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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale


Date: 20090729

Dossier : IMM-5654-08

Référence : 2009 CF 778

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2009

En présence monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

RAJWANSH NIJJAR

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision rendue le 9 décembre 2008 (la décision) par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par laquelle celle‑ci a accueilli la demande de sursis d’exécution d’une mesure de renvoi présentée par la défenderesse.

 

 

 

 

 

L’HISTORIQUE

 

[2]               La défenderesse est une citoyenne de l’Inde et elle est née le 26 juin 1980. Elle est entrée illégalement au Canada, munie d’un faux passeport, à l’aéroport international de Vancouver le 11 mai 2002. Elle a obtenu le statut de réfugiée au Canada le 30 janvier 2004.

 

[3]               La défenderesse a demandé le statut de résidente permanente au Canada à titre de personne à protéger, mais aucune décision finale n’a encore été rendue quant à cette demande.

 

[4]               La défenderesse a épousé Kulwant Singh Bhathal le 3 mars 2007. Sa fille, Kirat Bhathal, est née le 13 novembre 2007.

 

[5]               Le 22 juin 2007, à Vancouver, la défenderesse a été déclarée coupable, en Cour suprême de la Colombie‑Britannique, de trois chefs d’accusation : voies de fait graves, agression armée et séquestration. Le 17 septembre 2007, elle a été condamnée à six ans et 10 mois d’emprisonnement, à être purgés concurremment.

 

[6]               Le 2 janvier 2008, un agent d’exécution de l’ASFC a, en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi, déclaré la défenderesse interdite de territoire pour grande criminalité en raison de ses trois déclarations de culpabilité. Le 10 janvier 2008, dans un rapport de CIC au dossier, un agent d’exécution de l’ASFC a recommandé que [traduction] « l’ASFC procède au renvoi, si nécessaire, après l’appel de l’avis de danger délivré contre elle ».

 

[7]               Une mesure d’expulsion a été prise contre la défenderesse le 7 avril 2008.

 

[8]               La défenderesse a interjeté appel de la mesure de renvoi à la SAI pour le seul motif que les considérations d’ordre humanitaire justifiaient la prise d’une mesure spéciale, compte tenu des circonstances.

 

[9]               L’audience de la SAI a eu lieu le 25 novembre 2008 et la SAI a rendu de vive voix une décision motivée par laquelle elle a accordé un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure de renvoi. La SAI a rendu sa décision le 9 décembre 2008.

 

[10]           La SAI a conclu que la défenderesse devrait se voir accorder, moyennant certaines conditions, un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[11]           La SAI a examiné les facteurs énoncés dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 et a souligné que les infractions ont été commises dans le cadre d’une agression commise par trois personnes sur une autre et que l’agression comportait une planification et une préméditation de la part de la défenderesse et de ses coaccusés (membres de la famille) envers un parent, une personne qui entretenait une relation de confiance avec eux. L’incident a comporté de la violence avec une arme utilisé contre une femme et ce n’est que par chance que la victime n’a subi aucune lésion corporelle grave bien que celle‑ci a subi un traumatisme émotionnel. La défenderesse a également refusé de reconnaître toute participation aux infractions ou toute culpabilité à l’égard des infractions et prétend qu’il existe un complot contre elle dans le système de justice criminelle. La défenderesse n’a également participé à aucun programme de thérapie ou de réhabilitation. La SAI a souligné que ces facteurs n’ont pas joué en faveur de la défenderesse.

 

[12]           La SAI a toutefois souligné que le risque posé par la défenderesse pour la société est peu élevé. Elle n’a fait l’objet que des trois déclarations de culpabilité et rien ne prouve qu’elle a commis des actes de violence, en Inde ou au Canada, avant ou après ses déclarations de culpabilité. Elle a également respecté toutes les conditions de sa mise en liberté sous caution après sa mise en accusation ainsi que les dispositions relatives à sa libération conditionnelle. La défenderesse ne vit pas et n’entretient aucun lien avec les membres de la famille qui ont comploté avec elle. Selon le rapport présentenciel, ces membres de la famille auraient eu une très grande influence sur elle.

 

[13]           La SAI a discuté de la vie que mène actuellement la défenderesse. Celle‑ci vit actuellement avec son bébé, son mari et la famille élargie de ce dernier. Selon les membres de la famille étendue, la défenderesse n’est pas coupable des infractions dont elle a été déclarée coupable et ils appuient son appel.

