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Cour fédérale

Federal Court


 


Date : 20091001

Dossiers : IMM-3998-09

IMM-4664-09

IMM-4721-09

 

Référence : 2009 CF 993

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2009

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

ENTRE :

ABADIR ALI

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

  ET DE L’IMMIGRATION

et LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction et contexte

  • [1] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (les « ministres ») comptent renvoyer le demandeur à son pays d’origine – la Somalie. Comme nous le verrons, l’endroit en Somalie où il avait été envisagé de le renvoyer, a priori, était le Somaliland, où il est né; il s’agit d’une région située au nord-ouest de la Somalie.Il est maintenant prévu de le renvoyer à Bosasso, au Puntland, une région du nord-est.M. Ali demande la suspension de ce renvoi qui est prévu pour les deux premières semaines d’octobre de cette année.Il est actuellement incarcéré dans un centre de surveillance de l’immigration, au Centre de détention d’Ottawa-Carleton à la rue Innes, à Ottawa; il y est depuis le 1er février 2008. Il a bénéficié de plusieurs examens de motifs de détention, comme l’exige la loi, mais il a été décidé par la Section de l’immigration qu’il doit rester en détention.

 

  • [2] J’ai été saisi pour la première fois de l’affaire concernant la requête en sursis du demandeur de façon urgente le matin du 22 septembre 2009. Le demandeur avait été informé par oral, le 15 septembre 2009, que sa mesure d’expulsion de 2004 serait exécutée le 22 septembre 2009 en fin de matinée.Pour son déplacement, on avait envisagé de le faire escorter par deux agents de l’ASFC depuis le centre de détention jusqu’à Nairobi (Kenya), sur des vols au départ de Montréal et d’Amsterdam; il serait alors accompagné au point de départ pour son vol en direction de Mogadishu (Somalie).Avant son départ de Nairobi, le demandeur recevrait environ 15 euros pour acheter le billet de voyage pour la suite, soit par avion soit par voie terrestre, vers le Nord [de la Somalie] s’il le souhaitait, et à ce moment-là, on lui fournirait également l’horaire quotidien des vols de Mogadishu à Hargesia, au Somaliland.

 

  • [3] Après avoir entendu brièvement les parties le 22 septembre 2009, j’ai accordé à M. Ali un sursis provisoire, à condition qu’il ne soit pas mis en liberté.J’ai fixé la date du sursis pour vendredi 25 septembre 2009 à 15 h.En raison du matériel volumineux déposé à l’appui du sursis, du fait que le défendeur avait déposé une réponse par écrit le matin du 22 septembre 2009, que la Cour avait parcouru brièvement et que l’avocat du demandeur n’avait pas vu, et les délais serrés de son renvoi, l’équité imposait l’octroi d’un sursis provisoire.Pendant cette courte audience, j’ai attiré l’attention de l’avocat sur la décision de la Cour dans Aden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 561 (Aden), où j’ai accordé un sursis du renvoi de M. Aden vers le nord de la Somalie, en passant par Mogadishu; la demande de contrôle judiciaire dans cette affaire-là visait une décision d’un agent de l’ERAR, selon laquelle M. Aden ne serait exposé à aucun risque.

 

Faits

  • [4] M. Ali est âgé de 26 ans. En 1991, âgé alors de huit ans, il est arrivé au Canada avec sa belle-mère; ils ont demandé le statut de réfugiés et ont tous deux obtenu une réponse favorable en octobre 1992. Il est devenu résident permanent du Canada le 28 mai 1993.

 

  • [5] Le 10 février 2004, il a fait l’objet d’un rapport d’interdiction, en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), au motif de grande criminalité en raison de voies de fait graves dont il avait été accusé en février 2001 et déclaré coupable le 4 février 2002. Il a été déclaré interdit de territoire et a été frappé d’une mesure de renvoi le 12 mai 2004. Il a perdu l’appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI), et une demande d’appel a été rejetée par un juge de notre Cour. La mesure de renvoi datant de mai 2004 est le fondement juridique de son renvoi.

 

  • [6] M. Ali a été détenu par des agents d’immigration en 2004 et en 2006. Les deux fois, il a été mis en liberté sous certaines conditions, qu’il a violées. En 2006, les agents d’immigration ont décidé de ne pas exécuter son renvoi vers la Somalie.Il a reçu un avertissement de ne plus se livrer à des activités criminelles.Avant la déclaration de culpabilité de février 2002, M. Ali avait une série de quatre déclarations de culpabilité mineures précédentes au tribunal pour adolescents.

