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Date : 20090924

Dossier : IMM-333-09

Référence : 2009 CF 963

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

PETRA RECORT MASON

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Année après année, demande après demande, Mme Mason a menti au sujet de la raison pour laquelle elle craint de retourner à la Grenade. Maintenant que la fin est proche, elle a décidé de donner la véritable raison; du moins, c’est ce qu’elle dit. Comme il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent d’exécution de la loi a décidé de ne pas surseoir pour deux ans à l’exécution de la mesure de renvoi visant la demanderesse, pendant que l’on traite la troisième demande de résidence permanente présentée par cette dernière en sol canadien pour des motifs d’ordre humanitaire (CH), ce n’est pas à moi qu’il appartient de décider si son récit est digne de foi ou non.

 

[2]               Mme Mason est arrivée au Canada en 1995 et elle s’est fait connaître pour la première fois des autorités quand elle a présenté une demande afin de pouvoir rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Sa demande a été rejetée. En 2004, sa demande d’asile a été refusée. Elle a dit qu’elle craignait la hausse du taux de criminalité à la Grenade à cause du ralentissement de l’économie, et aussi qu’elle avait peur de son ancien petit ami. Elle n’a parlé de cette peur au tribunal qu’au moment de son audience. Cet homme l’avait agressée en 1990. Ce risque a aussi été l’un des fondements de sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été rejetée. L’agent a déclaré : [traduction« La demandeure a eu la possibilité de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour me convaincre de tirer une conclusion différente de celle de la Section de la protection des réfugiés. Le risque dont elle a fait état avait été évalué au stade de sa demande d’asile. Elle craint que son ancien petit ami ne lui fasse du mal une fois qu’elle sera rentrée à la Grenade. » Sa troisième demande de visa de résident permanent, faite en sol canadien, a été déposée au mois de mai de l’année dernière. Dans le cours normal des choses, il s’écoulera une période additionnelle d’à peu près deux ans avant qu’une décision soit rendue.

 

[3]               Après le prononcé de la décision défavorable concernant son ERAR, il ne restait plus qu’à procéder au renvoi de la demanderesse et celle ci-ci a reçu pour instruction de se présenter à l’aéroport Pearson en vue de son départ pour la Grenade. Par l’entremise de son avocat, elle a demandé à l’agent d’exécution de la loi de surseoir à l’application de cette mesure pour un certain nombre de motifs, dont son fils né au Canada et l’emploi qu’elle exerçait. Il a aussi été allégué qu’il convenait de reporter le renvoi au vu de nouveaux éléments de preuve révélés dans la demande CH en instance. Cette demande était jointe, mais les véritables « nouveaux éléments de preuve » n’y figuraient pas.

 

[4]               Dans la requête en sursis qui a été présentée devant le juge O’Keefe et devant moi, la demanderesse a reconnu avoir menti dans le passé et elle a fait remarquer que, dans sa nouvelle demande CH, [traduction« ma famille, mes amis et moi avons fait état de la crainte que j’éprouve face à mon frère, qui souffre d’une maladie psychiatrique. Je me sentais mal à l’aise d’en parler, et je me suis fiée au conseil qu’on m’a donné, à savoir que je pouvais rester au Canada en me basant sur d’autres facteurs ». Cependant, ce n’est pas ce qu’elle a dit à l’agent d’exécution de la loi.

 

[5]               L’avocat de Mme Mason soutient qu’étant donné qu’un sursis a été accordé en raison d’un risque sérieux de danger physique, il convient de faire automatiquement droit au présent contrôle judiciaire. Il laisse également entendre que, comme un sursis a été accordé, il aurait fallu mettre la demande CH de sa cliente au haut de la liste. Il n’appartient pas à la Cour de prescrire qui doit passer en tête de liste et dans quelles circonstances. Il ne s’agit pas d’une demande qui est en instance depuis sept ans.

