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Date : 20090909

Dossier : IMM‑2795‑08

Référence : 2009 CF 881

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2009

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

MAURICIO CERVERA BONILLA

demandeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue du contrôle judiciaire d’une décision en date du 28 mai 2008 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié, conformément à la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] Recueil des traités du Canada no 6 (la Convention).

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de cette décision et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Contexte

 

[3]               Né en 1966, Mauricio Cervera Bonilla (le demandeur) a présenté une demande d’asile au Canada avec sa femme et ses trois enfants. Ils sont tous citoyens de la Colombie. La Commission a conclu que la femme et les enfants du demandeur avaient la qualité de réfugiés au sens de la Convention et a donc estimé qu’ils étaient des personnes à protéger. Le demandeur s’est pour sa part vu refuser l’asile, comme nous l’avons déjà mentionné. Au cours de l’examen de la demande d’asile du demandeur, le ministre est intervenu pour demander à la Commission de déclarer que le demandeur était une personne qui devait être exclue par application de l’alinéa 1Fa) de la Convention. Le ministre est intervenu en raison de l’allégation selon laquelle le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité alors qu’il avait servi au sein de l’armée colombienne.

 

[4]               En 1984, alors qu’il était âgé de 17 ans, le demandeur s’est joint à l’armée colombienne afin d’entreprendre des études en génie civil et d’acquérir une stabilité financière. Il a démissionné de l’armée neuf ans plus tard après avoir épousé sa femme actuelle.

 

[5]               Alors qu’il servait au sein de l’armée colombienne, le demandeur a d’abord reçu deux années de formation initiale. Il a atteint le rang de sous‑lieutenant.

 

[6]               En janvier 1987, le demandeur a été affecté au troisième bataillon d’ingénieurs au sein de la troisième brigade dans la région de Palmira (Valle), dans la région d’Uraba, comme chef de peloton. Le demandeur a expliqué que, même si cette région n’était pas officiellement classée comme une zone rouge, elle était quand même considérée comme rouge en raison de la présence du M 19, un mouvement de guérilléros colombiens. Le demandeur a expliqué qu’il était notamment appelé à effectuer des tâches administratives, à donner des directives, à coordonner l’équipe technique, à tenir l’inventaire de l’armement de chaque soldat et à assurer un service de garde une fois par semaine dans les installations de détention militaire. Selon le demandeur, son peloton ne participait à aucun conflit armé mais offrait son appui à l’armée en érigeant des ponts pour soutenir les opérations militaires.

 

[7]               Le demande a expliqué qu’en décembre 1988, il avait été muté à la 13e brigade de la quatrième division, qui est un bataillon de lutte antiguérilla. Ce bataillon était chargé de participer aux opérations militaires, de préserver la paix et d’assurer le contrôle de l’armée, en plus d’entrer en contact avec des groupes subversifs et d’en réduire le nombre. Le demandeur était également commandant de ce peloton qui comptait 32 fantassins. Au début, le demandeur a consacré un mois et demi à l’entraînement. Son peloton a ensuite été renvoyé dans la région d’Uraba, dans le département d’Antioquia. Le demandeur a expliqué que cette région était sous le contrôle du général Guzman et que les groupes de guérilléros, dont les Fuerzas Armadas Revolucionaries de Colombia [Forces armées révolutionnaires de Colombie ‑ FARC], y avaient été très actifs. Cette région était considérée comme une zone rouge étant donné qu’un grand nombre de militaires et de policiers y avaient trouvé la mort. Le bataillon a été dépêché dans la région pour remplacer des troupes qui avaient été mobilisées ailleurs dans la région. Au cours de l’année précédant l’arrivée du demandeur dans la région, une série de massacres de travailleurs des plantations de bananes et de paysans auraient eu lieu dans la région avec l’appui des officiers militaires.

 

[8]               Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur relate qu’en mars 1989, il a participé à une opération au cours de laquelle il aurait, selon les accusations ultérieurement portées contre lui, été impliqué dans la torture d’un membre du syndicat et d’un paysan dans une maison de ferme. À l’audience, le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas pris part à l’interrogatoire de ces personnes dans la maison, mais qu’il était plutôt en train d’ériger un périmètre de sécurité à l’extérieur de cette maison, où les hommes étaient tenus sous garde avant d’être finalement détenus ailleurs. Le demandeur affirme qu’il ne pouvait voir la maison et qu’il n’était pas au courant de ce qui se passait à l’intérieur de la maison alors que les hommes en question étaient détenus. Le demandeur a expliqué que son supérieur, le capitaine Velandia, soupçonnait ces hommes de cacher des armes. Les deux individus ont vraisemblablement été libérés après plusieurs heures, grâce à l’intervention directe du Procureur général.

 

[9]               Le demandeur est demeuré dans la région d’Uraba pendant neuf mois à la suite de cet incident, au cours desquels l’Armée de libération du peuple (ALP) était active et attaquait des unités militaires. Le demandeur a occupé le poste du capitaine Velandia à titre intérimaire pendant six mois tandis que le capitaine Velandia récupérait des blessures qu’il avait subies au combat. Le demandeur affirme toutefois que son peloton n’a jamais eu de contact direct avec quelque élément subversif que ce soit au cours de cette période.

 

[10]           Le demandeur a relaté que, de janvier à mars 1990, son peloton a pris part à deux perquisitions et saisies effectuées chez des narcotrafiquants. Lors de cette opération, on a saisi des millions de dollars, ainsi que des fusils, des munitions et des explosifs.

 

[11]           Le demandeur a expliqué que son nom et celui du capitaine Velandia avaient été communiqués au Procureur général de Colombie comme responsables de l’opération effectuée à la maison de ferme. Le demandeur affirme toutefois qu’il n’a appris qu’en mai 1993 qu’il était accusé d’avoir torturé les deux hommes qui avaient été détenus, lorsqu’un officier militaire a communiqué avec lui pour l’informer que son nom figurait dans un ouvrage publié en Allemagne sous le titre Terrorismo de estado en Columbia, dans lequel on relate qu’il aurait été impliqué dans la torture de deux personnes dans la région d’Uraba.

 

[12]           Le demandeur a été réaffecté dans une autre région en juin 1990 après avoir été nommé commandant de peloton d’un bataillon de cadets. Il donnait des cours à des cadets et suivait lui‑même des cours en vue de devenir capitaine.

 

[13]           En 1993, le demandeur a donné sa démission de l’armée et a travaillé pour des entreprises privées dans le domaine de la gestion de la sécurité.

 

[14]           La demande d’asile était fondée sur les menaces que le demandeur disait avoir reçues après avoir travaillé pour deux entreprises différentes : Cemex Colombia et Carulla Vivera. Lorsqu’il travaillait pour Cemex Colombia, il a appris que son nom figurait sur une liste d’assassinats des guérilléros des FARC. Carulla Vivera est une importante chaîne de grands magasins de Colombie. Alors qu’il travaillait comme gérant de la sécurité, le demandeur a reçu à plusieurs reprises des communications de guérilléros des FARC qui exigeaient une vacuna (impôt révolutionnaire). En 2000, les négociations ont échoué et les guérilléros ont obtenu le nom du demandeur qui, jusqu’à alors, avait négocié de façon anonyme. Les FARC ont informé le demandeur qu’il était considéré comme une cible militaire. Le demandeur a alors quitté son emploi et a fui la Colombie en compagnie des membres de sa famille.

 

Décision de la Commission

 

[15]           La Commission a rendu une longue décision dans laquelle elle motive l’exclusion du demandeur et l’inclusion de sa femme et de ses enfants à titre de réfugiés au sens de la Convention. La décision de refuser de reconnaître la qualité de réfugié au demandeur est la seule partie de la décision de la Commission qui est visée par le présent contrôle judiciaire.

 

[16]           Tout d’abord, la Commission a précisé le fondement juridique de l’exclusion. L’article 98 de la Loi prévoit que la personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. La section F de l’article premier a pour objet de refuser l’asile aux personnes qui ont violé les normes internationales de comportement acceptable. C’est au ministre qu’incombe le fardeau de la preuve. La Cour d’appel fédérale a défini la charge de preuve qui repose sur le ministre en expliquant, dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433, que le ministre doit prouver l’existence de « raisons sérieuses de penser » ou de « motifs raisonnables de croire » (voir également Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297).

 

[17]           La Commission a signalé que les crimes contre l’humanité, au sens de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, comprennent les actes suivants :

[...] emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international [...] torture [...] autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

 

 

[18]           La Commission a cité l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, paragraphe 43, comme autorité permettant d’accepter la définition de la « torture » énoncée à l’article premier de la Convention contre la torture. Cette définition est également incorporée par renvoi à l’alinéa 97(1)a) de la Loi.

