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Date :  20091016

Dossier :  IMM-1190-09

Référence :  2009 CF 1054

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

GHEORCHE CALIN LUPSA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               La Cour est uniquement saisie de la demande de contrôle judiciaire visant la décision rejetant la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire (CH) présenté par le demandeur.

 

[2]               La question qui se pose en l’espèce est de savoir se la déléguée du ministre qui a rendu la décision CH a commis une erreur susceptible de contrôle dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à la lumière de la preuve qui se trouvait devant elle au moment de rendre sa décision.

[3]               Globalement, les arguments du demandeur sont que la déléguée du ministre aurait dû accorder plus de poids à certains facteurs et moins à d’autres.

 

[4]               La Cour ne doit pas intervenir à la légère dans la façon dont un agent d’immigration exerce son pouvoir discrétionnaire et il ne lui revient pas de pondérer à nouveau les facteurs pertinents axés sur les faits de l’espèce, qui relève exclusivement de l’agent d’immigration :

« Pour ce qui est de la prétention des demandeurs selon laquelle l'agent n'a pas bien soupesé certains éléments de preuve, je répète ce que la Cour a dit dans Agot c. Canada, précité : la pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel. Par conséquent, la question de la pondération relève exclusivement de l'agent d'immigration si celui-ci a examiné correctement tous les éléments de preuve.

 

[...]

 

Je tiens à répéter encore une fois que la Cour ne peut intervenir à la légère dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire des agents d'immigration. La décision concernant une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire doit reposer sur une analyse des faits et sur la pondération de nombreux facteurs. J'estime que l'agent a pris en considération tous les facteurs pertinents au regard des motifs d'ordre humanitaire et qu'il n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour. »

 

(Comme spécifié dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, [2005] A.C.F. no 507 (QL), aux paragraphes 10 et 13, par le juge Pierre Blais.)

 

(Voir aussi Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, [2003] A.C.F. no 607 (QL), au paragraphe 8, où la juge Carolyn Layden-Stevenson a révisé plusieurs principes se rapportant aux demandes pour motifs humanitaires, dont celui affirmant que cette Cour ne doit pas réévaluer les facteurs dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision discrétionnaire.)

(La Cour souligne).

 

(Herrada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1003, 157 A.C.W.S. (3d) 412).

 

[5]               La Cour suprême du Canada a d’ailleurs rappelé tout récemment que les décisions des organismes administratifs sur des questions factuelles, emportaient déférence et qu’il ne rentrait pas « dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 au par. 61). C’est pour cette raison que cette Cour est d’accord avec les arguments du défendeur.

 

II.  Remarques préliminaires

            Référence à de la preuve postérieure à la décision contestée

[6]               Aux paragraphes 55 à 63 de son mémoire supplémentaire, le demandeur fait référence à des rapports médicaux qu’il a soumis dans le cadre de sa requête en sursis de l’exécution de sa mesure de renvoi. Ces rapports médicaux sont, de toute évidence, postérieurs à la décision rendue par la déléguée du ministre, le 12 janvier 2009. Plus particulièrement, le demandeur écrit dans son mémoire supplémentaire :

55. Les rapports médicaux soumis ultérieurement en avril et mai 2009, tel que l’admet le défendeur dans sa correspondance déposée au greffe et datée du 1 mai 2009, n’identifie aucun développement récent relativement à la condition médicale de M. Lupsa; (La Cour souligne).

 

[7]               Dans son mémoire supplémentaire, le demandeur reconnaît lui-même que ces rapports médicaux sont tardifs :

63. En somme, nos prétentions sont à l’effet, au sujet de l’état de santé du demandeur, que les rapports médicaux déposés lors de l’audition sur le sursis, quoique tardifs, ne font que confirmer la situation du demandeur depuis 2005 demeurée inchangée et sont indicatifs de la situation médicale précaire du demandeur [...] (La Cour souligne).

 

[8]               Le demandeur ne peut se retrancher sur cette nouvelle preuve, qui n’était pas devant la déléguée du ministre au moment où elle a rendu sa décision, afin de démontrer l’existence d’une quelconque erreur.

 

[9]               Il est bien établi par la jurisprudence qu’un demandeur ne peut invoquer dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire des éléments de preuve qui n’étaient pas devant le décideur administratif.

 

[10]           Dans la décision Yansane c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1213, [2008] A.C.F. no 1558 (QL), au paragraphe 38, le demandeur tentait d’introduire, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, des preuves supplémentaires qu’il avait produites au soutien de sa demande de sursis.

 

[11]           Dans la décision Isomi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1394, 157 A.C.W.S. (3d) 807, le juge Simon Noël écrit :

[6]        La jurisprudence de cette Cour établit clairement que, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour peut uniquement considérer la preuve dont disposait le décideur initial (Lemiecha (Tuteur d’instance) c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49 au para. 4; Wood c. Canada (P.G.) 2001, 199 F.T.R. 133 au para. 34; Han c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 432 au para. 11). Dans la décision Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 45 aux paras. 7 et 8, concernant une demande d’asile fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, le juge Kelen précisait:

 

« Il est de droit constant que le contrôle judiciaire d'une décision devrait uniquement être fondé sur la preuve dont disposait le décideur.

 

La Cour ne peut pas soupeser de nouveaux éléments de preuve et substituer sa décision à celle de l'agent d'immigration. Elle ne statue pas sur les demandes fondées sur des CH [considérations humanitaires]. Elle effectue le contrôle judiciaire de pareilles décisions en vue de s'assurer qu'elles sont conformes au droit. » (La Cour souligne).

 

[12]           De plus, le juge Luc Martineau, dans la décision Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1274, 241 F.T.R. 289, traitant d’un contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des risques avant renvoi (ERAR), écrivait ce qui suit :

[36]      Il est regrettable que le rapport du psychologue n'ait pas été soumis à l'agente ERAR avant que celle-ci ait pris sa décision. Si on tient compte du fait que l'opinion du psychologue n'a pas été produite à l'agente ERAR, qui a refusé sa demande, la demanderesse ne peut invoquer cette nouvelle preuve. La Cour a reconnu, à de nombreuses reprises, que le contrôle judiciaire d'une décision doit se faire à la lumière des éléments de preuve qui ont été soumis au décideur : voir Noor c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. no 574 (C.A.) (QL), au paragraphe 6; Rodbom c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 636 (C.A.) (QL); Bara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 992 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12; Khchinat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 954 (1re inst.) (QL), au paragraphe 18; LGS Group Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 C.F. 474 (1re inst.), à la page 495; Quintero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995) 90 F.T.R. 251, aux paragraphes 30 à 33; Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 80 F.T.R. 79; Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 713. (La Cour souligne).

 

[13]           Même si le demandeur allègue, au paragraphe 62 de son mémoire supplémentaire, que ces « rapports médicaux ont été obtenus suivant des pressions auprès des autorités hospitalières (tel qu’il appert de notre lettre datée du 24 avril 2009) et ce, vu les tentatives du défendeur de minimiser devant la Cour la nature exacte de la condition médicale et du préjudice irréparable que subirait le demandeur en cas de déportation », cette nouvelle preuve qui n’a pas été produite devant la déléguée du ministre ne peut pas être invoquée suite à la décision de la déléguée du Ministre.

 

            Remise en cause d’une décision antérieure

[14]           Comme la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire est la décision rejetant la demande CH du demandeur, cette Cour doit restreindre son analyse à cette décision.

