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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20090916

Dossier : T-686-08

Référence : 2009 CF 921

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

ALLAN MacDONALD

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande visant une déclaration, au titre du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, selon laquelle le directeur de l’établissement de Joyceville, tel qu’il est représenté par le défendeur, a violé une ordonnance de la Cour.

 

LE CONTEXTE

[2]               Allan MacDonald est un prisonnier à l’établissement de Warkworth. Il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré d’un policier qui n’était pas en service.

 

[3]               Le 10 septembre 2004, M. MacDonald a été déclaré coupable d’une infraction disciplinaire mineure à l’établissement de Joyceville. Il avait été accusé en vertu de l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la LSCMLC) d’avoir agi de manière irrespectueuse envers une agente du Service correctionnel du Canada (le SCC). Le seul élément de preuve était le rapport écrit de l’agente ayant déposé l’accusation. M. MacDonald a présenté une demande de contrôle judiciaire de sa déclaration de culpabilité. Le 31 juillet 2007, la juge Simpson a conclu que l’accusation écrite ne contenait pas suffisamment de renseignements pour justifier une déclaration de culpabilité, et elle a annulé la déclaration de culpabilité disciplinaire : Macdonald c Canada (Procureur général), 2007 CF 798. La juge Simpson a ordonné que tous les documents concernant la déclaration de culpabilité soient retirés des dossiers du SCC :

La Cour ordonne, pour les motifs exposés ci‑dessus, que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la déclaration de culpabilité soit annulée et que tous les documents concernant la déclaration de culpabilité soient retirés des dossiers du défendeur concernant le demandeur.

 

 

[4]               En 2008, M. MacDonald a été accusé d’agressivité et il a donc été mis en isolement. Lors de l’examen à cette époque, M. MacDonald a appris que les rapports écrits du SCC dans ses dossiers contenaient des références à l’incident de 2004. Les références en cause sont les extraits en majuscules énoncés de la façon suivante :

[traduction]

** CONFORMÉMENT À L’ANNEXE A DE LA DC 701, UNE RÉVISION DU DOSSIER A EU LIEU RELATIVEMENT À LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE (31. 07. 2007) EN FAVEUR DU DÉLINQUANT MACDONALD « ANNULANT » LA DÉCLARATION DE CULPABILITÉ PRONONCÉE PAR LE TRIBUNAL DISCIPLINAIRE DE L’ÉTABLISSEMENT, LAQUELLE ÉTAIT FONDÉE SUR L’ALINÉA 40F) DE LA LOI SUR LE SYSTÈME CORRECTIONNEL ET LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITION, LEQUEL EST LIBELLÉ DE LA FAÇON SUIVANTE : « 40. EST COUPABLE D’UNE INFRACTION DISCIPLINAIRE LE DÉTENU QUI : F) AGIT DE MANIÈRE IRRESPECTUEUSE OU OUTRAGEANTE ENVERS UN AGENT AU POINT DE COMPROMETTRE L’AUTORITÉ DE CELUI‑CI OU DES AGENTS EN GÉNÉRAL ». LE 13 MAI 2008, CE RAPPORT A ÉTÉ DÉVERROUILLÉ ET MODIFIÉ AFIN D’Y INCLURE LES MODIFICATIONS. LA DATE ORIGINALE DU RAPPORT ÉTAIT LE 20 JUIN 2005 ET L’AUTEUR DU RAPPORT ÉTAIT L’AGENT CHARGÉ DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES W. COOK. LES MODIFICATIONS ONT ÉTÉ FAITES PAR L’AGENT CHARGÉ DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES PAR INTÉRIM ANDREW VANHORN EN VERTU DE L’ARTICLE 24 DE LA LSCMLC ET LA GESTIONNAIRE DE L’ÉVALUATION ET DES INTERVENTIONS ELISABETH HOEDICKS DE L’ÉTABLISSEMENT DE JOYCEVILLE. LES MODIFICATIONS SONT FAITES CI‑DESSOUS, SOUS L’INFORMATION ORIGINALE. **

 

[…]

 

[…] Le 9 avril 2008, il a eu une accusation mineure d’avoir agi de manière irrespectueuse envers le personnel relativement à un incident au cours duquel il a ri envers une agente de manière irrespectueuse lorsqu’il se rendait dans sa cellule au point de compromettre l’autorité de celle‑ci. Comme résultat de cet incident, il a purgé quatre jours en isolement.

