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Date : 20090710

Dossier : T-1545-05

Référence : 2009 CF 705

ENTRE :

MONSANTO CANADA INC. et

MONSANTO COMPANY

demanderesses

 

et

 

LAWRENCE JANSSENS, RONALD JANSSENS

et ALAN KERKHOF

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE ZINN

 

[1]               Dans les motifs de mon jugement du 26 mars 2009, j’ai reporté l’adjudication des dépens en attendant la réception d’observations des parties. Celles-ci ont présenté leurs observations sur les dépens, et je les ai examinées. 

 

[2]               Pour résumer les faits, le 11 janvier 2007, le juge Noël a fait droit en partie, sur consentement, à l’action intentée contre les défendeurs pour contrefaçon du brevet canadien numéro 1,313,830. Le procès a porté uniquement sur les questions de la réparation, des dépens et des intérêts. Les demanderesses ont choisi de demander une reddition de compte relative aux profits plutôt que des dommages-intérêts. Les motifs rendus par la Cour le 26 mars 2009 traitent de façon exhaustive de la demande de reddition de compte et établissent comme suit les montants que chacun des défendeurs doit verser aux demanderesses :

a.       LAWRENCE JANSSENS : 1 269,88 $ et les intérêts avant jugement pour la contrefaçon de 2004, et 3 770,12 $ et les intérêts avant jugement pour la contrefaçon de 2005;

b.      ALAN KERKHOF : 1 269,88 $ et les intérêts avant jugement pour la contrefaçon de 2004, et 3 770,12 $ et les intérêts avant jugement pour la contrefaçon de 2005;

c.       RONALD JANSSENS : 634,94 $ et les intérêts avant jugement pour la contrefaçon de 2004, et 3 822,56 $ et les intérêts avant jugement pour la contrefaçon de 2005.

 

[3]               Les parties s’entendent pour dire que les demanderesses ont droit aux dépens conformément à la règle habituelle selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause, et les deux parties semblent préconiser l’adjudication d’une somme globale. Le paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales permet l’adjudication d’une somme globale de dépens, et je conviens que l’adjudication d’une somme globale est appropriée dans les circonstances de l’espèce, étant donné plus particulièrement que les défendeurs ne contestent pas les débours réclamés par les demanderesses et ont axé leur attention sur une somme globale plutôt que de contester des éléments précis des honoraires réclamés dans le projet de mémoire de frais des demanderesses.

 

[4]               Les demanderesses soutiennent que la partie des dépens représentant les honoraires devrait être établie selon la fourchette supérieure de la colonne IV du tarif B, soit un échelon plus élevé que l’échelon par défaut prévu à l’article 407 des Règles, qui renvoie à la colonne III du tarif B; leur projet de mémoire de frais est calculé en fonction de la fourchette supérieure de la colonne IV. Les demanderesses plaident que l’adjudication d’une somme globale représentative d’un échelon plus élevé est justifiée, étant donné que les défendeurs ont délibérément contrefait leur brevet. Elles soulignent aussi la conduite des défendeurs tout au long de l’instance, notamment leur refus de conclure un règlement à l’amiable en 2005 et en 2007, leurs déclarations publiques portant que leur responsabilité quant à la contrefaçon devrait se limiter au coût des droits de licence, et la perte de temps occasionnée par leur tentative infructueuse de présenter une preuve d’expert sans se conformer aux Règles. Les demanderesses renvoient la Cour à la décision Dimplex North America Ltd. c. CFM Corp., 2006 CF 1403, dans laquelle des dépens ont été adjugés suivant un tarif plus élevé en raison de la nature intentionnelle de la contrefaçon de la défenderesse, même si la Cour avait refusé d’accorder des dommages-intérêts punitifs à la demanderesse dans l’action principale. 

 

[5]               La partie représentant les honoraires, dans le projet de mémoire de frais des demanderesses, s’élève à 21 288,00 $ et comporte des débours additionnels de 3 209,55 $. 

 

[6]               Cette somme est beaucoup plus élevée que la somme globale de 3 000,00 $ et débours, plus la TPS appliquée sur le total, proposée par les défendeurs dans leurs observations sur les dépens. Les défendeurs proposent ce montant à la lumière d’un certain nombre de facteurs favorables dont il convient à leur avis de tenir compte dans l’adjudication des dépens, notamment le fait qu’ils ont admis la contrefaçon à la première occasion, leur collaboration avec les demanderesses et l’offre de règlement de 7 200,00 $ qu’ils ont présentée le 27 mars 2007. Ils demandent aussi à la Cour de prendre en compte que la contrefaçon a été un [traduction] « événement unique » et qu’ils ont obtenu [traduction] « gain de cause en grande partie relativement à l’évaluation des profits ». Enfin, ils font état d’une offre de règlement qui aurait été présentée verbalement avant le procès, en avril 2008, et dont le montant se situerait dans la fourchette des profits accordés par la Cour.

