Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20090908

Dossier : IMM‑748‑09

Référence : 2009 CF 877

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

XIAOQUAN LIU

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 11 février 2009, par laquelle la déléguée du ministre, Jillan Sadek, a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur (la décision).

 

CONTEXTE

 

[2]               M. Liu est né le 17 décembre 1970 en République populaire de Chine (la Chine ou la RPC), dont il est citoyen. Il atteste que, le 2 mars 2006, la Cour du peuple lui a signifié une assignation à comparaître le 27 mars 2006 relativement à une prétendue infraction au règlement sur la planification familiale. L’ambassade canadienne à Beijing a ultérieurement appris, après vérification, que cette assignation était un faux document.

 

[3]               Le 8 mars 2006, M. Liu aurait frauduleusement obtenu d’un citoyen de la RPC 400 000 RMB (58 946,92 $CAN). Le lendemain, il a quitté la Chine pour les États‑Unis. Le 15 mars 2006, le Bureau de la sécurité publique de Zigong, en Chine, a ouvert une enquête sur la plainte déposée par la victime, Xu Bi Qiang, relativement aux 400 000 RMB manquants.

 

[4]               En avril 2006, M. Liu a demandé l’asile aux États‑Unis, et sa demande a fait l’objet d’une recommandation d’approbation en attente de la vérification de ses antécédents le 24 mai 2006.

 

[5]               Le 18 septembre 2006, M. Liu, dont on ne connaissait pas les déplacements en Chine, a été accusé par le Bureau de la sécurité publique de fraude contractuelle en contravention de l’article 224 de la loi criminelle chinoise.

 

[6]               Le 10 février 2007, deux victimes de M. Liu ont appelé la police de Burlingame, en Californie, sur les lieux où M. Liu leur aurait, à leurs dires, volé des bijoux et de l’argent comptant. M. Liu a quitté les États‑Unis pour Hong Kong le lendemain.

 

[7]               Le 16 février 2007, le service de police de Burlingame aux États‑Unis a émis une déclaration fondée sur l’existence de motifs probables, selon laquelle M. Liu se serait enfui à Hong Kong après avoir escroqué des centaines de milliers de dollars en jades et en argent comptant à plusieurs personnes.

 

[8]               Le 20 mars 2007, M. Liu est arrivé à l’aéroport international de Vancouver, au Canada, en provenance de Hong Kong. Il tentait d’entrer au pays à titre de visiteur commercial. Lors de son entrevue avec l’agent de l’ASFC, il a reconnu être entré au Canada au moyen de faux documents. Il a convenu de quitter le Canada, et un vol de retour pour Hong Kong a été prévu pour le 24 mars 2007.

 

[9]               Le 24 mars 2007, M. Liu a refusé de prendre le vol de retour et a fait savoir à l’agent de l’ASFC qu’il désirait présenter une demande d’asile. Comme il était un immigrant sans visa de résident permanent, une mesure d’interdiction de séjour a été prise à son encontre ce même jour. De plus, M. Liu a été arrêté et détenu au motif qu’il était improbable qu’il se présente pour son renvoi. Il est demeuré depuis sous la garde de l’ASFC, sa détention faisant l’objet de contrôles périodiques par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR).

 

[10]           Le 5 avril 2007, M. Liu a retiré sa demande initiale d’asile au Canada, mais il a ensuite annulé ce retrait, le 12 avril 2007, après avoir appris qu’il serait renvoyé en Chine, et non à Hong Kong comme il l’avait supposé.

 

[11]           Le 30 mai 2007, les États‑Unis ont constaté le désistement de la demande d’asile de M. Liu étant donné qu’il avait quitté les États‑Unis pour retourner à Hong Kong avant qu’une décision n’ait été prise relativement à sa demande.

 

[12]           Le 7 août 2007, la Cour suprême de la Californie, dans le comté de San Mateo, a lancé un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Liu relativement à deux accusations fondées sur l’article 532 du California Penal Code, qui se trouve dans la section [traduction] « Usurpation d’identité et fraudes ». Les montants en jeu étaient de 250 000 $ en ce qui concerne les jades et de 300 000 $ pour l’argent comptant. Un mandat d’arrêt a été lancé à l’encontre de M. Liu aux États‑Unis le 17 août 2007. Les accusations visées par l’article 532 du California Penal Code sont équivalentes à celles qui pourraient être portées en vertu de l’alinéa 380(1)a) du Code criminel en matière de fraude.

 

[13]           Le 4 janvier 2008, M. Liu a retiré sa demande d’asile au Canada après avoir reçu un avis du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (la SPPC) l’informant que celui‑ci interviendrait à l’audience de la SPR pour invoquer l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. L’audience devant être tenue devant la SPR le 8 janvier 2008 a donc été annulée.

 

[14]           Le 9 février 2008, M. Liu a présenté une demande d’ERAR au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), dans laquelle il prétendait être visé par les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ch. 27 (la Loi) parce qu’il n’avait pas respecté la « politique de l’enfant unique » de la RPC, et que ce pays l’avait accusé de fraude en raison de cette non‑conformité. Il a en outre prétendu que les rapports sur la situation générale en Chine indiquaient qu’il serait torturé durant le procès en RPC et qu’il ne bénéficierait pas d’un procès équitable en raison de sa prétendue infraction en matière de fraude en Chine.

 

[15]           Le 26 juin 2008, l’agent d’ERAR, Robert North, a avisé M. Liu qu’il allait examiner la question de savoir s’il était une personne visée à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés et l’a invité à présenter ses observations à ce sujet.

 

[16]           Le 8 juillet 2008, lors de l’un des contrôles de sa détention, un membre de la Section de l’immigration a maintenu la détention du demandeur au motif qu’il était improbable que M. Liu se présente pour son renvoi et a déclaré ce qui suit [traduction] : « Vous êtes, au dire de tout le monde, ce que l’on pourrait appeler un fieffé malin. Vous avez manipulé un certain nombre de systèmes en espérant en tirer un profit pour vous‑même. Une partie de cette manipulation a fini par vous mener là où vous vous trouvez présentement. »

 

[17]           Le 17 juillet 2008, l’agent d’ERAR, M. North, a examiné la demande d’ERAR de M. Liu et préparé une évaluation des risques. Après avoir disposé de la demande de M. Liu conformément à l’alinéa 113c) de la LIPR, l’agent d’ERAR  a conclu que M. Liu ne pouvait être admis au bénéfice du statut de réfugié en vertu de l’article 98 de la Loi et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés (la Convention), parce qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’il avait commis un crime de droit commun grave aux États‑Unis  avant son admission au Canada. Par conséquent, M. Liu est devenu une personne visée à l’alinéa 112(3)c) de la Loi. M. Liu n’a pas demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent d’ERAR sur l’exclusion.

 

[18]           Également, le 17 juillet 2008, l’agent d’ERAR a rédigé un avis fondé sur l’article 97 selon lequel il existait des motifs suffisants de croire que M. Liu serait exposé au risque de subir un traitement cruel et inusité s’il était renvoyé en Chine. L’agent a également conclu qu’il était improbable que M. Liu subisse un procès équitable pour fraude.

 

[19]           L’affaire a été envoyée à Ottawa pour pondération et réexamen par la déléguée du ministre.

 

[20]           Le 20 novembre 2008, d’autres documents concernant la demande d’ERAR en instance ont été communiqués à M. Liu pour qu’il formule des observations. Ce même jour, le juge en chef de la Cour a rendu une ordonnance infirmant la décision de la Section de l’immigration de relâcher M. Liu et a indiqué que les procédures à venir pourraient faire l’objet d’une gestion d’instance et seraient examinées rapidement.

 

[21]           M. Liu a déposé ses dernières observations relativement à l’ERAR le 5 décembre 2008.

 

[22]           Le 11 février 2009, la déléguée du ministre, Jillan Sadek, a rejeté la demande d’ERAR de M. Liu après avoir conclu à l’insuffisance des éléments de preuve démontrant l’existence de risques conformément à l’article 97. La déléguée a par conséquent rejeté la demande du demandeur et conclu qu’il ne devait pas être sursis au renvoi de M. Liu du Canada.

 

DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE

 

[23]           Après avoir analysé les accusations criminelles pesant contre le demandeur, l’agent d’ERAR a conclu qu’il s’agissait d’une personne visée à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. Les accusations portent notamment sur les délits suivants : fraude criminelle en Chine; fraude en matière d’immigration aux États‑Unis d’Amérique; fraude criminelle aux États‑Unis d’Amérique; fraude en matière d’immigration au Canada. Cependant, l’agent d’ERAR a conclu que [traduction] « advenant le renvoi du demandeur en Chine, il est assez vraisemblable qu’il soit exposé au risque de subir des traitements cruels et inusités étant donné qu’il sera frustré du droit à un procès équitable que lui reconnaissent la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».

 

[24]           La déléguée du ministre a toutefois conclu ce qui suit : [traduction] « Après avoir dûment pris connaissance de toutes les observations et informations sur la situation actuelle en RPC, je suis en désaccord avec cette évaluation et j’en exposerai les raisons dans les paragraphes suivants ». La déléguée du ministre a noté que la fraude contractuelle en Chine avait eu lieu le 8 mars 2006. Le 9 mars 2006, le demandeur est entré aux États‑Unis et a demandé l’asile. Le 11 février 2007, il est parti à Hong Kong et y est resté du 11 février au 23 mars 2007 sans entrer en Chine.

 

[25]           Il existe une coopération entre Hong Kong et la Chine en matière criminelle et la déléguée du ministre était donc convaincue que M. Liu risquait d’être arrêté et peut‑être extradé en Chine continentale pour y subir son procès pour tout crime qu’il aurait pu commettre antérieurement en Chine. Pour tenter de justifier son retour à Hong Kong, le demandeur a déclaré aux responsables canadiens qu’il devait y régler des questions d’affaires urgentes, puis, modifiant son histoire, qu’il devait y voir un enfant malade. La déléguée du ministre a également signalé que le demandeur avait raconté une histoire complètement différente aux autorités américaines; il avait déclaré qu’il avait quitté les États‑Unis parce que c’était le festival du printemps chinois et qu’il devait s’occuper de questions urgentes. La déléguée du ministre a conclu que [traduction] « quelle qu’en soit la raison, le fait est qu’il est retourné à Hong Kong alors qu’il courait le risque d’être arrêté et poursuivi. Ceci démontre que M. Liu ne craignait guère des répercussions graves ».

