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Date : 20090918

Dossier : T-351-08

Référence : 2009 CF 933

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

LI MIN (« AMANDA ») WU

demanderesse

et

 

BANQUE ROYALE DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er février 2008 par un arbitre (l’arbitre) désigné par le ministre fédéral du Travail en vertu de la section XIV de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2. L’arbitre a rejeté la plainte de congédiement injustifié déposée par la demanderesse contre la défenderesse.

 

[2]               La demanderesse demande :

1.         une ordonnance annulant la décision de l’arbitre de rejeter la plainte de congédiement injustifié présentée par la demanderesse contre la défenderesse;

2.         une ordonnance renvoyant la plainte de la demanderesse, accompagnée de directives, à un arbitre désigné en vertu de la section XIV de la partie III du Code pour que ce dernier rende une nouvelle décision;

3.         toute autre ordonnance que la Cour juge indiquée;

4.         les dépens de la présente procédure.

 

Contexte

 

[3]               La langue maternelle de Mme Li Min Wu (la demanderesse) est le mandarin; elle est née en Chine. Elle a trouvé du travail dès son arrivée au Canada, auprès de H&R Block et de JP Morgan Chase. La demanderesse avait plusieurs comptes chez la défenderesse et était devenue l’une de ses clientes peu après son arrivée au Canada.

 

[4]               Le 9 mai 2005, la demanderesse a été embauchée à titre d’agente du service d’assistance à la clientèle au centre Visa de la défenderesse. Après un an, la demanderesse a obtenu le poste d’agente d’ouverture de crédit. Au moment de son embauche, la défenderesse a demandé à la demanderesse de signer un formulaire de divulgation et de consentement pour une vérification préalable à l’embauche. Une des conditions de l’offre d’emploi était que la demanderesse devait lire le « Code de déontologie » (le Code) de la défenderesse, attester l’avoir lu et s’y conformer. Son emploi lui permettait de bénéficier de privilèges bancaires tels que les virements entre comptes sans frais.

 

[5]               La demanderesse a reçu une formation initiale d’une durée de six semaines, et réussi un examen concernant le Code en obtenant 30 points sur un maximum possible de 33. Tous les employés de la défenderesse sont tenus une fois par année ou aux deux ans de réussir le programme d’apprentissage en ligne portant sur le Code. Les articles du Code qui concernent des manquements entraînant un congédiement immédiat sont marqués de deux astérisques. Un des manquements signalés est le « détournement de fonds »; le « tirage à découvert » entre dans cette catégorie.

 

[6]               Dans son témoignage, la demanderesse a affirmé qu’elle se souvenait que le Code faisait partie de la trousse qu’on lui avait remise lors de son premier jour de travail, mais qu’elle n’était pas certaine de l’avoir lu ou d’y avoir porté attention. Elle ne se souvenait pas avoir reçu de formation au sujet du tirage à découvert, des détournements de fonds ou de la fraude pendant son emploi. Elle a affirmé qu’il avait été peu question du Code au cours de son emploi, mais qu’il en était fait mention, à tout le moins brièvement, pendant ses évaluations trimestrielles.

 

[7]               La défenderesse a reconnu que la demanderesse était une bonne employée.

 

[8]               Dans le cadre de ses responsabilités à titre d’agente d’ouverture de crédit, la demanderesse était au fait des limites de crédit accordées aux titulaires de cartes. Les clients peuvent dépasser leur limite de crédit de 5 à 10 pour cent, et parfois même de 100 pour cent, c’est qu’on appelle la « zone tampon » ou le « coussin ». La « zone tampon » est établie en se reportant à un certain nombre de facteurs qui sont désignés sous le nom de TRIAD et qui incluent la cote de solvabilité, le ratio d’endettement, le revenu, les historiques de compte et les transactions antérieures avec la Banque.

 

[9]               La demanderesse et son époux avaient plusieurs comptes chez la défenderesse, notamment une Marge de Crédit Royale (MCR) garantie par une hypothèque sur leur résidence.

 

[10]           En 2005, la défenderesse a approuvé une demande de carte Visa Platine soumise par la demanderesse. La limite de crédit initiale était de 14 500 $, mais elle est passée à 29 500 $ en 2006. La demanderesse dit avoir vu la convention de titulaire de carte datée du mois de juillet 2003 plutôt que celle datée du mois de novembre 2005 lorsqu’elle a reçu sa carte. Cela a été souligné parce que la clause suivante figurait dans la convention de titulaire de carte Visa du mois de novembre 2005 : [traduction] « [la limite de crédit est] le montant maximal que nous vous autorisons à porter à votre compte Visa pour vos achats, avances de fonds, intérêts et frais ». Elle prévoyait également que la défenderesse pouvait permettre que le client excède sa limite de crédit en autorisant des transactions la dépassant, et elle précisait que la défenderesse pouvait refuser de telles transactions, exiger paiement et facturer des frais de dépassement de limite de crédit. De plus, la convention permettait à la défenderesse de prélever des sommes dans d’autres comptes du client pour acquitter les sommes dues au compte Visa, et elle interdisait les paiements [traduction] « dépassant [la] limite de crédit à moins que le montant [dû] au moment du paiement ne soit supérieur [à la] limite établie ». La convention de titulaire de carte de 2003 ne contenait pas cette restriction.

 

[11]           Le 22 juin 2006, l’unité de la défenderesse chargée de la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme (Entreprise Anti-Money Laundering and Terrorism Unit, ci‑après appelée l’unité EAMLAT) a avisé les services d’enquête de la défenderesse que la demanderesse se servait de son compte Visa, assujetti à un taux d’intérêt était de 1,9 pour cent, pour obtenir des avances de fonds importantes qu’elle virait sur son compte MCR, qui lui était assujetti à un taux d’intérêt variable. Selon l’unité EAMLAT, les fonds [traduction] « circulaient d’un compte à l’autre de façon à épargner les intérêts ».

 

[12]           Les services d’enquête ont affecté un enquêteur au dossier. Ce dernier a demandé à un analyste des Services d’enquête d’examiner les comptes en remontant jusqu’à janvier 2006. L’enquêteur a préparé un tableau qui retraçait le déplacement de fonds entre le compte d’employé, le compte Visa et la MCR de la demanderesse.

 

[13]           L’enquête a révélé que les transactions étaient effectuées selon le schéma suivant. Le 29 mai, le 1er juin, le 8 juin, le 12 juin, le 15 juin, le 22 juin et le 27 juin 2006, la demanderesse a eu recours au même procédé : elle déposait dans son compte d’employé des chèques Visa manuscrits, dont le montant se situait entre 25 000 et 39 500 $ — de sorte que le solde total du compte pouvait se situer, lui, entre 84 500 et 110 500 $ (elle déposait lesdits chèques, qui dépassaient de beaucoup la limite de crédit Visa, au guichet automatique, dans l’ordre, suivant leur date) dans les trois à sept jours suivants les chèques étaient crédités à son compte Visa et dans l’intervalle la demanderesse virait une somme équivalant aux montants des chèques de son compte d’employé à son compte MCR, réduisant ainsi le solde à payer et, du même coup, les intérêts dus à la défenderesse; enfin, la demanderesse effectuait d’importants virements vers son compte Visa.

 

[14]           La défenderesse soutient que les transactions constituaient des opérations de tirage à découvert, une pratique qui contrevient au Code de la défenderesse.

 

[15]           L’enquêteur a noté que la demanderesse déposait dans son compte d’employé des chèques Visa manuscrits, tirés sur sa carte Visa. L’utilisation de chèques manuscrits, à la différence des chèques comportant des numéros de compte préimprimés, retarde le traitement de plusieurs jours, car ils sont soumis à un processus de saisies des données à Toronto. Par contre, les virements étaient effectués rapidement, habituellement par voie électronique.

 

[16]           L’utilisation des chèques Visa est régie par la convention des titulaires de carte. Un énoncé, joint aux chèques, indique que ces derniers ne peuvent être utilisés pour acquitter un compte Visa de la RBC, et que si la limite de crédit du compte est dépassée, le chèque sera refusé.

 

[17]           Le 28 juin 2006, la défenderesse a bloqué les comptes de la demanderesse. Une fois les chèques traités, la demanderesse avait un solde créditeur de 55 272,49 $ dans son compte Visa et un solde débiteur de 74 664,40 $ dans son compte d’employé. La défenderesse a utilisé le solde créditeur pour réduire le solde négatif du compte d’employé, ramenant ainsi le solde débiteur dudit compte à 19 391,91 $, que la demanderesse a réglé le 19 juillet 2006.

 

[18]           Le 10 juillet 2006, l’enquêteur a organisé une réunion avec la demanderesse et le superviseur de cette dernière, M. Calabrese, au centre Visa où travaillait la demanderesse. Cette dernière s’est montrée très contrariée pendant l’entretien, particulièrement en raison du fait que l’enquêteur s’était présenté à son travail. La demanderesse a signé un formulaire attestant qu’on lui avait donné des explications pendant la réunion sur certains de ses droits et qu’on lui avait indiqué qu’elle était libre de partir en tout temps.

 

[19]           L’enquêteur a avisé la demanderesse qu’elle faisait l’objet d’une enquête parce qu’on la soupçonnait d’avoir détourné des fonds et d’avoir eu recours au tirage à découvert. Elle a affirmé n’avoir jamais entendu ces termes, mais a reconnu d’emblée avoir effectué des virements entre comptes pour économiser des intérêts. La demanderesse a affirmé qu’elle prenait de l’argent de son compte Visa, mais qu’elle le remboursait toujours, que cela n’avait rien à voir avec son travail, et que la défenderesse lui permettait d’agir ainsi en mettant les fonds à sa disposition. Elle a déclaré que si de tels virements n’étaient pas permis, elle s’abstiendrait d’en faire.

