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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20090929

Dossier : IMM-453-09

Référence : 2009 CF 977

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2009

En présence de l’honorable Louis S. Tannenbaum

 

 

ENTRE

FATIMA MUHAMMAD (alias RAJA ALI MUHAMMAD),

RAJA FATIMA (alias KANIZ FATIMA),

MAKKI AMNA (alias AMNA MAKKI)

MAKKI MAMOONA (alias MAMOONA MAKKI) et

SHERAZ MUHAMMAD (alias MUHAMMAD OMER)

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à une décision datée du 8 janvier 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]               Fatima Muhammad (alias Raja Ali Muhammad), le demandeur principal, soutenait que par suite de son mariage avec Raja Fatima (alias Kaniz Fatima), la demanderesse principale, une musulmane chiite, de même que de sa propre conversion ultérieure au chiisme, sa famille et lui-même avaient été victimes de persécution dans le pays dont ils avaient la citoyenneté, le Pakistan, aux mains des membres du Sipah-e-Sahab (SSP) et de sa propre famille, d’obédience sunnite.

 

[3]               Cependant, la SPR a relevé un certain nombre d’incohérences dans les allégations des demandeurs principaux ainsi que dans les preuves présentées à l’appui de ces allégations. Le tribunal a donc conclu que la persécution dont ils disaient avoir été victimes au Pakistan était une invention, et il a rejeté pour cette raison-là leur demande d’asile.

 

[4]               Les questions que la Cour doit trancher sont les suivantes :

 

  • La Commission a-t-elle commis une erreur de fait qui a fait en sorte que le rejet de la demande d’asile des demandeurs était déraisonnable?
  • La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs en rendant sa décision sans tenir compte de certains éléments de preuve qui lui avaient été soumis?

 

[5]               Le tribunal écrit dans ses motifs que la demanderesse a déclaré que son frère appartient à la même religion qu’elle et qu’il est sunnite. Le tribunal a conclu que cette déclaration portait un coup fatal à la demande, car la demanderesse est sunnite et il n’existe aucune preuve digne de foi de sa conversion. La demanderesse a fait état de son affidavit initial, dans lequel elle déclarait se souvenir qu’à cette partie-là de l’audience, le commissaire ne lui avait pas demandé si son frère était chiite, mais plutôt si son cousin l’était. Elle a répondu qu’il était sunnite, en parlant de son cousin. Après examen de la transcription de l’audience, aux pages 427 et 428 du dossier du tribunal, il est vrai que le commissaire lui a posé la question au sujet de son cousin, mais pas de son frère. La demanderesse a répondu que son cousin était de la même religion qu’elle parce que c’est la vérité – tous deux sont musulmans. Quand le commissaire a demandé à la demanderesse si son cousin est chiite, elle a répondu que non, parce que c’est la vérité – il est sunnite. La demanderesse a expliqué au commissaire que, dans leur société, certains sont sunnites et d’autres chiites, mais cela ne veut pas dire qu’ils appartiennent à une religion différente. Selon les demandeurs, il ressort manifestement du dossier que le tribunal a commis une grave erreur de fait, qui a touché au cœur même de sa décision. Le tribunal lui-même écrit que cette réponse, à propos du fait que le frère est sunnite, portait un coup fatal à la demande. Il est évident, après avoir examiné cette partie de la transcription, que les réponses de la demanderesse étaient directes, cohérentes et véridiques et que c’est bel et bien le tribunal qui a mal compris ou mal interprété les réponses de la demanderesse. Les demandeurs soutiennent qu’il y a lieu de faire droit à la présente demande pour ce seul motif, car cette erreur entache irrémédiablement la validité de la décision du tribunal.

 

[6]               Les demandeurs soutiennent par ailleurs que le tribunal a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs en rendant sa décision sans tenir compte de certains éléments de preuve. Outre le fait que le tribunal a fait abstraction d’éléments de preuve cruciaux, soit des lettres portant sur l’affiliation chiite des demandeurs, ces derniers soutiennent que le tribunal omet également de mentionner que M. Sib De Hassan a témoigné à l’appui de leur demande. Dans son témoignage, M. Hassan a déclaré que le demandeur s’était bel et bien converti au chiisme et que les deux demandeurs avaient été forcés de quitter le Pakistan à cause de la persécution qu’ils subissaient de la part de la famille du demandeur.