 

  • [7] Le 26 juillet 2007, M. Ali a été arrêté par le Service de police d’Ottawa pour voies de fait graves contre une jeune femme. L’agression était particulièrement violente; la victime avait été brutalement battue et était heureuse d’y avoir survécu.Il a été déclaré coupable à la fin de 2007 et condamné à une peine le 3 janvier 2008.

 

  • [8] Vu qu’il était un réfugié au sens de la Convention, M. Ali ne pouvait être renvoyé en Somalie à moins qu’il ne soit jugé être un danger pour le public, en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. Le 9 mai 2008, M. Ali a été informé que les autorités d’immigration avaient l’intention de solliciter un avis établissant qu’il posait un danger pour le public.Il a présenté des observations par l’intermédiaire de son avocat.Le 30 juin 2009, le délégué du ministre (le « délégué ») a publié un avis indiquant ce qui suit : (1) qu’il était interdit de territoire au motif de grande criminalité; (b) qu’il constituait un danger pour le public; (3) qu’il ne serait pas plus exposé à un risque que toute autre personne en Somalie, et que le danger qu’il représente pour la société canadienne l’emportait largement sur tout risque minimal auquel il serait exposé en Somalie.Il n’a pas satisfait aux critères des articles 96 et 97 de la LIPR; et (4) malgré le fait qu’il n’avait de la famille nulle part en Somalie (ni au Somaliland), il n’y avait pas suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire pour justifier une prise en considération favorable de l’autorisation de rester au Canada.

 

La demande de sursis et ses fondements

  • [9] La demande de sursis de M. Ali est greffée à trois demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire, intentées par le nouvel avocat de M. Ali au cours des deux derniers mois. Ces demandes sontles suivantes :

 

  • (1) IMM-3998-09, dans laquelle la décision sous-jacente est la décision du délégué, datant du 30 juin 2009, concluant que M. Ali posait un danger pour le public et ne serait pas exposé à un risque personnel s’il retournait en Somalie. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire semble avoir été présentée tardivement.Le demandeur, comme il est tenu de le faire en vertu de l’article 6 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, a bien demandé une prorogation du délai dans sa demande d’autorisation afin de déposer et signifier sa demande d’autorisation.En vertu du paragraphe 6(2) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration, il est statué sur la demande de prorogation du délai en même temps que la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier.L’alinéa 72(2)c) de la LIPR précise que la Cour peut, pour des motifs valables, accorder une prorogation du délai pour déposer et signifier la demande d’autorisation.

 

  • (2) IMM-4664-09, dans laquelle la décision sous-jacente est alléguée comme étant [traduction] « La mesure de renvoi effectuée par un agent principal le 18 septembre 2009… »

 

  • (3) IMM-4721-09, dans laquelle la décision sous-jacente datée du 21 septembre 2009, rendue par l’agent d’exécution Gavin Beck (« l’agent d’exécution »), refusant de reporter le renvoi de M. Ali en Somalie, plus précisément à Mogadishu, laissant M. Ali trouver lui-même son chemin vers le nord.

 

  • [10] À l’audience de la demande de sursis, le vendredi 25 septembre 2009, il était nécessaire de clarifier certaines questions en lien avec les demandes d’autorisation sous-jacentes, auxquelles la demande de sursis était greffée, étant donné que l’avocate du défendeur a adopté la position, dans sa documentation écrite, selon laquelle le demandeur commettait une erreur en liant sa demande de sursis au dossier de la Cour IMM-4664-09, puisqu’aucune mesure de renvoi n’avait été délivrée par un agent de l’immigration le 18 septembre 2009. Tout ce qui s’est passé ce jour-là est que le demandeur a reçu une copie de la mesure de renvoi datant de 2004.En outre, la veille, son avocat avait été informé par écrit que M. Ali serait renvoyé du Canada le 22 septembre 2009.

 

  • [11] Après avoir discuté avec la Cour, son avocat a reconnu que la demande de sursis de son client ne pouvait être greffée à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans IMM-4664-09. Par conséquent, la demande de sursis greffée à IMM-4664-09 est rejetée.

