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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20090817

Dossier : IMM-5668-08

Référence : 2009 CF 834

OTTAWA (Ontario), le 17 août 2009

En présence de l’honorable Louis S. Tannenbaum

 

 

ENTRE :

BAWO ARIRI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la LIPR) au sujet de la décision rendue le 12 décembre 2008 par la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La Section d'appel de l'immigration a rejeté la demande du demandeur visant à faire rouvrir un appel au sujet d'une mesure de renvoi, appel antérieurement rejeté. Il avait été établi que le demandeur n'avait pas le droit d'en appeler d'une ordonnance d'expulsion prise à son encontre par la Section de l'immigration le 23 février 2007, en application de l'alinéa 36(1)a) et de l'article 64 de la LIPR (criminalité).

 

[2]               Le demandeur, Bawo Ariri, est un citoyen du Nigeria qui a été résident permanent du Canada à compter de son arrivée, en 1993. Outre des déclarations de culpabilité antérieures pour possession et mise en circulation de billets contrefaits, il a été déclaré coupable en juin 2006 d’un certain nombre d'inculpations, notamment de fraude de plus de 5 000 $, de traite de personnes et de contrebande, et de possession de billets contrefaits. C'est en raison de la déclaration de culpabilité pour une fraude de plus de 5 000 $ que l'ordonnance d'expulsion a été rendue.

 

[3]               Par suite de ces déclarations de culpabilité, et plus expressément pour l'inculpation de fraude de plus de 5 000 $, la Section de l'immigration a rendu une ordonnance d'expulsion contre le demandeur pour raison de grande criminalité. Le demandeur a tenté d'en appeler de l'ordonnance d'expulsion, mais il a échoué, car, le 7 septembre 2007, la SAI a statué qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel en raison du fait que le demandeur avait été [traduction] « puni par un emprisonnement d'au moins deux ans » et n'avait donc pas le droit d'interjeter appel aux termes du paragraphe 64(2) de la LIPR.

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'égard du rejet, le 7 septembre 2007, de son appel. La demande d'autorisation a été rejetée le 12 décembre 2007, car le demandeur n'avait pas présenté de dossier de demande (Ariri c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), dossier de la Cour IMM-4039-07, rejet le 12 décembre 2007 par le juge François Lemieux).

 

[5]               En juin 2008, le demandeur a présenté une requête demandant la réouverture de son appel contre l'ordonnance d'expulsion. Il s'appuyait sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. Mathieu, 2008 CSC 21 [Mathieu], rendu le 1er mai 2008. Il a soutenu qu'il y avait eu manquement à la justice naturelle, car sa détention présentencielle n’aurait pas dû être considérée comme une peine et qu'il aurait dû conserver son droit d'appel.

 

[6]               Après examen des observations et de la documentation des parties, y compris la transcription du plaidoyer de culpabilité, et étude de deux décisions récentes de la SAI portant sur les répercussions de l'arrêt Mathieu sur l'interprétation du paragraphe 64(2), la SAI a conclu que la décision du 7 septembre 2007 était fondée en droit à ce moment-là et le demeurait toujours. Elle a constaté qu'il n'y avait pas eu manquement à la justice naturelle (Mihalkov c. M.S.P.P.C. (dossier de la SAI TA7-05378), 21 octobre 2008; Nana-Effah c. M.S.P.P.C. (dossier de la SAI MA8‑02628), 29 octobre 2008).

 

[7]               La SAI a ajouté que, même s'il y avait eu modification législative, par suite de l'arrêt Mathieu, conformément aux arrêts ABZ c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 804, au paragraphe 13, et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 125, au paragraphe 29, les modifications n'ont pas d'effet rétroactif. La SAI a également précisé que, même s'il y avait eu erreur et que la décision initiale avait comporté une erreur de droit, elle pouvait être contestée par contrôle judiciaire. Une erreur de droit n'est pas, en soi, identique à un manquement à la justice naturelle. La SAI a donc rejeté la demande de réouverture.

 

[8]               La seule question à trancher est de savoir si la SAI a commis une erreur en refusant de rouvrir l'appel.

 

[9]               La norme de contrôle, dans les décisions interprétant des faits ou à la fois des points de droit et des faits, est la décision raisonnable. Dans les questions de droit, d'équité procédurale ou de règles de justice naturelle, la norme est la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). Dans Dunsmuir et dans Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Khosa, 2009 CSC 12, la Cour suprême du Canada a réaffirmé que la retenue était de mise à l'égard des décisions des tribunaux administratifs.