 

[19]           Dans ce contexte, la Commission a cherché à savoir « si le demandeur d’asile est légalement responsable en tant que complice des crimes contre l’humanité perpétrés par l’armée colombienne pendant ses années de service dans l’organisation ».

 

[20]           La Commission a ensuite abordé la question de savoir comment les demandeurs d’asile pouvaient être tenus responsables par suite de leur participation en tant que complices de crimes comme les crimes contre l’humanité. Cette attribution de responsabilité est appuyée par l’article 6 du Statut du Tribunal militaire international (Guide du HCR, janvier 1988, annexe V, page 88) (article 6), et elle est mentionnée à l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[21]           L’article 6 est libellé comme suit :

Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci‑dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan.

 

 

 

[22]           Parmi les décisions citées par la Commission à l’appui du « principe de complicité du complice », il y a lieu de mentionner Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, 27 Imm. L.R. (3d) 1, Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79, et Sivakumar, précité.

 

[23]           Les passages ci‑après reproduits correspondent aux extraits les plus importants des décisions citées par la Commission. Dans Ramirez, précité, le juge a conclu que la « participation personnelle et consciente » et une « intention commune » étaient nécessaires pour établir la complicité. Dans Harb, précité, il a été jugé que la participation personnelle aux crimes n’était pas nécessaire pour qu’on puisse conclure à la « complicité par association ». Toujours dans Harb, il a été jugé qu’un démenti — même dans l’hypothèse où il serait jugé crédible — ne pouvait suffire à nier la présence d’une intention commune de commettre un crime contre l’humanité. En d’autres termes, « [l]es agissements d’un demandeur peuvent être plus révélateurs que son témoignage et les circonstances peuvent être telles qu’on puisse en inférer qu’une personne partage les objectifs de ceux avec qui elle collabore ». Dans Penate, précité, l’intention commune est définie comme suit :

[...] Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement.

 

 

[24]           En conclusion, la Commission a déclaré qu’il fallait tenir compte des six facteurs suivants énumérés par la Cour pour déterminer si une personne est complice de crimes contre l’humanité :

1.         la nature de l’organisation;

2.         la méthode de recrutement;

3.         la position ou le grade dans l’organisation;

4.         la connaissance des atrocités commises par l’organisation;

5.         la période passée dans l’organisation;

6.         la possibilité de quitter l’organisation.

 

[25]           À partir de ce moment, la Cour a examiné les faits de la présente affaire en fonction de ces six facteurs.

 

[26]           La Commission s’est tout d’abord penchée sur la nature de l’organisation en question : l’armée colombienne. Parmi les éléments de preuve les plus importants, signalons les violations des droits de la personne commises en toute impunité par l’armée colombienne, la nature des traitements infligés aux civils et la mentalité qui régnait au sein de l’armée colombienne à ce sujet, les actes de torture commis par l’armée colombienne, les exécutions et les disparitions forcées, les crimes contre l’humanité commis par des paramilitaires dont la collaboration avec l’armée colombienne était connue et les tactiques utilisées par l’armée colombienne au cours d’une campagne connue sous le nom de « guerre contre les drogues ». La Commission a constaté l’existence de documents étayant chacun des éléments susmentionnés, ce qui permettait de penser que l’armée colombienne avait commis des crimes contre l’humanité, dont des actes de torture, des assassinats et des disparitions de civils colombiens.

 

[27]           La Commission s’est ensuite attardée à certains aspects plus précis des crimes contre l’humanité commis par l’armée colombienne et dont le demandeur aurait été complice.

 

[28]           Il ressortait des nombreux éléments de preuve documentaire que des paramilitaires appuyés par des officiers militaires avaient commis de façon systématique et massive des actes de torture et des massacres dans la région d’Uraba à l’époque où le demandeur y avait été affecté. Ce carnage a « attiré l’attention du pays et du monde entier [mais] les membres de l’armée sont demeurés impunis ».

 

[29]           Deuxièmement, la Commission a examiné la méthode de recrutement du demandeur et a fait observer que le demandeur avait affirmé qu’il s’était joint de son plein gré à l’armée en janvier 1984 alors qu’il avait 17 ans pour entreprendre des études en génie civil et pour atteindre une certaine stabilité sur le plan financier.

 

[30]           Troisièmement, la Commission a examiné la position et le grade que le demandeur occupait au sein de l’armée. Elle a conclu que le demandeur était un officier de grade intermédiaire qui avait été en mesure de gravir les échelons parce qu’il était « un employé loyal et, parce qu’il a respecté et suivi les principes et le mandat de l’armée colombienne [...] » La Commission a notamment tenu compte du temps que le demandeur avait passé dans la région d’Uraba comme commandant de peloton et comme capitaine par intérim étant donné que ces faits sont importants pour examiner le lien entre le rang et la complicité, tel qu’il a été établi dans Sivakumar, précité, au paragraphe 10 :

À mon avis, la complicité d’un individu dans des crimes internationaux est d’autant plus probable qu’il occupe des fonctions importantes dans l’organisation qui les a commis. Tout en gardant à l’esprit que chaque cas d’espèce doit être jugé à la lumière des faits qui le caractérisent, on peut dire que plus l’intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l’organisation, plus il est vraisemblable qu’il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l’organisation dans la perpétration de ce crime. En conséquence, peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l’organisation tout en sachant que celle‑ci a été responsable de crimes contre l’humanité.

 

[31]           Quatrièmement, la Commission s’est demandé dans quelle mesure le demandeur était au courant des atrocités commises par l’armée colombienne. Globalement, la Commission a estimé qu’il n’était pas plausible que le demandeur, en tant qu’officier de grade intermédiaire dans l’armée colombienne, ne puisse être au courant des atrocités que l’armée avait commises à l’encontre de la population civile pendant ses neuf ans de carrière au sein de l’armée colombienne. La Commission a conclu que le demandeur avait simplement « fermé les yeux » devant les atrocités commises par l’armée au point de se rendre coupable d’« aveuglement volontaire » et elle a cité Sivakumar, précité, et Cortez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 470, à l’appui de la proposition portant qu’une reconnaissance de culpabilité en cas d’aveuglement volontaire implique davantage qu’une simple connaissance des atrocités.

 

[32]           La Commission a rejeté les arguments du demandeur selon lesquels il n’était pas au courant des atrocités en raison de régions où il avait été affecté et des postes qu’il avait occupés. La Commission a également relevé qu’il n’était pas nécessaire qu’il occupe ces postes pour être au courant des atrocités commises par l’armée colombienne. Le président de la Colombie, M. Cesar Gavira, avait parlé publiquement de la réputation de l’armée à cet égard et la question de la torture était débattue publiquement en Colombie.

 

[33]           L’allégation que le demandeur avait été directement impliqué dans des actes de torture commis dans la région d’Uraba en mars 1989 permet également d’affirmer qu’il était au courant des atrocités commises par l’armée. La Commission a déclaré qu’il ressortait de la preuve documentaire que l’affirmation du demandeur suivant laquelle il n’était pas au courant de l’enquête dont il faisait l’objet en rapport avec ces faits était une justification couramment invoquée par les personnes faisant l’objet de telles accusations en Colombie. La Commission a également déclaré qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve convaincant permettant de penser que l’ouvrage publié en Allemagne dans lequel il était allégué que le demandeur était impliqué dans les actes de torture commis à la maison de ferme avait été écrit pour ternir sa réputation ainsi que celle de son capitaine. La Commission n’a pas retenu le témoignage du demandeur suivant lequel le syndicat avait fabriqué ces allégations pour discréditer l’armée. La Commission a déclaré que cette hypothèse était peu plausible compte tenu du fait que les civils et les syndiqués sont couramment perçus comme des sympathisants des guérilléros et que les membres du syndicat dont il est question en l’espèce avaient déjà été attaqués l’année précédente par l’armée et que plusieurs d’entre eux avaient été massacrés et avaient tout à craindre en signalant les actes de torture commis par l’armée.

 

[34]           Selon la Commission, le demandeur devait être au courant de ce qui se passait à l’intérieur de la maison de ferme même s’il se trouvait à l’extérieur du lieu où les hommes étaient détenus. Le demandeur était le deuxième officier de plus haut rang au cours de cette opération et il dirigeait un peloton de soldats professionnels. En conclusion, la Commission a estimé qu’il était impossible que le demandeur n’ait pas été au courant compte tenu de sa longue carrière au sein de l’armée, puisque la torture était un important sujet de débat public dans la société colombienne et que le demandeur avait été précisément accusé, dans un livre, de s’être livré à la torture alors qu’il était dans la région d’Uraba. La Commission a déclaré que l’argument du demandeur portant que les allégations formulées contre l’armée n’avaient jamais été prouvées sont davantage liées aux failles de la justice colombienne qu’à la suggestion selon laquelle les atrocités reprochées ne se sont jamais produites.