 

[6]               Un sursis ne dicte pas l’issue d’un contrôle judiciaire. Il est fondé sur le critère en trois volets qui est énoncé dans des arrêts tels que Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), et RJR-MacDonald Inc.  c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, c’est-à-dire : une question sérieuse à juger, un préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients. Saisi d’une demande de sursis, un juge des requêtes est obligé d’agir rapidement, souvent sur la base d’un dossier incomplet et sans une analyse détaillée de l’affaire. La question en litige consiste à savoir s’il convient de maintenir le statu quo afin de permettre d’étudier le dossier plus en détail en temps et lieu. Cependant, un contrôle judiciaire est tranché selon la prépondérance de la preuve, ce qui constitue un critère plus strict.

 

[7]               L’agent a fait remarquer qu’il s’agit de la troisième demande CH de Mme Mason. Ces demandes, dit-il, sont tranchées par des agents de CIC compétents et dignes de foi, qui ont l’habitude de les évaluer. Et il a ajouté : [traduction« Les preuves présentées sont insuffisantes pour établir que les circonstances ont suffisamment changé pour justifier que l’on rende une décision différente sur sa troisième demande CH. » L’avocat de Mme Mason souligne la phrase suivante : [traduction« Aucune observation ou aucune preuve n’a été fournie avec la demande de report pour prouver l’existence de nouveaux risques. »

 

[8]               Dans les observations CH de l’avocat, ainsi que dans l’affidavit de Mme Mason, long de 39 paragraphes, il est indiqué que cette dernière a menti lorsqu’elle a dit qu’elle ne vivait pas avec son conjoint de fait au Canada, alors que c’était en fait le contraire. Tant la lettre d’accompagnement de l’avocat que l’affidavit de Mme Mason, ainsi que d’autres affidavits et déclarations, soulignent l’existence du frère violent et mentalement malade de Mme Mason et que c’est ce dernier qui est la vraie raison pour laquelle elle a quitté la Grenade, mais ils ne disent pas que c’est la première fois que son frère est mentionné.

 

[9]               Le mensonge indiqué était qu’elle ne vivait pas avec son conjoint de fait au Canada, alors que c’était en fait le contraire. Nulle part est-il dit que le motif allégué de son départ de la Grenade – la crainte qu’elle avait d’un ancien petit ami faisant partie de la pègre, était un mensonge. La situation du frère de Mme Mason n’était pas nouvelle. Il est nettement excessif de s’attendre à ce qu’un agent d’exécution de la loi doive non seulement lire les décisions antérieures, qui ne font pas état du frère, mais aussi passer en revue tous les documents figurant dans chacun des dossiers pour vérifier si le frère en question a été mentionné dans les demandes, et si le décideur n’a pas fait de commentaires sur lui. L’admonestation du juge Létourneau dans la décision Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd., 2007 CAF 258, [2008] 2 R.C.F. 132, à savoir qu’un tribunal d’appel n’a pas à jouer au détective, s’applique dans le cas présent.

 

[10]           Mme Mason se fonde sur la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 182, décision confortée cette année par l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, 79 Imm. L.R. (3d) 157, pour faire valoir que, bien qu’un agent d’exécution de la loi ait peu de pouvoir discrétionnaire, un facteur dont il faut tenir compte est le risque de danger physique. Cependant, au vu du dossier qu’il avait en main, l’agent était en droit de présumer que ce risque avait été évalué par ceux à qui cette responsabilité incombait. Sa décision était raisonnable et il n’y a pas lieu de l’annuler.

 

[11]           Notre système est tel que si l’on ordonne de nouveau à Mme Mason de se présenter en vue de son renvoi, cette dernière pourra solliciter une fois de plus un report et, en cas d’échec, demander un autre sursis.


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS DONNÉS,

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-333-09

 

INTITULÉ :                                       Petra Record Mason c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TOronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 SEPTEMBRE 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 24 SEPTEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bradley Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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