 

[14]           Le SAI a souligné que la défenderesse, au cours des six années qu’elle a passées au Canada, a durement travaillé pour s’établir. Elle est mariée et elle a un enfant qui est citoyen canadien. Elle a travaillé à temps plein (sauf lorsqu’elle était en prison) et sa connaissance limitée de l’anglais ne l’a pas empêché de fonctionner dans la société canadienne.

 

[15]           La SAI a tenu compte de l’incidence sur les membres de la famille de la défenderesse si celle‑ci était renvoyée du Canada. Sur le plan financier, la défenderesse dépend en partie de sa famille élargie. La SAI a conclu que « le renvoi de l’appelante du Canada sans son mari et son enfant occasionnerait des bouleversements sur le plan financier et émotionnel ». Elle a présumé que la contribution financière de la défenderesse à l’achat du camion de la famille prendrait fin si celle‑ci était renvoyée.

 

[16]           La SAI a également tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant de la défenderesse, qui était âgé de un an lorsque la décision a été rendue. La SAI a estimé qu’il est préférable qu’un enfant soit élevé par ses deux parents et que si la fille de la défenderesse retournait en Inde, comme elle est en bas âge, elle aurait besoin de soins médicaux continus et d’un accès au système scolaire, ce qui n’est pas une garantie en Inde.

 

[17]           Il a été démontré à la SAI que la famille éprouverait des difficultés financières si elle retournait en Inde et qu’elle pourrait être exposée à des dangers car c’est en raison des menaces que la défenderesse a reçues des propres membres de sa famille qu’elle a demandé le statut de réfugiée au sens de la Convention.

 

[18]           La SAI a reconnu que la défenderesse avait passé la plus grande partie de sa vie en Inde, qu’elle y a fait ses études, qu’elle parle la langue du pays et qu’elle était parfaitement intégrée à cette société. Toutefois, elle était une réfugiée au sens de la Convention provenant de ce pays et elle éprouverait des difficultés si elle était renvoyée dans ce pays ou ailleurs. Le seul pays où la défenderesse pourrait être renvoyée est « le pays dans lequel elle fait face à un danger reconnu ». Par conséquent, la SAI a admis que  l’appelante « ferait face à des difficultés relativement importantes si elle était renvoyée du Canada ».

 

[19]           La SAI a conclu ce qui suit :

Après avoir examiné tous ces facteurs, je tiens à dire, Madame Nijjar, que j’aurais fait droit à votre appel si ce n’était du fait que vous avez été impliquée dans une série de circonstances très graves et que vous avez refusé aujourd’hui d’admettre tout degré de responsabilité pour votre implication dans le crime pour lequel vous avez été déclarée coupable. Par conséquent, en raison de la gravité de ce facteur, des infractions dans lesquelles vous avez été impliquée et de votre refus d’admettre tout degré de responsabilité pour votre comportement, je ne suis pas prête à faire droit à l’appel. Toutefois, je conclus également qu’il existe un certain nombre d’autres facteurs favorables qui m’empêchent de rejeter tout simplement l’appel. En conséquence, je vais ordonner le sursis de la mesure de renvoi, sous réserve de conditions. Cela vous permettra, Madame Nijjar, de démontrer que vous ne présentez pas de risque pour la société canadienne et que le soutien de votre famille et les efforts que vous avez déployés pour couper les liens avec les influences négatives de votre vie ont porté fruit.

 

Je vais ordonner le sursis à la mesure de renvoi pendant trois ans, parce que j’estime qu’il vous faut suffisamment de temps pour démontrer que vous ne présentez plus de risque pour la société canadienne.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

 

[20]           Le demandeur soumet la question suivante :

1)                  La SAI a commis une erreur de droit lorsqu’elle a pris en compte les difficultés dans le pays de renvoi où, en vertu du paragraphe 115(1) de la Loi, la défenderesse ne peut être renvoyée.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[22]           Le demandeur prétend que la prise en compte des difficultés auxquelles serait confronté un demandeur lorsque l’ordonnance d’expulsion ne précise pas le pays de destination et lorsqu’on ne sait pas exactement de quel pays il pourrait s’agir, est une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte : Balathavarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1550 (C.A.F.) (Balathavarajan), au paragraphe 5.

 

[23]           La défenderesse prétend que le rôle de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire n’est pas de substituer son appréciation de la preuve à celle de SAI. Son mandat constitutionnel se restreint plutôt à juger si la décision de la SAI respecte les limites prévues par la Loi. Voir : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du travail), [2003] 1 R.C.S. 539.