 

[35]           Cinquièmement, la Commission a conclu que la durée du service du demandeur dans l’armée colombienne permettait de conclure qu’il partageait « une intention commune » avec celle poursuivie par l’organisation et qu’il avait donc été complice des violations des droits de la personne commises par l’armée colombienne pendant la période où il avait servi dans cette organisation.

 

[36]           Sixièmement, sous la rubrique « Possibilité de quitter l’organisation », la Commission a souligné que le demandeur était demeuré dans l’armée pendant plusieurs années après son affectation dans la région d’Uraba et qu’il n’avait quitté l’armée qu’après s’être marié et parce qu’il ne voulait pas que sa femme devienne veuve.

 

[37]           La Commission a déclaré que même si elle croyait qu’il était impliqué dans les actes de torture commis en mars 1989, le demandeur était complice de crimes contre l’humanité indépendamment de ces faits. La Commission a estimé que le demandeur était au courant du massacre des paysans de la région d’Uraba survenu environ un an avant son entrée en service à cet endroit. Malgré cela, le demandeur n’a pas démissionné. Il n’a pas non plus démissionné à la suite des incidents de mars 1989 ou de la confrontation avec les guérilléros dans laquelle son supérieur, le capitaine Velandia, avait été blessé ni après avoir été muté à Bogota en juin 1990, après son passage dans la région d’Uraba. En fait, la Commission affirme que la raison pour laquelle le demandeur a démissionné de l’armée était liée au fait qu’il venait de se marier et aux risques inhérents au service militaire plutôt qu’à des préoccupations à l’égard des atrocités et des graves violations des droits de la personne commises par l’armée colombienne.

 

[38]           En conclusion, la Commission a conclu que le demandeur avait « sciemment participé aux crimes perpétrés de façon systématique et massive à l’endroit des civils par l’armée colombienne en Colombie » au cours de neuf années où il avait servi dans l’armée, dont sept années comme officier de grade intermédiaire et un certain temps comme capitaine par intérim.

 

[39]           La Commission a conclu que le demandeur était parfaitement au courant des crimes perpétrés par l’armée de façon systématique et généralisée contre des civils et qu’il avait fermé les yeux sur ces atrocités, de sorte qu’il tombait sous le coup de l’alinéa 1Fa) de la Convention. Les motifs sérieux permettant de penser que le demandeur s’est rendu complice de crimes contre l’humanité au cours de son service au sein de l’armée colombienne le privent, en vertu des alinéas 97(1)a) et 97(1)b), du droit d’asile en vertu de l’article 98 de la Loi.

 

Observations écrites du demandeur

 

[40]           Selon le demandeur, les conclusions de fait de la Commission doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable, tandis que l’interprétation, par la Commission, de ce qui constitue, en droit, une complicité dans des crimes doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

 

[41]           Le demandeur soulève certaines questions préliminaires au sujet de l’analyse des faits effectuée par la Commission.

 

[42]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en n’identifiant aucune unité ou brigade déterminée au sein de l’armée colombienne qui permettrait de l’impliquer dans des crimes contre l’humanité. Le demandeur affirme plutôt que la Commission s’appuie sur des éléments de preuve documentaire qui « traitent de façon générale » des militaires, de l’armée, des forces de sécurité et de diverses autres organisations colombiennes.

 

[43]           Selon le demandeur, la Commission a inversé le fardeau de la preuve de façon à ce qu’il incombe au demandeur de prouver qu’il n’avait pas pris part aux actes de torture de mars 1989.

 

[44]           Le demandeur affirme aussi que les conclusions de la Commission au sujet de sa connaissance des atrocités commises par l’armée colombienne et de son aveuglement volontaire sont illogiques, compte tenu du fait qu’elle n’a pas remis en question sa crédibilité.

 

[45]           Le demandeur affirme par ailleurs que c’est à tort que la Commission a conclu qu’il avait été impliqué dans l’incident de janvier 1990 alors qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve pour appuyer cette conclusion. Le demandeur soutient qu’il s’occupait à l’époque de saisies de stupéfiants et qu’il n’était pas engagé dans la lutte contre les guérilléros.

 

[46]           Le rôle principal que jouait le demandeur n’avait rien à voir avec les conflits militaires. Il effectuait des tâches qui n’étaient pas liées aux opérations militaires, comme ériger des ponts amovibles de type « bailey » pour les populations civiles plutôt que pour les militaires, tel qu’il a été précisé par la Commission.

 

[47]           Le demandeur s’oppose à la qualification d’officier de rang intermédiaire ou supérieur qu’on lui attribue pour les six dernières années. Il affirme qu’il occupait le rang de sous‑lieutenant, ce qui correspond au deuxième plus bas échelon d’officier.

 

[48]           Le demandeur affirme que les définitions de l’expression « crime contre l’humanité » sont postérieures aux faits qui lui sont reprochés. Le demandeur met par ailleurs en doute la possibilité que des crimes contre l’humanité aient pu être commis alors que le conflit qui sévissait en Colombie était un conflit interne.

 

[49]           Le demandeur ajoute que le ministre ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il y avait « des raisons sérieuses de penser » que le demandeur avait commis des crimes contre l’humanité. Bien que le demandeur soit d’accord avec la Commission pour affirmer que la norme des « raisons sérieuses de penser » et celle des « motifs raisonnables de croire » sont essentiellement équivalentes, selon ce que la Cour fédérale a estimé dans Sivakumar, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré, dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] A.C.S. no 3, au paragraphe 114, que la norme des motifs raisonnables de croire exige « davantage qu’un simple soupçon, mais rest[e] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » et que la croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif « reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi ».

 

[50]           Selon le demandeur, la Commission a omis d’examiner les quatre conditions devant être réunies pour qu’un acte criminel puisse être considéré comme un crime contre l’humanité, lesquelles ont été énumérées au paragraphe 119 de l’arrêt Mugesera, précité :

1.       Un acte prohibé énuméré a été commis (ce qui exige de démontrer que l’accusé a commis l’acte criminel et qu’il avait l’intention criminelle requise).

 

2.       L’acte a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique.

 

3.       L’attaque était dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes.

 

4.       L’auteur de l’acte prohibé était au courant de l’attaque et savait que son acte s’inscrirait dans le cadre de cette attaque ou a couru le risque qu’il s’y inscrive.

 

 

 

[51]           Le demandeur critique également le raisonnement de la Commission compte tenu des principes énoncés dans Ardila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1518, [2005] A.C.F. no 1876, au paragraphe 9. Un des principes sur lesquels il insiste est que, lorsque les conséquences de l’exclusion peuvent être « affreuses », comme en l’espèce, l’obligation de la Commission de fournir des motifs qui montrent en termes clairs et sans équivoque qu’elle a procédé à un examen approfondi de tous les faits et de toutes les questions pertinentes est plus grande.

 

[52]           L’autre principe énoncé dans le jugement Ardila sur lequel le demandeur insiste est celui suivant lequel la simple appartenance à une organisation ne suffit pas pour entraîner l’exclusion, à moins que l’organisation en question ne vise des fins brutales et limitées. La Commission doit s’en tenir aux actes précis du demandeur et établir qu’il poursuivait les mêmes buts que l’organisation en question.

 

[53]           Comme la Commission n’a pas précisé la partie de l’organisation avec laquelle il avait été complice, le demandeur reproche à la Commission d’avoir employé les mots « armée » et « militaires » de façon interchangeable et affirme que les forces de sécurité devraient être regroupées dans la même catégorie. Il affirme que la Commission n’est pas assez précise, comme l’exige la décision Corrales Murcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 287, [2006] A.C.F. no 364, dans laquelle la Cour d’appel fédérale explique que, dans le cas des organisations ne poursuivant pas des fins brutales, il faut absolument déterminer la proximité du demandeur avec la partie de l'organisation qui a commis des atrocités. Cette conception générale consistant à incriminer tous les éléments de l’armée colombienne ressort également de l’évaluation faite par la Commission au sujet de l’impunité de l’armée face aux atrocités commises. Ardila, précité, au paragraphe 19, la Cour a jugé qu’une approche aussi générale était erronée « sinon la simple appartenance à une armée de 270 000 militaires emporterait exclusion [de tous] ».

 

[54]           Le demandeur affirme qu’il ne peut, en droit, être considéré comme complice de tous les actes commis par l’armée colombienne, les forces aériennes et la marine, ainsi que par la Sûreté nationale, le Département administratif de la sécurité (le DAS) et le Groupe d’enquêteurs techniques du Procureur général (le CTI).