 

** L’INFORMATION FIABLE FOURNIE PAR L’AGENTE AYANT PORTÉ L’ACCUSATION INDIQUE QUE L’INCIDENT A EU LIEU. TOUTEFOIS, LA QUESTION LITIGIEUSE ET POUR LAQUELLE IL A ÉTÉ CONCLU EN FAVEUR DU DÉLINQUANT MACDONALD ÉTAIT DE SAVOIR SI L’INCIDENT COMPROMETTAIT L’AUTORITÉ DE L’AGENTE. LA COUR FÉDÉRALE A DÉCIDÉ QUE L’INCIDENT NE COMPROMETTAIT PAS L’AUTORITÉ DE L’AGENTE ET LA DÉCLARATION DE CULPABILITÉ DU TRIBUNAL DISCIPLINAIRE DE L’ÉTABLISSEMENT A ÉTÉ « ANNULÉE ». APRÈS UNE RÉVISION DU DOSSIER, TOUTE RÉFÉRENCE À CETTE DÉCLARATION DE CULPABILITÉ « ANNULÉE » A ÉTÉ DÛMENT NOTÉE ET NE SERA PAS PRISE EN COMPTE EU ÉGARD À TOUT PROCESSUS DÉCISIONNEL. LE DÉLINQUANT MACDONALD AVAIT ÉTÉ À L’ORIGINE DÉCLARÉ COUPABLE PAR LE TRIBUNAL DISCIPLINAIRE LE 10 SEPTEMBRE 2004. LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE EN SA FAVEUR EST DATÉE DU 31 JUILLET 2007 ET LE JUGEMENT A ÉTÉ RENDU PAR LA JUGE SANDRA J. SIMPSON. **

 

[5]               Le demandeur sollicite une déclaration selon laquelle le défendeur a violé l’ordonnance de la Cour, que ses dossiers soient révisés, et que toute référence à l’incident de 2004 soit caviardée.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[6]               Je suis d’avis que la question est simplement de savoir si le SCC a respecté l’ordonnance de la juge Simpson.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]               Dans l’arrêt Dunsmuir c  Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Au contraire, si la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle, cela suffit à décider de la norme de contrôle.

 

[8]               Selon le demandeur, l’article 24 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, commande l’obligation d’agir de manière juste. Le demandeur soutient que la norme de contrôle est celle de la décision correcte en raison de l’obligation qui pèse sur les agents de prison d’agir de manière juste : De Maria c Regional Classification Board, [1986] ACF no 171; McInroy c Canada, [1985] ACF no 448. Ces décisions touchent principalement à des causes de transfert de prisonniers et elles ne sont pas directement liées à la question litigieuse en l’espèce.

 

[9]               Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans la décision Brown c Canada, 2006 CF 463, la juge Mactavish a conclu que la norme de contrôle à appliquer à ce type de décision est celle de la décision raisonnable. La décision Brown concernait un contrôle judiciaire relatif à une décision de ne pas retrancher du dossier du demandeur les renseignements au sujet d’une allégation d’agression. Dans la décision Brown, la juge Mactavish a fait sienne l’analyse pragmatique et fonctionnelle du juge Lemieux dans la décision Tehrankari c Canada, [2000] ACF no 495, dans laquelle le juge Lemieux a conclu :

je suis d’avis qu’il faut appliquer la norme de la décision correcte si la question porte sur la bonne interprétation de l’article 24 de la Loi, mais la norme de la décision raisonnable simpliciter si la question porte soit sur l’application des principes juridiques appropriés aux faits soit sur le bien-fondé de la décision de refus de corriger les renseignements dans le dossier du délinquant.

 

 

[10]           Je souscris à l’analyse faite dans les décisions Brown et Tehrankari. Lorsqu’on applique les exigences légales de l’article 24 de la LSCMLC aux faits, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

 

LA DISPOSITION LÉGALE

[11]           L’article 24 de la LSCMLC est libellé de la façon suivante :

Exactitude des renseignements

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

 

Correction des renseignements

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.

 

Accuracy, etc., of information

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

 

Correction of information

(2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

(a) the offender may request the Service to correct that information; and

(b) where the request is refused, the Service shall attach to the information a notation indicating that the offender has requested a correction and setting out the correction requested.

 

ANALYSE

[12]           Selon le demandeur, il a été mis en isolement en 2008 au motif qu’il agissait de façon similaire à son comportement lors de l’incident de 2004 qu’il a réfuté. Cette déclaration de culpabilité avait été annulée par une ordonnance de la Cour. Il soutient que le SCC a violé l’ordonnance de la juge Simpson parce que les dossiers du SCC continuent de contenir des renseignements relatifs à son comportement lors de l’incident de 2004.

 

[13]           Le défendeur soutient qu’il a respecté l’ordonnance de la Cour. Les rapports en cause ont été modifiés par l’insertion de l’information selon laquelle l’accusation mineure avait été annulée par la Cour fédérale. Il y avait aussi une note selon laquelle il ne devait pas être tenu compte de la déclaration de culpabilité annulée dans les prises de décisions.

 

[14]           Dans le Suivi du plan correctionnel (le SPC), il y a une référence à l’incident initial qui a donné naissance au grief, et au fait qu’une accusation mineure avait été portée. Toute mention de la déclaration de culpabilité a été retirée du SPC. Le défendeur soutient que, selon la politique actuelle du SCC, les rapports d’incident et les formulaires d’avis d’accusation ne sont pas retirés du dossier du délinquant. Au contraire, tous les documents pertinents sont modifiés pour indiquer que le délinquant a été déclaré non coupable.