 

[10]           L'article 71 de la LIPR est ainsi conçu :

 

Réouverture de l’appel

71. L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

 

Reopening appeal

71. The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

 

 

[11]           Le paragraphe 64(2) de la LIPR établit que, lorsqu'une personne a été interdite de territoire pour grande criminalité, parce qu'elle a commis une infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans, aucun appel ne peut être interjeté auprès de la Section d'appel de l'immigration. L'article 64 dispose :

 

Restriction du droit d’appel

64. (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

Grande criminalité

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.

No appeal for inadmissibility

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

Serious criminality

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

 

[12]           Le texte de la loi dispose clairement que, pour rouvrir un appel, la SAI doit être convaincue qu’elle n’a pas respecté un principe de la justice naturelle lorsqu'elle a rendu la décision initiale.

 

[13]           Le demandeur soutient toutefois que sa plainte se fonde sur la décision de la Cour fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Atwal, 2004 CF 7, qui a détourné les intentions exprimées par la Cour suprême du Canada dans R c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, car, au lieu de protéger le condamné contre une double peine et de lui assurer l'équité au moment du prononcé de la sentence, on cherche un prétexte pour imposer un préjudice injustifié et non recherché et nier dans les faits un droit constitutionnel, ce qui alourdit les conséquences de la déclaration de culpabilité, puisque la période de temps mort est pondérée arbitrairement et prise en compte de façon à étendre la portée du paragraphe 64(2) de la LIPR.

 

[14]           Le demandeur soutient en outre que, même si le gouvernement a le droit d'expulser des résidents permanents pour cause de criminalité, le fait est que tous les condamnés, qu'ils soient citoyens ou résidents permanents, ont le droit, aux termes de l'article 15 de la Charte, que la même signification soit donnée aux termes du Code criminel, et plus précisément aux termes « peine », « emprisonnement » et « détermination de la peine ».

 

[15]           Le demandeur admet la justesse et le bien-fondé de l'ordonnance d'expulsion pour « grande criminalité », définie à l'alinéa 36(1)a) de la LIPR, prise à son endroit pour les deux raisons, soit le fait que son infraction était punissable d'un maximum de dix ans ou plus d'emprisonnement, et que la peine imposée a été supérieure à six mois. Il n'est cependant pas d'accord sur le fait que, d'après lui, la « grande criminalité » en cause ne concernait pas un crime qui est puni au Canada d'une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans; par conséquent, il n’aurait pas dû être privé de son droit d'appel aux termes du paragraphe 64(1) de la LIPR.

 

[16]           Pour les motifs qui suivent, il faut rejeter l'argumentation du demandeur.

 

[17]           Le terme « emprisonnement », au paragraphe 64(2) de la LIPR, doit être interprété d'une façon qui donne un sens au régime et à l'objet du texte de loi. En adoptant ce paragraphe, le Parlement a voulu établir un critère objectif ou un « seuil » pour définir la grande criminalité. Dans Atwal précitée, le juge Yvon Pinard a affirmé ce qui suit :

 

[15]       En adoptant l'article 64 de la LIPR, le législateur a voulu établir une norme objective de criminalité au regard de laquelle un résident permanent perd son droit d'appel. On peut présumer que le législateur était au courant du fait que, conformément à l'article 719 du Code criminel, la période de détention présentencielle est prise en considération lors de la détermination des peines. Appliquer l'article 64 de la LIPR en faisant abstraction de la période de détention présentencielle lorsque cette période a été expressément prise en compte dans la détermination de la peine serait contraire à l'intention qu'avait le législateur lors de l'adoption de cet article.

 

 

[18]           De façon répétée, la Cour fédérale a convenu que ce serait aller à l'encontre de l'intention du législateur que de ne pas tenir compte de la détention présentencielle aux termes de la LIPR, lorsque cette période de détention est expressément créditée sur la peine imposée dans un contexte pénal comme faisant partie de l'emprisonnement. Une interprétation différente entraînerait en fait une incongruité concernant le « seuil » de criminalité que le législateur a choisi lorsqu'il a adopté le paragraphe 64(2) de la LIPR (Magtouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 483, paragraphes 19 à 24; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Smith, 2004 CF 63, paragraphes 9 et 10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Gomes, 2005 CF 299, paragraphes 18 et 19; Cheddesingh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 667, paragraphe 14; Jamil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 758, paragraphe 23; Shepherd c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1033, paragraphes 11 à 15; Cheddesingh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 124, paragraphes 28 et 29).