 

[55]           Dans Bedoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1092, la Cour a estimé qu’on ne pouvait accuser le demandeur de « participation personnelle et consciente » et considérer qu’il partageait une « intention commune » avec toute l’armée colombienne. Dans cette affaire, des militaires avaient été au service de l’armée colombienne de mars 1985 à mai 1994 et avaient participé à des opérations actives contre les FARC pendant la même période que le demandeur dans la présente affaire. La Cour a jugé que « l’unité ou brigade » à laquelle le demandeur avait été affecté devait être considérée comme complice.

 

[56]           Dans une autre affaire, Bonilla Vasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1302, le demandeur, qui avait été major au sein de l’armée colombienne entre 1989 et 2004, s’était vu refuser l’asile au Canada au motif qu’il était au courant des crimes contre l’humanité dont il était question dans cette affaire ou avait délibérément fermé les yeux sur eux. La Cour a estimé qu’il fallait déterminer quelles « opérations » visaient à commettre les crimes en question.

 

[57]           Le demandeur aborde la question des accusations de torture liées aux événements de mars 1989 et soutient qu’il est pertinent de s’appuyer sur Bedoya, précité, lorsqu’on examine la « force probante » de la preuve. Dans Bedoya, précité, la Cour a jugé que les coupures de presse et les rapports soumis en preuve n’étaient pas les meilleures preuves et ne satisfaisaient peut‑être pas à la norme de preuve « moindre que la prépondérance des probabilités » à laquelle on doit satisfaire pour exclure un demandeur d’asile. Dans la Hoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 762, la Cour fédérale explique la Commission avait inversé le fardeau de la preuve et qu’elle avait appliqué incorrectement le critère de la complicité. Au paragraphe 21 de cette décision, la Cour déclare que « la Commission semble avoir conclu que le demandeur devait être exclu parce qu'il ne l'a pas convaincue qu'il n'avait pas commis de tels actes ».

 

[58]           Le demandeur signale qu’il a longuement témoigné au sujet de la période qu’il avait passée dans la région d’Uraba et qu’il a en également traité en détail dans son FRP. Le demandeur nie avoir été impliqué dans des actes de torture en mars 1989 dans la région d’Uraba et il ajoute qu’il n’a été mis au courant des allégations formulées contre lui que quatre ans après les présumés actes de torture en question.

 

[59]           Le demandeur affirme qu’il est arrivé dans une plantation de bananes où l’on croyait que des armes étaient cachées. Il a fouillé la maison. Il a laissé son capitaine dans la maison avec les sept personnes qui s’y trouvaient et il a érigé un périmètre de sécurité autour de la maison. Il est revenu cinq heures plus tard. Lorsque le demandeur est rentré à la base, la Procuraduria (le bureau du Procureur général de la Colombie) s’est emparée des deux prisonniers qui l’accompagnaient. Parmi les personnes qui se trouvaient dans la maison, deux étaient des syndiqués travaillant dans les plantations de bananes. Le demandeur affirme que des délégués syndicaux se sont immédiatement rendus à la Procuraduria pour lui demander d’intervenir au nom des deux syndiqués. À ce moment, le demandeur et le commandant ont été interrogés et le demandeur allègue qu’on n’a plus jamais communiqué avec lui au sujet de l’incident et ajoute qu’il n’est pas au courant d’autres enquêtes à ce sujet.

 

[60]           Le demandeur soutient que, pendant le reste de son séjour dans la région d’Uraba, il a occupé le poste de capitaine par intérim pendant six des neuf mois qu’il a passés là‑bas, mais ajoute qu’il n’a jamais eu de contact direct avec des éléments subversifs. Le demandeur était chargé de chercher et de saisir des armes appartenant aux producteurs et aux trafiquants de drogue.

 

[61]           Toutefois, au lieu de s’en tenir à la question de savoir si le ministre s’était acquitté du fardeau de démontrer qu’il existait « des motifs sérieux de penser » que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité, la Commission s’est concentrée sur les éléments de preuve établissant que le Procureur général était intervenu sans jamais prouver qu’il avait ouvert d’enquête ou trouvé de preuves de torture. Dans La Hoz, précité, la Cour fédérale a déclaré que « [l]e ministre ne peut s'acquitter de son fardeau de la preuve par des inférences [...] »

 

[62]           En résumé, le demandeur affirme qu’au cours de ses neuf années de service militaire, il n’en a passé que trois sur le terrain en tant qu’officier subalterne. Se fondant sur cette affirmation, il soutient qu’il n’était « au courant d’aucune violation systématique des droits de la personne ou de l’existence d’une politique de l’armée consistant à recourir systématiquement à des violations des droits de la personne ». Il affirme aussi qu’il n’a jamais eu directement connaissance d’actes de torture et qu’il ignorait que l’armée colombienne avait la réputation de perpétrer des crimes contre l’humanité, y compris des assassinats, de la torture et des disparitions forcées, à l’époque où il était dans l’armée.

 

[63]           Le dernier point que le demandeur a abordé concerne l’interprétation des règles de droit régissant l’exclusion. Deux principaux points doivent être examinés à ce propos. Le premier a trait à la question de savoir si l’on peut exclure le demandeur en se fondant sur les définitions des crimes contre l’humanité qui sont tirées de lois qui n’existaient pas au moment des faits. Ces dispositions législatives peuvent‑elles s’appliquer rétroactivement (Ventocilla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 575)? La seconde question est celle de savoir si les pertes de vie chez les civils constituent des crimes contre l’humanité lorsqu’un pays est engagé dans un conflit interne. Cette question comporte deux dimensions. D’une part, on peut considérer que les civils ne sont pas nécessairement des civils au sens des Conventions et des statuts internationaux contre la torture et les crimes contre l’humanité lorsqu’un pays est engagé dans un conflit comme celui qui existe en Colombie. D’autre part, il a été jugé que certains textes de loi internationaux comme le Statut de Rome n’englobaient pas les crimes de guerre lorsque ceux‑ci sont commis dans le contexte d’un conflit armé, ainsi que l’a conclu la Cour fédérale dans Ventocilla, précité, au sujet du conflit armé qui avait sévi au Pérou entre 1985 et 1992. Selon le Statut de Rome, dans lequel on trouve une clause de rétroactivité, un crime est un crime de guerre au sens de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre s’il constituait un crime de guerre « au moment et au lieu de la perpétration ».

 

[64]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit, selon la norme de la décision correcte, en appliquant rétroactivement le Statut de Rome pour lui imputer des crimes commis par l’armée colombienne. La Commission a commis des erreurs susceptibles de contrôle en ne mentionnant pas les quatre facteurs énoncés dans l’arrêt Mugesera, précité, et en supposant que des crimes contre l’humanité peuvent être commis dans le cadre d’un conflit interne.

 

Observations du défendeur

 

[65]           Le défendeur affirme qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de refuser l’asile au demandeur en raison de la complicité dans des actes de torture dont il s’était rendu coupable selon certains articles parus à l’étranger et parce qu’il s’était rendu coupable de complicité en raison du rôle qu’il jouait au sein de l’armée colombienne, laquelle commettait des crimes contre l’humanité. Selon le défendeur, la seule question en litige est celle de savoir si la Commission a tiré une conclusion raisonnable en estimant qu’il y avait de sérieuses raisons de penser que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité.

 

[66]           Les arguments invoqués par le défendeur au sujet de la norme de contrôle sont axés sur « [l]’application d’une seule norme de raisonnabilité » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. no 9) et sur le fait que l’on met de nouveau l’accent sur une attitude de déférence et de respect. Pour le défendeur, l’arrêt Dunsmuir, précité, impose une norme de déférence très élevée lorsqu’on a affaire à des tribunaux spécialisés comme les commissions d’immigration. Le défendeur fait par ailleurs valoir que les cas d’ouverture au contrôle judiciaire prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, devraient avoir préséance sur les normes de contrôle prévues par la common law. Suivant la Loi, la Cour fédérale ne peut intervenir que si l’office fédéral concerné a rendu une décision « fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispos[ait] ».

 

[67]           Le défendeur affirme que la Cour devrait davantage hésiter à intervenir lorsque l’appréciation des faits et de la crédibilité a eu lieu au terme d’une audience en bonne et due forme (voir Diazgranados c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 617).

 

[68]           S’agissant de l’expression juridique « crimes contre l’humanité », bien que le demandeur affirme que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte, le défendeur soutient que, même s’il s’agit d’une question de droit, cette question suppose aussi que l’on applique des principes juridiques aux faits. Dans l’affaire Dunsmuir, précitée, la Cour suprême a conclu qu’il fallait faire preuve de retenue lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

 

[69]           En ce qui a trait à l’analyse des faits, le défendeur affirme que la Commission a analysé les faits de façon raisonnable compte tenu de ce qui lui a été présenté. La Commission a estimé que d’importants aspects du témoignage du demandeur étaient invraisemblables ou non crédibles. Dans son témoignage, le demandeur traite des activités et de la réputation de l’armée dans son ensemble, ainsi que des allégations dont il faisait plus particulièrement l’objet.