 

[20]           La demanderesse a fait l’objet d’une suspension à la suite de l’entretien. Le 12 juillet 2006, le Groupe des services consultatifs a recommandé le licenciement de la demanderesse en invoquant les motifs suivants : les virements avaient été effectués de manière méthodique et délibérée; la valeur des virements dépassait la limite de crédit autorisée; la demanderesse utilisait des chèques et le guichet automatique pour tirer parti du délai de traitement des chèques; par son statut d’employée, la demanderesse connaissait le système bancaire; la demanderesse a obtenu un avantage financier, représentant environ 14,00 $ par jour; les transactions exposaient la Banque à un risque. La défenderesse a congédié la demanderesse le même jour, affirmant que la Banque n’avait plus confiance en [traduction] « son honnêteté et son intégrité » et que la demanderesse n’avait pas fourni d’explication satisfaisante.

 

[21]           Le 19 mars 2007, le ministre fédéral du Travail a désigné l’arbitre Ib S. Petersen pour entendre la plainte de congédiement injustifié présentée par la demanderesse.

 

[22]           Il s’agissait de déterminer si les opérations de tirages à découvert ou les détournements de fonds reprochés à la demanderesse constituaient des motifs valables de la congédier et, si la réponse s’avérait négative, d’établir les mesures de réparation auxquelles avait droit la demanderesse à la suite d’un congédiement injustifié.

 

Décision de l’arbitre

 

[23]           L’arbitre a conclu que le témoignage de la demanderesse soulevait de sérieux doutes. De l’avis de l’arbitre, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle en savait peu sur le Code, le tirage à découvert et les détournements de fonds était peu plausible parce qu’elle connaissait nécessairement ces concepts et les lignes directrices en question en raison de son emploi. Il était également difficile de croire à l’ignorance de la demanderesse étant donné qu’elle avait réussi un test sur le Code, en obtenant 30 points sur un maximum de 33, et qu’elle avait répondu correctement à une question portant sur la notion de tirage à découvert. L’arbitre a également conclu qu’il était difficile d’accepter le témoignage de la demanderesse selon lequel elle avait lu les sections du Code portant sur les opérations boursières et les conflits d’intérêts, et non celles qui traitaient des détournements de fonds et de tirage à découvert parce qu’elles [traduction] « ne la concernaient pas ». Enfin, l’arbitre a noté que la demanderesse est intelligente et ambitieuse, qu’elle s’est trouvé un emploi tout de suite après avoir quitté la Chine, et qu’elle a obtenu des notes élevées aux examens de la défenderesse, ce qui était incompatible avec les réponses qu’elle a fournies.

 

[24]           Quant au fond de la plainte, l’arbitre a conclu qu’il n’était pas chose simple de dissocier le travail de la demanderesse chez la défenderesse et sa relation avec cette dernière à titre de cliente. L’arbitre s’est appuyé sur la décision DS c. ReMax United Ltd., [1992] NJ no 157 pour asseoir le principe selon lequel l’employeur peut imposer des mesures disciplinaires seulement si l’inconduite est liée au travail, si elle nuit aux activités de l’employeur ou si elle fait en sorte que l’employé ne peut plus s’acquitter de ses obligations professionnelles. L’arbitre a ensuite indiqué que la question à trancher était de savoir si la conduite de la demanderesse, dans les circonstances, justifiait la prise de mesures disciplinaires. Il a signalé que l’offre d’emploi et le formulaire de divulgation et de consentement signés par la demanderesse faisant mention de l’obligation de se conformer au Code, tout comme les évaluations trimestrielles, qu’elle avait également signées. L’arbitre a donc rejeté l’argument voulant que la demanderesse puisse invoquer qu’elle ignorait le Code. Même si la demanderesse n’était pas au fait du contenu du Code, elle avait le devoir de le lire et de s’y conformer.

 

[25]           L’arbitre a ensuite examiné la question du motif valable de congédiement, et il a appliqué le critère adopté en contexte non syndiqué dans la décision Kelowna Flightcraft Air Charter Ltd. c. Kmet, [1998] A.C.F. n740 (C.F. 1re inst.) :

[traduction] Premièrement, l’employé a-t-il fourni à l’employeur un motif juste et raisonnable de lui imposer des mesures disciplinaires? Si oui, la décision de l’employeur de congédier l’employé constituait-elle excessive compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire? Enfin, si l’arbitre estime que le congédiement était une mesure excessive, quelle autre mesure serait juste et équitable?

 

[26]           L’arbitre a conclu que la demanderesse n’a pas eu recours au tirage à découvert tel que défini dans le Code ou l’Intranet de la RBC, puisque ces définitions visent les virements de fonds entre deux ou plusieurs institutions financières. Toutefois, de l’avis de l’arbitre, il s’agissait quand même d’opérations de tirage à découvert dans la mesure où la demanderesse a détourné des fonds de la Banque à son propre avantage, de façon à réduire la somme qu’elle devait à la Banque. Pour ce faire, la demanderesse a manipulé le [traduction] « flottant bancaire » et gonflé artificiellement les soldes de son compte Visa et de son compte d’employé.

 

[27]           Les transactions effectuées par la demanderesse justifiaient la prise de mesures disciplinaires. Les chèques rédigés par la demanderesse dépassaient largement la zone tampon normalement consentie aux titulaires de cartes en sus de leur limite de crédit. À titre d’employée du centre Visa et d’agente du service d’assistance à la clientèle, la demanderesse devait nécessairement être au courant des limites de crédit. De plus, les transactions constituaient des détournements de fonds.

 

[28]           L’arbitre a également rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel sa conduite n’était pas intentionnelle. De l’avis de l’arbitre, elle n’avait peut-être pas l’intention de commettre un délit « criminel », mais sa conduite était « planifiée, délibérée, répétitive et calculée » et « visait à manipuler ses comptes pour épargner des intérêts ». L’arbitre a même suggéré qu’elle était peut‑être animée par une intention frauduleuse lorsque, lors d’une même visite,elle a déposé au guichet automatique trois enveloppes contenant chacune un chèque.

 

[29]           L’arbitre s’est ensuite penché sur la question de savoir si le congédiement constituait une sanction excessive. Il a noté que le Code de la défenderesse prévoyait que le tirage à découvert et le détournement de fonds étaient susceptibles d’entraîner un congédiement immédiat, mais il a signalé ne pas être lié par le point de vue de la défenderesse à cet égard.

 

[30]           L’arbitre s’est appuyé sur l’arrêt McKinley c. BC Tel, [2001] 2 R.C.S. 161, pour déterminer si le congédiement constituait une sanction excessive. Il a noté qu’il fallait tenir compte des circonstances du congédiement, notamment :

            1.         la gravité de l’infraction;

            2.         la nature préméditée et répétitive de l’infraction;

            3.         les années de service et le dossier disciplinaire de l’employé;

            4.         le fait que des mesures disciplinaires antérieures n’ont pas corrigé le problème;

5.                  l’application cohérente de la politique de l’employeur en matière de congédiement.

 

[31]           L’arbitre a conclu que le congédiement n’était pas une sanction excessive compte tenu de toutes les circonstances. Il était d’avis que l’inconduite de la demanderesse était grave. Il a également conclu que l’inconduite était « préméditée, répétitive, délibérée et calculée, et [qu’elle s’était] produite sur une longue période [...] ». Il a également conclu que la demanderesse avait tiré un avantage des transactions. Elle était selon lui « [...] une employée compétente et dévouée dont le dossier disciplinaire était sans tache [...] », mais il a noté que la décision de la congédier s’inscrivait dans une application cohérente des politiques de la défenderesse et que la demanderesse n’avait pas été ciblée de manière particulière. Enfin, il a jugé préoccupant que la demanderesse « refuse encore d’apprécier la nature de son inconduite et d’en assumer la responsabilité. [La demanderesse] a continué de nier toute conduite irrégulière et, au lieu, a blâmé la Banque de lui avoir [traduction] « permis » de faire ce qu’elle a fait ».

 

Questions à trancher

 

[32]           La demanderesse a soumis les questions suivantes à notre attention :

1.         L’arbitre a-t-il outrepassé sa compétence en confirmant le congédiement de la demanderesse :

                        (a)        en raison d’actes non reliés à son travail;

(b)        contrairement aux politiques, pratiques et lignes directrices en matière de discipline de la défenderesse.

 

2.         L’arbitre a-t-il contrevenu aux principes de la justice naturelle ou de l’équité procédurale :

(a)                en confirmant le congédiement de la demanderesse, qui est d’origine asiatique, qui est née en Chine et dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, en faisant un examen différentiel de son congédiement sur la base desdits motifs, par contraste avec les mesures disciplinaires comparables imposées dans des circonstances similaires à des employés qui sont d’origine asiatique, qui sont nés en Chine et dont la langue maternelle n’est pas l’anglais;

(b)               en ne fournissant pas d’interprète;

(c)                en ne permettant pas à la demanderesse, pendant son contre-interrogatoire, de consulter son avocate concernant un document présenté en preuve (la pièce no 7) que l’avocate n’avait pas vu auparavant, et quant à la question de savoir si, du fait que la demanderesse avait déclaré qu’elle ne voulait pas travailler pour la défenderesse, toute demande de réintégration était exclue;

(d)               en ne laissant pas à la demanderesse le temps de se calmer et de consulter son avocate concernant la question de savoir si le fait d’avoir déclaré qu’elle ne voulait pas travailler pour la défenderesse constituait un retrait de sa demande de réintégration, en tant que mesure de réparation.

