victime de telles menaces. Puisque la demanderesse n’a pu fournir d’explications permettant de justifier une omission aussi importante, le tribunal a jugé que celle-ci affaiblissait sa crédibilité.

 

[9]               Quant à la dénonciation soumise à la police le 28 mars 2006 et dont une copie figure au dossier du tribunal (Pièce P-17), le tribunal note que le témoignage de la demanderesse situe cet événement au 10 janvier 2005, puis au 28 mars 2004, tandis qu’au sein de son FRP cet événement serait survenu le 28 mars 2005. La demanderesse a bien tenté de réajuster son témoignage selon la chronologie des événements figurant au sein des pièces soumises, mais le tribunal conclut que la crédibilité de la demanderesse était diminuée, d’autant plus que le tribunal n’accorde aucune valeur probante à la dénonciation en question car son contenu ne fait pas mention de l’implication de M. Hernandez à titre de narcotrafiquant. Le tribunal juge non satisfaisante l’explication de la demanderesse principale selon laquelle elle ne voulait pas compromettre la protection sollicitée. 

 

[10]           En raison de ces diverses observations affectant la crédibilité du témoignage de la demanderesse, le tribunal n’a accordé aucune valeur probante à l’ensemble de la preuve matérielle soumise par la demanderesse afin de corroborer son récit. Ainsi, les attestations de la mère, de la cousine, de la sœur et de la tante de la demanderesse (Pièces P-8 à P-11), l’attestation médicale datée du 8 décembre 2006 (Pièce P-12), ainsi que le rapport d’évaluation psychologique daté du 2 janvier 2007 n’ont pas suffi à pallier aux inconsistances notées par le tribunal. Ce dernier a donc jugé la demanderesse non crédible.

 

[11]           Les demandeurs contestent tout d’abord la légalité de la conclusion de non-crédibilité, qui jusqu’à un certain point, est également reliée à la question de l’existence d’une protection étatique. En effet, faut-il le rappeler, le tribunal a exprimé des doutes quant à la dénonciation du 28 mars 2006, et d’ailleurs la demanderesse n’a pas donné suite à cette dénonciation. Le tribunal a souligné également l’omission de la demanderesse d’indiquer au sein de son FRP les démarches entreprises à Coyoacan auprès d’une organisation pour les femmes.

 

[12]           Les demandeurs concèdent qu’il y a pu avoir des omissions ou des contradictions dans le témoignage de la demanderesse principale. Toutefois, les demandeurs soumettent dans leur mémoire écrit que le tribunal a erré en droit en ne tenant pas compte des Directives de la présidente sur les revendications basées sur le sexe (les Directives) en appréciant la crédibilité de la demanderesse principale, ce qui rend la décision contestée révisable en l’espèce : Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 871 au para.26; Muradova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 FCT 274 au para.7 ; Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 171 F.T.R. 240 au para. 25.

 

[13]           À l’audience, le savant procureur des demandeurs n’a pas repris l’argument plus haut, ce que n’a pas manqué de souligner dans sa plaidoirie orale la représentante du Ministre. En réplique, le procureur des demandeurs a indiqué qu’il n’abandonnait pas l’argument à l’effet que les Directives avaient été ignorées par le tribunal. En tout état de cause, le reproche des demandeurs m’apparait injustifié, vu la mention expresse dans la décision contestée, au paragraphe 11 sous la rubrique « crédibilité », que « le tribunal a tenu compte des [Directives], en vertu de l’article 159(1)(h) de la LIPR ». En outre, lors de l’audition, le tribunal semble avoir fait preuve d’une sensibilité particulière envers la demanderesse principale en la rassurant, en s’assurant qu’elle se sentait bien et en prenant des pauses.

 

[14]           Les demandeurs reprochent également au tribunal le peu de poids accordé au rapport d’évaluation psychologique de la psychologue Chantal Gravel, daté du 2 janvier 2007 (Pièce P-13), lequel fait pourtant état du fait que le récit de la demanderesse « est orienté autour des moments de violence vécus » et notant que cette dernière « éprouve quelques difficultés à relater son histoire de façon continue. Son récit [étant] séquentiel » (Pièce P-13, p.5). Par conséquent, le procureur des demandeurs soumet que les omissions, contradictions et inconsistances constatées par le tribunal dans la décision contestée s’expliquent par l’état psychologique de la demanderesse principale, ce qui rend la conclusion de non-crédibilité du tribunal révisable en l’espèce : Zempoalte v. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 263 aux paras. 16-19 ; Fidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1190 au para. 12.

 

[15]           Ce second reproche des demandeurs m’apparait également injustifié. D’une part, le tribunal dit avoir tenu compte, au paragraphe 13 de la décision contestée, du rapport psychologique en question et du fait que « la demanderesse principale puisse avoir certains problèmes psychologiques ». D’autre part, l’état de vulnérabilité psychologique de la demanderesse principale n’explique pas son omission de déclarer dans son FRP des événements aussi importants que les nombreuses menaces de mort dont elle aurait fait l’objet, et ce, notamment dans les mois précédant immédiatement l’arrivée au Canada des demandeurs. Au surplus, la demanderesse principale a elle-même admis à la conclusion de son témoignage, avoir un bon souvenir des dates, de sorte que si elle s’était trompé dans les dates, c’est qu’elle était « très nerveuse à ce moment-là » et qu’elle voulait protéger son fils mineur.

 

[16]           Tel que la Cour l’a souligné dans nombre de décisions antérieures, dans l’évaluation de la raisonnabilité d’une conclusion de non-crédibilité, il n’est pas question de procéder à une analyse microscopique de tous et chacun des motifs fournis par le tribunal. Il suffit que, dans l’ensemble, les motifs donnés n’apparaissent pas capricieux ou arbitraires. C’est le cas en l’espèce lorsque les motifs fournis par le tribunal (voir les paragraphes 14 et 22 notamment de la décision contestée) sont considérés dans leur ensemble et à la lumière de la preuve au dossier.

 

[17]           En somme, même si diverses explications ont été avancées par la demanderesse principale ou son procureur pour justifier certaines omissions ou contradictions découlant du témoignage de cette dernière, je crois néanmoins que la conclusion de non-crédibilité du tribunal constituait l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. N’ayant pas cru la demanderesse principale au niveau de l’essentiel de sa demande d’asile et des fondements de sa crainte de persécution, le tribunal était donc en droit d’écarter également les déclarations provenant de membres de sa famille ou de proches pouvant corroborer certains aspects de son récit (voir Elezaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 234, para. 5).

 

[18]           Vu que la conclusion de non-crédibilité de la demanderesse principale est maintenue par la Cour et que celle-ci a un effet déterminant sur la demande d’asile des demandeurs, il n’est pas nécessaire d’examiner la légalité des autres conclusions du tribunal quant à la possibilité pour les demandeurs de se prévaloir de la protection étatique du Mexique et quant à la possibilité de refuge intérieur au Mexique.

 

[19]           La présente demande doit donc être rejetée. Les procureurs n'ont proposé aucune question d'importance générale pour certification.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM‑74-09

 

INTITULÉ :                                         ELIN EDITH MORA MARTINEZ et

                                                              EMILIANO SANCHEZ MORA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 28 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        le 4 août 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy

(514) 876-9776

POUR LE DEMANDEUR

Me Emily Tremblay

(514) 496-1919

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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