 

[15]           Au paragraphe 25 de la décision Brown, la juge Mactavish a relevé qu’il faut faire la distinction entre une allégation selon laquelle un fait a eu lieu et une affirmation que le fait a en effet eu lieu. Je souscris au raisonnement adopté dans la décision Brown selon lequel il y a des raisons valables pour lesquelles le SCC devrait garder des traces des allégations faites contre un prisonnier uniquement comme trace des interactions entre un prisonnier et un agent du SCC.

 

[16]           L’ordonnance rendue par la Cour le 31 juillet 2007 a annulé « la déclaration de culpabilité » et ordonné que « tous les documents concernant la déclaration de culpabilité soient retirés des dossiers du défendeur concernant le demandeur ». [Non souligné dans l’original.] Le libellé de l’ordonnance fait clairement référence à la déclaration de culpabilité. Ainsi, l’ordonnance n’inclut pas de référence au fait qu’une allégation avait été faite.

 

[17]           Malheureusement, l’affaire ne s’arrête pas là. L’insertion faite par le SCC interprète la décision de la Cour. L’affirmation du gestionnaire du SCC selon laquelle [traduction] « l’information fiable fournie par l’agente ayant porté l’accusation indique que l’incident a eu lieu » associée à l’utilisation du terme « annulée » entre guillemets (un terme qui ne ressort pas de la version anglaise de l’ordonnance de la Cour) est fallacieuse et ne respecte pas la directive claire de l’ordonnance de la Cour. Si le SCC n’était pas certain de l’intention contenue dans l’ordonnance de la Cour, il aurait pu demander des clarifications à la Cour. Il n’est pas loisible aux gestionnaires du SCC d’affirmer l’équivalence d’une déclaration de culpabilité par l’ajout de commentaires à caractère interprétatif.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La référence en cause sera retirée et remplacée par ce qui suit :

[traduction]

**DANS LE CADRE DU CONTRÔLE JUDICIAIRE, LA COUR FÉDÉRALE A DÉCIDÉ QUE LA PREUVE N’ÉTAIT PAS SUFFISANTE POUR JUSTIFIER UNE DÉCLARATION DE CULPABILITÉ POUR AVOIR COMPROMIS L’AUTORITÉ DE L’AGENTE, ET LA DÉCLARATION DE CULPABILITÉ PRONONCÉE PAR LE TRIBUNAL DISCIPLINAIRE DE L’ÉTABLISSEMENT A ÉTÉ ANNULÉE. APRÈS UNE RÉVISION DU DOSSIER, TOUTE RÉFÉRENCE À CETTE DÉCLARATION DE CULPABILITÉ NE SERA PAS PRISE EN COMPTE EU ÉGARD À TOUT PROCESSUS DÉCISIONNEL. LE DÉLINQUANT MACDONALD A ÉTÉ À L’ORIGINE DÉCLARÉ COUPABLE PAR UN TRIBUNAL DISCIPLINAIRE LE 10 SEPTEMBRE 2004. LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE EN SA FAVEUR EST DATÉE DU 31 JUILLET 2007 ET LE JUGEMENT A ÉTÉ RENDU PAR SANDRA J. SIMPSON.**

 

 

[19]           Considérant le succès mitigé dans la présente affaire, je ne rendrai pas d’ordonnance quant aux dépens.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

2.                  La référence en cause sera retirée et remplacée par ce qui suit :

[traduction]

**DANS LE CADRE DU CONTRÔLE JUDICIAIRE, LA COUR FÉDÉRALE A DÉCIDÉ QUE LA PREUVE N’ÉTAIT PAS SUFFISANTE POUR JUSTIFIER UNE DÉCLARATION DE CULPABILITÉ POUR AVOIR COMPROMIS L’AUTORITÉ DE L’AGENTE, ET LA DÉCLARATION DE CULPABILITÉ PRONONCÉE PAR LE TRIBUNAL DISCIPLINAIRE DE L’ÉTABLISSEMENT A ÉTÉ ANNULÉE. APRÈS UNE RÉVISION DU DOSSIER, TOUTE RÉFÉRENCE À CETTE DÉCLARATION DE CULPABILITÉ NE SERA PAS PRISE EN COMPTE EU ÉGARD À TOUT PROCESSUS DÉCISIONNEL. LE DÉLINQUANT MACDONALD A ÉTÉ À L’ORIGINE DÉCLARÉ COUPABLE PAR UN TRIBUNAL DISCIPLINAIRE LE 10 SEPTEMBRE 2004. LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE EN SA FAVEUR EST DATÉE DU 31 JUILLET 2007 ET LE JUGEMENT A ÉTÉ RENDU PAR SANDRA J. SIMPSON.**

 

            3.         Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              T-686-08

 

INTITULÉ :                                            ALLAN MACDONALD

                                                                  c

                                                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 6 mai 2009

 

REASONS FOR JUDGMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge Mandamin

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 16 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Hill

 

POUR LE DEMANDEUR

Sharon McGovern

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John L. Hill

Avocat

Coburg (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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