 

3.                  L’arbitre a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur soit manifeste ou non à la lecture du dossier, contrairement à l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi), notamment en confirmant le congédiement de la demanderesse :

(a)                malgré un dossier disciplinaire sans tache, celle‑ci n’ayant fait l’objet d’aucune mise en garde ou mesure disciplinaire antérieure concernant sa conduite;

(b)               pour une conduite approuvée de manière implicite ou expresse par la défenderesse ou ses représentants, la défenderesse ne pouvant en raison de l’approbation manifestée et de ses actes prendre des mesures disciplinaires contre la demanderesse ou la congédier;

(c)                alors que des actions ou les déclarations de la défenderesse ou de ses représentants ont amené la demanderesse à la prétendue inconduite;

(d)               bien que la défenderesse n’ait pas subi de préjudice en raison des actions de la demanderesse;

(e)                en se fondant sur des erreurs de droit concernant le sens des termes « tirage à découvert » et « détournement de fonds ».

 

4.                  L’arbitre a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont il disposait, contrairement à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, notamment en confirmant le congédiement de la demanderesse :

(a)                malgré un dossier disciplinaire sans tache, celle‑ci n’ayant fait l’objet d’aucune mise en garde ou mesure disciplinaire antérieure concernant sa conduite;

(b)               pour une conduite approuvée de manière implicite ou expresse par la défenderesse ou ses représentants, la défenderesse ne pouvant en raison de l’approbation manifestée et de ses actes prendre des mesures disciplinaires contre la demanderesse ou la congédier;

(c)                alors que les actions ou les déclarations de la défenderesse ou de ses représentants ont amené la demanderesse à la prétendue inconduite;

(d)               bien que la défenderesse n’ait pas subi de préjudice en raison des actions de la demanderesse;

(e)                en se fondant sur des erreurs mixtes de droit et de fait concernant le sens des termes « tirage à découvert » et « détournement de fonds ».

(f)                 en se fondant sur des conclusions de fait erronées, notamment en ce qui concerne : les raisons pour lesquelles la demanderesse a effectué les transactions; les coûts que la défenderesse a supportés en raison de ces transactions; le Code de déontologie de la défenderesse et sa politique de retenue de chèques; les découverts autorisés sur les comptes de la demanderesse; et la connaissance qu’avait la demanderesse du Code de déontologie de la défenderesse et de sa politique de retenue de chèques.

 

[33]           Je reformulerais les questions de la manière suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         L’arbitre a-t-il outrepassé sa compétence?

3.                  L’arbitre a-t-il contrevenu aux principes de l’équité procédurale?

4.                  L’arbitre a-t-il commis une erreur en confirmant le congédiement de la demanderesse?

 

Les observations de la demanderesse

 

[34]           La demanderesse avait un dossier disciplinaire sans tache, celle‑ci n’ayant fait l’objet d’aucune mise en garde ou mesure disciplinaire antérieure concernant sa conduite. Des actions ou des déclarations de la défenderesse l’ont amenée à la prétendue inconduite. Par conséquent, la défenderesse ne peut prendre de mesures disciplinaires contre la demanderesse ou la congédier. De plus, la décision de confirmer le congédiement reposait sur des conclusions de fait erronées concernant les raisons pour lesquelles la demanderesse a effectué les transactions, le Code de déontologie de la défenderesse et sa politique en matière de retenue de chèques, les découverts autorisés sur les comptes de la demanderesse, et la connaissance qu’avait la demanderesse du Code de déontologie de la défenderesse. Qui plus est, des erreurs de droit concernant le sens des termes « tirage à découvert » et « détournement de fonds » étaient également à la base de la décision de l’arbitre. La demanderesse estime qu’elle utilisé son compte Visa et ses autres comptes à titre de cliente et non à titre d’employée de la Banque. Sa conduite ne concernait aucunement son emploi. Enfin, la défenderesse n’a pas subi de préjudice en raison de la conduite de la demanderesse.

 

[35]           Il était déraisonnable que l’arbitre admette le tableau des transactions préparé par l’enquêteur, M. Montgomery, que la défenderesse avait soumis à son attention. L’arbitre a accepté la thèse voulant qu’il y ait eu une perte de 14 $ par jour, sans expliquer de quelle manière on pouvait parvenir à cette conclusion.

 

[36]           L’arbitre n’a pas examiné de façon appropriée la manière dont la défenderesse a congédié la demanderesse. À deux reprises, la demanderesse a été privée de son droit à l’assistance d’un avocat et de son droit de quitter la salle d’entrevue.

 

[37]           La demanderesse conteste aussi la manière dont l’arbitre a agi compte tenu du fait qu’elle avait choisi de se représenter elle-même à l’audience. L’arbitre n’a pas tenu compte des difficultés auxquelles était confrontée la demanderesse à cet égard, malgré la décision Wagg c. Canada, [2003] A.C.F. no 1115, dans laquelle la Cour d’appel fédérale précise qu’« [i]l semble établi qu’un juge de première instance devant lequel comparaît un plaideur non représenté a l’obligation d’appeler l’attention de ce plaideur vers les points saillants du droit et de la procédure ».

 

[38]           La demanderesse était une employée dévouée et honnête. Elle a été congédiée peu après avoir eu vent qu’on la soupçonnait d’avoir commis des irrégularités. La demanderesse soutient qu’il est déraisonnable que l’arbitre ait conclu que ses actions étaient intentionnelles parce qu’elle a viré des fonds d’un compte à un autre pour économiser des intérêts. Il était déraisonnable pour l’arbitre de conclure qu’on ne pouvait vraisemblablement pas lui attribuer un « mobile criminel », tout en concluant que ses actions méritaient la sanction disciplinaire la plus sévère dont disposait la défenderesse.

 

[39]           La demanderesse fait valoir que des facteurs atténuants devaient être pris en compte. La formation offerte à la demanderesse sur les questions qui ont mené à son congédiement était insuffisante; elle n’a reçu aucune mise en garde; elle était une employée dévouée et fière; elle s’est efforcée de remédier à la prétendue inconduite; et elle a en tout temps fait preuve de franchise et d’honnêteté en ce qui concerne ses activités. L’arbitre n’a accordé aucun poids à ces facteurs et son analyse mettait déraisonnablement l’accent sur un côté de la médaille.

 

Les observations de la défenderesse

 

La norme de contrôle judiciaire

 

[40]           La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). Les tribunaux accordent le degré de déférence le plus élevé aux décisions rendues par un arbitre en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985) ch. L-2 (le Code). La clause privative du Code stipule qu’il ne faut pas ignorer les compétences particulières des arbitres, et cela se reflète dans les décisions des tribunaux (North c. West Region Child and Family Services Inc., 2005 CF 1366, au paragraphe 16, et Kelowna Flightcraft Air Charter c. Kmet, [1998] 149 F.T.R. 246). Les tribunaux ne procèdent pas à une nouvelle appréciation de la preuve. Dans la mesure où le dossier renferme des éléments de preuve qui étayent les conclusions de l’arbitre, le tribunal ne devrait pas intervenir dans le cadre du contrôle judiciaire.

 

Le lien entre les transactions et l’emploi

 

[41]           L’arbitre a conclu avec justesse qu’il n’était pas possible de dissocier les opérations bancaires effectuées par la demanderesse sur ses comptes personnels de son emploi. La demanderesse a tiré avantage de ses connaissances concernant les délais de traitement des chèques pour obtenir un bénéfice financier au détriment de la Banque. Il y avait un lien clair entre la conduite reprochée et la relation d’emploi.

 

[42]           La confiance est une des pierres angulaires du Code de déontologie de la défenderesse, tout comme l’obligation d’éviter toute activité qui pourrait remettre en question « [l’]honnêteté, [l’]intégrité ou [la] loyauté ». Dans les décisions M. c. Royal Bank of Canada, [2000] C.L.A.D. no 149 (paragraphe 56) et Fawson c. Bank of Montreal, [1996] C.L.A.D. no 527, les arbitres ont confirmé le congédiement d’employés de banque à la suite d’inconduites se rapportant à des opérations bancaires personnelles.

 

[43]           La demanderesse n’avait pas « le droit » d’effectuer les transactions en question. Le système de détection de la fraude a relevé les transactions de la demanderesse, lesquelles contrevenaient à la convention de titulaire de carte Visa du mois de novembre 2005.

 

Le congédiement était contraire aux politiques de la défenderesse

 

[44]           Le congédiement de la demanderesse n’était pas, comme le suggère cette dernière, contraire aux politiques de la défenderesse. Le Code de déontologie comportait des sections marquées de deux astérisques signalant les circonstances justifiant un congédiement immédiat. Les conclusions de fait de l’arbitre à cet égard commandent une grande déférence.