 

[7]               Il est évident, à la lecture des observations des défendeurs sur les dépens et des observations présentées en réponse par les demanderesses, que les parties sont en désaccord sur diverses questions, dont celle de savoir si les déclarations publiques des défendeurs ont ou non encouragé des tiers à contrefaire les brevets de Monsanto, et celle de savoir si les défendeurs ont refusé de conclure un règlement en 2007 et pour quel motif. Les parties ne s’entendent pas non plus quant à savoir si la demande principale des demanderesses au procès visait ou non une [traduction] « évaluation des dommages » de l’ordre de 200 $ l’acre de récolte contrefaite.  

 

[8]               Pour les besoins de l’espèce, il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur ces différends, si ce n’est pour faire remarquer que la description que font les défendeurs de l’objet du litige dans le cadre du procès et leur affirmation selon laquelle ils ont obtenu [traduction] « gain de cause en grande partie » doivent être corrigées. Ce sont les demanderesses qui ont obtenu gain de cause. Il doit être clair, à la lecture des motifs rendus par la Cour le 26 mars 2009, que tout « gain de cause » que peuvent avoir obtenu les défendeurs est inhérent à la réparation sous forme de reddition de compte choisie par les demanderesses. 

 

[9]               Pour les motifs qui seront exposés ci-dessous, il n’est pas utile que la Cour commente plus avant les désaccords des parties. Comme il sera expliqué, la Cour ne croit pas que les offres qui ont été portées à son attention par l’une ou l’autre partie devraient avoir quelque incidence que ce soit sur les dépens. Quant à l’allégation selon laquelle les défendeurs auraient incité des tiers à la contrefaçon, le reproche le plus sévère que l’on puisse faire aux agriculteurs défendeurs, de l’avis de la Cour, est qu’ils ont encouragé une conception du droit afférent aux dommages‑intérêts qui, pour erronée qu’elle soit, n’est pas ridicule au point de n’avoir pas été déjà plaidée sérieusement devant la Cour par des membres distingués du barreau œuvrant dans le domaine des brevets.

 

Analyse

[10]           Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thibodeau c. Air Canada, 2007 CAF 115, l’attribution de dépens a pour but d’indemniser partiellement, d’inciter au règlement et de prévenir les comportements abusifs. La Cour d’appel a aussi fait remarquer que « [l]e tarif B se veut un compromis entre une pleine compensation de la partie gagnante et l’imposition d’un écrasant fardeau à la partie perdante », et que « [l]a colonne III vise les cas d’une complexité moyenne ou habituelle ».  

 

[11]           Le paragraphe 400(3) des Règles énumère différents facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens et d’en déterminer le montant. Ces facteurs comprennent notamment le résultat de l’instance; les sommes réclamées et les sommes recouvrées; l’importance et la complexité des questions en litige; le partage de la responsabilité; l’existence d’offres écrites de règlement; le défaut d’une partie de reconnaître ce qui aurait dû être admis; la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile; toute autre question que la Cour « juge pertinente ».  

 

[12]           En l’espèce, les deux parties ont attiré l’attention de la Cour sur leurs offres de règlement respectives. Les demanderesses n’avancent pas que l’offre de 2005 ou celle de 2007 suffit à donner ouverture à l’attribution du double des dépens prévue à l’article 420 des Règles, mais elles invitent néanmoins la Cour à tenir compte de ces offres au titre du paragraphe 420(3).

 

[13]           L’offre de règlement présentée par les demanderesses en 2005 prévoyait que chacun des défendeurs paierait 10 000 $ et que les défendeurs achèteraient collectivement 30 000 $ de produits Monsanto. L’offre de 2007 proposait un paiement collectif de 15 000 $ et l’achat de 15 000 $ de produits Monsanto. Dans leurs observations, les demanderesses ont précisé que les débours relatifs à ces ententes n’incluaient pas la partie portant sur le produit, parce que [traduction] « les défendeurs auraient acheté des herbicides et des semences de toute façon ». Elles plaident aussi que [traduction] « si les défendeurs avaient conclu le règlement proposé en 2005 ou celui proposé en 2007, ils auraient bénéficié d’un accès continu aux technologies agricoles de Monsanto, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ».  

[14]           Les défendeurs soutiennent que ces offres ne devraient pas entrer en ligne de compte, à défaut de quoi il faut en tenir compte à leur pleine valeur. Ils déclarent qu’ils ont clairement fait savoir à Monsanto que la disponibilité de produits Monsanto leur importait peu, ce que confirme une lettre incluse à l’onglet 15 du mémoire de médiation conjoint. Ils écrivent : [traduction] « Lier le règlement à l’achat de produits Monsanto profite à Monsanto, puisque les agriculteurs seraient tenus d’acheter un produit Monsanto dont ils ne veulent pas et ne pourraient pas tirer avantage de produits de substitution moins dispendieux offerts sur le marché ».  