 

[70]           Le défendeur affirme qu’il était invraisemblable que le demandeur ne soit pas au courant de la réputation de l’armée compte tenu du débat public généralisé sur la question, du fait que, dans l’exercice de ses fonctions, il était concrètement chargé de diriger des pelotons de lutte antiguérilla dans des zones de combats, qu’il détenait le grade d’officier, qu’il était posté dans une région où des massacres avaient eu lieu quelques mois auparavant, qu’il donnait une formation interne à d’autres soldats, et qu’il s’était préparé en vue d’obtenir une promotion avant de remettre sa démission d’une école de police militaire qui était considérée comme une unité d’élite de l’armée. L’idée que des sympathisants des FARC chercheraient à discréditer le demandeur dans un livre dans lequel on racontait qu’il avait torturé les deux hommes en question dans la maison de ferme en mars 1989 n’était également pas convaincante.

 

[71]           La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur, en tant que commandant adjoint des deux pelotons de combat combinés, aurait été au courant de ce qui se passait dans la maison de ferme. Le demandeur aurait pu démissionner de l’armée au motif qu’il s’opposait à ce que l’armée avait fait ou à ce qu’on l’avait forcé à faire. Au lieu de cela, le demandeur a attendu d’être marié et d’avoir obtenu de l’avancement dans sa carrière d’ingénieur civil avant de quitter l’armée. Le défendeur affirme que toutes ces conclusions étaient raisonnables compte tenu de la preuve et il soutient que rien ne justifie d’infirmer la décision sur ce fondement.

 

[72]           Le défendeur n’est pas d’accord pour dire que la Commission n’a pas suivi le critère juridique de la complicité puisqu’elle a formulé des conclusions sur chacun des facteurs applicables en l’espèce.

 

[73]           Le défendeur soutient qu’à la lumière du jugement Bedoya, précité, on ne peut reprocher d’erreur à la Commission. Le demandeur n’a pas été jugé complice du fait de son appartenance à l’armée colombienne. Il a plutôt été considéré complice en raison des circonstances particulières de son service dans la région d’Uraba et, en particulier, des allégations dont il faisait l’objet en ce qui concerne les actes de torture commis dans la maison de ferme.

 

[74]           Le défendeur n’est pas d’accord non plus pour dire que l’analyse de la crédibilité que la Commission a effectuée était illogique. S’agissant des faits relatifs à l’exclusion, la Commission a conclu que le demandeur avait fait des déclarations qui étaient invraisemblables et peu crédibles. Il est vrai que la Commission a accepté que le demandeur avait raison de craindre les FARC en ce qui concerne les faits entourant sa demande d’asile, mais ces facteurs n’entrent pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’exclusion du demandeur.

 

[75]           Selon le défendeur, le demandeur n’a pas soulevé d’erreur susceptible de contrôle au sujet de la définition légale des crimes contre l’humanité. Dans Carrasco Varela, précité, bien qu’il ait certifié les questions portant sur l’application du Statut de Rome, le juge de la Cour fédérale a conclu que le Statut de Rome s’appliquait malgré tout aux crimes commis au cours des années quatre‑vingt. La décision Ventocilla, précitée, rendue antérieurement, n’a pas été suivie par la suite.

 

[76]           Le défendeur affirme que les articles de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (la LCHCG) auxquels renvoie le demandeur ne valent que pour les crimes commis au Canada, contrairement aux articles 6, 7 et 8, dont le champ d’application est plus large. Comme l’a souligné la Commission, la LCHCG incorpore la définition que le Statut de Rome donne des crimes contre l’humanité en plus de proposer sa propre définition. La définition que l’on trouve dans la LCHCG s’applique explicitement aux actes commis avant l’entrée en vigueur de la LCHCG, laquelle mentionne expressément le Statut de Londres (1945) et la Loi no 10 du Conseil de contrôle allié (1946), qui prévoient des définitions semblables des crimes contre l’humanité.

 

[77]           Dans l’arrêt Harb, précité, la Cour d’appel fédérale explique que le Statut de Rome regroupe certains crimes contre l’humanité, et un grand nombre d’autres décisions ont accepté sans équivoque que le traitement inhumain ou la torture de prisonniers au cours des années quatre‑vingt constituaient un crime contre l’humanité (Figueroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 112, Ramirez, précité, Sivakumar, précité, et Morena c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.)). Les mauvais traitements cruels infligés aux prisonniers, y compris la torture psychologique, ont également été inclus dans cette catégorie (Alza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 430, Quinonez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 162 F.T.R. 37, et Osagie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 186 F.T.R. 143). On a également conclu à la complicité dans le cas de personnes ayant livré des individus à des organisations connues pour avoir commis des crimes contre l’humanité au cours des années quatre‑vingt (Sulemana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 91 F.T.R. 53, Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1494 et Ponce Vivar c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 286).

 

[78]           Le défendeur affirme par ailleurs que la Commission n’a pas commis d’erreur en citant le Statut de Rome de 1998 parce que celui‑ci [traduction] « correspond au droit international coutumier ou conventionnel en ce qui a trait à l’inclusion des actes inhumains, du meurtre et de la torture de civils dans la définition des crimes contre l’humanité ». Au moment de leur perpétration, les actes reprochés au demandeur constituaient des infractions en droit international.

 

Questions en litige

 

[79]           Le demandeur a soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que le demandeur était complice des crimes contre l’humanité perpétrés par l’« armée colombienne » ou les « militaires colombiens »?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis, au vu du dossier, une erreur déterminante quant à sa conclusion au sujet de la complicité du demandeur dans les crimes contre l’humanité commis par l’armée colombienne?

            4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en appliquant rétroactivement des définitions des crimes contre l’humanité tirées du Statut de Rome et en concluant que des crimes contre l’humanité pouvaient être commis dans le contexte d’un conflit armé interne?

 

[80]           Je reformulerais ces questions de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle au sujet des faits se rapportant à la complicité du demandeur relativement aux crimes contre l’humanité commis par l’armée colombienne?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur était complice des crimes contre l’humanité perpétrés par l’« armée colombienne » ou les « militaires colombiens »?

            4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en appliquant rétroactivement des définitions des crimes contre l’humanité tirées du Statut de Rome?

            5.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que des crimes contre l’humanité pouvaient être commis dans le contexte d’un conflit armé interne?

 

Analyse et décision

 

[81]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada déclare ce qui suit au paragraphe 62 :

[...] le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

 

[82]           Parmi les questions soulevées dans le cadre du présent contrôle, ce sont les deux dernières qui commandent le moins de déférence de la part de la Cour. En revanche, les deuxième et troisième questions exigent un examen de l’analyse que la Commission a faite des circonstances factuelles puisqu’elles sont liées à l’application de la loi. Il est de jurisprudence constante que les questions de droit et de fait doivent être raisonnables. L’arrêt Dunsmuir, précité, définit la raisonnabilité comme suit :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[83]           Ainsi que je l’ai expliqué dans Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 956, pour tirer sa conclusion d’exclusion compte tenu de la preuve dont elle disposait, la Commission devait procéder à un examen dans un contexte où les questions de droit ne pouvaient pas être aisément dissociées des questions de fait. Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême a expliqué que la retenue s’impose habituellement d’emblée dans un tel cas, sauf si des questions constitutionnelles sont soulevées. La Commission était également chargée d’évaluer la preuve factuelle qui avait été présentée à l’audience. Il ne m'appartient pas de réexaminer les conclusions de la Commission, étant donné que les éléments de preuve ne m’ont pas été soumis directement. Bien que le demandeur affirme que c’est la norme de la décision correcte qui devrait s’appliquer dans une affaire soulevant des questions juridiques internationales aussi complexes, j’estime que ni l’arrêt Dunsmuir ni la jurisprudence subséquente ne vont dans cette direction.

 

[84]           Les dernières questions commandent toutefois moins de retenue. La question de savoir si le Statut de Rome peut s’appliquer rétroactivement et celle de savoir si les crimes contre l’humanité peuvent être commis à l’occasion de conflits internes sont des questions de droit que l’on peut aisément dissocier des faits. Je conclus que, dans ce domaine, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision correcte.

 

[85]           Deuxième question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle au sujet des faits se rapportant à la complicité du demandeur relativement aux crimes contre l’humanité commis par l’armée colombienne?

            Cette question soulevée par le demandeur comporte plusieurs aspects qui seront examinés en fonction de la norme de la décision raisonnable.

 

[86]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que c’est au ministre qu’il incombe d’établir qu’une personne est exclue comme dans l’affaire Ramirez, précitée. La thèse du demandeur est que la Commission l’oblige à prouver qu’il n’a pas commis les crimes internationaux dont il est accusé.