 

L’équité procédurale

 

[45]           Si la demanderesse estimait qu’on la privait de son droit à l’équité procédurale, elle était tenue de soulever la question dès que cela était « raisonnablement possible ». L’avocate de la demanderesse n’a pas fait valoir que sa cliente [traduction] « faisait l’objet d’un traitement différentiel en raison de sa race ou de ses origines » de la part de la défenderesse ou de l’arbitre. Par conséquent, la défenderesse est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de contrôle judiciaire pour manquement à l’équité procédurale. Indépendamment de ce qui précède, l’allégation de parti pris est dépourvue de fondement. Il n’y a aucune preuve que la demanderesse ait été traitée différemment par son employeur et l’arbitre a conclu dans sa décision que la preuve permettait de conclure que la demanderesse comprenait la procédure ainsi que les règles et politiques mises en place par la défenderesse relativement à son emploi à la Banque.

 

[46]           Il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de contrôle judiciaire du fait que la demanderesse n’a pas eu accès à un interprète. La demanderesse n’a pas soulevé la question à l’audience et aucun élément de preuve n’aurait permis de conclure qu’elle avait besoin d’une telle assistance.

 

[47]           Enfin, la défenderesse soutient qu’il n’y a pas eu de manquement à l’obligation d’agir équitablement en ce qui concerne l’obtention d’un ajournement par la demanderesse. Un ajournement avait d’ailleurs été accordé auparavant à la demanderesse, lorsque son avocate en a fait la demande.

 

La décision de confirmer le congédiement était raisonnable

 

[48]           La défenderesse soutient que la décision de l’arbitre de confirmer le congédiement de la demanderesse n’est entachée d’aucune erreur de fait ou de droit.

 

[49]           La prise de mesures disciplinaires progressives est appropriée lorsque la relation d’emploi est [traduction] « encore viable » (voir Cowan c. Royal Bank of Canada, [2003] C.L.A.D. no 292 (Blaxland)). Dans le secteur bancaire, l’employeur doit non seulement estimer que l’employé a reconnu sa responsabilité, mais que son comportement laisse croire qu’il ne fera plus preuve de malhonnêteté et qu’il ne commettra plus d’abus de confiance à l’avenir (voir Ivanore c. Canadian Imperial Bank of Commerce (1983) 3 C.C.E.L. 26).

 

[50]           L’arbitre n’a pas ignoré les années de service et le dossier disciplinaire jusque-là sans tache de la demanderesse. Toutefois, ces facteurs ne l’emportaient pas sur la gravité des transactions et le refus de la part de la demanderesse de reconnaître la gravité de son inconduite. Soupeser de tels facteurs fait partie des tâches qui relèvent des connaissances particulières et de la compétence de l’arbitre.

 

[51]           Il est essentiel que les employés de banque soient honnêtes et intègres. Dans la décision Cowan, précitée, le tribunal affirme que [traduction] « [l]a malhonnêteté chez les employés de banque justifierait en général la prise de mesures disciplinaires plus sévères que, par exemple, le recours au tirage à découvert par un magasinier travaillant dans un supermarché [...] ». Il en est ainsi en raison de la relation de confiance que les banques ont avec leurs employés.

 

[52]           La défenderesse signale que les arbitres en droit du travail ont en général confirmé les congédiements pour détournement de fonds, y compris le tirage à découvert.

 

La crédibilité

 

[53]           Les conclusions de l’arbitre concernant la connaissance qu’avait la demanderesse du Code de déontologie étaient également raisonnables. Selon la défenderesse, une évaluation raisonnable de la preuve a amené l’arbitre à conclure que la demanderesse était peu crédible quand elle prétendait avoir une connaissance limitée du Code de déontologie.

 

Les transactions étaient approuvées par la Banque

 

[54]           Les transactions n’étaient autorisées ni de manière implicite, ni de manière expresse par la Banque, si bien qu’elles ont été relevées par le service de détection des activités frauduleuses. La façon dont la demanderesse virait les fonds — en ayant recours au Libre-service Royal pour déposer séparément des chèques manuscrits — est un autre signe que la Banque n’aurait pas accepté ces transactions.

 

[55]           La demanderesse manque de cohérence dans ses explications. Pendant son témoignage, elle a affirmé d’une part qu’elle avait tiré parti d’une [traduction] « faille » dans le système après avoir découvert qu’elle pouvait effectuer des virements de fonds à partir de son compte Visa de façon à gonfler le solde de sa marge de crédit. D’autre part, la demanderesse prétend que la défenderesse avait encouragé ou approuvé sa conduite.

 

[56]           Dire, comme le fait la demanderesse, que les fonds étaient à sa disposition dans son compte bancaire à la suite des virements effectués à partir de son compte Visa s’apparente à déposer une enveloppe vide dans un guichet automatique pour ensuite prétendre avoir effectué un dépôt de 500 $. La Banque approuve la transaction, mais constate ensuite qu’il n’y a pas eu de dépôt et que, par conséquent, les fonds n’étaient pas disponibles. De la même façon, avant le traitement des chèques Visa, des fonds figuraient dans les comptes de la demanderesse malgré le dépassement de la limite de crédit de son compte Visa.

 

[57]           La défenderesse conteste la thèse voulant que les transactions ne soient pas irrégulières parce que la demanderesse disposait d’actifs, tels que son hypothèque, qui auraient permis de couvrir le découvert du compte Visa. Cet argument est dépourvu de pertinence parce que les sommes ainsi mises à la disposition de la demanderesse ne constituent pas des dépôts; il s’agit plutôt de sommes que la Banque a prêtées à la condition qu’elle lui verse des intérêts.

 

Le détournement de fonds et le tirage à découvert

 

[58]           De l’avis de la défenderesse, la conclusion de l’arbitre que la demanderesse avait détourné des fonds est un élément déterminant à la décision. L’arbitre a conclu que, bien qu’elles ne constituaient pas des opérations de tirage à découvert selon le Code de déontologie, puisque les fonds n’avaient pas été transférés entre deux ou plusieurs institutions financières, les transactions de la demanderesse constituaient un détournement de fonds au sens dudit code et au sens du Black’s Law Dictionary. Il n’est pas inhabituel que les tribunaux et les arbitres se réfèrent au Black’s Law Dictionary et il n’était pas déraisonnable de s’y reporter en l’espèce (voir Lifemax Natural Foods Ltd. (Trustee of) c. Sahota, [2003] O.J. no 5016).

 

[59]           L’arbitre a conclu que les transactions visaient à tirer avantage des délais que nécessite le traitement des chèques. Ces conclusions ont amené l’arbitre à conclure que des fonds avaient été détournés, suivant le sens donné à ce terme dans le Black’s Law Dictionary. De plus, l’arbitre a conclu que, bien qu’elles ne concernaient qu’une seule institution financière, les transactions constituaient des opérations de tirage à découvert parce qu’elles « ne nécessite[nt] pas le dépôt de chèques auprès de différentes institutions ». La défenderesse soutient que cela n’était pas déraisonnable.

 

Le caractère répréhensible

 

[60]           La défenderesse est en désaccord avec la demanderesse en ce qui concerne le caractère blâmable des actes de cette dernière. Le fait de déposer séparément trois enveloppes contenant des chèques Visa au même guichet constitue un indice que la demanderesse savait que la Banque n’approuvait pas les transactions.

 

[61]           Les observations de la défenderesse ont ensuite porté sur la jurisprudence en matière de congédiement, notamment sur la question de savoir si le congédiement constituait une sanction excessive. Selon elle, les conclusions de l’arbitre à cet égard ne montrent pas un seul côté de la médaille et ce dernier a soupesé de manière appropriée les facteurs exposés dans l’arrêt McKinley, précité.

 

[62]           La défenderesse n’est pas tenue de démontrer qu’elle a subi un préjudice particulier pour que le congédiement soit raisonnable. Ce qui importe c’est que par ses actions la demanderesse a contrevenu aux normes élevées en matière d’honnêteté et d’intégrité que doivent respecter les employés du secteur bancaire.

 

[63]           Les conclusions de l’arbitre sur la crédibilité reposaient sur un examen attentif des éléments de preuve, y compris le témoignage de la demanderesse. Tirer de telles conclusions est au cœur même du rôle de l’arbitre, de sorte que la Cour devrait hésiter à intervenir. Il était raisonnable que l’arbitre n’admette pas l’explication selon laquelle la demanderesse n’avait pas lu les renseignements portant sur le tirage à découvert et le détournement de fonds et que c’était pure chance si elle avait bien répondu à la question sur le tirage à découvert figurant dans l’examen qu’on lui avait fait passer. De plus, des arbitres ont par le passé refusé d’admettre, à titre de moyen de défense, l’ignorance d’un code de déontologie que les employés étaient tenus de connaître.

 

Les prétendues erreurs de fait

 

[64]           Les erreurs de fait alléguées ne sont pas aussi sérieuses que l’exige l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi. La Cour ne devrait pas procéder à une nouvelle appréciation de la preuve.

 

[65]           Selon la demanderesse, l’arbitre a commis des erreurs en se fondant sur le tableau préparé par l’enquêteur. La défenderesse a quant à elle soutenu que l’arbitre ne s’était pas fondé uniquement sur le tableau et qu’il avait tenu compte de tous les documents bancaires. La chronologie des transactions établie par l’arbitre était exacte. L’arbitre n’a pas tiré de conclusion déraisonnable concernant le montant de la perte subie par la Banque. Bien que l’arbitre ait fait mention de l’estimation effectuée par l’enquêteur de la Banque, soit une perte de 14 $ par jour, il n’a pas fondé sa décision sur cette évaluation.

