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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091015

Dossier : IMM-2002-09

Référence : 2009 CF 1042

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

FUSHENG MA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Fusheng Ma contestant la décision d’un agent des visas (l’agent) refusant sa demande de résidence permanente (et celle de son épouse et de l’enfant les accompagnant).

 

I.          L’historique

[2]               En 2004, M. Ma et son épouse, Chun-e Wu, ont présenté une demande d’émigration au Canada dans la catégorie des gens d’affaires du programme des candidats provinciaux de la Colombie‑Britannique, et le 30 juillet de la même année, leur demande a été approuvée. Cette approbation était assujettie à la délivrance de visas de travail temporaires par le biais de l’ambassade canadienne à Beijing, et d’un visa de visiteur pour l’enfant à charge les accompagnant, Jun Ma. Ces visas ont été délivrés le 19 mai 2005 et ont été renouvelés depuis.

 

[3]               Lorsque la famille est arrivée à Vancouver en mai 2005, elle a inscrit Jun dans une école élémentaire publique. En avril 2006, M. Ma et Mme Wu ont été autorisés à demander des visas de résidents permanents, ce qu’ils ont fait peu après. En juillet 2006, le consulat du Canada à Seattle a demandé que la famille subisse les examens médicaux exigés. Dans le cadre de ces évaluations, il a été déterminé que Jun était atteint d’une incapacité intellectuelle modérée qui nécessiterait une éducation spécialisée. Le 15 février 2007, la Direction générale des services médicaux du ministère a demandé des renseignements à propos des coûts prévus pour le soutien supplémentaire en matière d’éducation et d’autonomie fonctionnelle pour Jun pour les cinq années suivantes. Le dossier indique que M. Ma a eu de la difficulté à obtenir les renseignements demandés auprès de la commission scolaire de Vancouver, ce qui a incité l’agent à écrire à M. Ma le 6 décembre 2007, lui imposant un délai de réponse de deux mois. Les renseignements demandés ont été obtenus peu après et ils ont amené l’agent à croire que l’état de santé de Jun risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ou sociaux au Canada. Une telle conclusion rendrait la famille interdite de territoire au Canada en vertu des articles 38 et 42 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Dans une lettre datée du 2 mai 2008, l’agent a fait part à M. Ma de sa préoccupation et a demandé des renseignements supplémentaires ainsi que la signature de déclarations de capacité et d’intention. Les déclarations étaient dans la forme fournie par l’agent et contenaient la déclaration suivante :

[traduction]

Je déclare par la présente que je me suis pleinement renseigné sur la disponibilité et les coûts des méthodes de rechange de prestation des services pour compenser le fardeau excessif sur les services sociaux. Je fournis avec cette déclaration les détails du plan auquel je prévois recourir au Canada.

 

Je déclare par la présente que je prendrai la responsabilité d’organiser la prestation de ses services, fournie par un fournisseur privé de services, un groupe communautaire, un membre de la famille ou un autre fournisseur de service (une organisation ou un particulier), et je paierai les coûts de ces services. Je fournis avec la présente déclaration une preuve démontrant que ces particuliers ou organisations sont disposés à fournir les services requis de manière privée et qu’ils sont en mesure de le faire. Je fournis également avec la présente déclaration la preuve démontrant que j’ai ou que j’aurai la capacité de payer les coûts liés à ces services.

 

Je déclare que je ne tiendrai ni le gouvernement fédéral, ni une autorité provinciale ou territoriale responsable des coûts associés à la prestation des services sociaux.

 

Je signe de plein gré cette déclaration, sans subir la force ou l’influence d’aucune autre personne, et je fais cette déclaration en toute connaissance de cause.

 

 

[4]               Le 11 juin 2008, M. Ma a écrit à l’agent et a inclus les déclarations de capacité et d’intention signées par lui-même, son épouse et son frère. Il a également informé l’agent que des mesures étaient en cours pour inscrire Jun dans une école privée, dont les frais de scolarité s’élevaient à 28 800 $ par année. M. Ma a conclu en déclarant qu’il espérait que les documents présentés étaient en règle, mais que s’il y avait d’autres questions, l’agent devrait l’en aviser.

