Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090917

Dossier : T-887-09

Référence : 2009 CF 926

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 17 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Harrington          

 

ENTRE :

PRINCESS GROUP INC. et PRINCESS AUTO LTD.

demanderesses

 

et

 

L’ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le mois dernier, la protonotaire Milczynski a accordé aux demanderesses, Princess Group Inc. et Princess Auto Ltd (collectivement, « Princess »), une prorogation de délai pour demander le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le registraire des marques de commerce il y a 27 ans. Je suis d’avis de refuser l’appel de l’Association canadienne de normalisation s’y rapportant, avec dépens.

 

[2]               Le retard entre la décision du registraire en 1982 et la demande de contrôle judiciaire de cette décision cette année détonne quelque peu et nécessite des explications. La réponse réside dans une autre affaire dont la Cour est saisie, à savoir une action par la CSA contre Princess intentée le 23 avril 2009 dans le dossier T-648-09.

 

[3]               Dans cette action (et il n’est pas contesté que la CSA détient à la fois une marque officielle et une marque de commerce qui consiste en une grande lettre « C » circulaire entourant les petites lettres « s » et « a »), la CSA demande une déclaration que ces marques ont été utilisées par Princess sans autorisation, licence ou permission, et que divers articles de la Loi sur les marques de commerce ont été enfreints. Elle sollicite un redressement par voie de déclaration, d’injonction, de remise, de dommages-intérêts ou de comptabilisation des profits et des dommages-intérêts punitifs.

 

[4]               Essentiellement, il est soutenu que Princess a mis en vente des marchandises sur lesquelles la marque de commerce et la marque officielle de la CSA avaient été reproduites.

 

[5]               Princess a maintenant affirmé, dans sa défense, qu’elle soutient, entre autres, que la marque officielle n’aurait pas dû être acceptée et publiée et que la marque de commerce déposée est invalide.

 

[6]               L’invalidité de la marque de commerce déposée peut être soulevée en défense. Cependant, il existe une grande incertitude quant à la façon de traiter la marque officielle. Le point de vue qui prévaut est qu’il est préférable de l’annuler dans une demande de contrôle judiciaire (Magnotta Winery Corp. c. Vintners Quality Alliance of Canada (1999), 1 C.P.R. (4e) 68 (1re instance), Société canadienne des postes c. Post Office, [2001] 2 C.F. 63, 8 C.P.R. (4e) 289 (T.D.), Tall Ships Art Productions Ltd. c. Bluenose II Preservation Trust Society, 2003 CF 1442, 32 C.P.R. (4e) 262, Société canadienne des postes c. United States Postal Service, 2005 CF 1630, [2006] 3 R.C.F. 28). La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 1er juin 2009, 38 jours après la signification de la déclaration.

 

La décision de la protonotaire

 

[7]                En 1982, le registraire des marques de commerce a publié un avis en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce de l’adoption et de l’utilisation par l’Association canadienne de normalisation de la marque CSA comme marque officielle pour des services.

 

[8]               Les paragraphes 18.1(1) et (2) de la Loi sur les Cours fédérales prévoient que quiconque est « directement touché » par l’objet de la demande peut demander le contrôle judiciaire d’une décision d’un office fédéral dans les 30 jours qui suivent la première communication à la partie, ou dans un délai supplémentaire que la Cour peut accorder.

 

[9]               La protonotaire Milczynski a conclu que Princess venait d’être « directement touchée » et n’avait qualité pour contester que la marque officielle lorsque la contrefaçon de cette marque était alléguée, soit au moment de la signification de la déclaration. Ainsi, elle a agi selon le principe que la demande n’était que huit jours hors délai.

 

[10]           Même si elle n’a pas cité de jurisprudence, elle bien récité le critère à quatre volets énoncés dans Canada (P.G.) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.). Elle a conclu :

 

[...] La présence ou l'absence de consentement à une prorogation de délai [traduction] relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Le critère approprié est de savoir si le demandeur a démontré :

(i)                  une intention constante de poursuivre sa demande;

(ii)                que la demande est bien fondée;

(iii)               qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai;

(iv)              que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai.

 

 

 

[11]           Elle n’a pas été convaincue que la CSA avait subi un préjudice, et était également d’avis que Princess avant un argument à présenter quant à savoir si la CSA était une « autorité publique » au sens de l’article de la Loi sur les marques de commerce, cité plus haut, et si elle avait droit au bénéfice d’une marque officielle, et si la CSA avait « adopté et utilisé » la marque officielle.

 

Discussion

 

[12]           La première question consiste à savoir si je suis tenu d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de novo. De telles ordonnances ne doivent être examinées de novo que si les questions soulevées dans la requête sont déterminantes pour l’issue de la cause, ou si les ordonnances sont manifestement erronées dans le sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire était fondé sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, 30 C.P.R. (4e) 40, autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, 31754 (le 10 mai 2007) et les affaires qui y sont citées).