 

Analyse et décision

 

[66]           La question no 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Les questions qui m’ont été soumises sont principalement des questions de fait ou des questions de droit et de fait, à l’exception de la question d’équité procédurale. Les questions de compétence sont généralement des questions de droit; toutefois, la manière dont la demanderesse soulève la question de compétence dans ses observations en fait une question de fait et de droit. Les autres questions ont trait à la façon dont l’arbitre a examiné et apprécié la preuve qui lui a été soumise. L’examen des conclusions de fait tient compte de l’arrêt Dunsmuir, précité, et de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi, qui stipule que la Cour peut prendre des mesures de réparation lorsqu’un arbitre a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose. Les conclusions de fait commandent le degré de déférence le plus élevé (voir Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793).

 

[67]           L’arrêt Dunsmuir, précité, décrit le cadre d’analyse permettant de déterminer la norme de contrôle applicable. Premièrement, je dois vérifier si la jurisprudence établit déjà le degré de déférence que commande la question qui m’est soumise. Si la réponse s’avère négative, je dois alors effectuer une analyse contextuelle pour choisir la norme appropriée.

 

[68]           Dans la décision Banque de Nouvelle-Écosse c. Fraser, [2000] A.C.F. no 773, le juge Campbell a conclu que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable, étant donné que le législateur a édicté une clause privative rigoureuse à l’article 243 du Code.

 

[69]           Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême a conclu qu’il y avait lieu de fondre la norme de la raisonnabilité simpliciter et celle du manifestement déraisonnable en une seule norme, soit celle de la décision raisonnable. Par conséquent, la norme de la décision manifestement déraisonnable, jugée applicable avant l’arrêt Dunsmuir, sera désormais réputée être celle de la décision raisonnable.

 

[70]           Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité).

 

Les questions liées à l’équité procédurale

 

[71]           La question no 2

            L’arbitre a-t-il outrepassé sa compétence?

            Tel que je l’ai signalé précédemment, les questions soulevées par la demanderesse ne sont pas des questions de compétence au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi. L’arbitre avait compétence pour entendre la plainte puisque le ministre fédéral du Travail l’avait désigné à cette fin. Dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec c. Canada (Conseil canadien des relations du travail), [1984] 2 R.C.S. 412, la Cour suprême du Canada a statué que les erreurs juridictionnelles visent tous les excès de pouvoir, qu’ils soient commis au début de l’audience, pendant l’audience ou à la conclusion de celle‑ci, dans les ordonnances rendues par le tribunal.

 

[72]           Force est de conclure que l’arbitre n’a pas commis d’erreur juridictionnelle. Les questions se rapportant à la conduite en dehors du travail et aux politiques de la défenderesse constituent un aspect central de l’expertise de l’arbitre chargé de rendre une décision en vertu du Code canadien du travail.

 

[73]           À mon avis, il n’y a donc pas lieu d’accueillir la demande de contrôle judiciaire sur la base du motif susmentionné.

 

[74]           La question no 3

            L’arbitre a-t-il contrevenu aux principes de l’équité procédurale?

            La demanderesse soulève plusieurs questions d’équité procédurale. Dans ses observations écrites, elle a affirmé avoir été traitée différemment parce qu’elle est d’origine asiatique, qu’elle vient de la Chine et que sa langue maternelle n’est pas l’anglais. L’avocat qui a plaidé la cause devant la Cour a signalé que les observations écrites avaient été rédigées par un autre avocat et qu’il souhaitait mettre l’accent sur les antécédents de la demanderesse dont il est question ci‑dessous.

 

[75]           La défenderesse a fait valoir que la demanderesse n’avait présenté aucune preuve attestant qu’elle avait été victime d’un traitement différentiel, si bien que l’argument était dépourvu de fondement. De plus, elle a affirmé que si la demanderesse voulait alléguer un manque d’impartialité, il aurait alors fallu qu’elle soulève la question avant que la décision de l’arbitre ne soit rendue.

 

[76]           Une analyse de l’équité procédurale porte uniquement sur les questions d’équité se rapportant à la décision administrative. Il est plus approprié d’examiner les questions que soulève la demanderesse en ce qui concerne le traitement qui lui a été réservé pendant l’enquête de la défenderesse et la manière dont elle a été congédiée en ayant recours au critère de l’arrêt McKinley, que j’applique pour répondre à la question no 4.

 

[77]           Je suis d’accord avec la défenderesse et, par conséquent, je ne vois pas de motif de conclure que la demanderesse n’a pas bénéficié de l’équité procédurale à l’étape de l’audience administrative. Comme la défenderesse, je suis également d’avis qu’il n’y a rien dans la décision qui suggère un traitement différentiel ou un parti pris, et qu’il aurait fallu que la demanderesse soulève cette question auprès de l’arbitre.

 

[78]           La demanderesse a également soutenu qu’il aurait fallu lui assurer les services d’un interprète. Toutefois, faute de preuve qu’une telle assistance est requise, le tribunal n’a pas l’obligation positive d’aviser une personne de son droit à un interprète durant une procédure (voir Garcia c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1001). Toutefois, dans l’arrêt Garcia, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S 951, avait pris soin de ne pas établir une règle absolue en confirmant le droit à un interprète dans le cadre de procédures criminelles, cette dernière ayant précisé « qu’elle ne se prononçait pas sur la possibilité qu’il soit nécessaire d’établir des règles différentes pour d’autres situations », notamment en ce qui concerne les tribunaux administratifs. Toutefois, dans l’arrêt Garcia, la Cour d’appel fédérale donne des explications claires à cet égard et je ne suis pas convaincu que le contexte factuel de l’espèce diffère considérablement du contexte factuel de cet arrêt. Dans l’arrêt Garcia, la Cour a conclu que l’appelant « a[vait] utilisé l’anglais à chacune des étapes préparatoires à l’audition devant la Commission, sans jamais faire état de difficultés linguistiques ». La situation est la même en l’espèce. Rien ne donnait à penser que la demanderesse avait besoin d’un interprète, et elle n’en pas demandé. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale à cet égard.

 

[79]           D’après la demanderesse, il y a eu manquement à l’équité procédurale du fait qu’elle a dû divulguer ses notes pendant son contre‑interrogatoire. Alimentant davantage la frustration de la demanderesse, l’arbitre ne lui a pas laissé le temps de se calmer et de parler à son avocate concernant la déclaration qu’elle avait consignée dans ses notes.

 

[80]           La défenderesse a répondu que, en vertu d’un principe bien établi, un avocat ne peut parler à son client durant le contre-interrogatoire, à moins d’avoir le consentement du tribunal ou de l’avocat de la partie adverse. Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement aux droits procéduraux de la demanderesse. De plus, l’avocate de la demanderesse aurait pu, au moment du réinterrogatoire de la demanderesse ou du plaidoyer final, faire des observations concernant les renseignements révélés à la suite de la présentation en preuve des notes de la demanderesse.

 

[81]           Je suis du même avis que la défenderesse sur ces questions. Les notes de la demanderesse ont été admises en preuve suite à une ordonnance de l’arbitre et l’avocate de la demanderesse a eu l’occasion de répondre à la demande de production soumise par la défenderesse. Cela ne contrevient pas aux règles de la preuve. L’avocate de la défenderesse aurait pu traiter des renseignements contenus dans les notes dans son plaidoyer final.

 

[82]           Pour ce qui est du refus de l’arbitre d’accorder un ajournement, la décision Wagg c. Canada, [2003] A.C.F. no 1115, est instructive. Au paragraphe 19, la Cour affirme :

[i]l est bien établi en droit que la décision d’accorder ou non un ajournement est une décision discrétionnaire, qui doit être prise équitablement (voir l’affaire Pierre c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1978] 2 C.F. 849 (C.A.), à la page 851, citée avec approbation dans l’arrêt Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, à la page 569). Il n’existe aucune présomption selon laquelle il existe un droit automatique à un ajournement. La Cour n’interviendra pas dans le refus d’accorder un ajournement sauf circonstances exceptionnelles (voir l’arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 10 Admin. L.R. (2d) 285 (C.A.F.)).

 

 

[83]           Je conclus qu’aucune circonstance exceptionnelle ne donnait ouverture au contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de poursuivre l’audience. Ce n’est pas comme si l’arbitre s’était opposé à tout ajournement. Il avait accordé un ajournement à la demanderesse plus tôt pendant l’audience. Dans ce cas particulier, l’arbitre a jugé qu’il n’y avait pas lieu d’accorder un ajournement et cette décision relevait de sa compétence. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale à cet égard.

 

[84]           La demanderesse soutient qu’un juge ou un arbitre a le devoir de porter à l’attention d’un plaideur non représenté les principaux points de droit et de procédure en jeu (Wagg, précité). Je ne crois pas qu’il s’agit là du principe fondamental qui se dégage de cette décision. Dans l’arrêt Wagg, un demandeur alléguait que le juge l’avait contraint de signer un jugement convenu et avait refusé de lui accorder un ajournement, de sorte que la procédure était inéquitable et contrevenait aux principes de justice naturelle. Quoi qu’il en soit, la demanderesse n’allègue pas que l’arbitre a omis de lui signaler des points de droit ou de procédure, mais plutôt qu’il n’a pas veillé à ce qu’elle soit représentée.

 

[85]           La demanderesse a également affirmé avoir été privée de son droit à l’équité procédurale du fait que l’arbitre ne lui avait pas accordé un ajournement pour faire appel aux services d’un avocat.