 

[26]           En ce qui a trait à la question de la torture en Chine, la déléguée du ministre, après avoir étudié la documentation sur le pays, a conclu que, bien que le système judiciaire chinois continue à recourir à la torture, les responsables chinois prennent depuis 1996 des mesures concrètes pour lutter contre ce problème systémique. Aucune preuve présentée à la déléguée du ministre ne l’a convaincue que le demandeur appartient à l’un quelconque des groupes vulnérables décrits dans la documentation. La déléguée a conclu que, si le demandeur était renvoyé en Chine, il ne s’exposait qu’à une simple possibilité de torture, qu’il ne courait pas le risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités en raison des limitations procédurales du système judiciaire chinois et qu’il n’encourait pas plus qu’une simple possibilité de torture et de peines ou  traitements cruels ou inusités en raison des conditions carcérales en Chine. Dans l’ensemble, la déléguée estimait qu’il n’y avait pas de possibilité de torture et de peines cruelles ou inusitées si le demandeur était renvoyé en Chine.

 

[27]           La déléguée du ministre a conclu que l’affaire ne comportait pas de motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, la demande a été rejetée et il n’a pas été sursis au renvoi du demandeur.

 

QUESTIONS

 

[28]           Le demandeur a soulevé les questions suivantes dans sa demande :

1)                  Comme le demandeur n’est pas une personne visée au paragraphe 112(3) de la Loi, le tribunal a‑t‑il outrepassé sa compétence en effectuant une analyse fondée sur le sous‑alinéa 113d)(ii) de la Loi et en prétendant rendre une décision définitive relativement à l’ERAR?

2)                  La conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur n’était pas une personne exposée à un risque sérieux de subir de la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités était‑elle déraisonnable?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[29]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

6. (1) Le ministre désigne, individuellement ou par catégorie, les personnes qu’il charge, à titre d’agent, de l’application de tout ou partie des dispositions de la présente loi et précise les attributions attachées à leurs fonctions.

 

Délégation

 

(2) Le ministre peut déléguer, par écrit, les attributions qui lui sont conférées par la présente loi et il n’est pas nécessaire de prouver l’authenticité de la délégation.

 

 

Restriction

 

(3) Ne peuvent toutefois être déléguées les attributions conférées par le paragraphe 77(1) et la prise de décision au titre des dispositions suivantes : 34(2), 35(2) et 37(2)a).


Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

...

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

...

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

...

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

 

6. (1) The Minister may designate any persons or class of persons as officers to carry out any purpose of any provision of this Act, and shall specify the powers and duties of the officers so designated.

 

 

Delegation of powers

 

(2) Anything that may be done by the Minister under this Act may be done by a person that the Minister authorizes in writing, without proof of the authenticity of the authorization.

 

Exception

 

(3) Notwithstanding subsection (2), the Minister may not delegate the power conferred by subsection 77(1) or the ability to make determinations under subsection 34(2) or 35(2) or paragraph 37(2)(a).

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Exclusion — Refugee Convention

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

...

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

...

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

...

 

 (d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

114. (1) A decision to allow the application for protection has







(a) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), the effect of conferring refugee protection; and

(b) in the case of an applicant described in subsection 112(3), the effect of staying the removal order with respect to a country or place in respect of which the applicant was determined to be in need of protection.

 

 

[30]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent aussi en l’espèce :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

...

 

172. (4) Malgré les paragraphes (1) à (3), si le ministre conclut, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi, que le demandeur n’est pas visé par cet article :

 

a) il n’est pas nécessaire de faire d’évaluation au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi;

 

b) la demande de protection est rejetée.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

...

 

172. (4) Despite subsections (1) to (3), if the Minister decides on the basis of the factors set out in section 97 of the Act that the applicant is not described in that section,

 

 

(a) no written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act need be made; and

 

(b) the application is rejected.

 

 

[31]           La disposition suivante de la Convention s’applique aux présentes procédures :

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :


  ...

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that.

 

...

 

(b) He has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[32]           Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle judiciaire applicable aux questions de droit demeure celle de la décision correcte, et que les autres questions sont assujetties à la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Le demandeur soutient que la question de savoir si le tribunal a outrepassé sa compétence ou omis de faire ce à quoi il était tenu aux termes du sous‑alinéa 113d)(ii) de la Loi est une question de droit qui est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte. La question de savoir s’il était loisible au tribunal de conclure, compte tenu des éléments de preuve qui lui étaient présentés, que le demandeur n’est pas une personne exposée à un risque doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

 

[33]           Les défendeurs font valoir que les questions de savoir si le demandeur est visé à l’alinéa 112(3)c) de la Loi et si la déléguée était habilitée à prononcer l’exclusion du demandeur en vertu de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention sont des questions de compétence qui peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa), au paragraphe 42.

 

[34]           Les défendeurs soutiennent que l’appréciation de la preuve par la déléguée et la conclusion de fait de nature administrative tirée par celle‑ci appelaient un degré élevé de déférence. Ces questions peuvent faire l’objet d’un contrôle suivant la norme de la décision raisonnable conformément à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985 ch. F‑7. Toute décision prise de manière abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve peut être dite déraisonnable selon l’arrêt Khosa.

 

[35]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a statué qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de « raisonnabilité ».

 

[36]           La Cour suprême du Canada a également statué dans l’arrêt Dunsmuir qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle judiciaire. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle judiciaire. Ce n’est que lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs que comporte l’analyse de la norme de contrôle judiciaire.

 

[37]           À la lumière de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle judiciaire applicable à la première question, qui en est une de droit, est celle de la décision correcte, et que celle qui s’applique à la deuxième décision est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’une décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la décision raisonnable, l’analyse doit s’intéresser principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. En d’autres mots, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

            Le demandeur

                        Aucune compétence pour rendre une décision relative à un ERAR

 

[38]           Le demandeur fait valoir qu’aucune disposition de la Loi ou du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) n’autorise l’agent d’ERAR à rejeter une demande d’asile sur le fondement de la section 1F de la Convention. Il soutient que la ministre a délégué aux agents d’ERAR le pouvoir d’accueillir ou de rejeter une demande d’asile. Le seul autre pouvoir délégué à l’agent d’ERAR est celui d’annuler une décision d’accorder la protection lorsque l’agent est d’avis que le demandeur a menti sur des faits importants relativement à une question pertinente.

 

[39]           Le demandeur invoque l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CFA 250, au paragraphe 40 :

40    Je répondrais donc aux questions certifiées conformément à cette analyse. Plus précisément, je dirais qu’un demandeur peut se voir refuser l’asile par la Section de la protection des réfugiés en cas d’infraction purement économique. Je souligne le mot asile parce que la question certifiée semble laisser entendre que l’exclusion s’applique aussi aux demandes de protection, ce qui n’est pas le cas. L’exclusion vaut uniquement pour les demandes d’asile. Je tiens également à souligner que, pour l’application de l’exclusion, la Section de la protection des réfugiés n’a ni le droit ni l’obligation de pondérer les crimes (véritables ou présumés) de la demanderesse avec les risques qu’elle court d’être torturée si elle retourne dans son pays d’origine.

 

 

[40]           Le demandeur fait valoir que le ministre et sa déléguée agissent en l’espèce sur le fondement qu’il était loisible à l’agent d’ERAR de rejeter une demande d’asile dans le cadre de l’examen d’une demande de protection. Le demandeur soutient que, ce faisant, ils agissent illégalement et que la déléguée du ministre n’a pas la compétence pour rejeter une demande de protection, même si elle est d’avis que le demandeur constitue un danger pour le public.

 

[41]           Le demandeur soutient qu’il n’est pas une personne visée aux alinéas a) à d) du paragraphe 112(3) de la Loi. L’agent d’ERAR qui a prononcé l’exclusion a coché « non » à chacune des cases correspondant aux alinéas 112(3) a) à d) de la Loi dans le formulaire des résultats de l’ERAR qu’il a rempli dans les motifs de sa décision.

 

[42]           Le demandeur fait valoir que ni l’avis de l’agent d’ERAR ni la décision de la déléguée, qui fait l’objet du présent contrôle, ne citent les sources sur lesquelles l’agent d’ERAR pouvait faire reposer sa décision de débouter le demandeur de sa demande d’asile à titre de personne visée au paragraphe 112(3) de la Loi.

 

[43]           La Loi prévoit expressément, aux paragraphes 99(1) et 99(3), qu’une personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à faire une demande d’asile :

99. (1) La demande d’asile peut être faite à l’étranger ou au Canada.

 

...

 

(3) Celle de la personne se trouvant au Canada se fait à l’agent et est régie par la présente partie; toutefois la personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à la faire.

99. (1) A claim for refugee protection may be made in or outside Canada.

 

...

 

(3) A claim for refugee protection made by a person inside Canada must be made to an officer, may not be made by a person who is subject to a removal order, and is governed by this Part.

 

[44]           Le demandeur invoque également les paragraphes 100(1) et 107(1) de la Loi :

100. (1) Dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la demande, l’agent statue sur sa recevabilité et défère, conformément aux règles de la Commission, celle jugée recevable à la Section de la protection des réfugiés.

 

 

...

 

107. (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

100. (1) An officer shall, within three working days after receipt of a claim referred to in subsection 99(3), determine whether the claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division and, if it is eligible, shall refer the claim in accordance with the rules of the Board.

 

...

 

107. (1) The Refugee Protection Division shall accept a claim for refugee protection if it determines that the claimant is a Convention refugee or person in need of protection, and shall otherwise reject the claim.

 

 

[45]           Le demandeur signale qu’aucun agent d’immigration n’est désigné conformément à l’article 6 de la Loi pour rendre des décisions relativement aux demandes d’asile et qu’il n’est délégué à l’agent d’ERAR que le pouvoir d’examiner et d’accueillir ou de rejeter les demandes de protection.

 

[46]           Le demandeur fait ressortir que la demande d’asile et la demande de protection constituent deux démarches complètement différentes dont traitent des dispositions distinctes de la Loi et du Règlement. La demande d’asile est prévue aux articles 99 à 109 de la Loi, tandis que la demande de protection l’est aux articles 112 à 116 de la Loi et aux articles 160 à 174 du Règlement.

 

[47]           Le demandeur soutient que, comme l’agent d’ERAR a fait en l’espèce une évaluation positive du risque et que le demandeur n’est pas visé au paragraphe 112(3), l’effet de sa décision est de conférer l’asile au demandeur :

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

114. (1) A decision to allow the application for protection has (a) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), the effect of conferring refugee protection; and (b) in the case of an applicant described in subsection 112(3), the effect of staying the removal order with respect to a country or place in respect of which the applicant was determined to be in need of protection.