 

[24]           La défenderesse prétend que la norme de contrôle dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle du caractère raisonnable car elle tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir : Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 708 et Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

[25]           La question soulevée par le demandeur comporte une erreur de droit que j’ai déjà examinée selon la norme de la décision correcte. Voir Balathavarajan.

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        La SAI a commis une erreur en prenant en compte le pays où la défenderesse serait vraisemblablement renvoyée

 

[26]           Le demandeur prétend que comme la défenderesse a été déclarée réfugiée au sens de la Convention le 29 janvier 2004 par la Section de la protection des réfugiés, la commissaire de la SAI a commis une erreur de droit en concluant que la défenderesse serait confrontée à des difficultés si elle était renvoyée en Inde. En vertu de l’article 115 de la Loi, une personne à protéger qui a obtenu le statut de réfugiée au sens de la Convention ne peut pas être renvoyée du Canada vers un pays où elle risque la persécution.

 

[27]           Le demandeur invoque Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, aux paragraphes 32, 33 et 58, où la Cour suprême du Canada a confirmé que la SAI peut tenir compte des difficultés possibles à l’étranger lorsqu’elle doit décider si elle confirme une ordonnance d’expulsion. La Cour suprême du Canada a également conclu que la SAI devrait aussi prendre en considération les possibilités réalistes, comme la situation dans le pays de destination probable même si, au moment de l’audition de l’appel, on ne sait pas avec une certitude absolue quel sera finalement le pays de destination. Cependant, la Cour suprême du Canada a également conclu qu’il était possible qu’on ne puisse pas déterminer le pays de destination probable dans le cas d’un réfugié au sens de la Convention parce que l’article 53 de l’ancienne Loi sur l’immigration (maintenant l’article 115 de la LIPR) interdit le renvoi dans un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée. Dans de tels cas, il n’y a aucun pays de destination probable au moment de l’appel, de sorte que la SAI ne peut pas prendre en compte les difficultés à l’étranger.

 

[28]           Le demandeur affirme que si la SAI ne peut pas déterminer un « pays de destination probable », il n’est pas nécessaire de tenir compte de la question des difficultés à l’étranger. Lorsque le pays de destination est déterminé, le cas échéant, il est alors possible d’examiner la question des difficultés dans le forum approprié. Le demandeur invoque également Balathavarajan, aux paragraphes 5 à 10, et souligne que la question à certifier suivante sur cette question a reçu une réponse négative :

La mesure d’expulsion qui vise un résident permanent qui s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention et qui précise comme seul pays de citoyenneté le pays dont il s’est enfui en tant que réfugié est-elle suffisante, sans plus d’éléments, pour établir que ce pays est le pays de destination probable, de sorte que l’arrêt Chieu s’applique et que, saisie de l’appel de cette mesure d’expulsion, la SAI doit tenir compte des difficultés auxquelles l’intéressé risque d’être exposé dans ce pays?

 

 

[29]           Le demandeur prétend que la SAI a commis une erreur en concluant que la défenderesse serait exposée à des difficultés lors de son renvoi en Inde. La SAI a également reconnu que le tribunal n’était saisi d’aucun élément de preuve indiquant qu’elle pourrait être renvoyée dans un autre pays. La défenderesse n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait renvoyée en Inde et, parce qu’elle est une réfugiée au sens de la Convention, elle est protégée, en vertu de l’article 115 de la Loi, contre le refoulement. Par conséquent, la SAI a commis une erreur de droit en tenant compte des difficultés possibles en Inde alors qu’il ne s’agissait pas d’une destination « probable » au moment de l’audition de l’appel.

 

[30]           Le demandeur a également prétendu que la défenderesse avait omis de traiter la seule question soulevée par le ministre, d’autant plus que le ministre ne met pas en doute le caractère raisonnable de la décision de la SAI ni l’importance des facteurs pris en compte par la SAI lorsqu’elle a conclu qu’il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants qui pourraient justifier l’octroi d’une mesure spéciale. Le seul motif est que la SAI a commis une erreur de droit en tenant compte des difficultés que subirait la défenderesse dans le pays où elle serait renvoyée alors que, en vertu du paragraphe 115(1) de la Loi, la défenderesse était protégée contre le refoulement.