 

[86]           Dans la décision Wagg, la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit, au paragraphe 36 :

La tâche de composer avec des plaideurs non représentés retombe tout particulièrement sur les juridictions de première instance. Les juridictions de contrôle devraient se garder de rendre cette tâche encore plus difficile en censurant indûment leurs tentatives d’aider les plaideurs et de faire avancer la procédure. La responsabilité primordiale du juge de première instance est de veiller à ce que le procès soit équitable. Si, après avoir pris en compte l’ensemble des circonstances, la juridiction de contrôle est persuadée que le procès a été équitable, elle doit s’abstenir d’intervenir du seul fait que le juge du procès a pu faire, ici ou là, une entorse aux normes de la perfection.

 

[87]           Dans les motifs dissidents de l’arrêt Wagg précité, le juge Isaac signale que le tribunal n’avait « pas ici affaire à un cas où le plaideur avait tout simplement sous-estimé la complexité de son dossier ».

 

[88]           Toutefois, il semble que ce soit ce qui est arrivé à la demanderesse en l’espèce, si bien qu’elle a fait appel à une avocate dix jours avant la tenue de l’audience. Elle soutient, toutefois, qu’il était alors trop tard.

 

[89]           Je peux comprendre que la demanderesse ait pu se sentir désavantagée du fait qu’elle n’était pas représentée. Toutefois, il lui revenait de décider d’embaucher ou non un avocat. L’arbitre n’a pas commis d’erreur en ne veillant pas à ce que la demanderesse soit représentée. Je suis par ailleurs conscient que la personne qui dépose une plainte contre une grande banque dispose de ressources relativement limitées et que le rapport de force est inégal.

 

[90]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je ne puis accueillir la demande de contrôle judiciaire sur la base d’un manquement à l’équité procédurale.

 

[91]           La question no 4

            L’arbitre a-t-il commis une erreur en confirmant le congédiement de la demanderesse?

            La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions et les a qualifiées d’erreurs de droit et d’erreurs de fait. J’ai regroupé ces questions dans la catégorie des questions de fait et des questions de fait et de droit, étant donné que la norme de contrôle applicable à toutes ces questions est celle de la décision raisonnable.

 

[92]           Dans ses motifs, l’arbitre expose d’abord ses conclusions sur la crédibilité. Mon analyse porte d’abord sur ce volet étant donné qu’il met en relief chacune des questions soulevées par la demanderesse au sujet de la décision de l’arbitre de maintenir son congédiement.

 

[93]           L’arbitre affirme avoir relevé de sérieux problèmes de crédibilité en ce qui avait trait au témoignage de la demanderesse. Il constate d’abord que ses déclarations quant à ses connaissances limitées en matière de tirage à découvert et de détournement de fonds étaient peu plausibles et incohérentes. Il indique qu’il est possible que les réponses fournies à l’enquêteur lors de l’entretien initial puissent être attribuées à la surprise causée par l’entretien et son effet intimidant. Toutefois, il n’a pas été en mesure de concilier les incohérences de son témoignage et les explications fournies pendant l’audience.

 

[94]           La demanderesse conteste une conclusion aussi sévère en soulignant les nombreuses incohérences dans les témoignages présentés par la défenderesse que l’arbitre a passées sous silence. La défenderesse affirme que les conclusions de l’arbitre étaient tout à fait raisonnables.

 

[95]           Selon un principe de droit bien établi, l’évaluation de la crédibilité d’un témoin, comme l’a fait valoir la défenderesse, est [traduction] « au cœur même du rôle de l’arbitre à titre de juge des faits ». Je conclus que l’arbitre a fourni des explications raisonnables pour étayer ses conclusions. Par exemple, il a conclu que les explications avancées par la demanderesse quant à ses connaissances en matière de tirage à découvert et de détournement de fonds étaient invraisemblables parce que les renseignements pertinents avaient été mis à sa disposition lors de sa formation initiale et figuraient dans le Code de déontologie. Je n’ai pas eu l’occasion d’entendre le témoignage directement et je n’ai aucun motif d’intervenir.

 

[96]           Je passe maintenant à l’erreur de fait alléguée par la demanderesse.

 

[97]           La demanderesse ne conteste pas les faits comme tels, mais plutôt l’interprétation de l’arbitre.

 

[98]           Premièrement, l’arbitre a mal interprété le Code de déontologie sous deux aspects. Il était déraisonnable pour l’arbitre de conclure que la demanderesse connaissait la teneur du Code de déontologie. La défenderesse n’a présenté aucune preuve démontrant que la demanderesse avait reçu une formation autre que sa formation initiale, ou une formation portant plus particulièrement sur le tirage à découvert ou le détournement de fonds. De plus, la définition de ces notions dans le Code de déontologie n’englobe pas les transactions qu’elle a effectuées.

 

[99]           Deuxièmement, l’arbitre s’est fié à tort à l’évaluation de la perte, fixée à 14 $ par jour selon l’enquêteur, qui a reconnu plus tard que les calculs avaient été faits par Lawrence Kwai et non par lui; de plus, la défenderesse n’a jamais dévoilé de quelle manière M. Kwai était parvenu à ce chiffre. Selon la demanderesse, il n’y a jamais eu de perte parce qu’il y avait toujours suffisamment de fonds pour couvrir les comptes.

 

[100]       Troisièmement, l’arbitre a reproché à la demanderesse d’avoir effectué des transactions que la défenderesse avait autorisées « de manière implicite ou expresse » et c’étaient les actions ou déclarations de la défenderesse qui avaient amené la demanderesse à la prétendue inconduite. De plus, la demanderesse a soutenu qu’il y avait des erreurs et des contradictions dans le témoignage des enquêteurs. À mon avis, les conclusions de fait de l’arbitre n’étaient pas erronées. Tel que je l’ai signalé précédemment, les conclusions de fait commandent le degré de déférence le plus élevé (voir l’arrêt Dunsmuir, précité).

 

[101]       Les conclusions portant sur le détournement de fonds et le tirage à découvert étaient raisonnables. Certes, la définition donnée dans le Code de déontologie fait mention de transactions entre au moins deux institutions, mais il était quand même raisonnable que l’arbitre conclue que les transactions effectuées par la demanderesse constituaient une forme de détournement de fonds. Le Code comportait une définition générale du détournement des fonds, visant notamment le tirage à découvert. Il n’était pas incorrect de sa part de se reporter au Black’s Law Dictionary pour définir avec plus de précision le détournement de fonds et, tel que le souligne la défenderesse, ce dictionnaire est souvent utilisé dans la jurisprudence pour circonscrire des concepts juridiques.

 

[102]       De plus, s’il est vrai que la définition donnée dans le Code fait mention de transactions effectuées entre plus d’une institution financière, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, il y est également précisé que le tirage à découvert consiste à tirer avantage du délai de traitement des chèques.

 

[103]       Je conclus en outre qu’il n’était pas déraisonnable pour l’arbitre de conclure que la demanderesse savait sûrement, à titre d’employée du centre Visa, que ses transactions excédaient la « zone tampon », qui entre en jeu une fois la limite de crédit dépassée. Cette conclusion vise aussi la prétention de la demanderesse selon laquelle elle ne savait pas que, contrairement à la convention datée du mois de juillet 2003, la convention Visa datée du mois de novembre 2005 interdisait les versements excédentaires. Encore une fois, il était raisonnable de conclure que, à titre d’agente du centre Visa, la demanderesse devait connaître la teneur des dispositions de ces conventions.

 

[104]       Les conclusions qu’il a tirées quant au fait que la demanderesse devait connaître la teneur des conventions de titulaire de cartes Visa et sur ce qui constitue un détournement de fonds, ont amené l’arbitre à conclure que les transactions en question ne reposaient sur « aucune justification ou raison valide ou authentique ». Selon l’arbitre, un fait semblait particulièrement pertinent : « [l]a clé pour comprendre ces transactions, c’est que le transfert de fonds à partir du compte Visa se faisait par chèques écrits à la main et déposés dans un guichet automatique, si bien que le traitement de ces chèques nécessitait de quatre à six jours », alors que les virements des fonds vers les différents comptes étaient instantanés parce qu’effectués « en ligne ».

 

[105]       Selon l’arbitre, les transactions de la demanderesse s’apparentaient au dépôt d’une enveloppe vide dans un guichet automatique. Il a ensuite conclu que cela constituait un détournement de fonds.

 

[106]       L’arbitre a repris des extraits de la transcription de l’audience, où ces questions sont abordées. Je ne peux reconsidérer ces conclusions, n’étant d’ailleurs pas autorisé en droit à le faire. J’estime que l’arbitre a présenté un exposé détaillé des transactions et des raisons pour lesquelles elles sont visées par la définition du détournement.

 

[107]       J’ai examiné les autres observations de la demanderesse au sujet des erreurs dans le calcul de la perte encourue par la Banque. Toutefois, je suis d’accord avec la défenderesse que le montant de 14 $ par jour dont fait mention l’arbitre n’a pas en tant que tel joué de rôle significatif dans sa décision finale. L’arbitre signale que la demanderesse a réduit d’un certain montant les intérêts qu’elle devait à la Banque, qui s’élevait « selon la Banque, à 14,00 $ par jour ». Une telle formulation me suggère que l’arbitre ne s’est pas fié au chiffre exact, mais à la prémisse que les transactions visaient à payer moins d’intérêts et que, par conséquent, la Banque a été privée de ces intérêts. Il s’agit d’une conclusion cohérente.