 

[5]               L’agent a fait un suivi quelque six mois plus tard au moyen d’une lettre indiquant qu’il avait encore des réserves à propos de l’engagement de bonne foi de la famille à l’égard du paiement des frais de l’école privée de Jun pour l’avenir. Ces réserves ont été exprimées comme suit :

[traduction]

Vous déclarez également que vous avez l’intention d’inscrire June (sic) à Glen Eden Multimodal Centre, une école privée dont les frais de scolarité s’élèvent à 28 800 $ par année. La lettre de Glen Eden indique que Jun sera inscrit à l’école « à son arrivée au Canada. » Jun est arrivé au Canada en mai 2005. Vos observations ne contiennent aucune explication concernant la raison pour laquelle Jun est jusqu’à maintenant inscrit dans une école publique plutôt que dans un établissement d’enseignement privé, ni de preuve démontrant que vous avez entrepris votre recherche d’un établissement privé.

 

Je constate que vous avez déclaré que vous assureriez vous-même et, si nécessaire, avec l’aide de votre frère, les coûts de l’éducation spécialisée et des autres services dont Jun aura besoin. Bien que je n’aie pas de doutes particuliers en ce qui a trait à la capacité de votre famille de payer elle-même ces coûts, à mon avis, le fait que Jun a uniquement été inscrit dans une école publique au Canada jusqu’à maintenant mine de manière importante l’affirmation selon laquelle, dans l’avenir, les frais des services d’éducation et sociaux seront assurés de manière privée.

 

 

L’agent a accordé à M. Ma un délai supplémentaire de 60 jours pour répondre à cette préoccupation.

 

[6]               Le 19 janvier 2009, M. Ma a écrit à l’agent et a fourni une preuve selon laquelle Jun était inscrit à une école privée et que des frais de scolarités initiaux de 15 000 $ avaient été payés. M. Ma a à nouveau invité l’agent à communiquer avec lui s’il avait d’autres questions ou s’il avait besoin d’autres éléments de preuve. Nonobstant l’invitation de M. Ma, l’agent a rendu une décision finale le 25 février 2009. Il a rejeté la demande de la famille pour les motifs suivants :

[traduction]

Vous avez déclaré que Jun Ma fréquentera une école privée, Glen Eden Multimodal Centre, moyennant des frais de 144 000 $ en dollars d’aujourd’hui, pour une période de cinq ans. Votre bordereau T‑4 de 2007 indique un revenu de 40 183 $. Toutefois, pour vous aider, votre frère Yuan Chun MA, président et chef de la direction de Canadian Phytopharmaceuticals Corporation, a déclaré qu’il était disposé à payer les frais d’éducation spécialisée de votre fils. En conséquence, vous semblez donc avoir la capacité financière de payer vous-même les frais de l’éducation spécialisée de Jun. Je sais aussi que Jun fréquente l’école Glen Eden à l’heure actuelle.

 

Cependant, je ne suis pas convaincu que vous continuerez d’être en mesure d’assumer ces frais. Plus particulièrement, je constate que Jun a été inscrit dans une école publique, Gladstone Secondary, peu après son arrivée au Canada en mai 2005. De plus, vous n’avez fourni aucun élément de preuve ni aucune information indiquant que vous avez déjà assumé les frais financiers des services sociaux que votre fils a reçus. Ce n’est qu’en janvier 2009 que votre fils a été inscrit à l’école Glen Eden, un fait qui soulève la question de savoir si cela a été fait principalement aux fins d’obtenir des visas d’immigrants pour vous‑même et les personnes à votre charge plutôt que comme élément du plan visant à assumer la responsabilité des frais de services d’éducation spécialisée de votre fils, qui sont autrement disponibles au public.

 

Puisque que je ne suis pas convaincu que vous avez à la fois la capacité et l’intention de compenser le fardeau excessif sur les services sociaux dont votre fils Jun Ma aura besoin, l’évaluation médicale qui vous a été transmise dans ma lettre du 2 mai 2008 est finale.

 

 

II.         La question en litige

[7]               L’agent a-t-il manqué en l’espèce à son obligation d’équité?

 

III.       L’analyse

[8]               La question déterminante dans la présente demande est une question d’équité procédurale qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539.

 

[9]               Dans le présent dossier, il ne fait aucun doute que l’agent a informé M. Ma de la manière appropriée à propos de ses préoccupations initiales selon lesquelles la famille n’avait pas établi qu’elle avait les moyens et l’intention d’assumer les frais d’école privée de Jun dans l’avenir. M. Ma a plus tard été en mesure de répondre à la première de ses préoccupations en fournissant une déclaration de son frère qui confirmait la capacité financière de celui-ci. Néanmoins, l’agent a implicitement rejeté cette déclaration et celles présentées par M. Ma et son épouse relativement à leurs intentions futures. Cet aspect de la décision s’appuyait uniquement sur la certitude de l’agent que la conduite antérieure de la famille, qui s’était prévalue des services d’éducation publique pour Jun, comportait une plus grande valeur probante que les déclarations assermentées confirmant son intention d’assumer les frais d’école privée dans l’avenir. L’agent a conclu que le placement de Jun dans une école privée n’est survenu qu’après que la question de l’interdiction de territoire pour des raisons médicales a été soulevée et, comme il l’a déclaré dans sa lettre de décision, cela a été fait afin d’obtenir des visas d’immigrants.