 

  • [12] M. Ali rattachait également sa demande de sursis à IMM-3998-09, qui est une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du délégué datant du 30 juin 2009, concluant qu’il constituait un danger pour le public et qu’il n’existait pas de facteurs importants qui feraient pencher la balance en faveur de son non-renvoi en Somalie. Sa demande d’autorisation soulève deux problèmes.Premièrement, elle est tardive, et un juge ne peut décider d’accorder ou non une prorogation du délai qu’au même moment que le juge tranche la demande de sursis.Deuxièmement, le demandeur est en retard en ce qui concerne la signification et le dépôt de son dossier de demande d’autorisation et un juge de notre Cour est actuellement saisi de sa demande de proroger le délai en vue de sa demande d’autorisation.Si une prorogation du délai est refusée, cela signifie la fin de la demande d’autorisation.

 

  • [13] En ce qui concerne sa requête en sursis rattachée à IMM-3998-09, elle n’a pas été plaidée devant moi, je n’avais aucune compétence d’accorder le sursis, étant donné qu’il n’y avait aucune affaire devant notre Cour, puisqu’il n’y a pas encore eu de décision sur la prorogation du délai afin de permettre à M. Ali d’intenter IMM-3998-09. En outre, la décision d’accorder une prorogation du délai afin de signifier et déposer son dossier de demande concernant la demande d’autorisation est en suspens et le défendeur s’y oppose fortement.Dans ces circonstances, il serait prudent, à mon avis, de ne pas statuer sur cette demande de sursis rattachée à IMM-3998-09. Un tel rattachement est trop ténu à ce stade de la procédure.Ma décision à ce sujet ne causerait aucun préjudice à M. Ali étant donné qu’au cœur de sa demande de sursis est le changement récent des conditions en Somalie, une affaire présentée à l’agent d’exécution qui a adopté, par inclusion, le raisonnement du délégué sur le risque auquel M. Ali serait exposé s’il était renvoyé en Somalie.Ainsi, l’avis du délégué aurait pu être pris en considération lors du contrôle de la décision de l’agent d’exécution, qui est contestée en vertu de l’IMM-4721-09, à laquelle la demande de sursis est rattachée adéquatement.

 

La décision de l’agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi

  • [14] Comme il a été indiqué, l’agent d’exécution Beck a décidé, le 21 septembre 2009, de ne pas reporter le renvoi de M. Ali en Somalie, et précisément à Mogadishu.L’avocat de M. Ali a demandé le report du renvoi au moyen d’une lettre datant du 20 septembre2009 (un dimanche), que M. Beck a reçue le 21 septembre 2009.

 

  • [15] La demande du report du renvoi de M. Ali s’appuyait sur [traduction] « les changements récents des conditions du pays ». À l’appui de cette proposition, l’avocat de M. Ali a présenté :

 

  • Les affidavits de Yusuf Kadie, qui a voyagé en Somalie durant deux mois en avril et mai 2009.

 

  • L’affidavit de Faisal Jama, qui est l’oncle du demandeur du côté de sa mère.

 

  • Une pétition des membres de la communauté somalienne à Ottawa, demandant que le renvoi de M. Ali soit reporté au motif des changements récents des conditions du pays.

 

  • Différents documents d’organisations telles que M.A.P. (Mentorship – aftercare – presence), en ce qui concerne la possibilité de réadaptation de M. Ali.

 

  • Divers documents sur les conditions du pays en Somalie, au Somaliland et au Puntland.

 

  • [16] Dans ses motifs, l’agent Beck a résumé les motifs du report du renvoi de M. Ali comme suit :

 

  • Depuis juillet 2009, lorsque M. Abadir [sic] a été signifié de l’avis de danger, les conditions du pays ont changé.

 

  • M. Abadir [sic] est exposé à un risque à son retour en Somalie en raison de nouvelles circonstances survenues au cours des deux derniers mois.

 

  • Le renvoi de M. Abadir [sic] doit être reporté jusqu’à la décision d’un examen des risques, jusqu’à ce que les conditions du pays changent, et afin de lui offrir une possibilité de réadaptation.

 

  • [17] Il a ensuite énuméré les documents présentés dans les observations datant du 20 septembre 2009 de l’avocat de M. Ali.

 

  • [18] Il a reconnu qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de reporter un renvoi en vertu de l’article 48 de la LIPR.

 

  • [19] Il a écrit ensuite :
    [traduction]

 

L’avocat de M. Abadir [sic] demande de reporter sa date de renvoi indéfiniment ou jusqu’au moment où un nouvel examen des risques pourra être effectué.