 

[15]           Or, au paragraphe 72 de son mémoire supplémentaire, le demandeur allègue qu’ « [i]l n’y a aucun doute que le désistement décrété par la CISR en septembre 1996 en fut un irrégulier [...] »

 

[16]           La présente instance n’est certes pas le forum approprié pour remettre en cause le bien-fondé de cette décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) il y a maintenant treize ans :

Contexte et détails du cas

M. Lupsa, en ressortissant roumain, est entré clandestinement au Canada le 27 août 1992 à bord d’un navire arrivant de la Belgique. Il a demandé l’asile à son arrivée au port de Montréal. Le 23 avril 1993, sa demande d’asile a été rejetée par la CISR. M. Lupsa a demandé l’autorisation d’obtenir un contrôle judiciaire de la décision de la CISR, et sa requête a été accueillie en février 1994. Une nouvelle audience devant la CISR a été fixée au 20 septembre 1996, mais M. Lupsa ne s’étant pas présenté, la Commission a prononcé le désistement de la demande.

 

En mars 2000, la demande de résidence permanente de M. Lupsa à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada a été rejetée en raison d’une interdiction de territoire pour motifs sanitaires. Le 19 décembre 2000, la Cour fédérale a annulé cette décision, ordonné que la demande soit examinée par un autre agent et demandé que l’épouse de M. Lupsa présente une demande de parrainage en faveur de celui-ci. Cette nouvelle demande a été rejetée en janvier 2004, M. Lupsa étant frappé d’interdiction de territoire pour grande criminalité.

 

En juillet 2005, M. Lupsa a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), laquelle a été rejetée en février 2006. En mai 2006, il a présenté une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire (l’objet de la présente décision). Enfin, le 30 octobre 2007, M. Lupsa a présenté une deuxième demande d’ERAR fondée sur de nouveaux éléments de preuve.

 

[...]

 

Interdiction de territoire pour criminalité

 

Selon le Centre d’information de la police canadienne (CIPC), et d’après le résumé du cas qui figure au dossier, le casier judiciaire de M. Lupsa se lit comme suit :

a.       Le 14 février 2000, M. Lupsa a été accusé d’avoir proféré des menaces, une infraction visée à l’article 264.1 du Code criminel  du Canada. Le 19 juin 2000, il a été acquitté et mis en probation pendant un an.

b.      Le 8 octobre 2002, M. Lupsa a été arrêté par la GRC à Montréal et accusé, avec son épouse Sabina Andrea Aldea, de complot en vue de faire l’exportation et le trafic d’ecstasy, une infraction visée à l’alinéa 465(1)c) du Code criminel ainsi qu’au paragraphe 6(1) et à l’alinéa 3b)(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le 10 octobre 2003, M. Lupsa a été reconnu coupable et condamné à deux ans moins un jour d’emprisonnement avec sursis. Il a également été mis en probation pendant deux ans et frappé d’une interdiction obligatoire de posséder des armes à feu (en vertu de l’article 109 du Code criminel).

c.       Le 10 octobre 2003, M. Lupsa a été accusé de trafic d’une substance visée à l’annexe II, aux termes du sous-alinéa 5(1)(3)b)(i) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Ces accusations ont par la suite été retirées.

d.      Le 30 novembre 2005, M. Lupsa a été reconnu coupable d’utilisation non autorisée d’une carte de crédit aux termes du sous-alinéa 342(1)c)(f) du Code criminel. Il a été condamné à une amende de 200 $ et à deux ans de probation.

e.       Le 22 décembre 2005, M. Lupsa a été arrêté avec deux autres personnes par la police de Cornwall, en Ontario. Six chefs d’accusation ont été retenus contre lui aux termes du paragraphe 342(3) et de l’article 342.01 du Code criminel, soit cinq chefs d’utilisation non autorisée de cartes de crédit et un chef de possession d’instruments destinés à fabriquer des cartes de crédit. Le 24 avril 2006, M. Lupsa a été reconnu coupable de possession d’instruments destinés à fabriquer ou à falsifier des cartes de crédit aux termes de l’article 342.01 du Code criminel. Il a été condamné à une journée de prison (en plus des huit mois de détention préalables au prononcé de la sentence) et à douze mois de probation.

 

Nature des activités criminelles

 

Il ressort du casier judiciaire que M. Lupsa s’est livré à des activités criminelles répétées sur plusieurs années. Nous n’avons pas affaire, ici, à une personne qui a commis une erreur puis s’est réhabilitée. L’intéressé manifeste plutôt un total mépris des lois canadiennes. Il appert en outre que les acolytes choisis par M. Lupsa, nommément sa femme, se livrent eux aussi à des activités criminelles.

 

Dans sa décision de 2006, le commissaire de la CISR, Michel Beauchemin, a écrit ce qui suit :

 

Danger pour le public, je vais commencer par cela. La dernière condamnation est pour un événement quand même relativement sérieux, possession d’outillage électronique dans le but de fabriquer des fausses cartes de crédit, ce qui laisse généralement soupçonner un lien quant à l’appartenance à une organisation criminelle organisée... si je prends cette condamnation, conjuguée avec la précédente, qui elle avait eu lieu suite à un complot dans le but d’importer des stupéfiants ici au Canada, là oui, je pense que la barrière, la clôture à savoir déterminer est-ce que le danger est immense ou non, a été franchie... Votre avocat indique que les crimes n’ont pas été commis contre des individus, qu’il n’y a pas de violence impliquée. Je suis en désaccord avec elle, il est possible que de votre côté vous soyez un homme très doux, très calme, très gentil qui n’a jamais fait de mal à une mouche, mais la nature des activités dans lesquelles vous vous êtes impliqué, elle, est très sérieuse. Lorsqu’on parle de complot pour importation de substances interdites, on parle souvent de groupes organisés encore une fois qui procèdent à des luttes de territoire de façon très violente, on en a des exemples dans la presse très récemment du côté de Toronto... Donc, il est faux de prétendre que votre criminalité ne comporte aucune violence, au contraire, pour moi, elle comporte beaucoup de violence.

 

La conseil de M. Lupsa fait valoir que « les infractions criminelles ont été commises lors de périodes où un emploi normal était impossible dû aux problèmes médicaux graves liés à l’incapacité des reins à fonctionner, à une nécessité constante d’attention médicale pour fins de dialyse et au manque constant d’argent pour subvenir aux nécessités de la vie... Il ressort de la nature même des infractions qu’elles sont commises pour des motifs économiques et non due à une propension criminelle pour la violence. »

 

Cet argument de la conseil de M. Lupsa ne me paraît pas valable. Si la pauvreté et la maladie excusaient les manquements à la loi, tous les indigents et les personnes ne pouvant travailler en raison d’une maladie deviendraient des criminels – ce qui n’est, bien évidemment, pas le cas.

 

Risque de récidive

 

Dans sa décision datée de 2006, le commissaire de la CISR, Yves Dumoulin, a écrit ce qui suit :

 

En juillet 2005, il y a des conditions qui ont été imposées et plus particulièrement de garder la paix, ce qui voulait dire de ne pas se retrouver dans d’autres problèmes d’ordre criminel et Monsieur s’est retrouvé devant d’autres problèmes d’ordre criminel, donc cet élément devrait être pris en considération... Donc, en elles-mêmes, les deux condamnations sont importantes et la deuxième, en ce qui concerne, est encore plus importante puisque l’événement a eu lieu alors que Monsieur était toujours sous probation du fait de sa première condamnation. Donc, dans le contexte, je me dois de reconnaître qu’il y a ici un danger pour le public aussi.

 

En effet, les antécédents de M. Lupsa sur les plans de la criminalité et de l’immigration montrent qu’en dépit des incitatifs à rester sur le droit chemin (sanctions relatives à l’immigration et sanctions judiciaires), M. Lupsa a poursuivi ses activités criminelles.