 

[48]           Le demandeur affirme aussi que le ministre était bien conscient que la question de savoir si l’agent d’ERAR était habilité à prononcer l’exclusion était débattue le 9 décembre 2008 dans l’affaire Li dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

 

[49]           Le demandeur fait remarquer que la déléguée a reconnu dans la décision que la question de savoir si l’agent d’ERAR était habilité à prononcer l’exclusion était une question de droit qui n’a pas été tranchée, mais qu’il s’agit d’une question [traduction] « qu’il appartient aux tribunaux de trancher ».

 

[50]           Le demandeur conclut à cet égard que, puisque la Loi ne confère pas à l’agent d’ERAR le pouvoir d’exclure une personne de la protection accordée aux réfugiés, la déléguée n’avait pas compétence pour prendre sa décision.

 

La conclusion du tribunal que le demandeur ne court pas de risques est déraisonnable

 

[51]           Le demandeur fait également valoir que la conclusion de la déléguée quant à l’évaluation des risques qu’il courait en Chine est compromise par des considérations non pertinentes comme le retour antérieur de M. Liu en Chine, les « progrès » réalisés par le gouvernement chinois en ce qui concerne la torture et les autres violations des droits de la personne, et l’affirmation selon laquelle M. Liu n’appartient à aucun groupe vulnérable défini.

 

[52]           Le demandeur fait remarquer que la crainte subjective n’est pas pertinente pour une analyse au regard de l’article 97. La déléguée n’a pas suffisamment porté attention à la preuve qui lui était présentée en ce qui a trait au recours largement répandu à la torture, à la violation des droits légaux incompatible avec les normes internationales fondamentales et aux conditions carcérales qui entraînent un risque pour la vie et qui sont intrinsèquement cruelles. Il dit que la déléguée a ignoré les éléments de preuve qui n’allaient pas dans le sens de ses conclusions et qu’elle s’est livrée à [traduction] « un survol superficiel des progrès qui ont été accomplis en Chine depuis 1996 ».

 

[53]           Le demandeur signale qu’un nombre considérable de preuves documentaires ont été présentées à l’agent d’ERAR qui est parvenu à la conclusion que le demandeur courait un risque. Le demandeur affirme que les documents sur le pays présentés à la déléguée établissent un schéma continuel d’abus généralisés et de torture en Chine, quelles qu’aient pu être les améliorations accomplies depuis dix ou quinze ans. Il fait remarquer que les rapports du département d’État des États‑Unis sur la question de torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants n’ont que très peu changé depuis les derniers trois ans et qu’ils font ressortir l’incapacité de l’État à maîtriser ce problème [traduction] « largement répandu ».

 

[54]           Le demandeur déclare également que des extraits des rapports de 2007 sur la Chine du département d’État américain cités dans les motifs de la déléguée concluent constamment que la torture demeure [traduction] « largement répandue » en Chine et que les mesures prises par l’État pour maîtriser le problème sont insuffisantes :

[traduction] En mars 2006, le rapporteur spécial des Nations Unies, M. Nowak, a réitéré des conclusions antérieures selon lesquelles la torture, quoiqu’en déclin – particulièrement dans les zones urbaines –, demeure largement répandue et les mesures procédurales et de fond qui ont été prises étaient inadéquates pour la prévenir. M. Nowak rapporte que les volées de coups de poing, de bâtons ou de bâtons électriques continuent d’être les formes les plus courantes de torture. Il conclut également que les prisonniers continuent de se voir infliger des brûlures à l’aide de cigarettes, de subir des périodes prolongées d’isolement cellulaire et d’être submergés dans de l’eau ou de l’eau d’égout, et qu’on leur fait prendre des poses extrêmes pendant de longues périodes, leur refuse des traitements médicaux et les astreint à des travaux forcés.

 

[55]           Le demandeur prétend que la confiance de la déléguée en les améliorations procédurales n’est pas pertinente à la lumière du schéma d’ensemble. De même, la déléguée a commis une erreur en concluant que le demandeur ne courrait pas de risque parce qu’il n’appartient à aucun des [traduction] « groupes vulnérables » mentionnés dans les rapports. Il existe des éléments de preuve clairs que l’utilisation de la torture est largement répandue et qu’elle n’est pas restreinte à un groupe particulier quelconque.

 

[56]           Le demandeur fait également ressortir un extrait du rapport du département d’État américain de 2007, qui était cité dans l’avis de l’agent d’ERAR :

[traduction] La loi interdit aux geôliers d’arracher des confessions par la torture, en portant atteinte à la dignité des prisonniers ou en leur infligeant des coups ou en incitant d’autres à le faire. Cependant, en novembre 2006, le sous‑secrétaire du Protectorat suprême du peuple (PSP), Wang Zhenchuan, a reconnu que les interrogatoires illégaux au moyen de « tortures atroces » existaient dans la pratique judiciaire locale dans toute la Chine et que la plupart des affaires criminelles qui avaient été mal traitées au cours de l’année précédente comportaient « l’ombre des interrogatoires illégaux ». M. Wang estimait qu’au moins trente condamnations injustifiées se produisaient chaque année à cause de la torture. De plus, il y avait encore des rapports selon lesquels la police et d’autres éléments de l’appareil de sécurité employaient la torture et des traitements dégradants sur des détenus et des prisonniers.

 

 

[57]           Le demandeur soutient que les trente cas de torture par année pour lesquels les autorités chinoises reconnaissent qu’ils ont entraîné des déclarations de culpabilité injustifiées ne sont [traduction] « que la pointe de l’iceberg ».

 

[58]           Le demandeur n’est pas en désaccord avec l’avis de la déléguée selon lequel [traduction] « le simple fait que des cas de déclarations de culpabilité injustifiées se révèlent est prometteur ». Il ajoute toutefois que ce fait n’est pas pertinent dans le cadre d’une analyse du risque et qu’il s’agit d’un [traduction] « résumé entièrement déraisonnable et incorrect [...] de l’article de journal qui décrit en détail la peine cruelle et inusitée infligée à seulement un des nombreux individus injustement déclarés coupables au moyen de confessions extorquées par la torture » et dont voici le texte : 

[traduction]

 

Le Protectorat suprême du peuple, ministère de la Justice de la Chine, a déclaré en juillet que 4 645 suspects avaient été victimes de violations des droits de la personne, ayant notamment subi la torture, au cours des enquêtes depuis les douze derniers mois.

 

Les hauts responsables exercent des pressions afin que les procédures  criminelles soient améliorées... Mais ces changements, s’ils se produisent, prendront du temps. Il a été recommandé à l’organe législatif mené par le parti communiste de Chine d’étudier plusieurs nouvelles protections, comme le droit de conserver le silence. Mais ces propositions n’ont pas abouti parce que la police s’y oppose constamment.

 

 

[59]           Le demandeur fait valoir que la révélation de déclarations de culpabilité injustifiées consécutives à des confessions arrachées par la torture (malgré l’importante résistance et l’indifférence des autorités de l’État) ne remédie ni à la torture qui a entraîné les déclarations de culpabilité injustifiées ni aux années passées dans un système carcéral inhumain. La déléguée aurait dû tenir compte de la prévalence de la torture comme outil d’interrogatoire et du fait que ces problèmes ont un ancrage profond. Le demandeur cite les articles du New York Times présentés à la déléguée qui illustrent les cruautés du système judiciaire chinois. L’agent d’ERAR a fait cette corrélation évidente, tandis que la déléguée a fermé les yeux sur les éléments de preuve qui lui étaient présentés quant aux risques réels découlant du non‑respect des droits légaux fondamentaux, et les a mal interprétés.

 

[60]           Le demandeur fait également valoir que la déléguée a porté son attention sur une question erronée. Elle aurait plutôt dû traiter de la question examinée par l’agent d’ERAR : Est‑il probable que le demandeur sera frustré de ses droits légaux fondamentaux énumérés dans de nombreux documents sur les droits de la personne et, si tel est le cas, est‑ce que le déni de ces droits l’exposera au risque d’être exposé à la torture ou à des peines cruelles et inusitées? La preuve indique que le demandeur court en effet de tels risques.

 

[61]           Le demandeur invoque la décision Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 361 (Lai), aux paragraphes 136 à 138 :

136     Pourtant, l’agente a omis d’aborder deux graves lacunes que les demandeurs ont signalées en se fondant sur les mêmes rapports que ceux cités par l’agente dans sa décision. Premièrement, il semble que l’on s’accorde de plus en plus pour dire que l’on ne devrait pas demander d’assurances diplomatiques lorsque le recours à la torture est suffisamment systématique ou généralisé. Dans son rapport à l’Assemblée générale de l’ONU du 1er septembre 2004 [Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines, ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Doc. de L’ONU, A/59/324], le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture rappelle que le principe du non‑refoulement fait partie intégrante de l’interdiction générale, absolue et impérative de la torture et des autres formes de mauvais traitements. Signalant que, pour déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture, il faut tenir compte de toutes les considérations pertinentes, le Rapporteur spécial s’est dit d’avis que lorsqu’il existe, dans un pays, un « ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives [...] le principe de non‑refoulement doit être strictement respecté et qu’il convient de ne pas recourir aux assurances diplomatiques » (Rapport soumis en application de la résolution 58/164 de l’Assemblée générale, Document de l’ONU A/59/324).

 

137     La logique qui sous‑tend cette position est facile à saisir. Si un pays n’est pas disposé à respecter un instrument juridique supérieur qu’il a signé et ratifié — en l’occurrence la Convention des Nations Unies contre la torture —, pourquoi respecterait‑il un instrument de moindre importance comme une note diplomatique, qui n’a aucune force obligatoire et qui n’est pas exécutoire en droit international? Aux pages 13 et 14 de leur rapport conjoint, Human Rights Watch, Amnestie Internationale et la Commission internationale des juristes développent leur pensée sur ce dilemme :

[traduction] Comme le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré, à propos des assurances diplomatiques : « la faiblesse inhérente à cette pratique tient au fait que de telles assurances ne sont nécessaires que parce qu’il existe manifestement un risque constaté de tortures ou de mauvais traitements. La valeur de la signature d’un « accord » ou de l’acceptation des « assurances » données par un État qui ne respecte même pas des accords multilatéraux juridiquement contraignants qui interdisent la torture et les autres mauvais traitements est nécessairement faible. Les assurances diplomatiques ne sont que de simples répétitions—en fait, un faible écho—des obligations internationales que les États d’accueil se sont déjà engagés à respecter, notamment par traité, mais qu’ils ont violées dans le passé. 