 

Depuis juillet 2009, lorsque M. Abadir [sic] a été signifié de l’avis de danger, les conditions du pays ont changé. Ainsi, M. Abadir [sic] est exposé à un risque à son retour en Somalie en raison de nouvelles circonstances survenues au cours des deux derniers mois.

 

  • [20] L’agent Beck a ensuite mentionné le fait que l’on a conclu que M. Ali posait un danger pour le public en juin 2009, et a déclaré : [traduction] « Il est très important de souligner que cet avis de danger l’emporte sur tout risque auquel M. Abadir [sic] serait exposé à son retour en Somalie » (Non souligné dans l’original.)

 

  • [21] Il a analysé la portée de sa compétence en tant qu’agent d’exécution comme suit :
    [traduction]

Je dois mentionner qu’en tant qu’agent d’exécution à l’Agence des services frontaliers du Canada, une décision appropriée des risques auxquels le client serait ou ne serait pas exposé ne relève pas de ma compétence. Toutefois, je souligne que la prépondérance du risque entre le retour de M. Abadir [sic] en Somalie et le danger qu’il pose au public au Canada ont déjà été abordés dans l’avis de danger datant de juin 2009. J’ai pris en considération les renseignements qui m’ont été présentés avec la demande de report du renvoi datant du 21 septembre 2009 et j’ai conclu de façon raisonnable que ces renseignements n’auraient pas d’incidence sur la prépondérance des risques déjà examinée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada. (Je souligne)

 

  • [22] L’agent Beck a ensuite examiné la demande que (selon ses termes) « le renvoi de M. Abadir Ali soit reporté jusqu’à la décision d’un examen des risques, jusqu’à ce que les conditions du pays changent, et afin de lui offrir une possibilité de réadaptation », et sa réponse a été ce qui suit :
    [traduction]

Je ne suis pas en mesure d’accorder un report du renvoi pour les motifs susmentionnés étant donné qu’une date alternative du renvoi ne m’a pas été présentée. Par conséquent, si je devais reporter le renvoi de M. Abadir [sic] pour l’un de ces motifs, le report serait pour une période indéterminée ». (Non souligné dans l’original).

 

  • [23] Il a exprimé le fonds de son raisonnement en ce qui concerne sa décision comme suit :
    [traduction]

 

M. Ali Abadir demande que son renvoi soit reporté indéfiniment parce qu’il a déclaré qu’il ne peut retourner en Somalie. Je ne suis pas en mesure de le faire, étant donné qu’il est important de souligner qu’un agent d’exécution a peu de pouvoir discrétionnaire pour reporter un renvoi, toutefois, si un agent d’exécution choisit d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, il doit le faire tout en continuant de faire respecter une mesure de renvoi aussitôt qu’il est possible.

 

  • [24] L’agent Beck a conclu, s’appuyant sur les renseignements dont il était saisi, qu’il [traduction] « n’était pas convaincu qu’un report de l’exécution de la mesure de renvoi fût approprié dans les circonstances de l’espèce ».

 

La modification des modalités de voyage et la réponse du demandeur

  • [25] La Cour a été informée, le matin du 25 septembre 2009, le jour de l’audience de la demande de sursis, qu’un affidavit avait été déposé la veille, dans l’après-midi, par les ministres, qui énonçait que [traduction] « les nouvelles modalités de voyage [qui avaient] été faites pour le demandeur ».Ces modalités sont les suivantes :

 

  • L’ASFC organisera le renvoi du demandeur autour de la première ou deuxième semaine d’octobre 2009.

 

  • Les agents de l’ASFC escorteront le demandeur du Centre de détention d’Ottawa-Carleton à la rue Innes, à Ottawa, à Montréal.

 

  • À Montréal, les agents de l’ASFC prendront un vol direct avec le demandeur en direction de Nairobi (Kenya).

 

  • À Nairobi, le personnel de sécurité privé accompagnera le demandeur à bord d’un vol direct à Bosasso, une région du nord de la Somalie, sur un vol privé. Le personnel de sécurité privé accompagnera le demandeur sur ce vol direct de Nairobi à Bosasso.

 

  • Le demandeur ne sera pas renvoyé à Mogadishu (Somalie).

 

  • Le demandeur ne passera pas par Mogadishu.

 

  • [26] Ces nouvelles modalités de voyage sont manifestement une réponse aux préoccupations que notre Cour avait exprimées dans Aden.