 

[108]       Enfin, je suis d’avis que l’argument de la demanderesse selon lequel la Banque l’a amenée à commettre les transactions est sans fondement. La demanderesse avait la possibilité d’effectuer les transactions, mais cela ne veut pas dire que la Banque tolérait de telles pratiques. L’arbitre a conclu que le Code de déontologie, le site intranet de la RBC et l’entente Visa montraient tous que les transactions allaient à l’encontre de la ligne de conduite fixée par la Banque.

 

[109]       Je passe maintenant à des points cruciaux de l’argumentation soumise — notamment pendant l’audience — par la demanderesse. Elle a en effet fait valoir que le congédiement constituait une sanction excessive et que l’arbitre n’a pas appliqué l’approche contextuelle comme l’exige l’arrêt McKinley, précité.

 

[110]       La demanderesse fait valoir que l’arbitre a ignoré plusieurs facteurs atténuants, ou encore qu’il n’en a pas fait une analyse raisonnable ou qu’il leur a accordé un poids insuffisant au point de commettre une erreur.

 

[111]       La demanderesse a d’abord soutenu que l’arbitre avait commis une erreur de fait et de droit en confirmant son congédiement malgré un dossier disciplinaire sans tache, celle‑ci n’ayant auparavant fait l’objet d’aucune mise en garde ou mesure disciplinaire concernant sa conduite. Elle n’a reçu aucun avertissement au sujet de sa conduite. De plus, elle s’est efforcée de remédier à la prétendue inconduite et a fait preuve de franchise et d’honnêteté concernant ses activités.

 

[112]       La demanderesse a mis de l’avant d’autres facteurs atténuants, à savoir qu’elle était peu familière avec les pratiques et politiques canadiennes et qu’elle ignorait qu’elle commettait une faute. Elle a affirmé avoir trouvé un moyen d’économiser des intérêts, mais qu’elle disposait toujours de fonds entièrement garantis pour couvrir les dettes liées aux transactions. Et, en fin de compte, la demanderesse n’a pas commis d’acte illégal, susceptible de constituer un motif valable de congédiement. Elle insiste en outre sur le fait que la Banque n’a subi aucune perte.

 

[113]       La demanderesse estime par ailleurs qu’il ne faut pas minimiser les incidences du processus de congédiement. On l’a convoquée à une entrevue avec un ancien policier. Tel que signalé ci-dessus, étant d’origine chinoise, la demanderesse avait une perception différente des autorités policières, si bien que l’entrevue s’est révélée particulièrement bouleversante. D’après la demanderesse, il aurait fallu lui permettre de partir étant donné qu’elle en avait fait la demande à deux reprises. Le fait que l’enquêteur n’ait pas donné suite à sa demande de consulter un avocat constituait [traduction] « manifestement une erreur de sa part », comme il l’a reconnu dans son témoignage; or, l’arbitre n’aurait pas dû fermer les yeux devant cette erreur.

 

[114]       De plus, sa demande de consulter un avocat n’aurait pas dû être ignorée. L’explication fournie par l’enquêteur, M. Montgomery — à savoir qu’il avait par mégarde apporté à l’entrevue un formulaire désuet qui ne contenait pas la mention visant à rappeler la nécessité de respecter le droit de communiquer avec un avocat, et qu’il commettait pour la première fois l’erreur commise ce jour-là — confirme qu’elle a été victime d’un traitement sévère et d’omissions dont l’arbitre aurait dû tenir compte. En outre, l’arbitre a transformé les facteurs atténuants en facteurs défavorables à la demanderesse. Cette dernière soutient que l’analyse partiale de l’arbitre était manifestement déraisonnable.

 

[115]       La demanderesse n’a jamais caché le fait qu’elle avait effectué des virements entre ses comptes de la Banque Royale. Toutefois, l’arbitre a déclaré que la demanderesse refusait « d’apprécier la nature de son inconduite » et qu’elle blâmait plutôt la défenderesse pour lui avoir « permis de faire ce qu’elle a fait ».

 

[116]       Comme l’a observé la défenderesse, la pondération des facteurs « relève parfaitement de l’expertise et de la compétence de l’arbitre » (voir Green c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 379 (C.A.)). Je conclus que l’arbitre n’a pas ignoré les bons états de service de la demanderesse. De plus, il se peut que celui-ci ait conclu que la manière dont a été menée l’entrevue initiale était peu pertinente pour l’examen des questions qu’il devait trancher. Quant aux autres facteurs, il était clair que l’arbitre n’était pas du même avis que la demanderesse, et qu’il ne les a pas considérés comme des facteurs atténuants qui militaient contre le congédiement. Dans l’arrêt Green, précité, la Cour d’appel fédérale s’est clairement prononcée sur la retenue dont la Cour doit faire preuve en ce qui concerne la pondération de divers facteurs :

[13]   Il est tout aussi clair que l’arbitre n’acceptait pas l’argument que la longueur ou la qualité des états de service de M. Green l’emportait sur l’énormité qu’était l’abandon de son poste pendant 35 minutes. L’appréciation et la mise dans la balance de considérations contradictoires relèvent parfaitement de l’expertise et de la compétence de l’arbitre. Le traitement qu’elle réservait aux états de service de M. Green ne révèle aucune erreur justifiant l’intervention du juge.

 

Il n’y a donc pas eu d’erreur à cet égard.

 

[117]       D’après la demanderesse, en rendant sa décision, l’arbitre a omis de tenir compte du principe de la proportionnalité exposé dans l’arrêt McKinley, précité. Selon la Cour suprême du Canada, lorsqu’un tribunal est appelé à trancher des questions liées à l’honnêteté d’un employé, il faut appliquer une approche contextuelle — une obligation que l’arbitre, de l’avis de la demanderesse, n’a pas respectée.

 

[118]       L’argument le plus convaincant de la demanderesse était que l’arbitre avait commis une erreur en concluant que le congédiement ne constituait pas une sanction excessive en l’espèce.

 

[119]       L’arbitre a signalé que de nombreux précédents lui avaient été soumis, mais qu’il en avait retenu deux en particulier pour guider son analyse. Il s’est d’abord appuyé sur la décision Fawson c. Bank of Montreal, [1996] CLAD no 527 (Demont) dans laquelle il est énoncé que le fait qu’un employé de banque perde la confiance de son employeur est un facteur important en raison des responsabilités qu’assument les banques en ce qui concerne [traduction] « la gestion des fonds de la clientèle et [compte tenu] des fonds que [les] banque[s] utilise[nt] à des fins lucratives ». Selon la décision Fawson, précitée, il s’agit d’un critère strict qui tolère peu de manquements à la norme d’honnêteté et d’intégrité. Or, de l’avis de l’arbitre, la conduite de la demanderesse a fait en sorte que la Banque ne pouvait plus avoir confiance en son honnêteté et son intégrité à titre d’employée.

 

[120]       Deuxièmement, l’arbitre a examiné la décision Banque Laurentienne du Canada (1994), 40 LAC (4th) no 342 (Frumkin), soumise par la demanderesse. Dans cette affaire, une employée avait de manière irrégulière obtenu durant quelques jours un crédit en déposant dans son compte un chèque de 320 $ au moyen d’un guichet automatique, avec l’intention de déposer dans les prochains jours un autre chèque pour couvrir la somme portée à son crédit. Dans cette affaire, l’arbitre a tenu compte des années de service relativement longues de l’employée et du fait qu’elle n’avait pas eu l’intention claire de soustraire des fonds à la Banque. En l’espèce, l’arbitre a toutefois conclu que les actions de la demanderesse étaient beaucoup plus choquantes :

À mon avis, l’inconduite de Mme Wu était très grave. Contrairement aux circonstances de l’affaire Banque Laurentienne, l’inconduite de Mme Wu était préméditée, répétitive, délibérée et calculée, et elle s’est produite sur une longue période, plusieurs mois en fait. De plus, il ne fait aucun doute qu’elle a tiré un avantage de ses transferts de fonds, environ 14,00 $ par jour selon la Banque. On ne peut qualifier sa conduite d’[traduction] « aberration passagère et émotive ». Même si Mme Wu était à toutes fins pratiques une employée compétente et dévouée dont le dossier disciplinaire était sans tache, elle était aussi une employée qui comptait peu d’années de service. Le congédiement de Mme Wu s’inscrit dans une application cohérente des politiques de la Banque et rien n’indique que la Banque l’ait ciblée de manière particulière pour lui imposer une sanction spéciale ou sévère. Dans ce contexte, je tiens également compte du fait que Mme Wu refuse encore d’apprécier la nature de son inconduite et d’assumer sa responsabilité. Elle a continué de nier toute conduite irrégulière et, au lieu, a blâmé la Banque de lui avoir [traduction] « permis » de faire ce qu’elle a fait. Bref, je ne peux conclure que son congédiement constituait une sanction excessive à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

 

 

[121]       À mon avis, compte tenu des conclusions auxquelles il est arrivé, l’arbitre n’avait guère d’autre choix que de conclure au congédiement. Je crains toutefois que, dans son évaluation de l’inconduite de la demanderesse, l’arbitre soit allé trop loin compte tenu des transactions en cause. L’arbitre a noté que « l’inconduite de Mme Wu était préméditée, répétitive, délibérée et calculée, et [qu’]elle s’est produite sur une longue période, plusieurs mois en fait ». Il est vrai que la demanderesse a sûrement réfléchi aux transactions avant de les effectuer et qu’elles étaient délibérées, mais je ne vois pas comment il serait possible d’effectuer une transaction autrement. Cette affirmation suggère qu’elle a été malhonnête ou qu’elle avait une intention frauduleuse, ce que l’arbitre a lui-même nié. Il n’y avait pas d’esprit criminel, et les allégations et le congédiement subséquent ont clairement décontenancé la demanderesse.