 

[87]           J’estime toutefois que la façon dont la Commission a mené son analyse n’était pas déraisonnable. Le ministre a soumis à la Commission des éléments de preuve qui, selon elle, appuyaient sa thèse que le demandeur devait être exclu pour cause de complicité dans des crimes contre l’humanité. La Commission enquêtait sur les allégations faites par le ministre et cherchait à déterminer si les réponses du demandeur étaient suffisamment convaincantes pour réfuter la thèse du ministre.

 

[88]           Ainsi qu’il a déjà été mentionné, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les faits de la présente affaire. Son rôle se limite à se prononcer sur « l’intelligibilité » de la décision et sur son appartenance « aux issues possibles acceptables » (arrêt Dunsmuir, précité). À cet égard, je constate que c’est précisément ce que le demandeur invite la Cour à faire. Dans ses arguments, le demandeur reprend les éléments de preuve et les explications qu’il a soumis à la Commission au lieu d’expliquer en quoi les inférences que la Commission a tirées de la preuve du ministre, de la preuve documentaire et du témoignage du demandeur étaient à ce point déraisonnables.

 

[89]           Comme la Commission l’a expliqué, la norme de preuve à laquelle le ministre doit satisfaire a été qualifiée de norme des « raisons sérieuses de penser » ou de norme des « motifs raisonnables de croire » et ces deux normes exigent « davantage qu’un simple soupçon, mais rest[ent] moins stricte que la prépondérance des probabilités » (Sivakumar, précité). Ces normes permettent de savoir jusqu’à quel point les inférences et les conclusions tirées par la Commission étaient raisonnables.

 

[90]           Le demandeur fait valoir que les inférences tirées de faits déterminés ne suffisaient pas pour conclure à l’exclusion. Je suis toutefois convaincu que le commissaire ne s’est pas contenté de tirer des inférences superficielles. Pour chacune de ses conclusions, le commissaire a expliqué la raison pour laquelle une inférence était tirée en fonction de la preuve documentaire et des témoignages.

 

[91]           Les conclusions tirées par la Commission au sujet de la complicité dans les crimes contre l’humanité coïncident parfaitement avec la période de temps que le demandeur a passé dans la région d’Uraba. Au cours de son séjour dans cette région, le demandeur se serait livré à la torture. Il aurait également été à la tête d’un peloton de soldats professionnels et aurait occupé le poste de capitaine à titre intérimaire.

 

[92]           Je souscris à l’évaluation de la Commission suivant laquelle il est invraisemblable que le demandeur n’ait pas été au courant des allégations de torture et d’autres crimes contre l’humanité portées contre l’armée colombienne au cours de cette période. La situation était bien connue en Colombie. Je fais également mienne la conclusion de la Commission suivant laquelle il est invraisemblable que le demandeur n’ait pas été au courant des faits survenus à la maison de ferme en mars 1989. Il était à la tête du groupe qui avait été dépêché à la maison de ferme et il est raisonnable de conclure qu’à ce titre, il aurait été au courant de ce qui s’y était passé.

 

[93]           On ne m’a pas convaincu que les inférences tirées par la Commission sont déraisonnables ou qu’elles manquent de transparence, qu’elles ne sont pas justifiées ou qu’elles sont inintelligibles au sens de l’arrêt Dunsmuir, précité. J’ai tenu compte de l’argument du demandeur suivant lequel les conséquences de l’exclusion sont à ce point « affreuses », pour reprendre le terme employé dans la décision Ardila, pour que la Commission soit tenue « de fournir des motifs qui montrent en termes clairs et sans équivoque qu’elle a procédé à un examen approfondi de tous les faits et de toutes les questions pertinentes ». Or, je suis convaincu que c’est effectivement ce que la Commission a fait.

 

[94]           Le demandeur ajoute qu’en fin de compte, ces conclusions sont illogiques ou « inintelligibles » parce que la Commission n’a jamais accusé directement le demandeur d’avoir menti. Je ne suis pas de cet avis.

 

[95]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission a effectivement remis en question la crédibilité du demandeur relativement aux incidents et à la durée de l’affectation du demandeur comme chef de peloton dans la région d’Uraba, et ce, même si la Commission n’a pas officiellement mis en doute sa crédibilité. La Commission a estimé que le témoignage du demandeur n’était pas plausible relativement aux événements en question. En d’autres termes, la Commission n’a pas ajouté foi au témoignage du demandeur. À mon avis, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[96]           Troisième question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur était complice des crimes contre l’humanité perpétrés par l’« armée colombienne » ou les « militaires colombiens »?

            Le demandeur affirme que la Commission n’a identifié aucune unité ou brigade précise de l’armée colombienne. En fin de compte, le demandeur soutient qu’on ne sait pas avec certitude quel groupe était accusé de complicité dans des crimes contre l’humanité, et l’idée qu’il était impliqué parce qu’il faisait partie d’un groupe ayant un mandat aussi vaste que celui qui est confié à l’« armée » ou aux « militaires » permet de penser que la conclusion de complicité dans des crimes contre l’humanité avait une portée trop large. Le demandeur rappelle que, dans Ardila, précité, la Cour a jugé qu’une approche aussi générale était erronée, sinon la simple appartenance à une armée comptant des milliers de militaires emporterait l’exclusion de tous.

 

[97]           Il s’agit d’un aspect important de l’analyse fondée sur l’alinéa 1Fa). Comme il a été dit dans Mugesera, précité : «  Comme tous les crimes, celui qui est perpétré contre l’humanité comporte deux éléments constitutifs : (1) un acte criminel et (2) une intention criminelle. » Il est important de qualifier l’organisation ou le groupe qui est impliqué dans des crimes contre l’humanité (Mugesera, précité). Si l’organisation ne poursuit pas seulement des fins brutales, il faut alors que le demandeur soit considéré comme ayant « participé consciemment et délibérément à des crimes contre l’humanité spécifiques ». La simple appartenance à une organisation ne suffit pas pour entraîner l’exclusion, à moins que l’organisation en question ne vise des fins brutales et limitées. La Commission doit s’en tenir aux actes précis du demandeur et établir qu’il poursuivait les mêmes buts que l’organisation en question. Plus l'intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l'organisation, plus il est vraisemblable qu'il ait été complice de ces crimes (Sivakumar, précité). Si l’intéressé n’occupait pas un poste dans les échelons supérieurs de l'organisation, il faut alors prouver l’existence d’un lien entre le crime commis et la personne impliquée. Enfin, le rôle joué pour l’intéressé au sein de l’organisation, la période passée dans l’organisation et sa connaissance des crimes commis sont essentiels (Sivakumar, précité).

 

[98]           La Cour, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada se sont toutes interrogées sur ces questions dans le cas d’individus qui faisaient partie d’organisations militaires associées à l’État, notamment dans les affaires Ramirez et Moreno précitées, pour ne nommer qu’elles.

 

[99]           Je suis d’accord pour dire qu’il serait indûment simpliste de juger le demandeur complice de crimes contre l’humanité du simple fait de son appartenance à l’armée colombienne, étant donné qu’il s’agit d’une organisation complexe et hétérogène qui est composée de milliers de personnes; il me semble qu’on attribuerait ainsi à tort une intention criminelle au demandeur. À défaut d’un lien étroit entre l’unité à laquelle il appartenait et les attaques systématiques auxquelles l’armée s’est livrée contre les populations civiles, on commettrait une erreur en concluant à l’exclusion (Mugesera, précité).

 

[100]       Comme l’a affirmé le demandeur, les objectifs qu’il poursuivait en servant dans l’armée étaient des motifs d’ordres personnel et professionnel. Rien ne permet de penser que le demandeur s’est investi dans les objectifs et les politiques plus larges de l’organisation. Dans le cas qui nous occupe, le demandeur voulait poursuivre des études et atteindre une stabilité financière. Ce sont des objectifs courants chez les individus de tous les coins du globe qui servent dans l’armée. La question qui se pose est donc celle de savoir à partir de quel moment nos normes internationales obligent un demandeur à répondre personnellement à des objectifs plus larges visés par l’organisation à laquelle il appartient. À quel moment, en l’espèce, le demandeur avait‑il l’obligation de démissionner de l’organisation dont il faisait partie, évitant ainsi de devenir complice d’atrocités?

 

[101]       Dans Sivakumar précité, la Cour s’est penchée sur la question de savoir dans quelles circonstances un crime devient un crime international :

Cette condition ne signifie pas qu'un crime contre l'humanité ne puisse pas être commis contre une personne, mais afin de faire qualifier un crime interne, tel le meurtre, de crime international, il faut que cet élément supplémentaire soit présent. Cet élément réside dans ce que la victime appartient à un groupe qui a été, de façon systématique et généralisée, la cible d'un des crimes susmentionnés.