 

[7]               Les demandeurs soutiennent en outre qu’en dépit de cette preuve orale longue et détaillée, le tribunal écrit qu’il n’y avait aucune preuve digne de foi que le demandeur s’était converti. Le tribunal omet même de mentionner ce témoignage, qui portait sur cette question précise. Il est loisible au tribunal de prendre en considération les éléments de preuve et de faire abstraction de ceux qui ne sont pas pertinents, mais il se doit aussi de prendre en considération et de signaler les éléments de preuve qui sont pertinents pour ses conclusions. Il est manifeste que cela n’a pas été fait en l’espèce. Au lieu de cela, le tribunal a tout simplement fait abstraction de cet élément de preuve, qui était crucial pour la demande de protection des demandeurs. Il s’agit là d’une omission flagrante dans les motifs, qui justifie également l’intervention de la Cour.

 

[8]               Le défendeur prétend qu’étant donné que les conclusions relatives à la crédibilité sont des conclusions de fait, la Cour a toujours accordé beaucoup de retenue aux conclusions de la SPR à cet égard. Dans le passé, la norme de contrôle applicable à ces conclusions était la décision manifestement déraisonnable. Même si la Cour suprême du Canada, par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, a maintenant fait disparaître cette norme de contrôle, il convient encore d’accorder une grande retenue à l’égard des conclusions de fait de cette nature. Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême a souligné qu’il convient encore de faire preuve d’une retenue considérable envers le décideur si c’est la décision raisonnable (ou la « raisonnabilité ») qui est la norme applicable.

 

[9]               Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur au moment d’apprécier leur crédibilité, mais le défendeur est d’avis que les conclusions que le tribunal a tirées au sujet de la crédibilité appartiennent aux issues possibles et acceptables. Il invoque les arguments suivants à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité que contestent les demandeurs.

 

[10]           La SPR a tiré une inférence négative du fait que le demandeur n’a pas mentionné dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) sa confession religieuse, c’est-à-dire musulman chiite. Au dire du tribunal, l’épouse du demandeur avait répondu à la même question en disant qu’elle était chiite. Le défendeur soutient que cette omission n’est certainement pas un facteur déterminant en l’espèce, compte tenu surtout de ce que le demandeur a déclaré dans l’exposé circonstancié de son FRP. Mais il s’agissait là de l’une des nombreuses omissions et divergences signalées par le tribunal qui suscitent des doutes quant à la crédibilité des demandeurs.

 

[11]           Même si le demandeur s’est censément converti au chiisme et a été victime de persécution et même s’il a reconnu qu’il y a des différences théologiques entre les sectes sunnite et chiite, il a semblé ne pas pouvoir faire la distinction entre les confessions des mosquées qu’il fréquentait au Canada. L’inférence défavorable quant à la crédibilité que la SPR a tirée à cet égard fait certainement partie des issues possibles et acceptables.

 

[12]           À l’audience, il a été demandé au demandeur s’il détenait un certificat délivré par la personne qui l’avait converti à la confession chiite. Il a répondu que non. Selon la réponse donnée à la demande d’information par la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la conversion entre la secte sunnite et le chiisme est habituellement officialisée par une lettre d’un membre supérieur du clergé de la secte en question, qui confirme la conversion, et ce document n’est pas difficile à obtenir. Les demandeurs soutiennent qu’étant donné que le nom du défendeur des droits de la personne qui, à Lahore, a fourni cette information à la Direction des recherches est inconnu et que, selon l’information fournie, les certificats sont « habituellement » disponibles, la SPR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait qu’un tel certificat n’a pas été produit. En réponse, le défendeur soutient que les demandeurs ont confirmé devant la SPR que la conversion du demandeur avait eu lieu en présence d’un dirigeant religieux. Il leur incombait de dire pourquoi le dirigeant religieux qui avait été témoin de la conversion n’avait pas pu leur fournir un certificat. Les demandeurs ne l’ont pas fait. Comme l’indique la transcription de l’audience, les réponses que le demandeur a données pour dissiper les doutes du tribunal à cet égard étaient vagues et non pertinentes.