 

En novembre 2008, l’agente de probation de M. Lupsa a écrit : « En 2006, Monsieur a été déclaré coupable d’une accusation de fraude et condamné à une journée de détention suivie d’une probation avec surveillance d’une durée d’un an. Monsieur a toujours nié sa culpabilité dans ce délit ». Cela prouve que M. Lupsa n’a pas encore reconnu ses méfaits, encore moins éprouvé du remords pour son crime.

 

La conseil de M. Lupsa a souligné que l’agente de probation estimait que M. Lupsa était « conscientisé et mobilisé. Il reconnaissait l’inexactitude de son comportement comme il était et est stable dans les différentes sphères de sa vie. On ajoutait même que les conséquences de ses gestes avaient eu un effet dissuasif pour lui ». Cette affirmation, cependant, n’est tout simplement pas corroborée par la lettre de l’agente de probation de M. Lupsa.

 

Peu d’éléments au dossier m’incitent à croire que M. Lupsa saisit réellement la gravité des condamnations ou qu’il entend faire le nécessaire pour cesser ses activités criminelles.

 

(Note de service interne, datée du 12 janvier 2009 aux pp. 1-5).

III.  Analyse

            L’intérêt supérieur des enfants

[17]           Le demandeur s’efforce à démontrer que l’évaluation faite par la déléguée du ministre de l’intérêt supérieur de ses enfants serait entachée d’erreurs et serait superficielle. Il reproche notamment à la déléguée du ministre de n’avoir fait aucune analyse de l’intérêt supérieur des enfants, d’avoir minimisé cet intérêt et de ne pas avoir approfondi les éléments de preuve qui lui ont été soumis.

 

[18]           Cependant, le demandeur semble complètement oublier que le fardeau de preuve lui incombait. Comme l’a rappelé cette Cour dans la décision Liniewska c.  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 591, 152 A.C.W.S. (3d) 500, il appartient au demandeur de fournir une preuve quant aux inconvénients que ses enfants risquent de subir s’il doit quitter le Canada :

[20]      La demanderesse conserve le fardeau de fournir une preuve quant aux inconvénients que les enfants risquent de subir si elle est forcée de partir. L'agent d'immigration a une obligation de prendre cette preuve en considération. Ce n'est pas suffisant pour la demanderesse de seulement dire que l'agent n'a pas pris en considération l'intérêt supérieur des enfants, elle doit démontrer que l'agent n'a pas pris en considération la preuve qui porte sur l'intérêt supérieur des enfants [...]

(La Cour souligne).

 

(Également : Owusu c.  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635 (C.A.F.)).

 

[19]           En l’espèce, le demandeur ne s’est manifestement pas acquitté de son fardeau de preuve.

 

[20]           Le défendeur demande à la Cour de lire attentivement les observations soumises par le demandeur relativement à l’intérêt de ses enfants (Pièce P-1, Soumissions du 26 novembre 2008 aux pp. 19-20). Une lecture de ses soumissions démontre, de façon non équivoque, que le demandeur n’a pas apporté d’éléments de preuve concrets démontrant les inconvénients que risquaient de subir ses enfants advenant son départ du Canada.

 

[21]           Le demandeur déclare principalement dans ses observations écrites qu’il :

[...] aurait une influence positive sur ses enfants [...] a toujours pu assurer le soutien affectif et financier de son plus vieux garçon et de son épouse, et maintenant du nouveau venu en 2008 [...]

 

[...] est convaincu qu’il a la capacité de voir au développement normal de ses enfants au Canada [...]

 

[...] est très impliqué dans la vie quotidienne des deux enfants, il aide son fils ainé, Robert, à faire ses devoirs, il donne son bain au plus jeune, il promène les enfants au parc et amène Robert aux activités scolaires, l’encourage dans la pratique de son sport préféré, le soccer [...]

 

(Pièce P-1, Soumissions du 26 novembre 2008 aux pp. 19-20).

 

[22]           Dans la décision Naidu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1103, 151 A.C.W.S. (3d) 501, concernant une demande d’ERAR, cette Cour a écrit ce qui suit relativement au fardeau à rencontrer à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant :

[17]      Malgré les points de vue différents sur cette question, il ressort clairement de la jurisprudence qu’un demandeur doit présenter une preuve suffisante pour qu’on exerce le pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, M. Naidu n’a manifestement pas réussi à s’acquitter de ce fardeau. Il ne suffit pas de déclarer que l’intérêt d’un enfant sera affecté par une mesure d’expulsion parce qu’il en est rarement autrement. Ce qui est exigé, c’est une preuve claire et convaincante de l’incidence probable qu’aura une mesure d’expulsion sur un enfant touché. Cette preuve comprend généralement la preuve de l’existence de vulnérabilités personnelles ou économiques toutes particulières ou de liens tous particuliers entre le parent et l’enfant ou, lorsque l’enfant quitte également le Canada, la preuve d’un désavantage important qui en découle ou du risque que cela présente pour l’enfant.

 

[18]      En l’espèce, l’agent d’ERAR ne disposait de rien d’autre que de « la simple énonciation de renseignements de base » (voir Alabadleh, paragraphe 18). L’agent d’ERAR n’est pas obligé de faire d’autres enquêtes ou de faire essentiellement la preuve d’un demandeur. Ce point a été tranché de façon définitive dans la décision Alabadleh, susmentionnée, ainsi que dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2004] A.C.F. no 158, 2004 C.A.F. 38, où le juge a décidé ce qui suit au paragraphe 8 [...] (La Cour souligne).

 

[23]           Il est évident que les allégations générales du demandeur relativement à son implication quotidienne dans la vie de ses enfants et son soutien affectif et financier ne constituaient pas une preuve claire et convaincante de l’incidence probable qu’aurait son départ du Canada sur ses deux enfants.

 

[24]           Dans sa conclusion globale, la déléguée du ministre a écrit que « [l]a considération humanitaire la plus impérieuse en l’espèce concerne les deux fils de M. Lupsa ». Elle a ajouté être « consciente que ma décision aura des répercussions sur leur jeune vie ». Cependant, la déléguée du ministre a soupesé ce facteur avec l’interdiction de territoire au Canada du demandeur pour grande criminalité. Elle a attribué plus de poids à l’interdiction de territoire au Canada du demandeur pour grande criminalité qu’à l’intérêt supérieur des enfants (Décision de la déléguée du ministre à la p. 8).

 

[25]           L’intérêt supérieur des enfants ne pouvait pas l’emporter sur l’interdiction de territoire du demandeur pour grande criminalité.

[26]           À cet égard, il y a deux éléments importants à retenir de la décision Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358, rendue par la Cour d’appel fédérale. Premièrement, il appartient à l’agent d’attribuer le poids approprié à l’intérêt des enfants. Deuxièmement, la présence d’enfants n’entraîne pas un certain résultat :

[11]      La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n'a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l'apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l'intérêt des enfants est un facteur que l'agent d'immigration doit examiner avec beaucoup d'attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu'il appartient à cet agent d'attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l'espèce. Ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

[12]      Bref, l'agent d'immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, para. 75), mais une fois qu'il l'a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu'à son avis il mérite dans les circonstances de l'espèce. La présence d'enfants, contrairement à ce qu'a conclu le juge Nadon, n'appelle pas un certain résultat. Ce n'est pas parce que l'intérêt des enfants voudra qu'un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n'a pas voulu, à ce jour, que la présence d'enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d'un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1995), 184 N.R. 230 (C.A.F.), permission d'appeler refusée, CSC 24740, 17 août 1995). (La Cour souligne).