 

S’appuyer sur des accords bilatéraux non contraignants comme les assurances diplomatiques pour assurer le respect d’obligations juridiquement obligatoires met à mal la crédibilité et l’intégrité des normes juridiques universelles et de leur système de mise en application, ce qui est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit d’un pays qui refuse systématiquement tout recours aux mécanismes internationaux déjà existants.

 

138     L’agente d’ERAR a reconnu que de nombreux rapports confirmaient que le recours à la torture est encore répandu en Chine. Elle a admis, à la page 20 de sa décision, que la preuve témoignait de [traduction] « l’existence troublante » de la torture en Chine, malgré le fait que celle‑ci soit un des pays signataires de la Convention des Nations Unies contre la torture. L’agente d’ERAR ne s’est toutefois pas demandé s’il y avait lieu d’ajouter foi aux assurances diplomatiques données par le gouvernement chinois. Elle ne s’est tout simplement pas livrée à cette analyse. Après avoir examiné la situation générale qui existe en Chine en ce qui concerne la torture, elle est passée à l’examen du cas particulier des Lai sans jamais décider s’il convenait de le faire, compte tenu de la situation générale. Je suis d’accord avec les Lai pour dire que cette façon de procéder était, en soi, manifestement déraisonnable.

 

[62]           Le demandeur soutient que les conditions dans le pays, qui ont été examinées dans la décision Lai, n’ont pas changé. Même si le demandeur est visé par le paragraphe 112(3) de la Loi, la conclusion du tribunal que le demandeur n’est pas une personne à protéger est déraisonnable.

 

Les défendeurs

            Le demandeur est visé au paragraphe 112(3)

 

[63]           Les défendeurs font valoir que le cadre législatif montre clairement que la déléguée était habilitée à rendre sa décision défavorable puisque l’agent d’ERAR n’avait pas outrepassé sa compétence en déboutant le demandeur de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[64]           Les demandeurs affirment que l’interprétation étroite donnée par le demandeur à l’alinéa 112(3)c) de la Loi est incompatible avec les termes généraux utilisés ainsi qu’avec l’esprit et les objets de la Loi et aboutirait à des résultats contraires à l’intention du législateur. Les défendeurs soutiennent qu’il convient de donner aux termes de la Loi une interprétation téléologique tenant compte de leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical de ces mots qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, ses objets et l’intention du législateur. Lorsque le demandeur a demandé « la protection accordée aux réfugiés », sa demande incluait une demande d’asile. Subsidiairement, s’il existe une lacune législative perceptible, le dispositif d’exclusion dans le contexte de l’ERAR doit être compris comme analogue au dispositif d’exclusion dans le contexte de la Section de la protection des réfugiés afin d’éviter des conséquences absurdes.

 

[65]           Le paragraphe 112(3) de la Loi doit être interprété de manière à empêcher que l’asile ne résulte d’une demande de protection si la personne a fait une demande d’asile ou une demande de protection qui a été rejetée au titre de la section F de l’article premier de la Convention. L’examen de la demande de protection doit alors reposer sur les éléments mentionnés à l’article 97 conformément à l’alinéa 113d) de la Loi.

 

Interprétation large de l’alinéa 112(3)c) de la Loi

 

[66]           Les défendeurs soutiennent qu’il est raisonnable d’interpréter l’alinéa 112(3)c) de manière à y inclure les demandes d’asile qui sont inhérentes aux demandes de protection dans le cadre d’un ERAR, étant donné le contexte de la Loi. La Cour suprême a reconnu ce contexte dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, aux paragraphes 5 à 10, en notant que la Loi accorde une importance prioritaire à la sécurité et exprime « la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi ».

 

[67]           Les défendeurs soutiennent que l’argument du demandeur repose sur la prétention que la demande d’asile et la demande de protection sont [traduction] « deux processus entièrement différents ». Cependant, ces deux processus peuvent donner lieu à l’asile. Les manières différentes dont l’asile peut être obtenu ne devraient pas être confondues avec deux volets de protection dans la Loi, soit le volet de l’« asile » et le volet de la « protection ». Cela a été reconnu par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Xie. Le volet « protection » n’existe que dans le cadre de l’ERAR. Les défendeurs soutiennent que, comme une personne peut obtenir l’« asile » dans le cadre des deux processus, le « volet de l’asile » est présent dans le processus de la Commission du statut de réfugié de même que dans le processus d’ERAR. Par conséquent, le demandeur a fait aussi une demande d’« asile » en déposant sa demande d’ERAR.

 

[68]           Conférer l’asile au demandeur après qu’il a été débouté de sa demande d’asile au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier serait contraire aux objets déclarés de la Loi. Voir : le paragraphe 3(2) de la Loi. Les défendeurs notent que cela serait contraire à l’alinéa 3(3)a) de la Loi selon lequel « l’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieurs et international ». La législation ne doit pas être interprétée d’une manière contraire aux objectifs de la Loi et aux règles d’interprétation législative. Si elle l’est, il s’ensuit des conséquences absurdes.

 

[69]           Les défendeurs font valoir que conférer l’asile au demandeur après que l’agent a conclu qu’il existait des motifs sérieux de considérer que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun aux États‑Unis avant d’être admis au Canada serait contraire à l’objet d’interdire le territoire aux personnes qui sont de grands criminels.

 

[70]           Conférer l’asile au demandeur aurait pour effet de créer une distinction bizarre et absurde entre les personnes dont l’exclusion serait prononcée par la Section de la protection des réfugiés en vertu de l’alinéa Fb) de l’article premier, et les personnes dont l’exclusion serait prononcée par l’agent d’ERAR en vertu du même alinéa, soit parce que les circonstances auraient changé, soit parce que la personne n’aurait jamais fait une demande d’asile à la Section de la protection des réfugiés. Les personnes dont l’exclusion serait prononcée par la Commission du statut de réfugié ne serait pas admissibles à l’asile, alors que celles dont l’exclusion serait prononcée par l’agent d’ERAR le seraient. Cela aurait pour effet de « récompenser » les personnes comme le demandeur qui choisissent de retirer leur demande d’asile devant la Section de la protection des réfugiés après l’intervention du ministre dans ces procédures pour les exclure. Conférer l’asile au demandeur après qu’il ait été débouté de sa demande d’asile au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention serait contraire aux termes de l’alinéa 113c) et du paragraphe 114(1) de la Loi, qui prévoient que la demande d’ERAR d’une personne ne peut être accueillie et que l’asile ne peut lui être conféré si elle est visée par l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

 

[71]           Les défendeurs soutiennent que l’interprétation étroite du demandeur signifierait que, une fois exclu, le demandeur n’aurait droit à aucune réévaluation des risques, ce qui n’était pas l’intention du législateur : voir les articles 96 à 98 et 113 et 114 de la Loi.

 

[72]           Les défendeurs soutiennent qu’il est nécessaire d’interpréter l’alinéa 112(3)c) comme incluant aussi bien la personne qui a été déboutée de sa demande d’asile que celle qui a été déboutée de sa demande de protection, toutes deux au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, de manière à éviter soit de conférer l’asile à une personne qui a été déboutée de sa demande d’asile, soit d’empêcher le réexamen de sa situation. Les défendeurs font remarquer que cette interprétation de l’alinéa 112(3)c) est compatible avec les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Xie selon laquelle la personne dont l’exclusion a été prononcée en vertu de l’article 98 et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention ne peut obtenir l’asile, mais elle peut demander protection dans le cadre d’une demande d’ERAR. Le paragraphe 33 de l’arrêt Xie est libellé comme suit :

33     Voilà donc l’économie de la Loi en ce qui concerne la façon de trancher les demandes de protection. Elle comporte deux volets, le premier concernant les demandes d’asile et le second, les demandes de protection dans le contexte de l’examen des risques avant renvoi. Ceux qui font l’objet de l’exclusion prévue à l’article 98 n’ont pas droit à l’asile mais peuvent présenter une demande de protection à l’étape de l’examen des risques avant renvoi. Les motifs qui peuvent fonder la demande de protection sont les mêmes, mais le ministre peut se demander si le fait d’accorder la protection porterait atteinte à la sécurité du public ou à celle du Canada. Si la protection est accordée, il y a sursis de la mesure de renvoi prise contre le demandeur. Ce dernier ne peut obtenir le statut de résident permanent aussi facilement que la personne à qui l’asile a été conféré.

 

                        Interprétation analogue de l’alinéa 112(3)c)

 

[73]           Les défendeurs font valoir à titre subsidiaire que si les tribunaux sont d’avis que « la demande d’asile » et « la demande de protection » sont tellement différentes qu’on ne peut interpréter la Loi comme conférant aux agents d’ERAR la compétence de prononcer des exclusions, alors les principes de l’interprétation législative, qui sont conçus pour prévenir l’absurdité, requièrent également que l’on évite une lacune législative perceptible au moyen d’une approche permettant aux agents d’ERAR de débouter des personnes de leurs demandes d’asile.

 

[74]           Les défendeurs déclarent que cette approche subsidiaire requiert que le régime d’exclusion dans le contexte de l’ERAR soit interprété de la même façon que le régime d’exclusion dans le contexte de l’asile. Le paragraphe 112(3) de la Loi doit être interprété de manière à empêcher que l’asile ne résulte d’une demande de protection lorsqu’une personne fait une demande d’asile ou une demande de protection qui a été rejetée au titre de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[75]           Il est impensable que législateur ait voulu les conséquences absurdes qui s’ensuivraient si les faits favorables à une conclusion d’exclusion n’étaient pas établis par la Section de la protection des réfugiés ou manifestes antérieurement au dépôt d’une demande de protection dans le contexte de l’ERAR. Cela créerait une distinction entre les demandeurs d’asile qui serait fondée sur le moment où leur exclusion possible aurait été révélée. Un tel résultat aurait pour effet d’empêcher arbitrairement qu’une mesure d’exclusion soit prise relativement à un demandeur et permettrait éventuellement que l’asile soit conféré à qui ne devrait pas l’obtenir, récompensant ainsi les personnes pouvant faire l’objet d’une exclusion et dont la situation véritable n’a pas été établie avant le stade de l’ERAR.

 

L’agent d’ERAR est habilité à se pencher sur l’application des clauses d’exclusion

 

[76]           Les défendeurs soutiennent que l’agent d’ERAR qui examine une demande d’ERAR est tenu de se pencher sur la question de savoir si le demandeur est exclu de la protection conférée aux réfugiés sur la base de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. L’article 113 de la Loi prescrit à l’agent d’ERAR de disposer de la demande d’ERAR d’un demandeur sur la base des articles 96 à 98 de la Loi. L’article 98 de la Loi prévoit que la personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention ne peut avoir qualité de « réfugié » ni de « personne à protéger ».