 

[13]           Si la protonotaire Milczynski avait exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’autre sens, c.-à-d. si elle n’avait pas accordé la prorogation, la demande contrôle judiciaire aurait pris fin. C’est ce qu’elle aurait pu faire au cours des plaidoiries, et non ce qu’elle a fait, ce dont il faut tenir compte pour établir si la question était déterminante à l’issue de la cause. Puisqu’elle aurait pu refuser d’accorder la prorogation, sa décision était déterminante et je suis tenu d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de novo. (Fieldturf Inc. c. Winnipeg Enterprises Corp., 2007 CAF 95, 58 C.P.R. (4e) 15)

 

[14]           Il est admis qu’une fois que CSA a eu vent des prétendues infractions en 2007, elle a donné un avis de sa marque de commerce déposée, mais pas de sa marque officielle. Au début de 2009, elle a même envoyé une déclaration provisoire, mais encore une fois, aucune mention de la marque officielle n’y figure. L’avis s’y rapportant n’est survenu de la CSA qu’avec la délivrance et la signification de sa déclaration, les deux le 23 avril 2009.

 

[15]           La CSA adopte la position que Princess avait reçu une notification suffisante en 2007 pour devenir « directement touchée » par la décision du registraire en 1982 concernant la marque officielle. Elle pouvait, et aurait dû, procéder à une enquête à ce moment-là. De plus, l’affidavit à l’appui de la demande de prorogation est déficient en ce sens qu’il est fait par l’un des avocats de Princess qui n’a pris connaissance personnelle des événements qu’au moment où les services de son cabinet d’avocats ont été retenus, et plus particulièrement quant à ce qui a été fait après la signification de la déclaration.

 

[16]           Je n’accepte pas cet argument. La décision de 1982 n’a jamais été communiquée par le registraire des marques de commerce à Princess. Elle ne lui a été communiquée pour la première fois par la CSA qu’en avril 2009. Si la CSA l’avait invoqué en 2007, ou dans sa déclaration provisoire au début de 2009, je crois alors qu’il serait raisonnable de dire que Princess avait été avisée que ses droits pouvaient être touchés. Ce n’est toutefois pas le cas. Je suis convaincu que le délai de 30 jours n’a commencé à courir que le 23 avril 2009.

 

[17]           Si Princess ne peut pas contester la marque officielle, une partie de l’action dans le dossier T-648-09 est pratiquement déjà décidée. Princess ne serait pas en mesure de se défendre pleinement, une défense qui est plausible.

 

[18]           L’explication du délai est raisonnable. Une attaque contre la publication d’une marque officielle par voie de contrôle judiciaire n’est certainement pas un moyen évident de procéder. De toute façon, la demande de contrôle judiciaire a été déposée avant que la CSA ne fournisse des précisions sur sa déclaration. Dans les circonstances, les avocats de Princess peuvent certainement bénéficier de huit jours, un délai qui ne cause aucun préjudice à la CSA. Il n’y a pas eu abstention, puisqu’elle aurait pu intenter une poursuite en tout temps au cours des discussions en vue d’un règlement.

 

[19]           Princess a certainement démontré une intention constante de se défendre, et cette demande de contrôle judiciaire n’est qu’accessoire à cette intention.

 

[20]           Pour revenir à la décision Hennelly, prononcée à l’audience, la Cour a aussi noté que la question de savoir si l’explication d’un demandeur justifie le fait de lui accorder une prorogation dépend des faits de la cause. De plus, la Cour avait décidé qu’il n’y avait aucune raison sérieuse pour s’immiscer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes de refuser d’accorder une prorogation. Rien n’indique que la Cour avait l’intention, de quelque façon que ce soit, de s’éloigner de sa décision antérieure dans Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration [1985] 2 C.F. 263 (C.A.). Dans Grewal, le juge en chef Thurlow était de l’avis suivant : « Il me semble toutefois qu’en étudiant une demande comme celle-ci, on doit tout d’abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation de délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties. »

 

[21]           Il n’est que juste, équitable et approprié que Princess ait une possibilité totale de se défendre. Il serait injuste de ne pas accorder la prorogation parce qu’il a fallu aux avocats de Princess 38 jours plutôt que 30 pour revenir sur un point de procédure obscur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté avec dépens.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-887-09

 

INTITULÉ :                           PRINCESS GROUP INC. et PRINCESS AUTO LTD v.

                                                L’ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 SEPTEMBRE 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 SEPTEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Joseph Etigson

Me Michael Carey

 

POUR L’APPELANTE/DÉFENDERESSE

 

Me Peter Wells

POUR LES INTIMÉES/DEMANDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Macdonald Sager Manis LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE/DÉFENDERESSE

 

Lang Michener LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉES/DEMANDERESSES

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.