 

[27]           Le demandeur reproche à la déléguée du ministre d’avoir évoqué la possibilité que la famille entière déménage en Roumanie sans en analyser l’impact et les difficultés qui pourraient être rencontrés par les enfants.

 

[28]           La façon dont la déléguée du ministre aborde la possibilité du déménagement de la famille démontre que cet élément n’a pas eu d’incidence dans le poids qu’elle a accordé à l’intérêt supérieur des enfants en égard de l’interdiction de territoire du demandeur au Canada pour grande criminalité. Il ressort clairement de la décision que la déléguée du ministre a considéré que les enfants seraient séparés de leur père lorsqu’elle s’est penchée sur leur intérêt.

 

[29]           Le demandeur a une compréhension erronée de la décision lorsqu’il prétend que dans l’analyse de l’intérêt supérieur de ses enfants, la déléguée du ministre s’est principalement préoccupée de son casier judiciaire qui n’a occasionné qu’une absence de quatre mois dans la vie de son enfant Robert.

 

[30]           La déléguée du ministre ne réfère aucunement au passé criminel du demandeur dans l’analyse comme telle de l’intérêt supérieur de ses enfants. La déléguée du ministre a plutôt procédé à la pondération de l’intérêt supérieur des enfants, qui rappelons-le, ne revêt pas un caractère déterminant (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 C.F. 555 au par. 2), en fonction de l’interdiction de territoire du demandeur pour grande criminalité.

 

[31]           Le défendeur tient tout de même à rappeler que la déléguée du ministre n’avait aucune obligation de requérir des éléments d’informations additionnelles puisque c’est au demandeur qu’incombait le fardeau (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, 228 F.T.R. 19 au par. 25).

 

 

[32]           En somme, la déléguée du ministre a examiné l’intérêt supérieur des enfants à la lumière de la preuve présentée, l’a soupesé en fonction des autres facteurs au dossier, plus particulièrement en fonction de l’interdiction de territoire du demandeur au Canada pour grande criminalité et en est arrivée à une décision qui est raisonnable dans les circonstances.

 

L’interdiction de territoire pour grande criminalité

[33]           Le demandeur décortique la preuve afin de démontrer que la déléguée du ministre aurait commis des erreurs dans l’appréciation de son dossier criminel.

 

[34]           Le demandeur tente par ses allégations de minimiser l’importance de son casier judiciaire. Il suggère une interprétation de la preuve qui lui serait favorable sans pour autant démontrer que la déléguée du ministre aurait commis une quelconque erreur déraisonnable dans l’évaluation de son dossier criminel.

 

[35]           La première erreur mentionnée par le demandeur est que la déléguée du ministre aurait insinué que, le 10 octobre 2003, un autre chef de trafic aurait été porté alors que tel ne serait pas le cas. Or, ce que la déléguée du ministre relève de cette date est que le demandeur a été reconnu coupable et condamné à deux ans moins un jour d’emprisonnement avec sursis et que l’accusation de trafic portée à cette date a par la suite été retirée (Décision de la déléguée du ministre à la p. 2).

 

[36]           Peu importe que la déléguée du ministre écrive à tort ou à raison que le 10 octobre 2003, le demandeur a été accusé de trafic, l’essentiel est qu’elle ait considéré que ces accusations avaient par la suite été retirées.

 

[37]           Le demandeur reproche par ailleurs à la déléguée du ministre de ne pas avoir pris en considération qu’il avait plaidé coupable à la première occasion.

 

[38]           Il est clair que le simple fait pour le demandeur de plaider coupable n’avait aucunement pour effet de minimiser l’importance et la gravité des crimes commis. Bien au contraire, cela ne venait que confirmer la culpabilité du demandeur. Ainsi, le fait que la déléguée du ministre n’ait pas spécifiquement précisé dans sa décision que le demandeur avait plaidé coupable ne constitue certes pas une erreur. Il ne s’agissait pas là d’un élément de preuve important.

 

[39]           Le demandeur soutient aussi que la déléguée du ministre ne semble pas avoir remarqué que cinq chefs d’accusation avaient été rejetés par la Cour et qu’il avait été reconnu coupable d’un seul chef. Cette prétention est directement contredite par la décision de la déléguée du ministre qui prend acte que six chefs d’accusations ont été retenus contre lui et précise le chef sur lequel il a été reconnu coupable :

a.       Le 22 décembre 2005, M. Lupsa a été arrêté avec deux autres personnes par la police de Cornwall, en Ontario. Six chefs d’accusation ont été retenus contre lui aux termes du paragraphe 342(3) et de l’article 342.01 du Code criminel, soit cinq chefs d’utilisation non autorisée de cartes de crédit et un chef de possession d’instruments destinés à fabriquer des cartes de crédit. Le 24 avril 2006, M. Lupsa a été reconnu coupable de possession d’instruments destinés à fabriquer ou à falsifier des cartes de crédit aux termes de l’article 342.01 du Code criminel. Il a été condamné à une journée de prison (en plus des huit mois de détention préalables au prononcé de la sentence) et à douze mois de probation.

 

(Décision de la déléguée du ministre à la p. 3).

 

[40]           Le demandeur reproche à la déléguée du ministre, dans l’extrait ci-dessus, d’avoir calculé de façon plus élevée le temps passé en détention préventive. La déléguée du ministre a écrit qu’il aurait fait huit mois de détention préventive alors que, selon lui, ce serait plutôt une période de quatre mois. Qu’il s’agisse d’une période de quatre ou huit mois, cela ne change rien au fait essentiel, soit celui que le demandeur a été reconnu coupable d’un crime et condamné à une peine d’emprisonnement.

 

[41]           La prétention du demandeur voulant que la déléguée du ministre ait conclu sans preuve qu’il n’éprouvait aucun remords à l’égard de son crime du 22 décembre 2005 est sans fondement. La déléguée du ministre en est arrivée à cette conclusion après avoir spécifiquement référé à la lettre de l’agente de probation, datée du 4 novembre 2008, dans laquelle il était mentionné que le demandeur avait toujours nié sa culpabilité dans ce délit :

En novembre 2008, l’agente de probation de M. Lupsa a écrit : « En 2006, Monsieur a été déclaré coupable d’une accusation de fraude et condamné à une journée de détention suivie d’une probation avec surveillance d’une durée d’un an. Monsieur a toujours nié sa culpabilité dans ce délit. » Cela prouve que M. Lupsa n’a pas encore reconnu ses méfaits, encore moins éprouvé du remords pour son crime. »

 

(Décision de la déléguée du ministre à la p. 4).

 

[42]           Lorsque le demandeur s’en prend à l’analyse faite de son casier judiciaire par la déléguée du ministre, il s’en prend directement à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire qui lui permettait d’apprécier la preuve dont elle disposait. À la lumière de la preuve devant elle, la déléguée du ministre pouvait raisonnablement être d’avis qu’en cinq ans, le demandeur s’était constitué un casier judiciaire très sérieux.

 

[43]           Le demandeur prétend que la déléguée du ministre n’aurait pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, tels les facteurs qui intéressent la réadaptation, le type d’infraction, le temps écoulé depuis la dernière infraction, la période pendant laquelle les infractions criminelles se sont étalées, etc.

 

[44]           Le demandeur s’appuie sur des éléments qui, selon lui, seraient à son avantage. Cependant, il ne s’attarde pas et ne démontre pas que les éléments en sa défaveur sur lesquels s’est fondée la déléguée du ministre seraient déraisonnables.