 

[77]           Les défendeurs font en outre valoir que si des faits survenus lors de la demande de protection soulèvent la question de l’exclusion, l’alinéa 113c) de la Loi prescrit à l’agent d’ERAR de disposer de la demande de protection sur la base de l’article 98. Les défendeurs rappellent que la législation confère clairement ce pouvoir à l’agent d’ERAR et que, dès que celui‑ci prononce l’exclusion en vertu de l’article 98, le demandeur est une personne visée à l’alinéa 112(3)c) de la Loi. La personne visée à l’alinéa 112(3)c) n’a pas droit à l’examen de sa demande d’asile en vertu de l’article 96 de la Loi. Si sa demande est accueillie, la personne a droit au sursis de son renvoi en vertu de l’alinéa 114(1)b) de la Loi. Si l’examen de la demande de protection en vertu de ces dispositions échoue, la demande de protection est rejetée par application du paragraphe 172(4) du Règlement. La protection et les dispositions d’ERAR elles‑mêmes reposent largement sur la nécessité de prendre en considération les faits nouveaux ou modifiés dont il n’a pas été antérieurement tenu compte et de mettre en balance le besoin de protection d’une personne et l’inadmissibilité de cette personne. L’historique du texte de loi, donné comme preuve de l’objet de la loi, est, de l’avis des défendeurs, favorable à cette interprétation de la Loi. Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux paragraphes 30 à 35.

 

[78]           Les défendeurs font remarquer que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Xie, a reconnu que l’économie de la Loi en ce qui concerne la façon de trancher les demandes de protection comporte deux volets, le premier visant les demandes d’asile et le second, les demandes de protection. Les défendeurs conviennent que l’économie de la Loi comporte en effet ces deux volets, mais ils font observer qu’elle comporte ces deux volets dans le contexte de l’ERAR, comme il ressort de l’alinéa 113c) de la Loi. Il convient de noter que les déclarations de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Xie ont été faites dans le contexte d’une conclusion d’exclusion, qui avait déjà été formulée par la Section de la protection des réfugiés, et de ses conséquences sur une demande d’ERAR subséquente. En faisant cette déclaration, la Cour s’est prononcée de manière exhaustive sur les volets de protection applicables dans le contexte de l’ERAR, mais elle n’entendait pas restreindre l’évaluation de l’exclusion et de l’asile dans le contexte de l’ERAR.

 

[79]           Les défendeurs signalent que le demandeur s’appuie sur l’historique législatif en ce qui a trait à l’article 167 du Règlement pour présumément démontrer que les agents d’ERAR ne sont pas habilités à se pencher sur l’application de l’exclusion en vertu de la section F de l’article premier de la Convention. Les défendeurs sont d’avis que, bien que l’historique du texte de loi soit admissible pour aider à la détermination de l’objectif du législateur, il ne faut pas lui accorder un poids indu. Deuxièmement, les critères pour les audiences établis d’abord dans le REIR de la Gazette du Canada du 15 décembre 2001 sont demeurés inchangés dans la version définitive du REIR de la Gazette du Canada du 14 juin 2002. Si la modification apportée au projet d’article 159 du Règlement, qui est maintenant devenu l’article 167, visait une modification de fond de la politique, ou si le libellé antérieur du projet de règlement avait constitué une source de controverse, il est raisonnable de supposer qu’on aurait mis cette modification en évidence comme un domaine où le gouvernement répondait à une préoccupation d’intérêt public. Troisièmement, l’historique du texte législatif ne permet pas de penser que le législateur voulait conférer l’asile aux personnes pouvant faire l’objet d’une exclusion. Quatrièmement, rien n’empêche un agent d’ERAR de tenir une audience ou de prononcer l’exclusion lorsque les circonstances le justifient.

 

[80]           Le demandeur s’appuie sur le contenu du guide PP 3, qui était à la disposition du public au moment où l’agent d’ERAR a rendu sa décision d’exclusion le 1er juillet 2009, comme outil d’interprétation de la loi, et soutient que le manuel montre supposément que le législateur ne voulait pas conférer aux agents d’ERAR le pouvoir de se pencher sur la clause d’exclusion. Les défendeurs affirment que, quoique les tribunaux puissent se référer avec prudence à l’interprétation administrative pour déterminer le sens d’une loi, les manuels sur les politiques ne sont pas contraignants et n’ont pas force de loi. Bien qu’il soit possible d’utiliser des manuels comme outils d’interprétation lorsque le langage de la loi est vague, abstrait, ambigu ou de quelque façon obscur, tel n’est pas le cas en ce qui concerne le libellé du paragraphe 112(3) de la Loi. Voir : Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (LexisNexis, 2008) aux pages 621 à 630 et Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, aux paragraphes 14 et 15.

 

[81]           Les défendeurs proposent toutefois que, si la Cour utilise l’interprétation administrative énoncée dans le guide PP 3 pour l’aider à trancher la question de savoir si l’agent d’ERAR a compétence pour prononcer l’exclusion en vertu de l’alinéa 112(3)c), le guide PP 3 de 2002, le guide PP 3 de 2005, la première version du guide PP 3 subséquent et le guide PP 3 de 2008 reflètent l’objectif de la Loi de conférer à l’agent d’ERAR le pouvoir de prononcer l’exclusion. En vérité, l’ébauche du guide telle qu’elle est incorporée dans la version 2008 du guide PP3 est davantage explicite quant au pouvoir de l’agent d’ERAR d’appliquer des clauses d’exclusion.

 

[82]           En réponse à l’argument du demandeur selon lequel l’agent d’ERAR ne pourrait pas se pencher sur l’application de l’exclusion parce qu’il procède à des évaluations de risques, les défendeurs affirment que la compétence des agents d’ERAR ne se limite pas à l’évaluation des risques. L’agent d’ERAR doit également examiner le critère de l’absence de risque énoncé à l’article 98 de la Loi lorsqu’un demandeur n’est pas (encore) visé par le paragraphe 112(3) de la Loi. Quoique la personne qui peut faire l’objet d’une exclusion ne coure pas nécessairement de moins grands risques, on ne peut lui conférer l’asile mais seulement surseoir à la mesure de renvoi lorsque les circonstances le justifient.

 

[83]           Les défendeurs font valoir que, contrairement aux paragraphes 29 à 31 de l’exposé supplémentaire des arguments du demandeur, les critères prévus par la Loi et le Règlement relativement à la tenue des audiences énoncés à l’alinéa 113d) de la Loi et à l’article 167 du Règlement n’empêchent pas l’agent d’ERAR de tenir une audience sur l’exclusion lorsque les circonstances le justifient. En l’espèce, l’agent d’ERAR ne s’est pas prononcé sur la crédibilité, mais a seulement regardé si la preuve sur l’exclusion présentée par le demandeur était suffisante. Les défendeurs font également remarquer que le demandeur n’a jamais demandé la tenue d’une audience.

 

[84]           Les défendeurs déclarent que le demandeur a tort de prétendre que le processus suivi par l’agent d’ERAR était contraire à l’article 7 de la Charte ainsi qu’à l’arrêt Singh de la Cour suprême du Canada du fait qu’aucune audience n’a été tenue relativement à sa demande d’asile. Les défendeurs font valoir que la question de savoir s’il y a lieu de tenir une audience doit être tranchée en tenant compte du contexte et que la tenue d’une audience n’est pas systématiquement requise dans les circonstances dans lesquelles le paragraphe 99(2) de la Loi proscrit à des personnes de se faire entendre dans une audience devant la Division de la protection des réfugiés parce qu’une mesure d’exclusion a déjà été prise à leur égard. L’alinéa 113b) de la Loi et l’article 167 du Règlement ne créent pas l’obligation légale de tenir une audience à l’égard d’une demande d’ERAR. Même lorsque la crédibilité constitue une question, l’alinéa 113b) est discrétionnaire et les critères énoncés à l’article 167 sont cumulatifs. La demande d’ERAR du demandeur ne soulevait aucune question cruciale quant à la crédibilité. Le processus était conforme à l’article 7 de la Charte, puisqu’il a été donné au demandeur une opportunité raisonnable de présenter des éléments de preuve et de participer au processus. Voir : Singh; Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1285, au paragraphe 9, et Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27.

 

[85]           Les défendeurs font valoir que, conformément à ce qui est dit dans le guide PP 3, le processus d’ERAR est de nature non accusatoire et repose, au niveau des politiques, sur les engagements du Canada tant au pays qu’à l’étranger en faveur du principe de non‑refoulement ainsi que sur la Charte.

 

[86]           Les défendeurs soutiennent qu’aucun sursis d’origine législative ou judiciaire n’empêchait la déléguée du ministre de rendre une décision relativement au demandeur du fait qu’une procédure judiciaire était en cours dans l’affaire Li. Le détenteur est sous la garde de l’Immigration et le ministre était tenu d’agir avec le plus de célérité possible pour s’assurer qu’une décision relativement au demandeur soit rendue aussi rapidement que cela était raisonnablement possible et faire avancer la procédure plutôt que d’attendre une décision de la Cour dans l’affaire Li relativement à d’autres individus.

 

La décision de la déléguée était raisonnable

 

[87]           Les défendeurs déclarent que, lorsqu’il s’agit de déterminer s’il est probable qu’une personne sera exposée à des risques advenant son renvoi dans un pays donné, la déléguée du ministre doit prendre en considération les éléments de preuve qui lui sont présentés dans la mesure où ils concernent le demandeur d’ERAR particulier et décider s’il est probable que cette personne sera personnellement exposée à un risque dans l’une quelconque des formes énumérées au paragraphe 97(1) de la Loi. Les défendeurs soutiennent que c’est précisément ce que la déléguée du ministre a fait dans le cas du demandeur. Voir Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, au paragraphe 16; Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, et Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1514, confirmée par 2005 CAF 1, autorisation de pourvoi à la C.S.C refusée, C.S.C.R. no 119.

 

[88]           Les défendeurs observent que, dans son évaluation de la demande, la déléguée du ministre a expliqué la façon dont elle a pris la preuve en considération et les conclusions qu’elle en a tirées. Les motifs de la déléguée sont clairs et indiquent qu’elle n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire. Voir : Usta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1525, au paragraphe 14.