 

[19]           En outre, les décisions de la Cour fédérale précitées appliquent la démarche fondée sur les objectifs de la loi empruntée par la Cour suprême dans Mathieu et elles concordent avec ce que la Cour suprême a exposé dans cet arrêt : il est permis, exceptionnellement, de considérer que la durée de la détention provisoire fait partie de la peine d'emprisonnement infligée au moment du prononcé de la peine (Mathieu, précité, paragraphe 7).

 

[20]           En l'espèce, la détention présentencielle a été créditée sur la peine d'emprisonnement par le juge ayant établi la peine qui convenait à la déclaration de culpabilité. La transcription du plaidoyer de culpabilité révèle que le demandeur a été crédité pour la période présentencielle dans un rapport de 2 pour 1. Le membre de la SAI a signalé que la décision initiale, en septembre 2007, était que la durée totale de l'emprisonnement était de 30 mois (avec un crédit de 15 mois, ce qui laissait 15 mois à purger). Le demandeur a donc été considéré comme une personne décrite au paragraphe 64(1) de la LIPR. [non souligné dans l'original.]

 

[21]           Les motifs de la SAI sont défendables comme fondement de la décision. On ne peut pas dire qu'il n'existe pas d'analyse pour appuyer la décision en l’espèce, ni que la décision s'écarte à ce point de ce qui est rationnel qu'elle devient indéfendable. À mon avis, il n'y a aucune raison pour que la Cour intervienne.

 

[22]           Enfin, la Cour suprême a souligné, dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, le fait que le principe le plus fondamental du droit en matière d'immigration est que les non-citoyens n'ont pas un droit absolu d'entrer ou de rester au Canada. Ce fait est également reconnu au paragraphe 6(1) de la Loi constitutionnelle (1982), qui prévoit que les citoyens ont « le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir ». Le demandeur n'est pas citoyen canadien. Le législateur a fait des choix légitimes quant aux circonstances dans lesquelles il n'est pas dans l'intérêt public qu'un non-citoyen soit autorisé à rester au Canada. La durée totale de la peine d'emprisonnement infligée au demandeur pour les infractions dont il a été déclaré coupable était de deux ans et demi, ou 30 mois. Par conséquent, la suppression de son droit de rester au Canada ne constituait pas, à mon avis, un manquement à la justice fondamentale.

 

[23]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été soumise en vue de la certification.

 

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 

 


TEXTES CONSULTÉS

 

  1. Chiarelli c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 711
  2. R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455
  3. Canada (M.C.I.) c. Atwal, 2004 CF 7
  4. Wu c. Canada (M.C.I.), [1989] 2 C.F. 175
  5. Kurniewica c. Canada (M.E.I.), [1974], CFPI no 922
  6. Saleh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 314
  7. Virk c. Canada (M.E.I.), [1991], CFPI no 72
  8. Bains c. Canada (M.E.I.), [1990], CFPI no 457
  9. R. c. Mathieu, 2008 CSC 21
  10. Mihalkov c. M.S.P.P.C., SAI TA7-05378
  11. Nana-Effah c. M.S.P.P.C., SAI MA8-02628
  12. ABZ c. Canada (M.C.I.), [2001] CFPI no 804
  13. Wang c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 125
  14. Medovarski c. Canada (M.C.I.), 2005 CSC 51
  15. Canada (M.C.I.) c. Cuskic, [2001] 2 C.F. 3
  16. Mokelu c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 757
  17. R. c. Z. (D.A.), [1992] 2 R.C.S. 1025
  18. R. c. Arthurs, 2000 CSC 19
  19. R. c. Arrance, 2000 CSC 20
  20. R. c. Fice, 2005 CSC 32
  21. Canada (M.C.I.) c. Smith, 2004 CF 63
  22. Canada (M.C.I.) c. Gomes, 2005 CF 299
  23. Cheddesingh c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 667
  24. Jamil c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 758
  25. Sherzad c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 757
  26. Shepherd c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1033
  27. Cheddesingh c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 124
  28. Magtouf c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 483
  29. Martin c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 60
  30. Cartwright c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 792
  31. Nabiloo c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 125
  32. R. c. Sooch, 2008 CA Alta 186
  33. Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15
  34. Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9
  35. Canada (M.C.I.) c. Khosa, 2009 CSC 1

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5668-08

 

INTITULÉ :                                       BAWO ARIRI c. MSPPC

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 27 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                    L’HONORABLE LOUIS S. TANNENBAUM

 

DATE DES MOTIFS

DU JUGEMENT :                             Le 17 août 2009

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Marshall E. Drukarsh

 

POUR LE DEMANDEUR

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Green and Spiegel, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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