 

[45]           Même si le demandeur suggère s’être réhabilité, il oublie que le deuxième crime pour lequel il a été reconnu coupable a été commis alors qu’il était toujours sous probation du fait de sa première condamnation, tel qu’il avait été relevé par le commissaire de la CISR en 2006 (Décision de la déléguée du ministre à la p. 4, par. 3).

 

[46]           Pour ce qui est du type d’infraction, la déléguée du ministre l’a considéré, tout comme la prétention du demandeur voulant que la nature même des infractions démontrait qu’elles avaient été commises pour des motifs économiques et non dus à une propension criminelle pour la violence. Cependant, la déléguée du ministre n’était pas de l’avis du demandeur à ce sujet (Décision de la déléguée du ministre à la p. 4, par. 2 et 3).

 

[47]           Le fait essentiel demeure incontesté : il a été reconnu coupable de complot en vue de faire de l’exportation et le trafic d’ecstasy, d’utilisation non autorisée de cartes de crédit et de possession d’instruments destinés à fabriquer ou falsifier des cartes de crédit (Décision de la déléguée du ministre aux pp. 2-3).

 

[48]           En l’espèce, les éléments auxquels réfère le demandeur ne permettent pas de démontrer que l’analyse de la preuve effectuée par la déléguée du ministre serait déraisonnable. Le demandeur cherche à ce que la Cour réévalue la preuve devant la déléguée du ministre. Tel n’est pas le rôle de la Cour.

 

[49]           Par ailleurs, contrairement à ce sujet que soutient le demandeur, la déléguée du ministre était justifiée de référer aux décisions de la CISR concernant le demandeur. Ces décisions faisaient partie de la preuve au dossier et la déléguée du ministre pouvait valablement s’y référer.

 

[50]           En somme, la déléguée du ministre a considéré que les antécédents criminels du demandeur, qui l’ont amené à être déclaré interdit de territoire pour grande criminalité au Canada, constituaient un facteur très important.

 

[51]           Ce raisonnement est tout à fait conforme à la jurisprudence et à l’intention du législateur. Dans l’arrêt Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409, la Cour d’appel fédérale, s’appuyant sur l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, de la Cour suprême du Canada a affirmé que le législateur avait clairement montré qu’il se préoccupait beaucoup de la criminalité des non-citoyens :

[24]      Le législateur a clairement montré qu’il se préoccupait beaucoup de la criminalité des non-citoyens. Deux des objectifs de la Loi se rapportent à la criminalité :

 

─ protéger la santé des Canadiens et garantir leur sécurité (alinéa 3(1)h) de la Loi);

 

─ promouvoir la justice et la sécurité par [...] l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité (alinéa 3(1)i)) de la Loi).

 

La Cour suprême du Canada a récemment dit que les objectifs déclarés dans la nouvelle Loi révèlent l’intention du législateur de donner priorité à la sécurité et que, pour atteindre ce dernier objectif, il faut notamment renvoyer du Canada les demandeurs qui ont un casier judiciaire. Le législateur a manifesté la ferme volonté de traiter les criminels avec moins d’indulgence que le faisait l’ancienne Loi (Medovarski, précité, au paragraphe 10).

 

[52]           À la lumière de ces propos, il est difficile de reprocher à la déléguée du ministre d’avoir accordé une grande importance au casier judiciaire du demandeur. De toute façon, doit-on rappeler que la pondération de ce facteur relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire de la déléguée du ministre.

 

[53]           Il est évident que les prétentions du demandeur visent la façon dont la déléguée du ministre a soupesé et interprété la preuve. Rien ne permet de démontrer toutefois que la déléguée du ministre a négligé des éléments de preuve qui contredisent sa conclusion ou qu’elle a tiré des inférences déraisonnables.

 

Doctrine de la chose jugée (res judicata)

[54]           Le demandeur soumet que la déléguée du ministre a commis une erreur de nature res judicata en réévaluant les motifs humanitaires alors qu’un agent avait approuvé sa demande de dispense relative à l’obligation d’obtenir un visa de résidence permanente en janvier 2004.

 

[55]           Cet argument du demandeur est sans mérite.

 

[56]           La décision CH, datée du 15 janvier 2004, à laquelle réfère le demandeur, a ultimement été rejetée à la deuxième étape en raison de son interdiction de territoire pour grande criminalité (Pièce P-1, onglet 24). Cette décision négative était définitive et permettait dès lors aux autorités d’immigration canadienne d’entamer les démarches nécessaires afin de procéder au renvoi du demandeur. C’est d’ailleurs ce qui était précisé dans la décision : « Puisque vous êtes sous le coup d’une mesure de renvoi, nous transférons votre dossier au CIC Audiences et Renvois pour leur action. »

 

[57]           Il faut bien comprendre que l’approbation de la demande CH à la première étape en 2004 n’était pas une décision finale, mais bien une sorte d’évaluation préliminaire et provisoire. Le fait que les motifs humanitaires aient été reconnus une fois à cette époque ne donnait certainement pas au demandeur un droit acquis ad vitam aeternam. C’était une reconnaissance ponctuelle qui ne valait que pour la demande visée par la décision. Ce qu’il ne faut pas oublier c’est que la décision finale dans le cas présent s’est soldée par le rejet final et définitif de la demande CH.

 

[58]           C’est donc dire que si le demandeur souhaitait se voir octroyer le droit de demeurer au Canada pour des circonstances d’ordre humanitaire, il devait présenter une toute nouvelle demande CH. C’est ce que le demandeur a fait en 2007. Il a présenté une nouvelle demande CH avec preuve et observations écrites à l’appui.

 

[59]           Le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait clairement pas. Si on s’arrêtait à ce principe, la déléguée du ministre aurait dû rejeter la nouvelle demande CH car la demande CH avait été rejetée à l’époque.

 

[60]           La déléguée du ministre devait évaluer la nouvelle demande CH du demandeur en fonction des faits qui lui sont propres et indépendamment de ce qui avait pu être décidé cinq ans auparavant.

 

[61]           Les circonstances d’ordre humanitaire ont changé au cours de ces cinq dernières années. La déléguée du ministre ne pouvait donc suivre la décision rendue par un autre agent dans le cadre d’une autre demande CH.

 

[62]           Également, si la demande CH antérieure avait été rejetée à la première étape en 2004 et la déléguée du ministre avait suivi cette décision, le demandeur aurait été le premier à s’en offusquer. Il aurait prétendu que la déléguée du ministre avait le devoir d’étudier sa nouvelle demande CH à la lumière des nouvelles observations qu’il a soumises. C’est ce que la déléguée du ministre a fait en l’espèce et rien ne peut lui être reproché à cet égard.

 

Le parrainage

[63]           Le demandeur reproche à la déléguée du ministre de ne pas avoir mentionné dans sa décision que sa demande CH était accompagnée d’un parrainage de son épouse. Selon lui, la déléguée du ministre n’a pas considéré ce parrainage.

 

[64]           Il convient d’abord de rappeler qu’il existe en général une présomption selon laquelle un tribunal, par exemple un agent qui évalue une demande CH, a tenu compte de toute la preuve à son dossier. Le fait qu’un élément n’ait pas été mentionné ne signifie donc pas qu’il a été ignoré (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)).

 

[65]           La déléguée du ministre était de toute évidence au courant que la demande CH du demandeur était appuyée d’un parrainage de son épouse. Cependant, la déléguée du ministre n’avait pas l’obligation de référer spécifiquement à ce parrainage dans sa décision.