 

[89]           Il n’y a pas d’assurances diplomatiques dans le cas du demandeur et il n’encourt pas la peine de mort. La déléguée a clairement énoncé le fondement sur lequel elle a conclu à l’improbabilité que le demandeur soit exposé à un risque mentionné à l’article 97. Par conséquent, la nature de la décision rendue par la déléguée du ministre justifie un degré élevé de déférence et cette décision se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles et ne justifie pas l’intervention de la Cour. Voir : Tharumarasah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 211, au paragraphe 6, et Bhalru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1259, au paragraphe 24.

 

Arguments postérieurs à l’arrêt Li

 

[90]           Après la publication de la décision Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 623, les défendeurs ont demandé la certification de deux questions :

1)                  L’agent d’examen des risques avant renvoi est‑il habilité à débouter des personnes de leur demande d’asile en vertu de l’article 98 de la LIPR et à conclure qu’elles sont visées par l’alinéa 112(3) de la LIPR?

2)                  L’alinéa 112(3)c) de la LIPR ne s’applique‑t‑il qu’aux décisions de rejet prononcées par la Section de la protection des réfugiés sur la base de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés ou s’applique‑t‑il aux décisions de rejet prononcées par l’agent d’examen des risques avant renvoi sur la base de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés?

 

[91]           Les défendeurs font valoir que les exceptions au principe de la courtoisie judiciaire devraient s’appliquer en l’espèce et proposent que la Cour ne suive pas la décision Li.

 

ANALYSE

            Compétence

 

[92]           Le demandeur soutient que la décision est erronée parce que rien dans la Loi ou le Règlement ne permet à l’agent d’ERAR d’examiner une demande d’asile et de la rejeter sur la base de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[93]           À l’appui de cette affirmation, le demandeur propose son interprétation des dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement ainsi que de l’arrêt Xie de la Cour d’appel fédérale et de la décision Li rendue récemment par la juge Heneghan.

 

[94]           Le demandeur a, de son propre gré, retiré la demande d’asile qu’il avait présentée à la SPR. Il l’a fait après avoir compris que le ministre avait l’intention de requérir son exclusion pour grande criminalité hors du Canada, sur la base de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

 

[95]           Le dossier révèle que le demandeur a voulu se soustraire à l’exclusion qui était la conséquence de sa grande criminalité hors du Canada en présentant une demande de protection en vertu des articles 96 et 97 à l’agent d’ERAR. Ce faisant, il prétend que l’agent d’ERAR ne peut pas, selon l’esprit de la Loi et la jurisprudence pertinente, se pencher sur l’application de l’exclusion sur la base de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. Si cet argument est correct, il s’ensuit que, même si sa demande devant la SPR aurait pu échouer en raison d’une exclusion pour grande criminalité, l’exclusion sur la base de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention n’aurait pas dû entrer en jeu devant l’agent d’ERAR.

 

[96]           Gardant à l’esprit que, selon l’alinéa 114(1)a) de la Loi, la décision de l’agent d’ERAR d’accueillir une demande de protection peut avoir pour « effet de conférer l’asile au demandeur », si les affirmations du demandeur sont valides, cela pourrait signifier qu’il pourrait obtenir l’asile au Canada même si cette protection lui était refusée par la SPR à cause de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et de sa grande criminalité.

 

[97]           En d’autres mots, le retrait par le demandeur de sa demande d’asile auprès de la SPR ainsi que son interprétation de la loi devant l’agent d’ERAR constituaient une tentative de se soustraire aux conséquences de sa grande criminalité et à l’application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention afin d’obtenir l’asile au Canada.

 

[98]           Si l’interprétation de la loi donnée par le demandeur était correcte, il s’ensuivrait que quiconque ayant été impliqué dans des activités de grande criminalité hors du Canada pourrait se voir refuser l’asile au Canada par la SPR en vertu de l’article 98 de la Loi et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, mais que si une personne décidait, à l’instar du demandeur, de contourner la SPR et d’adresser ses demandes en vertu des articles 96 et 97 à un agent d’ERAR, elle ne pourrait pas se voir refuser l’asile pour la même criminalité.

 

[99]           Le demandeur cherche à se servir du Canada comme d’un refuge pour se soustraire aux conséquences de ses activités de grande criminalité, tout en soutenant que, dans la perspective des intérêts propres au Canada, ce pays ne saurait soupeser ces conséquences.

 

[100]       En outre, invoquant son interprétation de la Loi et du Règlement, le demandeur prétend que les conséquences que j’ai mentionnées ci‑dessus étaient voulues par le législateur.

 

[101]       La juge Heneghan a récemment analysé les dispositions pertinentes de la Loi dans la décision Li. Son analyse m’a grandement aidé à procéder à mon propre examen même si certains des facteurs en jeu en l’espèce exigent un résultat différent.

 

[102]       Le demandeur dans la présente affaire a délibérément retiré sa demande d’asile auprès de la SPR en raison de l’intervention du ministre et a déposé une demande d’ERAR dans laquelle son avocat a déclaré ce qui suit :

[traduction] Nous sommes d’avis que M. Liu a droit à une décision sur sa demande d’ERAR conformément à l’alinéa 113c) de la LIPR. Malgré les mandats demeurés non exécutés à son encontre aux États‑Unis et en Chine, aucune décision ne porte que M. Liu n’est pas admissible au Canada ou qu’il devrait se voir refuser l’asile. Nous sommes en outre d’avis que vous n’êtes pas habilité à prendre une mesure d’exclusion en vertu de l’article 98 de la LIPR et que votre analyse dans la présente affaire devrait par conséquent être axée sur la question de savoir si M. Liu satisfait aux critères prévus aux articles 96 et 97 pour que la protection lui soit accordée.

 

 

[103]       L’article 113 de la Loi prescrit à l’agent d’ERAR la façon dont il doit disposer de la demande d’ERAR. L’alinéa 113d) prévoit que, s’agissant d’un demandeur visé au paragraphe 112(3), il est disposé de la demande d’ERAR sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :  

(i)                  soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada;

(ii)                soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

[104]       Il s’agit de la disposition que le demandeur cherche à contourner, et c’est pourquoi son avocat affirme dans la demande d’ERAR qu’il doit être disposé de la demande du demandeur sur la base de l’alinéa 113c) de la Loi.

 

[105]       L’alinéa 113d) de la Loi met en relief précisément ce que le demandeur estime qu’il devrait être interdit, au Canada, de faire dans son cas. Il affirme que le Canada ne devrait pas être autorisé à tenir compte de ses activités de grande criminalité ainsi de la question de savoir si la nature et la sévérité de ses actes criminels devraient le priver de l’asile.

 

[106]       Cependant, la disposition sur la base de laquelle il aurait dû, selon le demandeur, être disposé de sa demande est l’alinéa 113c,) lequel est rédigé comme suit :

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

 

 

[107]       Comme il appert, toutefois, de sa demande d’ERAR, le demandeur affirme que l’agent doit examiner sa demande aux termes de l’alinéa 113c) et, en même temps, que l’agent ne peut appliquer les dispositions impératives expresses de cet alinéa et appliquer l’article 98. En effet, le demandeur affirme que sa demande doit être examinée sur la base de l’alinéa 113c) conformément à la manière dont il choisit de lire l’alinéa 113c), c’est‑à‑dire sans mention de l’article 98.

 

[108]       La raison pour laquelle le demandeur souhaite écarter l’article 98 est que, à première vue du moins, cet article semble ne pas lui reconnaître la qualité de personne à protéger en vertu tant de l’article 96 que de l’article 97 :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[109]       Par conséquent, en désignant l’alinéa 113c) à l’agent, le demandeur visait à écarter deux conséquences de principe : 

a)                  L’exclusion au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, même si l’alinéa 113c) prévoit (« Il est disposé [...] ») qu’il soit disposé de la demande en vertu de cet article sur la base de l’article 98; 

b)                  Toute tentative de la part du Canada pour déterminer les conséquences de ses activités de grande criminalité et la façon dont cette criminalité devrait affecter sa demande de protection.

 

[110]       Il convient de noter que, aux termes de l’article 113, la Loi ne prévoit que deux manières de disposer d’une demande. Le demandeur doit être soit « visé au paragraphe 112(3) » soit « non visé au paragraphe 112(3) ». Le demandeur allègue qu’il est « non visé au paragraphe 112(3) ».

 

[111]       La raison pour laquelle le demandeur voudrait se soustraire aux conséquences d’être visé au paragraphe 112(3) de la Loi est que l’asile « ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants : [...] c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ».

 

[112]       Par conséquent, le paragraphe 112(3) est déterminant parce qu’il prescrit la façon dont il peut être disposé d’une demande en vertu de l’article 113.

 

[113]       La raison pour laquelle le demandeur affirme qu’il n’est pas visé à l’alinéa 112(3)c) est qu’il a retiré sa demande d’asile devant la SPR, de sorte qu’il n’a jamais été débouté d’une demande d’asile au titre de la section F du premier article de la Convention sur les réfugiés.

 

[114]       Les défendeurs affirment cependant que la demande d’asile du demandeur a été rejetée par l’agent d’ERAR au titre d’une exclusion fondée sur l’alinéa Fb) de l’article premier. Ceci étant dit, les défendeurs affirment que le demandeur est visé par le paragraphe 112(3) et qu’il doit être disposé de sa demande conformément à l’alinéa 113c), de façon que le ministre puisse examiner sa demande sur la base de l’article 97, et c’est ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[115]       La Cour doit donc trancher plusieurs questions litigieuses importantes :

a)                  Le demandeur est‑il visé par l’alinéa 112(3)c) de la Loi, de sorte que l’agent d’ERAR a correctement disposé de sa demande en vertu de l’alinéa 113d), ou le demandeur a‑t‑il raison de soutenir qu’il aurait dû être disposé de sa demande sur le fondement de l’alinéa 113c)?  

b)                  Si le demandeur a raison de prétendre qu’il aurait dû être disposé de sa demande sur le fondement de l’alinéa 113c), cela ferait‑il une différence quelconque à la lumière du fait que l’alinéa 113c) de la Loi prescrit à l’agent d’ERAR de disposer de la demande sur la base des articles 96 à 98 de la Loi et que l’article 98 prévoit qu’une personne visée à la section E ou F du premier article de la Convention n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger?

c)                  L’agent d’ERAR est‑il habilité aux termes de la Loi à se prononcer sur une exclusion en vertu de l’article 98 de la Loi?