 

  • [27] Les nouvelles modalités de voyage, faites au nom du ministre, ont provoqué une réponse de M. Ali sous la forme d’un affidavit datant du 24 septembre 2009, sous serment, de M. Abdirahman Ali. Il a invoqué un certain nombre de points dont certains touchent aux modalités de voyage.Ces points étaient les suivants :
    [traduction]

    • Le père de M. Ali était un activiste politique et un combattant du Mouvement national somalien (« MNS ») et s’il est renvoyé en Somalie [TRADUCTION] « il sera capturé et torturé pour se venger de l’activisme de son père » (Le délégué du ministre était également saisi de ce fait).

 

  • « Si le demandeur est renvoyé à Bosasso, où il y a des personnes qui recherchent son père, il sera tué. Bosasso est sur la frontière entre le Puntland et le Somaliland et il existe toujours des tensions et du conflit entre le Somaliland et le Puntland au sujet des régions de Sool et Sanag.Les agents de sécurité privés qui accompagnent les personnes, qui sont des Somaliens pour la plupart, étant donné que les seules personnes qui puissent aller en Somalie, sont les personnes corrompues qui font le trafic des prisonniers comme esclaves.Il n’y a aucune preuve qu’Ali sera déposé à Bosasso ».

 

  • Le demandeur [traduction] « est un jeune enfant qui n’a eu que de mauvais compagnons ... et il mérite une chance de réadaptation ».

 

  • Il a déclaré qu’il savait que le père de M. Ali est isaaq et sa mère est warsangeli et que son père [traduction] « a mené une guerre contre Siad Barre et les Darods dans la région du Puntland et que, s’il était renvoyé dans n’importe quelle partie du Puntland ou à Bosasso, son fils serait tué ou torturé en raison des activités de son père.

 

  • [28] L’affidavit de M. Abdirahman Ali était corroboré partiellement par l’affidavit de Mohammed Tani, également assermenté le 24 septembre 2009. L’idée principale de l’affidavit est de corroborer le fait que M. Ali était un « prisonnier d’opinion » qui avait été incarcéré avec lui pendant 6 ans et demi. Il a confirmé que le père de M. Ali était un activiste politique connu qui appartenait au mouvement politique du MNS et a enragé un grand nombre de personnes dans la région du Puntland.Il était d’avis que, si son fils était renvoyé au Puntland, il serait tué ou persécuté.Il considère le renvoi de M. Ali en Somalie comme un [traduction] « simulacre de justice » étant donné que : (1) il est arrivé au Canada lorsqu’il était un jeune enfant, et ne connaît pas d’autre chez-lui; (2) il sera en danger en Somalie, [traduction] « qui est remplie d’extrémistes Shahaab qui le percevraient comme un agent occidental »; et (3) il a répété qu’en raison de l’activisme politique du père contre le gouvernement du sud, le demandeur ne serait en sécurité nulle part au sud de la Somalie, comme au Puntland.

 

Discussion

  • [29] Pour les motifs susmentionnés, je limiterai mon examen du sursis comme étant uniquement lié à la décision de l’agent Beck de ne pas reporter le renvoi de M. Ali en Somalie et suite aux nouvelles modalités de voyage, précisément à Bosasso qui se trouve au Puntland.

 

  • [30] Le droit indique clairement qu’afin d’obtenir un sursis de notre Cour, M. Ali a le fardeau de satisfaire à chacun des volets suivants du critère à trois volets : (1) une ou plusieurs questions sérieuses à trancher; (2) qu’il subira un préjudice irréparable si un sursis n’est pas accordé; et (3) que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.

 

  • [31] Avant d’examiner le critère à trois volets, il convient d’énoncer les modalités de l’article 48 de la LIPR :

 

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ( 2001, ch. 27 )

 

Mesure de renvoi

 

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

Conséquence

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent. (Non souligné dans l’original.)

 

Immigration and Refugee Protection Act

( 2001, c. 27 )

 

Enforceable removal order

 

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

Effect

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable. (My emphasis.)

 

  • [32] En outre, la Cour bénéficie actuellement de la décision récente de la Cour d’appel fédérale dans Baron c. Canada (ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 (Baron), où il était question d’un contrôle judiciaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi d’une famille en Argentine, en attendant la décision sur une demande pour motifs d’ordre humanitaire en suspens.