 

[66]           Dans la décision Argot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, 232 F.T.R. 101, cette Cour a précisé ce qui suit à ce sujet :

[13]      Il est ensuite précisé dans les lignes directrices que le fait qu'une demande de parrainage ait été accordée peut être considéré comme un facteur CH favorable. Les lignes directrices n'obligent pas l'agent à tenir impérativement compte de ce facteur. Bien que la demande de parrainage soit de toute évidence un facteur pertinent et important, il n'en demeure pas moins que les lignes directrices n'obligent nullement l'agent à en tenir expressément compte, bien qu'on puisse raisonnablement supposer que ce facteur militerait en faveur du demandeur [...] (La Cour souligne).

 

[67]           Il n’est pas remis en cause ici que le parrainage de l’épouse du demandeur pouvait constituer un facteur CH favorable. D’ailleurs, rien ne démontre que la déléguée du ministre n’aurait pas considéré favorablement cette demande de parrainage.

 

[68]           Cependant, on peut se demander quelle était l’incidence de cette demande de parrainage. En l’espèce, l’existence d’un parrainage dans le cas du demandeur constituait en quelque sorte l’un des divers éléments afin de démontrer ses liens et son établissement avec le Canada.

 

[69]           Or, la déléguée du ministre a jugé de façon positive les liens et l’établissement du demandeur au Canada.

 

[70]           La déléguée du ministre n’a donc pas commis d’erreur en ne mentionnant pas spécifiquement le parrainage qui ne venait d’aucune façon contredire sa conclusion finale. En fait, tel qu’il appert de la conclusion finale de la déléguée du ministre, celle-ci n’a tout simplement pas cru que les facteurs positifs, dont le parrainage pouvait faire partie, l’emportaient sur l’interdiction de territoire pour grande criminalité (Décision de la déléguée du ministre à la p. 8).

 

 

 

 

Le degré d’établissement

[71]           Le demandeur insiste sur divers éléments de preuve afin de démontrer son degré d’établissement au Canada. Selon lui, la déléguée du ministre n’a pas tenu compte de toute la preuve qu’il a soumise relativement à son degré d’établissement.

 

[72]           Cette prétention du demandeur relève d’une compréhension clairement erronée de la décision rendue par la déléguée du ministre. Le demandeur ne semble pas comprendre que la déléguée du ministre a jugé positivement son degré d’établissement au Canada.

 

[73]           Cependant, il est bien reconnu par la jurisprudence que le degré d’établissement est un facteur important, mais non déterminant dans une demande CH :

[29]      L’avocat du demandeur allègue aussi que l’agent a mal évalué le temps que le demandeur a passé au Canada et son degré d’établissement ici. Toutefois, il est clair que même si le temps passé au Canada et l’établissement dans la collectivité sont des facteurs importants, ils ne sont pas déterminants dans la demande de résidence permanente fondée sur des CH. Autrement, comme l’a déclaré le juge Blais (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) au paragraphe 9 de Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, « cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que, s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester ». On ne devrait jamais perdre de vue le fait que, dans une demande CH, le critère auquel il faut satisfaire est de savoir si le fait de présenter sa demande de l’étranger causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives; voir Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937; Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 567.

 

(Jakhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 159, [2009] A.C.F. no 203 (QL)).

[74]           En l’espèce, la déléguée du ministre a clairement tenu compte du degré d’établissement du demandeur au Canada, mais a pondéré ce facteur avec les autres facteurs du dossier, comme elle devait le faire.

 

[75]           Plus particulièrement, dans ce dossier, les facteurs positifs au demandeur, dont son degré d’établissement, ont été mis en balance avec son interdiction de territoire pour grande criminalité. La déléguée du ministre a conclu à ce sujet :

Par conséquent, je ne crois pas que les considérations humanitaires en l’espèce l’emportent sur l’interdiction de territoire pour grande criminalité. Les facteurs positifs ici ne compensent tout simplement pas les faits graves dans une mesure suffisante pour que j’accorde une exemption. (La Cour souligne).

 

(Décision de la déléguée du ministre à la p. 8).

 

[76]           Même si le demandeur est en désaccord avec la pondération de la preuve faite par la déléguée du ministre, il ne revient pas à la Cour de se substituer à celle-ci à cet égard.

 

L’équité procédurale

[77]           Le demandeur soutient que la déléguée du ministre n’a pas fait preuve d’équité procédurale envers lui, compte tenu du délai qu’elle a pris pour rendre sa décision. Plus particulièrement, il reproche à la déléguée du ministre de n’avoir pris que trois semaines pour étoffer ses motifs suivant la réception des documents qu’il lui a transmis. Le demandeur suggère que la déléguée du ministre aurait dû attendre encore avant de rendre sa décision considérant l’impossibilité pour lui d’obtenir un nouveau rapport médical dans le délai.

 

[78]           Cet argument du demandeur est dénué de fondement.

 

[79]           Il convient d’abord de signaler que le demandeur a déposé sa demande CH en mars 2007. Dans les soumissions jointes à cette demande, le demandeur invoquait, notamment, comme considérations d’ordre humanitaire, sa situation médicale. Le demandeur pouvait donc s’attendre à ce que la déléguée du ministre appelée à trancher sa demande CH lui demande de soumettre de la preuve afin d’établir sa situation médicale actuelle.

 

[80]           Il appert des motifs de la décision CH que c’est le 3 octobre 2008 que la déléguée du ministre a demandé une déclaration récente sur l’état de santé du demandeur.

 

[81]           Près de deux mois après la demande de mise à jour de la déléguée du ministre, la procureure du demandeur a fait parvenir des observations datées du 26 novembre 2008. Dans ces observations, la procureure du demandeur a déclaré qu’elle n’avait pu obtenir une mise à jour de la situation médicale du demandeur vu le délai accordé et l’horaire chargé du médecin.

[...] Malheureusement, malgré notre demande pour une mise à jour de la condition médicale de M. Lupsa en octobre 2008 et ce, auprès du nouveau néphrologue Dr. Dana Baran du Centre universitaire de santé McGill il semble qu’une réponse à une telle demande de mise à jours dans le délai que vous nous avez accordé est impossible due à l’horaire chargé du Médecin.

 

(Soumissions datées du 26 novembre 2008 à la p. 12, Pièce P-1).

 

[82]           Cependant, la procureure du demandeur n’a pas demandé à la déléguée du ministre de lui accorder un délai supplémentaire. Tout ce qu’elle a dit est ce qui suit :

[...] Nous nous engageons à vous communiquer dès réception, la mise à jour du rapport médical qui nous sera transmis par le Dr. Baran.

 

(Soumissions datées du 26 novembre 2008 à la p. 13, Pièce P-1)

 

[83]           La déléguée du ministre a rendu sa décision le 12 janvier 2009. Ce n’est donc pas un délai de trois semaines, comme l’allègue le demandeur, qui s’est écoulé entre le moment où le demandeur a soumis ses observations et la décision, mais bien un délai de presque sept semaines.

 

[84]           Pendant tout ce délai, le demandeur avait la possibilité d’acheminer à la déléguée du ministre le rapport faisant état de sa situation médicale actuelle, ce qu’il n’a jamais fait.

 

[85]           Au total, un délai de plus de trois mois s’est écoulé entre le moment où la déléguée du ministre a demandé une déclaration récente sur l’état de santé du demandeur et le moment où elle a rendu sa décision. Il ne s’agit certes pas d’un délai qui est inéquitable, comme le prétend le demandeur.

 

[86]           Dans les circonstances en l’espèce, il est évident que la déléguée du ministre n’a pas enfreint les principes d’équité procédurale en rendant une décision, plus de trois mois, après avoir demandé au demandeur de lui soumettre une déclaration récente sur son état de santé.