 

[116]       L’argument du demandeur repose sur sa prétention selon laquelle l’agent d’ERAR n’a pas compétence pour conclure qu’une personne n’est pas admise au bénéfice de la protection en vertu de l’article 98 de la Loi et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. Le demandeur affirme que le législateur n’a jamais voulu conférer cette compétence à l’agent d’ERAR et que la Cour d’appel fédérale a confirmé ce point et réglé la question dans l’arrêt Xie.

 

[117]       Je note que, dans la décision Li, la juge Heneghan a conclu au paragraphe 55 de ses motifs que l’agent d’ERAR était habilité à se prononcer sur une exclusion aux termes de l’article 98 de la Loi :

Pour les besoins de l’espèce, il me semble que l’article 98 est la disposition la plus importante de la Loi pour l’évaluation de la demande de protection des demandeurs. Je suis convaincue que l’agente a le pouvoir d’examiner l’article 98 lorsqu’elle agit en fonction de l’alinéa 113c). L’article 98 prévoit que l’agent doit examiner si le demandeur est visé par la section E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. La section F est pertinente en l’espèce compte tenu des allégations selon lesquelles les demandeurs ont commis des crimes non politiques graves, c’est‑à‑dire de la fraude, à l’extérieur du Canada, soit en Chine.

 

 

[118]       Quoique, dans la décision Li, la juge Heneghan ait rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’agent d’ERAR n’était pas habilité à se pencher sur l’article 98 de la Loi (le même argument que l’avocat a invoqué devant moi), elle n’était pas convaincue que l’agent avait exercé ce pouvoir comme il se devait. Au paragraphe 56 de ses motifs, elle écrit :

Bien que je sois convaincue que l’agente a clairement compétence pour examiner l’article 98, à la simple lecture du libellé de l’alinéa 113c), je ne suis pas convaincue qu’elle a correctement exercé cette compétence puisqu’elle a censément évalué, à tort, la demande de demandeurs en fonction de l’alinéa 113d). Cela signifie qu’en l’espèce, l’agente a conclu à tort qu’elle avait compétence. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[119]       En l’espèce, l’agent d’ERAR a décidé que le demandeur était visé par le paragraphe 112(3) de la Loi et il a donc disposé de sa demande conformément à l’alinéa 113d).

 

[120]       Les défendeurs font valoir que l’approche juste en ce qui concerne cette question, et celle que dictent les objectifs généraux de la Loi ainsi que la décision Li, est d’assujettir le demandeur au paragraphe 112(3) de façon à pouvoir l’évaluer aux termes de l’alinéa 113d), et c’est ce qui a été fait en l’espèce.

 

[121]       En considérant cette approche, la juge Heneghan dans la décision Li a étudié de près le paragraphe 112(3) et est parvenue aux conclusions suivantes, au paragraphe 48 de ses motifs :

Chacune des quatre situations mentionnées aux alinéas a), b), c) et d), respectivement, prévoit qu’une action a été prise ou qu’une décision a déjà été rendue. Les alinéas 112(3)a) et b) traitent des conséquences des enquêtes prévues à l’article 45 de la Loi. Ces enquêtes sont menées par la Section de l’immigration.

 

 

[122]       Pour des raisons de courtoisie judiciaire et d’autres raisons, je conviens avec la juge Heneghan que chacune des quatre situations « prévoit qu’une action a été prise ou qu’une décision a déjà été rendue ».

 

[123]       Je suis également d’accord avec la conclusion de la juge Heneghan, au paragraphe 49 de ses motifs, selon laquelle que « l’alinéa 112(3)c) décrit les conséquences d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés, lorsqu’une demande a été rejetée en application de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ». Il s’agit certainement là de l’une des choses qu’il décrit.

 

[124]       Mais je ne considère pas que la juge Heneghan ait dit que l’alinéa 112(3)c) s’appliquait seulement aux cas où la SPR a rendu une décision. En tout premier lieu, l’alinéa 112(3)c) requiert seulement qu’une personne ait été déboutée de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention. Il n’exige pas que la demande d’asile ait été présentée à la SPR. En outre, la juge Heneghan a expressément conclu que les agents d’ERAR sont habilités, en vertu de l’article 98, à prendre des décisions sur l’exclusion au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier.

 

[125]       Si ma lecture de l’interprétation de l’alinéa 112(3)c) par la juge Heneghan est incorrecte, de sorte que l’interprétation à donner à la décision Li est que seule la Section de la protection des réfugiés est habilitée à entendre une demande d’asile rejetée au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, alors, je dois, sur le fondement des faits qui m’ont été présentés, décliner de suivre la décision Li pour la raison qu’elle donnerait lieu à une injustice. Voir la décision Almrei (Re), 2009 CF 3, [2009] A.C.F. no 1. L’injustice est que, sur le fondement des présents faits, le demandeur pourrait obtenir l’asile et se soustraire entièrement aux conséquences de ses crimes simplement en contournant la SPR, alors que ceux qui demanderaient protection en s’adressant à la SPR ne jouiraient pas de cette exemption. Cela signifierait également que le pouvoir conféré à l’agent d’ERAR aux termes de l’alinéa 113c) d’examiner l’application de l’article 98 serait aboli et qu’il pourrait, au choix du demandeur, n’être tenu aucun compte de l’esprit de la Loi, qui exige de mettre le besoin de protection en balance avec la grande criminalité.

 

[126]       Il ne faut pas oublier que, sur le fondement des présents faits, le demandeur a délibérément choisi de ne pas adresser sa demande à la SPR. Il a volontairement renoncé à tout droit qu’il avait de se faire entendre par la SPR ainsi qu’à toutes les protections associées à une demande d’asile auprès de la SPR. En fait, il a insisté pour que l’agent d’ERAR examine ses droits aux termes des articles 96 et 97 dans le cadre du processus d’ERAR. Et il me semble que, selon l’esprit de la Loi, il avait certainement le droit de le faire.

 

[127]       Mais en faisant cela, le demandeur a fait en sorte que ses droits aux termes des articles 96 et 97 soient examinés conformément à l’alinéa 113c) de la Loi. Je suis d’avis que cela ne pouvait conduire qu’à deux conséquences qui, ni l’une ni l’autre, ne supportent la position du demandeur, laquelle est à mon opinion contraire au libellé même de la Loi ainsi qu’à son objet et son esprit.

 

[128]       En tout premier lieu, l’agent d’ERAR est tenu aux termes de l’alinéa 113c) de la Loi de disposer de la demande « sur la base des articles 96 à 98 ». Ceci pourrait avoir la conséquence d’abolir les droits du demandeur aux termes des articles 96 et 97 en raison du libellé de l’article 98. La juge Heneghan a conclu dans la décision Li que l’agent d’ERAR était habilité en vertu de l’article 98 à prendre des mesures d’exclusion au titre de l’alinéa Fb) de la section F de l’article premier.

 

[129]       La seconde possibilité est que, s’agissant de disposer d’une demande conformément à l’alinéa 113c) « sur la base des articles 96 à 98 », l’agent d’ERAR peut, aux termes de l’article 98, décider de débouter le demandeur de sa demande d’asile fondée sur l’article 96. À ce moment, une décision est rendue sur l’exclusion relativement à l’article 96. Cette décision réclame immédiatement l’application de l’alinéa 112(3)c) parce qu’elle signifie que le demandeur a fait une « demande d’asile » – comme cela s’est produit en l’espèce – qui a été rejetée sur la base de la section F de l’article premier de la Convention – et c’est également ce qui s’est produit en l’espèce, selon les faits qui m’ont été présentés.

 

[130]       Comme l’alinéa 112(3)c) entre en jeu dès que l’agent applique l’article 98 relativement à la demande au titre de l’article 96, l’affaire doit alors faire intervenir l’alinéa 113d), et c’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[131]       En d’autres mots, je ne pense pas que la disposition de l’alinéa 113c) selon laquelle « [i]l est disposé  de la demande [...] sur la base des articles 96 à 98 » signifie que l’agent d’ERAR qui prend une mesure d’exclusion fondée sur l’alinéa Fb) de l’article premier ne puisse pas ensuite examiner un risque visé par l’article 97 en vertu de l’alinéa 113d). Je suis également d’avis que l’approche de ces dispositions législatives par l’agent d’ERAR ainsi que la façon de celui‑ci de traiter les articles 96 à 98 de la Loi étaient conformes aux directives données par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Xie. L’agent a maintenu les deux volets distincts et a veillé à ce que l’exclusion ne s’applique qu’à l’asile.

 

[132]       Le demandeur rejette, toutefois, l’une et l’autre de ces interprétations des dispositions législatives et soutient que l’agent d’ERAR n’est pas habilité à envisager l’application de l’article 98. Je suis d’avis que cette interprétation ne correspond pas à la formulation claire de l’alinéa 113c) et à l’objet et l’esprit de la Loi. Je dois également prendre en compte la décision de la juge Heneghan dans Li selon laquelle » l’agente a clairement compétence pour examiner l’article 98, à la simple lecture du libellé de l’alinéa 113c) [...] ».

 

[133]       Pour réfuter cette compétence (et il convient de garder à l’esprit que les conséquences d’une telle réfutation pourraient être qu’un demandeur pourrait obtenir l’asile au Canada sans aucune évaluation de sa criminalité contrairement à un demandeur qui aurait présenté sa demande à la SPR), le demandeur soutient que la volonté du législateur n’était pas de conférer cette compétence à l’agent d’ERAR et que l’approche à deux volets de la Loi, décrite par la Cour d’appel fédérale dans Xie montre clairement que cette compétence n’existe pas.

 

[134]       J’ai examiné chacun des arguments du demandeur en ce qui a trait à l’interprétation législative et à la volonté du législateur en recourant aux principes bien connus énoncés dans l’arrêt Rizzo. J’ai déjà énoncé ce que mon examen m’amène à conclure et j’ai également indiqué que je suis d’accord avec la juge Heneghan dans la décision Li en ce qui a trait à la question de la compétence.

 

[135]       Sur le fondement des faits en l’espèce, le demandeur a imposé à l’agent d’ERAR de se livrer à l’examen complet de ses droits aux termes des articles 96 et 97 sans le bénéfice d’une décision de la SPR. La Loi semble permettre cette approche subsidiaire, mais c’était le choix du demandeur d’utiliser le régime d’ERAR. Cela ne lui a pas été imposé par la force. On ne l’a pas contraint à renoncer à des droits et à des garanties dont il aurait autrement bénéficié. Il prétend maintenant, en conséquence de son choix, et parce que l’agent d’ERAR a fait une évaluation positive des risques en vertu de l’article 97, que l’effet de la décision était de lui conférer l’asile en vertu du paragraphe 114(1) de la Loi.