 

[31]           Le demandeur souligne que la défenderesse affirme que l’analyse faite par la SAI des « difficultés » liées au renvoi du Canada doit être distinguée de toute analyse de difficultés occasionnées par le retour en Inde qui ont un lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur affirme qu’il s’agit « précisément de l’erreur commise par la SAI » car la SAI s’est attardée sur les difficultés liées au renvoi en Inde et elle a reconnu qu’il peut être difficile de renvoyer la défenderesse dans un pays où elle a été acceptée comme réfugiée au sens de la Convention. Encore une fois, le demandeur souligne que, en raison de Balathavarajan, au paragraphe 7, la SAI ne peut pas déterminer le « pays de destination probable » dans le cas d’un réfugié au sens de la Convention en raison de la disposition de non-refoulement prévue à l’article 115 de la Loi. Par conséquent, la SAI n’avait pas à examiner cette question.

 

La défenderesse

 

[32]           La défenderesse prétend que, selon la SAI, les principaux facteurs qui militaient en sa faveur étaient les facteurs suivants :

1)                  L’intérêt supérieur de son enfant né au Canada;

2)                  Elle n’a fait l’objet d’aucune déclaration de culpabilité, ni avant, ni après les déclarations de culpabilité en cause;

3)                  Elle s’est pleinement conformée aux conditions de cautionnement après les accusations qui ont été portées contre elle et à ses conditions de mise en liberté conditionnelle après sa peine d’emprisonnement;

4)                  Elle ne vit plus avec les membres de sa famille qui étaient ses cocomploteurs et elle ne les fréquente plus;

5)                  Elle vit avec son bébé, son mari et la famille élargie de ce dernier et mène un mode de vie différent de celui qu’elle menait auparavant, à savoir un mode de vie dans lequel ses cocomploteurs étaient réputés exercer une influence importante sur elle;

6)                  Elle jouit de l’appuie de sa famille et le milieu stable que celle‑ci lui offre dans la collectivité aura vraisemblablement une influence positive sur elle;

7)                  Le risque qu’elle pose pour la société est faible;

8)                  Elle a travaillé dur au cours de sa vie au Canada;

9)                  Son renvoi du Canada sans son mari et son enfant occasionnerait des bouleversements sur le plan financier et émotionnel.

 

[33]           La défenderesse affirme que la décision était fondée sur une [traduction] « analyse approfondie de l’ensemble des facteurs énoncés dans Ribic ». La défenderesse prétend également que le demandeur [traduction] « n’a pas établi que cette décision n’appartenait pas aux décisions possibles acceptables que pouvait rendre la SAI ». Elle affirme également que [traduction] « le demandeur n’a pas établi que l’application à la présente espèce des facteurs énoncés dans Ribic équivaut à une erreur de droit importante commise par la SAI dans sa décision ».

 

[34]           La défenderesse souligne que la Cour a signalé qu’« elle n’[a] pas à disséquer les motifs du tribunal administratif, mais plutôt à chercher à comprendre ce qui a essentiellement motivé celui-ci à rendre sa décision sur le fondement du dossier ». La Cour doit plutôt déterminer si les motifs de la SAI, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Voir : Burianski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CFPI 826, au paragraphe 40; Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan 2003 CSC 20 (Ryan), au paragraphe 56, et Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1450, aux paragraphes 22 à 32.

 

[35]           La défenderesse prétend que la prise en compte des facteurs énoncés dans Ribic a amené la SAI à sa conclusion. Si l’un quelconque des motifs suffit à étayer la conclusion, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour  de révision ne doit pas intervenir : Ryan.

 

[36]           La défenderesse affirme avec insistance que la SAI a donné plusieurs [traduction] « explications défendables pour justifier sa décision » et que [traduction] « l’analyse de la SAI des “difficultés” liées à son du Canada doit être distinguée de toute analyse de difficultés occasionnées par le retour en Inde qui ont un lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention ». La défenderesse affirme que la SAI s’est attardée sur les difficultés auxquelles elle  et sa famille seraient confrontées si elle était renvoyée du Canada, plutôt que si elle était renvoyée en Inde.

 

[37]           La défenderesse prétend que, en ne sollicitant pas un avis de danger avant l’audition de l’appel qu’elle a interjeté, les principes énoncés dans Chieu (invoqués par le demandeur) ont été minés.

 

L’ANALYSE

 

[38]           Selon moi, il ne fait aucun doute que la SAI a commis une erreur en traitant en l’espèce les difficultés lors du renvoi en Inde comme s’il s’agissait de l’un des facteurs énoncés dans Ribic. En vertu de l’article 115 de la LIPR, la défenderesse ne peut pas être renvoyée en Inde parce qu’elle a été reconnue comme réfugiée au sens de la Convention dans ce pays.