 

[87]           Il est important de souligner que le demandeur a été notifié de la décision de la déléguée du ministre le 5 mars 2009. Jusqu’à cette date, rien n’empêchait le demandeur de soumettre une déclaration récente sur son état de santé actuel, tel que demandé par la déléguée du ministre. Or, le demandeur n’a jamais tenté de déposer une telle déclaration, ni même tenter de faire un suivi auprès de la déléguée du ministre à ce sujet.

 

[88]           En l’espèce, bien que le demandeur reproche à la déléguée du ministre d’avoir rendu sa décision sans attendre qu’il puisse soumettre un nouveau rapport médical, jamais il ne prétend qu’il aurait pu effectivement soumettre une déclaration récente sur son état de santé.

 

[89]           L’argument du demandeur se veut donc en quelque sorte théorique surtout concernant les faits du dossier qui démontrent qu’il a obtenu des rapports médicaux de ses médecins traitants en avril et mai 2009. Il est à noter que ces rapports médicaux ont été soumis dans le cadre de la troisième audience concernant sa deuxième requête en sursis.

 

[90]           Le délai avec lequel le demandeur a obtenu des rapports médicaux concernant son état de santé actuel et la tardivité avec laquelle le demandeur soulève son argument d’équité procédurale n’aide pas sa cause, compte tenu du contexte à l’intérieur duquel ces rapports se retrouvent.

 

[91]           La suggestion du demandeur que la déléguée du ministre n’aurait pas agi avec équité en se basant sur un document général dont le sujet est le financement du régime de santé Roumain, mène à l’insuffisance de ce document.

 

[92]           Si le demandeur estimait que la déléguée du ministre n’était pas fondée de faire référence à un tel document, il devait apporter des éléments de preuve pour le démontrer, ce qu’il ne fait aucunement en l’espèce. Cette prétention du demandeur devrait être rejetée.

 

L’interdiction de territoire

[93]           Le demandeur revient à la charge sur la question de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires. Il formule quelques reproches à la déléguée du ministre dans son analyse de cette question.

 

[94]           Il ne faut pas oublier que l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires n’a pas joué un rôle déterminant dans la décision de la déléguée du ministre de rejeter sa demande CH.

 

[95]           Il convient de citer à nouveau l’extrait où la déléguée du ministre précise qu’il est difficile de déterminer si l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires doit être maintenue et qu’elle accorderait un poids moindre à cet élément dans l’analyse globale de sa décision.

Comme M. Lupsa n’a pas subi d’examen médical depuis sa greffe, il est difficile de déterminer si l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires doit être maintenue compte tenu du seul coût du traitement anti-rejet. Par conséquent, j’accorderai un poids moindre à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires dans mon analyse globale et ma décision. (La Cour souligne).

 

(Décision de la déléguée du ministre à la p. 2).

 

[96]           À la lecture de la conclusion finale de la déléguée du ministre, il n’y a pas de doute que l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires n’a pas été considérée par la déléguée du ministre dans son analyse globale de sa décision :

Par conséquent, je ne crois pas que les considérations humanitaires en l’espèce l’emportent sur l’interdiction de territoire pour grande criminalité. Les facteurs positifs ici ne compensent tout simplement pas les faits graves dans une mesure suffisante pour que j’accorde une exemption. (La Cour souligne).

 

(Décision de la déléguée du ministre à la p. 8).

 

[97]           L’absence de référence par la déléguée du ministre dans sa conclusion finale à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires démontre, de façon non équivoque, que cet élément n’a clairement pas été décisif dans sa décision.

 

[98]           Cela n’a eu aucune incidence sur le résultat final auquel est parvenue la déléguée du ministre. Dans de telles circonstances, il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire à la déléguée du ministre pour ce motif, parce que le résultat ne pourrait être différent (Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 N.R. 308, 48 A.C.W.S. (3d) 1434 (C.A.F.)).

 

Les risques de retour en Roumanie

[99]           Le demandeur reproche d’abord à la déléguée du ministre de ne pas avoir analysé son risque personnalisé quant à sa condition médicale spécifique.

 

[100]       Ce reproche est sans fondement. Le sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR) a pour effet d’exclure les risques et les menaces découlant de l’incapacité du pays d’origine à fournir des soins médicaux ou de santé adéquats (Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 R.C.F. 169).

[101]       Par ailleurs, le demandeur n’invoque pas de nouveaux arguments relativement à l’évaluation faite par la déléguée du ministre des risques de retour en Roumanie. Le demandeur ne fait, en l’occurrence, que réitérer les faits et risques à la base de sa demande, exposer bon nombre d’hypothèses et de conjectures pour finalement en arriver à faire sa propre interprétation de la preuve.

 

[102]       Il est évident que le demandeur aurait préféré une évaluation de la preuve qui lui soit favorable. Cependant, il ne démontre pas l’existence d’une erreur déraisonnable dans l’analyse de ses risques de retour faite par la déléguée du ministre.

 

[103]       Il convient de rappeler qu’il appartenait à la déléguée du ministre d’apprécier la preuve présentée. Il ne revient certes pas, ni au demandeur, ni à cette Cour de substituer leur propre interprétation des éléments de preuve à celle de la déléguée du ministre.

 

[104]       Une lecture des arguments, aux paragraphes 14 à 21, datés du 30 avril 2009, démontre de façon non équivoque qu’il était raisonnable pour la déléguée du ministre de conclure comme elle l’a fait relativement à la question des risques de retour en Roumanie.

 

La tenue d’une audience

[105]       Au paragraphe 76h) de son mémoire supplémentaire, le demandeur s’appuie sur les décisions Pham et Hakrama, rendues par cette Cour afin de soutenir sa prétention selon laquelle une entrevue aurait été de mise dans sa situation particulière (Pham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 539, 139 A.C.W.S. (3d) 166; Hakrama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 85, 308 F.T.R. 84).

 

[106]       Il convient d’abord de souligner que dans ces deux décisions, le point litigieux était l’authenticité d’un mariage, ce qui n’est aucunement le cas en l’espèce.

 

[107]       Dans la décision Hakrama, ci-dessus, au paragraphe 25, le juge John O’Keefe a tenu à préciser que « la tenue d’une entrevue n’est pas toujours nécessaire. Elle dépend des faits de chaque espèce ».

 

[108]       Ce raisonnement du juge O’Keefe est conforme à l’arrêt Baker, où la Cour suprême du Canada a décidé que pour qu’une audience soit équitable, il n’était pas toujours nécessaire de tenir une entrevue orale relativement à une demande CH (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au par. 33).

 

[109]       En l’espèce, le demandeur ne démontre aucunement qu’une entrevue était nécessaire dans son cas. Il allègue tout simplement qu’une entrevue aurait dû être tenue en cas de doute sur l’authenticité des documents qu’il a soumis.

 

[110]       Cependant, la déléguée du ministre ne soulève nulle part dans sa décision qu’elle aurait un quelconque doute sur l’authenticité des documents soumis par le demandeur.

 

[111]       L’argument du demandeur sur la tenue d’une audience est donc sans aucun mérite.

 

Les raisons impérieuses

[112]       Bien que le demandeur ne formule aucun argument précis à ce sujet, il semble suggérer, à la toute fin de son mémoire supplémentaire, que les raisons impérieuses trouvaient application à son cas. Il se fonde sur la décision Suleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.F. 26, 256 F.T.R. 308, pour affirmer que sa seule expérience constitue des « raisons impérieuses » aux fins du paragraphe 108(4) de la LIPR, même s’il n’a pas de motif de craindre de nouvelles persécutions selon la déléguée du ministre.

 

[113]       Cet argument est mal fondé en droit.