 

[136]       En dernière analyse, je ne peux tout simplement pas convenir que la volonté du législateur était de donner au demandeur le moyen de contourner la SPR et de faire examiner ses droits aux termes des articles 96 et 97 de novo par un agent d’ERAR, mais sans qu’il ne soit fait aucune référence à une grande criminalité et à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. Je pense également que le libellé de la Loi établit clairement que cela ne peut être fait et que l’agent d’ERAR, placé dans la position de l’agent North en l’espèce, doit appliquer les articles 96 à 98. L’alinéa 113c), la disposition invoquée par le demandeur, énonce que l’agent North doit appliquer l’article 98.

 

[137]       Le demandeur soutient, toutefois, que la Cour d’appel fédérale en a décidé autrement dans l’arrêt Xie.

 

[138]       Les paragraphes suivants de l’arrêt Xie fournissent des repères quant aux faits de l’espèce :

29     Selon l’article 95, les personnes visées au paragraphe 112(3) ne peuvent obtenir l’asile. Le paragraphe 112(3) énumère les personnes qui n’ont pas droit à l’asile, notamment celles qui ont été déboutées de leur demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention, ainsi qu’il est précisé à l’article 98 de la Loi:

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

30     Ce n’est cependant pas parce que l’asile est refusé à quelqu’un qu’il n’a droit à aucune protection. L’article 113 précise en effet que les personnes visées au paragraphe 112(3) ont droit à ce que leur demande de protection soit décidée d’une part sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et d’autre part, en fonction de la question de savoir si elles constituent un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada. C’est à l’article 97 que sont énumérés les motifs qui peuvent être invoqués pour se voir reconnaître la qualité de personne à protéger:

113. Il est disposé de la demande comme il suit:

[...]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

...

 

32     Pour toutes les personnes, sauf celles qui sont visées au paragraphe 112(3), la décision accueillant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile et la qualité de personne protégée au demandeur. Dans le cas des personnes visées au paragraphe 112(3), elle a pour effet de surseoir à la mesure de renvoi les visant. Une des conséquences de cette distinction est que les personnes protégées peuvent obtenir la résidence permanente et bénéficient du principe du non‑refoulement:

[...]

21.(2) Sous réserve d’un accord fédéro‑provincial visé au paragraphe 9(1), devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger a été reconnue en dernier ressort par la Commission ou celle dont la demande de protection a été acceptée par le ministre‑‑sauf dans le cas d’une personne visée au paragraphe 112(3) ou qui fait partie d’une catégorie réglementaire‑‑dont l’agent constate qu’elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu’elle n’est pas interdite de territoire pour l’un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38

 

[...]

 

115.(1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

[...]

 

 

33     Voilà donc l’économie de la Loi en ce qui concerne la façon de trancher les demandes de protection. Elle comporte deux volets, le premier concernant les demandes d’asile et le second, les demandes de protection dans le contexte de l’examen des risques avant renvoi. Ceux qui font l’objet de l’exclusion prévue à l’article 98 n’ont pas droit à l’asile mais peuvent présenter une demande de protection à l’étape de l’examen des risques avant renvoi. Les motifs qui peuvent fonder la demande de protection sont les mêmes, mais le ministre peut se demander si le fait d’accorder la protection porterait atteinte à la sécurité du public ou à celle du Canada. Si la protection est accordée, il y a sursis de la mesure de renvoi prise contre le demandeur. Ce dernier ne peut obtenir le statut de résident permanent aussi facilement que la personne à qui l’asile a été conféré.

 

[...]

 

 

40     Je répondrais donc aux questions certifiées conformément à cette analyse. Plus précisément, je dirais qu’un demandeur peut se voir refuser l’asile par la Section de la protection des réfugiés en cas d’infraction purement économique. Je souligne le mot asile parce que la question certifiée semble laisser entendre que l’exclusion s’applique aussi aux demandes de protection, ce qui n’est pas le cas. L’exclusion vaut uniquement pour les demandes d’asile. Je tiens également à souligner que, pour l’application de l’exclusion, la Section de la protection des réfugiés n’a ni le droit ni l’obligation de pondérer les crimes (véritables ou présumés) de la demanderesse avec les risques qu’elle court d’être torturée si elle retourne dans son pays d’origine.

 

 

[139]       Je ne vois rien dans ces paragraphes qui contredise l’approche de l’agent d’ERAR et la décision rendue dans la présente affaire, ou l’interprétation des dispositions législatives que j’ai exposée dans mes motifs. En fait, je pense que l’arrêt Xie appuie mes propres conclusions ainsi que l’approche que l’agent d’ERAR a adoptée en ce qui a trait à l’exclusion.

 

[140]       Le demandeur en l’espèce s’est vu appliquer l’exclusion en vertu de l’article 98 au regard du volet de l’asile, mais il a également été évalué en ce qui concerne la protection au stade de l’ERAR. La seule différence, selon les faits présentés, relativement au processus habituel est que la demande d’asile du demandeur a été, comme il y insistait lui‑même, examinée de novo par l’agent d’ERAR. Mais les deux volets ont été maintenus distincts. L’article 98 n’a été appliqué que pour lui refuser l’asile.

 

[141]       Le demandeur insiste particulièrement sur les termes du paragraphe 40 de l’arrêt Xie par lesquels la Cour d’appel fédérale répondait aux questions dont la certification était demandée :

Je souligne le mot asile parce que la question certifiée semble laisser entendre que l’exclusion s’applique aussi aux demandes de protection, ce qui n’est pas le cas. L’exclusion vaut uniquement pour les demandes d’asile.

 

[142]       Dans l’arrêt Xie, la Cour d’appel fédérale n’avait pas affaire à un demandeur qui avait décidé de contourner le SPR et qui avait demandé à un agent d’ERAR d’examiner de novo sa demande au titre de l’article 96. Lorsqu’un demandeur fait cela, il me semble qu’il ou elle confie à l’agent d’ERAR le soin de considérer sa demande d’asile dans le cadre du processus d’ERAR. En s’acquittant de cette tâche, l’agent d’ERAR en l’espèce n’a fait qu’appliquer l’exclusion aux aspects qui concernaient l’asile dans la demande du demandeur et il a examiné la demande de protection en vertu de l’article 97 conformément à l’alinéa 113d). Le demandeur voudrait se soustraire aux conséquences de cela en arguant qu’il n’est pas visé par l’article 112(3) et par l’alinéa 113c) et que sa demande aurait donc dû être examinée en vertu de l’alinéa 113c), mais j’ai déjà expliqué pourquoi je suis d’avis que les articles pertinents de la LIPR donnent à l’agent d’ERAR une latitude suffisante pour faire ce qu’il a fait en l’espèce et pour respecter fidèlement l’esprit et l’objet de la Loi ainsi que la mise en balance des intérêts concurrents incorporés dans la Loi, conformément aux directives de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Xie.

 

[143]       Le demandeur cherche à mettre le système en déséquilibre, en insistant pour que sa demande soit examinée conformément à l’alinéa 113c) et, tout à la fois, pour que l’alinéa 113c) ne soit pas interprété selon son sens manifeste. Je suis d’avis que M. North, l’agent d’ERAR, a respecté les principes énoncés dans l’arrêt Xie même si le demandeur a tenté de l’écarter de ces principes en insistant pour que sa demande soit examinée aux termes de l’alinéa 113d) de la Loi.

 

[144]       En appliquant la norme de la décision correcte, je conclus que ni l’agent d’ERAR, ni la déléguée n’ont outrepassé leur compétence ou commis d’erreur de droit dans leur décision relative à la demande du demandeur dans la mesure où il a été tenu compte des activités de grande criminalité hors du Canada et de la question de l’exclusion au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier.

 

Le risque

 

[145]       Le demandeur conteste également la décision de la déléguée selon laquelle il n’est pas une personne exposée à des risques sérieux de subir de la torture ou des peines ou traitements cruels et inusités.

 

[146]       J’ai examiné cette question en appliquant la norme de la décision raisonnable conformément aux principes bien connus énoncés dans l’arrêt Dunsmuir.

 

[147]       Il convient de noter que l’agent d’ERAR et la déléguée de la ministre en l’espèce ont abouti à des conclusions différentes quant à la question du risque au sens de l’article 97. Je suis d’avis qu’il n’y a là rien d’étrange. Dans l’arrêt Khosa, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que des décisions raisonnables différentes sont possibles.

 

[148]       J’ai examiné chacune des préoccupations soulevées par le demandeur et, bien que je reconnaisse que certains éléments de preuve sont favorables à la position du demandeur, la preuve a été attentivement examinée dans le processus d’évaluation et la déléguée a exposé entièrement les motifs de sa conclusion. En dernière analyse, je ne peux pas dire que l’évaluation négative du risque faite par la déléguée ne tienne pas compte des principes établis dans l’arrêt Dunsmuir. Je suis d’avis que cette conclusion appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

Certification

 

[149]       Les défendeurs ont demandé la certification de deux questions, ce avec quoi le demandeur est d’accord :

1.                  L’agent d’examen des risques avant renvoi est‑il habilité à débouter des personnes de leur demande d’asile en vertu de l’article 98 de la LIPR et à conclure qu’elles sont visées par l’alinéa 112(3) de la LIPR?

2.                  L’alinéa 112(3)c) de la LIPR ne s’applique‑t‑il qu’aux décisions de rejet prononcées par la Section de la protection des réfugiés sur la base de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés ou s’applique‑t‑il aux décisions de rejet prononcés par l’agent d’examen des risques avant renvoi sur la base de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés?

 

[150]       En prenant en considération les critères énoncés à l’alinéa 74d) de la Loi et la jurisprudence pertinente, y compris l’arrêt récent Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, de la Cour d’appel fédérale, je conviens avec les parties que ces questions doivent faire l’objet d’une certification.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.    La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.    Les questions suivantes sont certifiées :

L’agent d’examen des risques avant renvoi est‑il habilité à débouter des personnes de leur demande d’asile en vertu de l’article 98 de la LIPR et à conclure qu’elles sont visées par l’alinéa 112(3) de la LIPR?

 

L’alinéa 112(3)c) de la LIPR ne s’applique‑t‑il qu’aux décisions de rejet prononcées par la Section de la protection des réfugiés sur la base de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés ou s’applique‑t‑il aux décisions de rejet prononcées par l’agent d’examen des risques avant renvoi sur la base de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés?

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑748‑09

 

INTITULÉ :                                                   XIAOQUAN LIU
c.
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 18 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 septembre 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Douglas R. Cannon

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

Cheryl D. Mitchell

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associés

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.