 

  • [33] Dans Baron, le juge Nadon a confirmé que (1) la norme de contrôle d’une décision d’un agent d’exécution de refuser le report d’un renvoi est examinée est celle de la décision correcte; (2) la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution en matière de report de renvoi est limitée; et (3) le critère pour évaluer une question sérieuse dans une demande de sursis n’est pas le seuil inférieur d’une question qui n’est ni frivole ni vexatoire, mais plutôt le seuil supérieur de savoir si la question soulevée a des arguments assez solides - si elle a une chance de succès, c’est-à- dire que le juge doit aller plus loin et examiner de plus près la demande sous-jacente (voir Baron, au paragraphe 67).

 

  • [34] En ce qui concerne la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de reporter, ce que le juge Nadon a mentionné dans sa décision dans Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 936, et a adopté ce que son collègue le juge Pelletier a rédigé dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 682, lorsque tous deux étaient membres de notre Cour. Je reproduis les paragraphes 49, 50 et 51 des motifs du juge Nadon dans Baron, précitée :

 

49 Il est de jurisprudence constante que le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité. J’ai exprimé cet avis dans la décision Simoes c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no. 936 (C.F. 1re inst.) (QL), 7 Imm.L.R. (3d) 141, au paragraphe 12 :

 

[...] le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face. Ainsi, en l’espèce, le renvoi de la demanderesse, qui devait avoir lieu le 10 mai 2000, a pour des raisons de santé été reporté au 31 mai 2000. En outre, à mon avis, l’agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi tant que l’enfant de la demanderesse, qui était âgée de huit ans, n’avait pas terminé son année scolaire.

 

50. J’ai également exprimé l’avis que la simple existence d’une demande CH n’empêchait pas l’exécution d’une mesure de renvoi valide.  Au sujet de la présence d’enfants nés au Canada, j’ai adopté le point de vue que l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi. 

 

51.  À la suite de ma décision dans l’affaire Simoes, précitée, mon collègue le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, a eu l’occasion, dans la décision Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 682 (C.F.), dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, d’aborder la question du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de reporter le renvoi. Après avoir examiné attentivement et à fond les dispositions législatives applicables et la jurisprudence s’y rapportant, le juge Pelletier a circonscrit la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution en matière de report de renvoi.  Dans des motifs que je ne puis améliorer, il a expliqué ce qui suit :

 

-   Il existe divers facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48. Il y a ceux qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents.

 

-   La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi.  Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

 

Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive

- Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain.  Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’ il n’ existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.  (Non souligné dans l’original)

 

Il est possible de remédier aux affaires où les difficultés causées à la famille sont le seul préjudice subi par le demandeur en réadmettant celui‑ci au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était en instance. (Non souligné dans l’original.)

 

 

  • [35] Pour résumer, le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution en vertu de l’article 48 de la LIPR concerne le moment où le renvoi doit avoir lieu, et non la question de savoir s’il aura lieu ou non. La jurisprudence a déterminé les facteurs pertinents qui peuvent influencer la chronologie du renvoi, tels que des empêchements de voyager, et d’autres facteurs sur lesquels les modalités de voyage peuvent avoir une incidence.Les facteurs qui ont une incidence sur la chronologie d’un renvoi peuvent varier selon les circonstances; de nouveaux facteurs qui n’ont pas encore été reconnus par la jurisprudence peuvent être pertinents dans une situation particulière (voir Ramada c. Canada (Solliciteur Général), 2005 A.C.F. no 1384), dans laquelle mon collègue le juge O’Reilly a décrit les bonnes raisons de reporter un renvoi sous la phrase générique « des circonstances impérieuses de sa situation personnelle ».

 

Application aux faits de l’espèce

 

  • [36] Pour les motifs exprimés ci-dessous, je suis d’avis que le renvoi du demandeur en Somalie devrait être reporté jusqu’à ce qu’une décision soit prise concernant la question de savoir si une autorisation est accordée en ce qui concerne la décision de l’agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi et si l’autorisation est accordée, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue concernant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

(a) Question sérieuse

  • [37] Je vois au moins les questions sérieuses suivantes comme étant raisonnablement défendables, soulevées par la décision de l’agent d’exécution.

 

  1. Les nouvelles modalités de voyage décidées par les ministres ont-elles rendu la décision de l’agent Beck concernant le report du renvoi théorique ou redondante? Cette question sérieuse est soulevée parce que l’agent Beck s’est appuyé sur l’analyse du risque du délégué.Cette analyse du risque était largement partie du principe que M. Ali serait en mesure d’obtenir une protection au Somaliland.Voir la décision du délégué (Dossier de requête du demandeur, pages 56 à 58).