 

[114]       L’alinéa 108(1)e) et le paragraphe 108(4) de la LIPR est ainsi rédigé :

Rejet

 

108.      (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

[...]

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

[...]

 

Exception

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

 

Rejection

 

108.      (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

...

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

 

Exception

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

[115]       Le paragraphe 108(4) ne crée pas un moyen indépendant d’octroyer l’asile pour des « raisons impérieuses ». Il s’agit plutôt d’une exception à la disposition relative à la perte d’asile que l’on trouve à l’alinéa 108(1)e). Ainsi, des « raisons impérieuses » ne peuvent être invoquées que s’il a été décidé que le demandeur avait la qualité de réfugié ou de personne à protéger (Nadjat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 302, 288 F.T.R. 265, aux paragraphes 36 à 54).

 

[116]       Dans la décision Resulaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 269, 146 A.C.W.S. (3d) 530, la juge Carolyn Layden-Stevenson a mentionné ce qui suit à l’égard des raisons impérieuses :

[31]      Dans Kudar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 648; 130 A.C.W.S. (3d) 1003, j'ai affirmé qu'il n'est pas question de perte de l'asile si le demandeur ne s'est jamais vu reconnaître la qualité de réfugié (ou de personne à protéger), de sorte que l'exception relative aux raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures ne peut s'appliquer. Il peut arriver également que l'on considère qu'il a été implicitement conclu qu'une personne était auparavant un réfugié. Or, ce n'est pas le cas en l'espèce. Par conséquent, le paragraphe 108(4) ne s'applique pas. (La Cour souligne).

 

[117]       Dans la décision Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, 254 F.T.R. 244, la juge Layden-Stevenson a écrit ce qui suit :

[5]        [...] Pour que la Commission entreprenne une analyse des raisons impérieuses, elle doit d'abord conclure qu'il existait une demande valide du statut de réfugié (ou de personne à protéger) et que les motifs de la demande ont cessé d'exister (en raison d'un changement de la situation dans le pays). C'est alors seulement que la Commission doit évaluer si la nature des expériences du demandeur dans l'ancien pays était à ce point épouvantable que l'on ne devrait pas s'attendre à ce qu'il ou elle rentre dans son pays et se réclame de la protection de l'État. (La Cour souligne).

 

[118]       En l’espèce, le demandeur ne pouvait répondre aux conditions exigées par la jurisprudence applicable parce qu’il n’a jamais été décidé qu’il avait la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

 

[119]       La déléguée du ministre n’a jamais affirmé que les événements allégués par le demandeur survenus avant son départ de la Roumanie faisaient de lui un réfugié ou une personne à protéger. En outre, la déléguée du ministre n’a pas conclu que le demandeur ne répondait plus à la définition de réfugié ou de personne à protéger en raison d’un changement de situation.

 

[120]       Le fait que le demandeur allègue, lui-même, avoir vécu des persécutions épouvantables avant de quitter la Roumanie en 1992 ne veut pas nécessairement dire qu’il était visé par la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

[121]       Il convient par ailleurs de préciser, comme l’a relevé le juge James Russell dans la décision Nadjat, ci-dessus, la décision Suleiman, ci-dessus, à laquelle réfère le demandeur n’est pas applicable aux faits de la présente espèce :

[49]      La seule question en litige devant le juge Martineau dans Suleiman était de savoir si la Commission, en décidant que l’exception fondée sur des raisons impérieuses n’était pas applicable dans cette affaire, avait adopté une approche trop restrictive et avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le critère établi dans l’arrêt Obstoj requiert que la persécution soit d’un niveau tel qu’elle puisse être qualifiée d’« atroce » et d’« épouvantable » pour que l’exception à l’égard des « raisons impérieuses » entre en jeu. Autrement dit, le juge Martineau examinait la gravité de la persécution antérieure exigée dans un cas où la Commission avait reconnu qu’il y avait eu persécution, mais avait refusé d’accorder l’asile en raison d’un changement de situation dans ce pays.

 

[50]      À mon avis, la décision Suleiman ne modifie aucunement la jurisprudence de la Cour qui découle de l’arrêt Hassan et qui exige que le demandeur ait eu droit, à un moment donné, à la qualité de réfugié, mais que les motifs à l’origine de sa demande n’existent plus. (La Cour souligne).

 

[122]       De toute évidence, l’exception relative aux raisons impérieuses prévue au paragraphe 108(4) ne s’appliquait pas au cas du demandeur.

 

IV.  Conclusion

[123]       Pour reprendre les propos tenus par le juge Yve de Montigny dans la récente décision Jakhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 159, [2009] A.C.F. no 203 (QL), au paragraphe 30 : « Bien que l’affaire du demandeur attire sans aucun doute l’empathie, cela n’est pas suffisant pour infirmer la décision de l’agent ».

 

[124]       Malgré la multitude d’arguments présentés par le demandeur, celui-ci n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une erreur déraisonnable dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la déléguée du ministre.

 

[125]       Le demandeur demande essentiellement à la Cour de réévaluer la preuve et de soupeser à nouveau les différents facteurs de son dossier.

 

[126]       Or, tant la jurisprudence de cette Cour que celle de la Cour d’appel fédérale que celle de la Cour suprême du Canada est unanime à l’effet que la pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage du délégué du ministre :

[13]      Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de contrôle applicable aux décisions portant sur des motifs d'ordre humanitaire est la décision raisonnable. En arrivant à cette conclusion, la Cour reconnaissait que la manière dont le ministre ou son représentant exerce son pouvoir discrétionnaire appelle une retenue considérable.

 

[14]      Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 37, la Cour suprême du Canada a précisé les propos qu’elle avait tenus dans l’arrêt Baker, précité, en soulignant que, s’agissant des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire, « il n’incomb[e] à personne d’autre qu’au ministre d’accorder l’importance voulue aux facteurs pertinents ».

 

[15]      La Cour d'appel fédérale a eu l’occasion d’examiner l’arrêt Suresh, précité, dans le contexte d’une affaire faisant intervenir des motifs d'ordre humanitaire. Elle s’est exprimée ainsi :

 

[11]      La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n'a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l'apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l'intérêt des enfants est un facteur que l'agent d'immigration doit examiner avec beaucoup d'attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu'il appartient à cet agent d'attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l'espèce. Ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

(Arrêt Legault, précité.) (La Cour souligne).

 

(Za’rour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1281, 321 F.T.R. 120).

 

[127]       Comme l’a rappelé cette Cour dans la décision Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 554, 157 A.C.W.S. (3d) 821, au paragraphe 4: « Il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la pondération des différents facteurs pris en compte dans la décision; c’est pourquoi elle ne peut annuler la décision même si sa pondération des facteurs avait été différente (Legault c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CAF 125, Williams c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1474) » (La Cour souligne).

 

[128]       Ainsi, même si cette Cour avait apprécié de façon différente la preuve présentée à la déléguée du ministre, force est d’admettre que sa décision repose sur des conclusions de fait et que celles-ci sont raisonnables et sont fondées sur la preuve au dossier.

 

[129]       La décision de la déléguée du ministre est de toute évidence très bien fondée et ne mérite pas l’intervention de cette Cour.

 

[130]       Compte tenu de ce qui précède, il est évident que les arguments contenus dans le mémoire supplémentaire du demandeur ne sont pas davantage de nature à convaincre cette Cour qu’il existe des motifs sérieux, susceptibles de lui permettre d’accueillir le recours qu’il cherche.

 

[131]       Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1190-09

 

INTITULÉ :                                       GHEORCHE CALIN LUPSA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 22 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michelle Milos

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Doyon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHELLE MILOS, avocate

SAINT-lAMBERT (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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