 

[39]           Comme le demandeur le souligne, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Chieu, a clairement précisé qu’il était possible qu’on ne puisse pas déterminer le pays de destination probable dans le cas d’un réfugié au sens de la Convention en raison de l’article 53 de l’ancienne Loi sur l’immigration (maintenant l’article 115 de la LIPR). Dans de tels cas, il n'y a aucun pays de destination probable au moment de l'appel, de sorte que la SAI ne peut pas considérer les difficultés à l'étranger. Voir Chieu, aux paragraphes 32, 33 et 58.

 

[40]           Plus récemment, la Cour d’appel fédérale, dans Balathavarajan, a examiné la question et elle a clairement précisé que Chieu s’applique dans les cas comme celui en l’espèce :

7     Cependant, le juge Iacobucci a aussi expliqué, au paragraphe 58, qu’il était possible qu’on ne puisse pas déterminer le pays de destination probable dans le cas d’un réfugié au sens de la Convention parce que l’article 53 de l’ancienne Loi sur l’immigration (maintenant l’article 115 de la LIPR) interdit le renvoi « dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques » à moins qu’il appartienne à une catégorie non admissible et que, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada ou un danger pour la sécurité du Canada. La Cour a conclu que « [d]ans de tels cas, il n’y a aucun pays de destination probable au moment de l’appel, de sorte que la SAI ne peut pas considérer les difficultés à l’étranger ». Par conséquent, si la SAI ne peut pas déterminer un « pays de destination probable », il n’est pas nécessaire de tenir compte de la question des difficultés à l’étranger. Lorsque le pays de destination est déterminé, le cas échéant, il est alors possible d’examiner la question des difficultés dans le forum approprié.

 

8     L’appelant s’appuie sur la décision Soriano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 29 Imm. L.R. (3d) 71 (C.F. 1re inst.), et soutient que la SAI a l’obligation de tenir compte des difficultés possibles en l’espèce. Dans Soriano, un réfugié au sens de la Convention faisait l’objet d’une mesure d’expulsion vers le Salvador, le pays dont il s’était enfui, qui ne pouvait être exécutée. Le juge Campbell a conclu, au paragraphe 8, que la SAI avait commis une erreur lorsqu’elle avait omis de tenir compte des difficultés possibles auxquelles le demandeur serait exposé, puisque l’ordonnance d’expulsion précisait que le Salvador était le pays de destination.

 

9     L’affaire en l’espèce se distingue de la décision dans l’affaire Soriano, précitée. Dans Soriano, le pays de destination était connu. En l’espèce, le ministre n’a pas précisé le pays de destination et, au moment où l’appel devant la SAI a eu lieu, il n’avait pas pris les mesures prévues au paragraphe 115(2) de la LIPR pour expulser l’appelant. Au moment où l’appel devant la SAI a eu lieu, il était non seulement improbable, mais juridiquement inapproprié de renvoyer l’appelant au Sri Lanka. La SAI n’aurait pu qu’échafauder des hypothèses si elle avait examiné les difficultés auxquelles l’appelant pouvait être exposé s’il était expulsé au Sri Lanka. Elle n’avait pas besoin de le faire.

 

 

[41]           La défenderesse ne conteste pas vraiment ce point de vue ou le fait que l’agent a commis une erreur à cet égard. La défenderesse prétend toutefois qu’il ne s’agit pas d’une erreur obligeant la tenue d’un nouvel examen parce que la décision était raisonnable et qu’elle tient en elle-même au regard des conclusions tirées par l’agent en fonction des cinq autres facteurs énoncés dans Ribic.

 

[42]           Je suis d’accord avec le demandeur pour affirmer que l’erreur commise par l’agent était une erreur de droit et qu’elle est contrôlable selon la norme de la décision correcte. Voir Balathavarajan, au paragraphe 5. Toutefois, peu importe la norme de contrôle, cette décision doit être renvoyée pour nouvelle examen. J’ai examiné attentivement la décision et les difficultés auxquelles la défenderesse et sa famille seraient confrontées lors de leur renvoi en Inde ont été clairement un facteur important que l’agent a pris en compte lorsqu’il a soupesé l’ensemble des facteurs énoncés dans Ribic. Il n’est tout simplement pas possible d’affirmer que la décision aurait été la même si l’agent n’avait commis aucune erreur ou qu’elle est autrement raisonnable.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La présente demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent;

 

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                            IMM-5654-08

 

INTITULÉ :                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                c.

                                                RAJWANSH NIJJAR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 juillet 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Helen Park                                                                   POUR LE DEMANDEUR

 

Roger S. Bhatti                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

                       

Roger S. Bhatti                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Avocat

Surrey (C.‑B.)

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