 

 

[102]       Je relève que la Commission a jugé invraisemblable que le demandeur ait servi dans la région d’Uraba pendant trois ans sans être au courant des crimes contre l’humanité perpétrés par l’armée ou même sans participer directement à ceux‑ci. Selon la Commission, cette explication est invraisemblable parce que le demandeur est finalement devenu chef de peloton au sein d’un groupe qui était composé de soldats professionnels. Cette situation est différente de celle des groupes dont le demandeur avait fait partie dans le passé, en l’occurrence des groupes d’appui aux opérations militaires tels que ceux chargés de l’entretien des ponts.

 

[103]       La Commission a conclu, compte tenu de la preuve documentaire, que, par leurs activités, les forces armées et, par extension, le peloton dirigé par le demandeur dans cette région, ciblaient systématiquement les civils. Dans son rapport de 1992, le procureur général d’Amnistie internationale décrit la situation relative aux droits de la personne de la façon suivante :

[traduction]

 

Les organes chargés de la défense et de la sécurité de l’État sont formés pour persécuter un ennemi collectif et considèrent généralement que les victimes font partie intégrante de celui‑ci [...] ils établissent un lien direct entre, par exemple, les syndicats ou les organisations paysannes et les forces de guérilla; lorsqu’ils mènent des opérations anti‑insurrectionnelles, ces sujets passifs ne sont pas identifiés comme des victimes « indépendantes », mais comme faisant partie de l’ennemi.

 

[104]       À mon sens, la question la plus importante que soulève cette analyse est celle de savoir si la Commission a conclu à l’existence d’un lien entre le ciblage systématique des populations et le service effectué par le demandeur dans la région d’Uraba. La Commission a conclu que le demandeur avait pris part à des activités qui ciblaient des civils. Cette conclusion est‑elle raisonnable? Je réponds par l’affirmative à cette question et je suis d’avis de ne pas faire droit à la demande de contrôle judiciaire sur ce motif.

 

[105]       Quatrième question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en appliquant rétroactivement des définitions des crimes contre l’humanité tirées du Statut de Rome?

            Je tiens tout d’abord à citer certaines lois et certains instruments nationaux et internationaux qui définissent les crimes contre l’humanité.

 

[106]       Voici un extrait de la LCHCG :

INFRACTIONS COMMISES À L’ÉTRANGER

 

Génocide, crime contre l’humanité, etc., commis à l’étranger

 

6. (1) Quiconque commet à l’étranger une des infractions ci‑après, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, est coupable d’un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l’article 8 :

 

a) génocide;

 

b) crime contre l’humanité;

 

c) crime de guerre.

 

Définitions

 

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.


« crime contre l’humanité »
"crime against humanity"

 

« crime contre l’humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

 

 

[107]       L’argument du demandeur suivant lequel l’article 4 de la LCHCG empêche l’application du Statut de Rome parce que celui‑ci n’était pas en vigueur nous oblige à analyser l’article 4 en question.

Interprétation : droit international coutumier

 

(4) Il est entendu que, pour l’application du présent article, les crimes visés aux articles 6 et 7 et au paragraphe 2 de l’article 8 du Statut de Rome sont, au 17 juillet 1998, des crimes selon le droit international coutumier sans que soit limitée ou entravée de quelque manière que ce soit l’application des règles de droit international existantes ou en formation.  

 

[108]       Je relève que le défendeur signale que cet article se trouve sous la rubrique « INFRACTIONS COMMISES AU CANADA » de sorte qu’il ne s’applique pas au cas qui nous occupe.

 

[109]       Je constate également qu’il ressort du libellé de cet article qu’en édictant cette loi, le législateur fédéral ne voulait pas ouvrir la porte au type d’arguments invoqués par le demandeur. Il est d’ailleurs bien précisé dans la seconde partie de cet article que ces dispositions ne limitent et n’entravent d’aucune manière « l’application des règles de droit international existantes ou en formation ».

 

[110]       Les tribunaux canadiens ont également incorporé des conventions internationales sur la torture. Ainsi que la Commission l’a fait observer, l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 43, a approuvé la définition de la « torture » énoncée à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée par le Canada en 1987.

 

[111]       En second lieu, l’analyse à laquelle on doit se livrer en l’espèce suppose que l’on interprète tant les lois nationales que les lois internationales portant sur les crimes contre l’humanité.

 

[112]       Ainsi que Lorne Waldman l’explique dans Immigration Law and Practice « Convention Refugees and Persons in Need of Protection », (2006) 1 LexisNexus Canada 8.519, à la page 8.540 :

[traduction]

 

[...] Les actes constituant des crimes contre l’humanité ne se limitent plus à ceux qui sont énumérés dans la définition de l’article 6 du Statut du Tribunal militaire international. La communauté internationale considère désormais le génocide et l’apartheid comme des crimes contre l’humanité. De plus, des actes comme la torture et la piraterie ont effectivement été assimilés à des crimes internationaux.

 

 

[113]       Dans Mugesera, précité, la Cour suprême du Canada explique qu’un « crime contre l’humanité consiste dans la commission d’un acte prohibé énuméré qui contrevient au droit international coutumier ou conventionnel ou qui revêt un caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations ». De toute évidence, la Cour suprême a reconnu qu’on aurait tort de s’empêtrer dans les aspects techniques de différentes lois qui ont été édictées pour répondre à divers objectifs, et ce, à des époques différentes.

 

[114]       Il est indubitable que, dans notre jurisprudence et partout dans le monde, on s’entend pour dire que l’élimination des crimes contre l’humanité comme la torture constitue l’une des principales préoccupations des instruments internationaux signés depuis la Seconde Guerre mondiale (voir Ramirez, précité). Aucune date arbitraire n’a été fixée pour conclure à la culpabilité en cas de torture. Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur de droit et je suis d’avis de ne pas faire droit à la demande de contrôle judiciaire sur ce motif.

 

[115]       Cinquième question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que des crimes contre l’humanité pouvaient être commis dans le contexte d’un conflit armé interne?

            Le demandeur affirme que les actes qu’il a commis dans l’armée visaient à stopper les producteurs et trafiquants de drogues en Colombie. Dans son témoignage, il a déclaré que l’incident de mars 1989 faisait suite aux doutes exprimés quant à la possibilité que des travailleurs agricoles et des travailleurs syndiqués soient au courant des armes planquées dans la région. Le demandeur affirme qu’en 1990, son peloton saisissait des drogues et des armes et n’était pas engagé dans la lutte contre les guérilléros.

 

[116]       Les questions en jeu en rapport avec la loi sont nombreuses. Le demandeur était‑il engagé dans un conflit interne? Des civils étaient‑ils implicitement impliqués dans ce conflit à divers échelons? En d’autres termes, les actes commis par l’armée à l’époque où le demandeur servait dans la région d’Uraba sont‑ils plus complexes que ceux d’une armée qui a dérapé sur le plan moral et criminel?

 

[117]       On peut déduire que le demandeur estime qu’il n’avait pas la mens rea nécessaire pour commettre des crimes internationaux, étant donné qu’il estimait que son service se rapportait à la « guerre contre les drogues » qu’on livrait dans les tranchées en Colombie.

 

[118]       Les règles de droit international sur les conflits armés survenant à l’intérieur des frontières d’un État sont instructives. L’article 3 de la Troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, Genève, 12 août 1949, s’applique aux conflits armés non internationaux survenant sur le territoire d’un des États signataires. En voici un extrait :

En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l'une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d'appliquer au moins les dispositions suivantes :

1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.

À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l'égard des personnes mentionnées ci‑dessus :

a) les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices;

b) les prises d'otages;

c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants;

 

[...]

 

[119]       Il se peut que l’armée colombienne ait été aux prises avec un conflit complexe comportant de nombreuses facettes différentes. Toutefois, ainsi que le droit international l’exige, les individus jugés complices de crimes qui ne sauraient se justifier par les nécessités de la guerre ne sont pas pour autant dispensés de leur obligation de rendre des comptes. La Cour suprême a toutefois précisé que pour être considéré comme un crime contre l’humanité, un crime doit être dirigé contre une population civile, et cette dernière doit être la « cible principale », et non seulement une simple victime indirecte (Mugesera précité, paragraphe 161).

 

[120]       Je suis convaincu que la population civile était ciblée en Colombie à l’époque durant laquelle le demandeur a servi dans l’armée, et ce, d’une manière qui était contraire au droit international. Je suis d’avis de ne pas faire droit à la demande de contrôle judiciaire sur ce motif.

 

[121]       La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

[122]       Le demandeur a soumis à mon examen la question suivante en vue de sa certification en tant que question grave de portée générale :

[traduction]

Commet‑on une erreur de droit en appliquant la définition des « crimes contre l’humanité » prévue par le Statut de Rome à des actes qui auraient été commis avant le 1er juillet 2002? En d’autres termes, la définition des « crimes contre l’humanité » peut‑elle s’appliquer rétroactivement compte tenu de l’obligation de prouver la mens rea dans le cas d’un crime international?