 

  1. Les modalités du voyage et du renvoi mis en place pour le renvoi de M. Ali sont-elles compatibles avec les principes de justice fondamentale garantis en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui inclut les principes de justice fondamentale? Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3. Dans cette affaire-là, M. Suresh, comme M. Ali, était un réfugié au sens de la convention contre qui on avait obtenu un avis de danger de sorte qu’il pouvait être renvoyé au pays qui l’avait persécuté.Cette question sérieuse est soulevée étant donné que je n’ai aucune preuve concernant les types d’arrangements en place une fois qu’il aura atterri à Bosasso.Le délégué du ministre a reconnu que M. Ali n’a pas de famille en Somalie et fera face à des difficultés pour s’établir au nord de ce pays.Quel type d’aide sera effectivement disponible pour M. Ali à son retour?Les autorités canadiennes ont-elles contacté l’UNHCR et d’autres organisations humanitaires afin de s’assurer qu’il serait reçu de façon sécuritaire à Bosasso?Les ministres ont-ils une obligation de lui garantir un retour sécuritaire en Somalie?Se sont-ils acquittés de cette obligation?

 

  1. L’agent d’exécution a-t-il mal compris la nature et la portée de son pouvoir discrétionnaire en matière de report du renvoi dans des circonstances appropriées ou a-t-il entravé son pouvoir discrétionnaire? Cette question sérieuse est soulevée étant donné que le décideur a adopté la position que l’avis de danger « l’emporte sur tout risque auquel M. [Ali] serait exposé à son retour en Somalie » et a conclu qu’il n’était pas en mesure d’accorder le report du renvoi jusqu’à la décision d’un examen des risques, ou jusqu’à ce que les conditions du pays changent, étant donné que, selon ses propres termes, « une date alternative du renvoi ne [lui] a pas été présentée » et que s’il accordait le report du renvoi, « le report serait pour une période indéterminée ».

 

  1. L’agent d’exécution a-t-il mal interprété les éléments de preuve dont il était saisi?

 

(b). Préjudice irréparable

  • [38] Le demandeur a établi l’existence d’un préjudice irréparable au moyen des éléments de preuve présentés sous la forme d’affidavits exposés ci-dessus. Il a établi un risque personnel lié aux activités politiques de son père et ses antécédents mixtes (ses antécédents isaaq et darod).Ces éléments de preuve démontrent que sa vie, sa liberté et sa sécurité, selon la prépondérance des probabilités, sont en danger (voir Aden, au paragraphe 5).

 

(c) La prépondérance des inconvénients

  • [39] Dans ces circonstances, la prépondérance des inconvénients milite en faveur de M. Ali. Le préjudice irréparable qu’il risque s’il était renvoyé en Somalie (ou certaines parties de ce pays) l’emporte sur son renvoi, malgré le fait qu’il a été considéré comme posant un danger pour le public.Il est actuellement incarcéré et l’a été pendant près de 20 mois.Je suis conscient du fait que M. Ali a le droit à des examens de motifs de détention prévus par la loi et a demandé la mise en liberté conditionnelle, bien que ce fut sans succès.

 

  • [40] Pour ces motifs, le sursis demandé est accordé.

 

  • [41] J’ordonne qu’une copie de ces motifs soit placée sur chaque dossier intitulé Dossier à la première page des présents motifs de l’ordonnance et ordonnance. Pour être tout à fait clair, je limite mon octroi d’un sursis à IMM-4721-09 uniquement.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que le renvoi du demandeur en Somalie, et plus particulièrement à Bosasso, au Puntland, une région de la Somalie, soit suspendu jusqu’à ce qu’une décision soit prise par notre Cour concernant l’octroi d’une autorisation dans IMM-4721-09 et, si elle est accordée, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en ce qui concerne le contrôle judiciaire.

 

  « François Lemieux »

  ________________________________

Juge



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

DOSSIERS :  IMM-3998-09, IMM-4664-09 et IMM-4721-09

 

INDITULÉ :  Abadir Ali c. le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 25 septembre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :  Le 1er OCTOBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Me Felix N. Weekes

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Me Agnieszka Zagorska

 

POUR LES DÉFENDEREURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Weekes Law Office

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEREUR

John H. Sims, C.R.

Sous‑procureure générale du Canada

 

POUR LES DÉFENDEREURS

 

 

 

 

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