 

[10]           Je suis d’accord avec l’avocat du demandeur que l’agent semble avoir été indûment préoccupé par le fait que Jun avait tout d’abord été inscrit à l’école publique. La famille n’était pas légalement tenue de procéder autrement jusqu’à ce que la question de l’interdiction de territoire ne soit soulevée, et ce n’est qu’à ce moment-là que ses actions pouvaient être examinées de près en toute équité. La description péjorative de l’agent du motif de l’inscription de Jun dans une école privée est troublante parce que, comme je l’ai déclaré dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 2007 CF 814, 63 Imm. L.R. (3d) 222, au paragraphe 14, « [i]l n’y a rien à redire en soi à une démarche visant à améliorer les chances d’une demande de résidence permanente, si elle se fait sans dissimulation […] ».

 

[11]           Toutefois, ce qui est plus préoccupant c’est l’omission de l’agent d’informer M. Ma que, malgré les déclarations d’intention assermentées de la famille et le placement effectif de Jun dans une école privée, l’agent n’était toujours pas convaincu que leurs intentions futures étaient honorables.

 

[12]           Il ressort clairement que l’agent n’a pas accepté ces déclarations à leur face-même et, sans le dire directement, il a conclu qu’elles étaient fausses et souscrites uniquement aux fins d’obtenir des visas. Il s’agissait d’une conclusion qui était fondée sur une détermination défavorable quant à la crédibilité, qui, elle-même, reposait sur un fondement factuel ténu. Elle a aussi été tirée sans entrevue et en l’absence d’un avertissement explicite selon lequel la crédibilité de M. Ma, de son épouse et de son frère était en cause.

 

[13]           Bien que j’accepte l’argument du défendeur selon lequel il y a toujours un point où un agent des visas a le droit de mettre un terme à un dialogue comme celui-ci, ce point final n’avait pas été atteint en l’espèce. Il s’agissait d’un élément d’une telle importance que l’omission de l’agent de le présenter clairement à M. Ma et de lui donner une occasion valable d’y répondre soit dans une entrevue, soit par d’autres moyens acceptables, constituait un manquement à l’obligation d’équité. Il s’agissait d’un problème qui aurait dû faire l’objet d’une solution pratique relativement simple et ce rejet était, par conséquent, prématuré. Sur ce point concernant l’équité, je souscris à l’analyse de mon collègue le juge Richard Mosley dans Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 R.C.F. 501, qui contient le résumé suivant de la jurisprudence :

[24]      Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John [John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 257] et Cornea [Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 972], deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

 

 

[14]           J’ajouterais que le défendeur a tout à fait la capacité de trouver une solution par voie réglementaire au problème soulevé par la présente affaire. Le ministère a mis au point une forme de déclaration à l’intention des demandeurs de visa et, ce faisant, il donne l’impression que cela suffira. Le fait que ces déclarations ne puissent apparemment pas être appliquées, et il qu’il n’y a à l’heure actuelle aucun autre moyen de lier légalement une personne dans la situation de M. Ma, est une question qu’il incombe au ministère de résoudre. Jusqu’à ce qu’il le fasse, il doit faire preuve d’une plus grande patience et donner plus de précisions aux demandeurs que celles dont a bénéficié M. Ma.

 

[15]           Le défendeur n’a proposé aucune question à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée dans le présent dossier.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fond, y compris l’appréciation de tout nouvel élément de preuve pertinent supplémentaire que le demandeur présente.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


cour fédérale

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2002-09

 

 

Intitulé :                                       FUSHENG MA c.LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 30 septembre 2009

 

 

Motifs du jugement

et jugements :                           le juge BARNES

 

 

DATE DES MOTIFS :                      le 15 octobre 2009

 

 

Observations écrites :

 

Lu Chan

604-430-1016

 

Pour le demandeur

Helen Park

604-666-2061

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lu Chan

Avocat

Burnaby (Colombie‑Britannique)

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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