 

[123]       Le défendeur s’oppose à la certification de cette question en faisant valoir que la réponse à cette question ne permettrait pas de trancher les questions en litige dans la présente affaire puisque la Cour d’appel a déjà examiné la question.

 

[124]       La question de la torture des civils fait partie de la définition des crimes contre l’humanité depuis 1945. J’abonde dans le sens du défendeur lorsqu’il affirme ce qui suit :

[traduction]

 

Il ressort des motifs de la décision que le tribunal a renvoyé aux définitions des crimes contre l’humanité que l’on trouve tant dans le Statut de Rome que dans la LCHCG. Il ne s’agit toutefois pas en l’espèce d’appliquer le Statut de Rome mais de consolider la définition traditionnelle qui existe depuis au moins 1945. La définition applicable se trouve dans la LCHCG, qui s’applique expressément aux actes antérieurs qui peuvent être considérés comme des crimes contre l’humanité en droit international. La torture des civils fait partie de la définition des crimes contre l’humanité depuis au moins 1945.

 

La question n’aurait aucune incidence sur la présente affaire puisque la torture des civils fait partie de la définition des crimes contre l’humanité depuis au moins 1945, de sorte qu’il ne s’agit pas de l’application rétroactive d’une nouvelle définition.

 

 

[125]       De plus, je suis lié par la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Harb, précitée (paragraphes 5 à 10). La question a déjà été examinée par la Cour d’appel fédérale.

 

[126]       En conséquence, je ne peux certifier la question proposée par le demandeur.

 

 


 

JUGEMENT

 

[127]       LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            2.         La question dont le demandeur propose la certification ne sera pas certifiée en tant que question grave de portée générale.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B., trad. a.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente section.

 

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] Recueil des traités du Canada no 6 :

 

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 

(b) He has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

(c) He has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

 

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24:

 

4.(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« crime contre l’humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

 

[...]

 

(4) Il est entendu que, pour l’application du présent article, les crimes visés aux articles 6 et 7 et au paragraphe 2 de l’article 8 du Statut de Rome sont, au 17 juillet 1998, des crimes selon le droit international coutumier sans que soit limitée ou entravée de quelque manière que ce soit l’application des règles de droit international existantes ou en formation.

 

 

4.(3) The definitions in this subsection apply in this section.


"crime against humanity" means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

 

 

 

. . .

 

(4) For greater certainty, crimes described in Articles 6 and 7 and paragraph 2 of Article 8 of the Rome Statute are, as of July 17, 1998, crimes according to customary international law. This does not limit or prejudice in any way the application of existing or developing rules of international law.

 

 

Annexe (paragraphe 2(1)) – Dispositions du Statut de Rome, article 6 :

 

ANNEXE

(paragraphe 2(1))

DISPOSITIONS DU STATUT DE ROME

ARTICLE 6

 

Crime de génocide

 

Aux fins du présent Statut, on entend par « crime de génocide » l’un quelconque des actes ci‑après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

 

a) meurtre de membres du groupe;

 

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

 

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

 

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

 

 

 

e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

 

ARTICLE 7

 

Crimes contre l’humanité

 

1. Aux fins du présent Statut, on entend par « crime contre l’humanité » l’un quelconque des actes ci‑après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

 

a) meurtre;

 

b) extermination;

 

c) réduction en esclavage;

 

d) déportation ou transfert forcé de population;

 

e) emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international;

 

f) torture;

 

g) viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable;

 

 

h) persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour;

 

i) disparitions forcées de personnes;

 

j) crime d’apartheid;

 

k) autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

 

2. Aux fins du paragraphe 1 :

 

 

a) par « attaque lancée contre une population civile », on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque;

 

b) par « extermination », on entend notamment le fait d’imposer intentionnellement des conditions de vie, telles que la privation d’accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population;

 

c) par « réduction en esclavage », on entend le fait d’exercer sur une personne l’un quelconque ou l’ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants;

 

d) par « déportation ou transfert forcé de population », on entend le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international;

 

 

e) par « torture », on entend le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle; l’acception de ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles;

 

f) par « grossesse forcée », on entend la détention illégale d’une femme mise enceinte de force, dans l’intention de modifier la composition ethnique d’une population ou de commettre d’autres violations graves du droit international. Cette définition ne peut en aucune manière s’interpréter comme ayant une incidence sur les lois nationales relatives à la grossesse;

 

g) par « persécution », on entend le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l’identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l’objet;

 

h) par « crime d’apartheid », on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime;

 

i) par « disparitions forcées de personnes », on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.

 

3. Aux fins du présent Statut, le terme « sexe » s’entend de l’un et l’autre sexes, masculin et féminin, suivant le contexte de la société. Il n’implique aucun autre sens.

 

PROVISIONS OF ROME STATUTE

ARTICLE 6

 

 

 

Genocide

 

For the purpose of this Statute, “genocide” means any of the following acts committed with intent to destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group, as such:

 

 

 

(a) killing members of the group;

 

(b) causing serious bodily or mental harm to members of the group;

 

(c) deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part;

 

(d) imposing measures intended to prevent births within the group;

 

 

(e) forcibly transferring children of the group to another group.

 

ARTICLE 7

 

Crimes against humanity

 

1. For the purpose of this Statute, “crime against humanity” means any of the following acts when committed as part of a widespread or systematic attack directed against any civilian population, with knowledge of the attack:

 

 

(a) murder;

 

(b) extermination;

 

(c) enslavement;

 

(d) deportation or forcible transfer of population;

 

(e) imprisonment or other severe deprivation of physical liberty in violation of fundamental rules of international law;

 

(f) torture;

 

(g) rape, sexual slavery, enforced prostitution, forced pregnancy, enforced sterilization, or any other form of sexual violence of comparable gravity;

 

(h) persecution against any identifiable group or collectivity on political, racial, national, ethnic, cultural, religious, gender as defined in paragraph 3, or other grounds that are universally recognized as impermissible under international law, in connection with any act referred to in this paragraph or any crime within the jurisdiction of the Court;

 

 

 

 

(i) enforced disappearance of persons;

 

(j) the crime of apartheid;

 

(k) other inhumane acts of a similar character intentionally causing great suffering, or serious injury to body or to mental or physical health.

 

 

2. For the purpose of paragraph 1:

 

(a) “attack directed against any civilian population” means a course of conduct involving the multiple commission of acts referred to in paragraph 1 against any civilian population, pursuant to or in furtherance of a State or organizational policy to commit such attack;

 

 

 

(b) “extermination” includes the intentional infliction of conditions of life, inter alia the deprivation of access to food and medicine, calculated to bring about the destruction of part of a population;

 

 

 

(c) “enslavement” means the exercise of any or all of the powers attaching to the right of ownership over a person and includes the exercise of such power in the course of trafficking in persons, in particular women and children;

 

 

(d) “deportation or forcible transfer of population” means forced displacement of the persons concerned by expulsion or other coercive acts from the area in which they are lawfully present, without grounds permitted under international law;

 

(e) “torture” means the intentional infliction of severe pain or suffering, whether physical or mental, upon a person in the custody or under the control of the accused; except that torture shall not include pain or suffering arising only from, inherent in or incidental to, lawful sanctions;

 

 

 

 

 

(f) “forced pregnancy” means the unlawful confinement of a woman forcibly made pregnant, with the intent of affecting the ethnic composition of any population or carrying out other grave violations of international law. This definition shall not in any way be interpreted as affecting national laws relating to pregnancy;

 

 

 

(g) “persecution” means the intentional and severe deprivation of fundamental rights contrary to international law by reason of the identity of the group or collectivity;

 

 

(h) “the crime of apartheid” means inhumane acts of a character similar to those referred to in paragraph 1, committed in the context of an institutionalized regime of systematic oppression and domination by one racial group over any other racial group or groups and committed with the intention of maintaining that regime;

 

(i) “enforced disappearance of persons” means the arrest, detention or abduction of persons by, or with the authorization, support or acquiescence of, a State or a political organization, followed by a refusal to acknowledge that deprivation of freedom or to give information on the fate or whereabouts of those persons, with the intention of removing them from the protection of the law for a prolonged period of time.

 

 

3. For the purpose of this Statute, it is understood that the term “gender” refers to the two sexes, male and female, within the context of society. The term “gender” does not indicate any meaning different from the above.

 

 


COUR FÉDRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2795‑08

 

INTITULÉ :                                       MAURICIO CERVERA BONILLA

 

                                                            ‑ et ‑

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raj Sharma

 

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raj Sharma

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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