 

[13]           Pour ce qui est de l’argument selon lequel le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle en indiquant que le frère de la demanderesse était sunnite, le défendeur soutient que, premièrement, comme il est indiqué dans les motifs, il s’agissait là de l’une des questions qui a aussi porté un coup fatal à la demande. Par conséquent, même sans l’évaluation de la SPR concernant le témoignage de la demanderesse sur la confession de sa famille, la demande d’asile aurait été rejetée. Deuxièmement, comme le révèle la transcription de l’audience, le tribunal avait des doutes au sujet des déclarations de la demanderesse, à savoir que son cousin et elle étaient membres de la même secte et que ce cousin était sunnite. Par conséquent, même si la SPR, dans ses motifs, a fait référence par erreur au frère de la demanderesse plutôt qu’à son cousin, il n’en demeure pas moins que cette dernière a confirmé devant le tribunal que son cousin et elle appartenaient à la secte sunnite, et il s’agissait là de l’un des facteurs qui a miné la crédibilité du récit des demandeurs à propos de leur persécution au Pakistan.

 

[14]           Dans les motifs de la décision, le commissaire indique ce qui suit :

 

Kaniz s’est fait ensuite demander si son frère était chiite et elle a répondu : [traduction] « Non, il est sunnite. » Je trouve que cette réponse est fatale quant à la demande d’asile. Le fondement de la demande d’asile est que Kaniz est chiite et que les problèmes de Raja Ali sont attribuables à son mariage et à sa conversion subséquente. Étant donné que Kaniz est sunnite et que je ne dispose d’aucun élément de preuve fiable selon lequel Raja Ali s’est converti, je conclus que la famille a inventé une histoire sur laquelle fonder une demande d’asile.

 

[15]           Dans sa conclusion, le commissaire écrit :

 

Fatima Muhammad (alias Raja Ali Muhammad) et Raja Fatima (alias Kaniz Fatima) ont menti au tribunal lorsqu’ils se sont présentés comme étant des musulmans chiites, alors qu’ils étaient en fait des musulmans sunnites, selon le témoignage de Mme Kaniz Fatima. Leur demande d’asile est par conséquent rejetée.

 

[16]           Je suis d’avis que le commissaire a commis une erreur de fait en interprétant le témoignage. Il a conclu que Fatima Muhammad et Raja Fatima avaient menti au tribunal en se faisant passer pour des musulmans chiites, alors qu’ils étaient en fait des musulmans sunnites, et il a décrété qu’à cause de cela il fallait rejeter leur demande d’asile. Cette conclusion du tribunal n’est pas étayée par la preuve et, pour cette seule raison, il convient d’annuler la décision.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la décision de la Section de la protection des réfugiés, datée du 8 janvier 2009, est annulée à toutes fins utiles. L’affaire est renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle décision. Les parties n’ont soumis aucune question de portée générale à certifier, et aucune ne le sera.

 

 

 

                                                                                                            « Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


 

JURISPRUDENCE CONSULTÉE PAR LA COUR

 

1.    Valtchev c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 1131

2.    Leung c. Canada (M.E.I.) (1994), 81 F.T.R. 303

3.    Jeyaraj c. Canada (M.C.I.), 2009 CF 88

4.    Gomez-Bedoya c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 505

5.    Woolaston c. Canada (M.M.I.), [1973] R.C.S. 102

6.    Mohacsi c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 586

7.    J.O. c. Canada (M.C.I.), 2004 FC 1189; [2004] A.C.F. no 1426

8.    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] A.C.S. no 9

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-453-09

 

INTITULÉ :                                       FATIMA MUHAMMAD (alias RAJA ALI MUHAMMAD) et al. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 JUILLET 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT Tannenbaum

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 29 SEPTEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Mario D. Bellissimo

 

POUR LES DEMANDEURS

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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