 

[15]           De l’avis de la Cour, la prétention des demanderesses selon laquelle il convient de faire abstraction de la partie achat de leurs offres de règlement  – ce qui rendrait l’offre de 2007 plus ou moins équivalente aux profits accordés en bout de ligne en 2009 – est indéfendable. La Cour souscrit aux arguments des défendeurs sur ce point. J’ajouterai que le fardeau que ces ententes auraient imposé aux défendeurs n’est pas susceptible d’une simple quantification pécuniaire et qu’il est évident que les ententes auraient bénéficié à Monsanto en leur garantissant des achats sur lesquels ils n’auraient pas autrement pu compter et qui auraient même été improbables. Cela étant, on ne saurait conclure que les offres de règlement des demanderesses, y compris celle de 2007, étaient comparables, même en gros, au résultat obtenu au procès. Il va sans dire que la Cour n’ordonnerait jamais une réparation s’apparentant aux conditions de règlement proposées par Monsanto, sauf sur contentement des parties. C’est pourquoi je ne tiendrai pas compte des offres des demanderesses pour la détermination des dépens. Par conséquent, il importe peu de savoir quelle partie est responsable de l’échec de ces offres de règlement et quel est le motif de cet échec.  

[16]           Quant à la meilleure offre écrite des défendeurs, soit un règlement fondé sur un paiement comptant de 7 200 $, établi en fonction des droits de licence acquittés par Monsanto pour sa technologie brevetée relative au soya, ce montant est inférieur d’environ cinquante pour cent au montant de profits accordé. Les défendeurs auraient pu réduire leur responsabilité relative aux profits s’ils avaient présenté des meilleurs relevés de dépenses au procès, mais ils ne l’ont pas fait. De ce fait, l’écart entre l’offre de règlement et les profits accordés par la Cour est tout simplement trop important pour que l’offre ait une incidence sur les dépens.

 

[17]           Bien que l’offre qui aurait été faite par les défendeurs à la conférence préparatoire du 1er avril 2008 se situe apparemment dans la fourchette des profits que la Cour a finalement accordés, cette information n’a pas été régulièrement versée en preuve, et la Cour n’en tiendra pas compte. 

 

[18]           En ce qui concerne la prétendue perte de temps causée par le défaut des défendeurs de se conformer aux Règles des Cours fédérales concernant la preuve d’expert, qui a forcé les demanderesses à se préparer pour un contre-interrogatoire qui n’a jamais eu lieu, des irrégularités de la sorte, quoique regrettables, ne sont ni inhabituelles ni exceptionnelles. En l’espèce, la Cour n’a pas eu à consacrer beaucoup de temps à cette question, et le temps que l’avocat des demanderesses a consacré à préparer le contre-interrogatoire a vraisemblablement été inclus dans le projet de mémoire de frais présenté à la Cour, sous l’article 13, « Honoraires d’avocats ». De plus, cette irrégularité a été plus que compensée par la conduite d’ensemble des défendeurs, par exemple la franchise de leur témoignage, leur collaboration avec l’avocat de la partie adverse et leurs admissions, qui ont accéléré l’instance et permis de circonscrire les questions en litige.

 

[19]           Enfin, pour ce qui est de l’argument selon lequel la Cour devrait suivre la décision rendue dans Dimplex, précitée, et ordonner le paiement de dépens selon un échelon plus élevé que l’échelon habituel en raison du caractère intentionnel de la contrefaçon des défendeurs, aucun principe général ne pose que la contrefaçon intentionnelle d’un brevet devrait être punie par l’adjudication de dépens plus élevés. Par ailleurs, les faits de Dimplex peuvent être distingués de ceux de l’espèce; dans Dimplex, la défenderesse était une société de pointe qui, incapable de trouver une solution de remplacement compétitive, a choisi de copier une recette éprouvée dans laquelle la demanderesse avait des droits. En l’espèce, les parties ne sont pas des concurrents commerciaux. En outre, dans Dimplex, la décision d’adjuger les dépens selon la fourchette supérieure de la colonne V a été prise à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, notamment la quantité considérable de travail que la demanderesse a dû accomplir pour faire valoir ses droits et l’existence de propositions de règlement qui auraient permis à la défenderesse de réaliser des économies considérables. Aucun de ces facteurs n’est présent en l’espèce.

 

[20]           Étant donné que la présente affaire n’est pas inhabituellement complexe, et compte tenu de mon appréciation des différents autres facteurs invoqués par les parties, je ne crois pas qu’il soit justifié en l’espèce de déroger à la colonne par défaut du tarif, en dépit des arguments des demanderesses. Partant, je fixerai les dépens d’après le projet de mémoire de frais des demanderesses, en réduisant la partie des honoraires d’environ cinquante pour cent, de façon à ramener les montants à la médiane de la colonne III.

 

[21]           Par conséquent, les dépens seront fixés à 10 000 $ pour les honoraires et à 3 209,55 $ pour les débours, soit un total de 13 209,55 $ plus la TPS. Une ordonnance sera rendue en conséquence dans le jugement formel rendu sur l’action principale.  

 

                                                                                                             

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 10 juillet 2009

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1545-05

 

INTITULÉ :                                                   MONSANTO CANADA INC. et

                                                                        MONSANTO COMPANY c.

                                                                        LAWRENCE JANSSENS, RONALD JANSSENS et

                                                                        ALAN KERKHOF

                                                                       

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 janvier 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur B. Renaud

L. E. Trent Horne

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Donald R. Good

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bennett Jones s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Donald R. Good & Associates

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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