 

[122]       De plus, l’arbitre a attaché beaucoup d’importance au manque de repentir de la demanderesse concernant les transactions. Bien qu’il s’agisse d’un facteur pris en considération dans la jurisprudence, il n’est pas facile à soupeser. On peut en général exiger qu’une personne [traduction] « assume la responsabilité de ses actes », mais en l’espèce, les choses se compliquent à cet égard étant donné que la demanderesse croyait qu’elle avait des motifs juridiques valables de contester son congédiement et qu’elle estimait avoir été traitée de manière inéquitable.

 

[123]       Selon l’avocat de la demanderesse, même si la défenderesse s’est dotée d’une politique interne qui prévoit qu’une telle inconduite justifie le congédiement, les « lois du pays » n’autorisent pas la Banque à fait fi des considérations exposées dans l’arrêt McKinley. Je suis du même avis.

 

[124]       Tel que signalé dans l’arrêt McKinley, précité, et dans la décision de l’arbitre, un comportement malhonnête ne constitue plus un motif de congédiement automatique. La question, selon l’arrêt McKinley précité, est de savoir si la relation d’emploi peut être maintenue.

 

[125]       Je vais d’abord examiner la jurisprudence sur laquelle s’appuie la défenderesse à cet égard. Je vais m’en tenir à faire ressortir que les décisions invoquées soulignent l’importance de la relation de confiance entre employeur et employé ainsi que les normes plus rigoureuses et les sanctions plus sévères que commande un abus de confiance dans un tel contexte.

 

[126]       Dans la décision Lepire c. Banque Nationale du Canada, [2004] A.C.F. no 1886, citée par la défenderesse, la Cour signale l’importance de la relation entre les banques et leurs employés. Toutefois, les faits de cette affaire étaient très différents : après 31 ans de service, une employée avait enfreint le code de déontologie de la Banque en accordant un prêt à sa mère et, par la suite, avait contrevenu à une politique de la Banque en ouvrant un compte avec son époux. L’arbitre avait annulé le congédiement, en signalant que l’employée n’avait pas commis de vol, de malversation ou de fraude grave. Le juge Blais a annulé la décision de l’arbitre en signalant que les faits témoignaient d’un conflit d’intérêts, particulièrement problématique puisqu’il s’agissait d’une employée qui occupait un poste dans une banque. Voici ce que dit le juge Blais :

[15]     Une lecture attentive de la décision de l’arbitre nous amène à conclure que ce dernier s’est basé essentiellement sur la décision de la Cour suprême du Canada dans McKinley c. BC Tel, [2001] 2 R.C.S. 161.

 

[16]     Il apparaît que dans la décision McKinley, précitée, la Cour suprême a précisé les circonstances où un employeur serait en droit de congédier sommairement un employé en raison de son comportement malhonnête.

 

[17]     Je crois, sans équivoque, que cette décision doit être distinguée du présent dossier en ce qu’elle est beaucoup trop restrictive et inapplicable. Il m’apparaît que la malhonnêteté d’un employé quel que soit le niveau de cet employé par rapport à son employeur doit être traitée différemment de celle d’un employé qui sciemment se mettrait en situation de conflit d’intérêts, ce qui est la situation dans le présent litige.

 

 

[127]       Je ne suis pas lié par cette décision étant donné qu’elle a été rendue en première instance. De toute manière, les faits sont différents. Je vais maintenant examiner l’arrêt McKinley, précité, et les éléments les plus pertinents pour la présente affaire :

 

La norme applicable pour déterminer si et dans quelles circonstances la malhonnêteté constitue un motif valable de congédiement

 

[48]     À la lumière de l’analyse qui précède, je suis d’avis que, pour déterminer si un employeur est en droit de congédier un employé pour cause de malhonnêteté, il faut apprécier le contexte de l’inconduite alléguée. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si la malhonnêteté de l’employé a eu pour effet de rompre la relation employeur‑employé. Ce critère peut être énoncé de plusieurs façons. On pourrait dire, par exemple, qu’il existe un motif valable de congédiement lorsque la malhonnêteté viole une condition essentielle du contrat de travail, constitue un abus de la confiance inhérente à l’emploi ou est fondamentalement ou directement incompatible avec les obligations de l’employé envers son employeur.

 

[49]     Selon ce critère, le juge de première instance doit demander au jury de déterminer (1) si la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que l’employé a adopté un comportement dolosif et (2), dans l’affirmative, si la nature et la gravité de la malhonnêteté justifiaient un congédiement. À mon sens, le second volet de ce critère ne mélange pas des questions de fait et de droit. L’évaluation de la gravité de l’inconduite exige plutôt que les faits démontrés au procès soient soigneusement examinés et soupesés. Il s’agit donc pour le jury d’entreprendre un examen factuel.

 

[...]

 

[53]     C’est le principe de la proportionnalité qui sous-tend l’approche que je propose. Il faut établir un équilibre utile entre la gravité de l’inconduite d’un employé et la sanction infligée. On saisit mieux l’importance de cet équilibre si on tient compte du sens de l’identité et de la valorisation que les gens tirent fréquemment de leur emploi, un concept qui a été étudié dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, où le juge en chef Dickson (dissident) a déclaré, à la p. 368 :

 

Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel.

 

Notre Cour a, par la suite, cité ce passage en l’approuvant dans l’arrêt Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986, p. 1002, et dans l’arrêt Wallace, précité, par. 95. Dans l’arrêt Wallace, les juges majoritaires ont développé cette notion en précisant que l’emploi lui‑même n’est pas seulement essentiel à l’identité d’une personne, mais que « la façon dont il peut être mis fin à un emploi revêt tout autant d’importance ».

 

[...]

 

[57]     Pour les motifs qui précèdent, je préconise un cadre analytique qui traite chaque cas comme un cas d’espèce et qui tient compte de la nature et de la gravité de la malhonnêteté pour déterminer si elle est conciliable avec la relation employeur‑employé. Une telle approche réduit le risque qu’un employé soit pénalisé indûment par l’application stricte d’une règle catégorique qui assimile toutes les formes de malhonnêteté à un motif valable de congédiement. En même temps, cette approche soulignerait à juste titre que la malhonnêteté qui touche au cœur même de la relation employeur‑employé peut constituer un motif valable de congédiement.

 

 

[128]       Je suis tenu de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de l’arbitre sur les faits et la crédibilité. Il a conclu que la demanderesse était malhonnête et que les transactions enfreignaient le Code de déontologie et la convention de titulaire de carte Visa, particulièrement l’entente de 2005. Il a également conclu qu’elle devait savoir que ses transactions excédaient la zone tampon consentie aux titulaires de cartes de crédit en sus de leur limite de crédit. Je conclus également que les conclusions de l’arbitre selon lesquelles le tirage à découvert et le détournement de fonds étaient visés par le Code de déontologie étaient raisonnables.

 

[129]       Les faits de l’espèce établissent aussi que le congédiement de la demanderesse reposait sur une inconduite liée à ses comptes bancaires personnels. Elle n’a pas commis de vol, de malversation ou de fraude. L’arbitre a reconnu qu’elle n’avait pas de mobile criminel.

 

[130]       Je reviens sur les propos de la Cour suprême au sujet de la proportionnalité dans l’arrêt McKinley, précité. Au paragraphe 53, le juge Iacobucci affirme notamment :

C’est le principe de la proportionnalité qui sous-tend l’approche que je propose. Il faut établir un équilibre utile entre la gravité de l’inconduite d’un employé et la sanction infligée.

 

[131]       Je conclus que le congédiement de la demanderesse et l’évaluation qu’en fait l’arbitre ne respectent pas le principe de la proportionnalité. Je suis conscient que la défenderesse et l’arbitre ont estimé que la relation employeur‑employée était irrémédiablement rompue, mais à mon avis cette conclusion n’était pas raisonnable. Le fait que la demanderesse a effectué les transactions en cause après les heures de travail et à titre de cliente de la Banque aurait dû être pris en considération en tant que facteur atténuant. De plus, la demanderesse n’a reçu aucune mise en garde, suspension ou autre sanction. En outre, il n’y avait aucune preuve concluante attestant la réalisation d’une perte ou l’existence d’un risque significatif pour la Banque, seulement un estimé chiffrant la perte à 14 $ par jour. De plus, la défenderesse ne semblait pas s’appuyer sur une définition cohérente de la notion de tirage à découvert. Ces facteurs atténuants, ainsi que la façon dont la défenderesse a traité la demanderesse durant l’enquête et la vulnérabilité de cette dernière, ne peuvent être ignorés. Pourtant, il ne semble pas que l’arbitre ait signalé ou pris en considération ces éléments dans sa décision finale. Au lieu d’examiner les facteurs atténuants, il a mis l’accent sur l’absence de remords de la demanderesse — une considération qui, tel que signalé précédemment, était injuste puisque celle‑ci tentait simplement de se défendre des accusations portées contre elle.

 

[132]       Comme l’a observé la demanderesse, [traduction] « le travail est une des facettes les plus fondamentales de la vie ». Manifestement, ce congédiement a eu un effet traumatisant sur la demanderesse et, dès la rencontre initiale avec l’enquêteur et le superviseur, on était en présence d’un [traduction] « rapport de force inégal » propre à la relation employeur‑employé.

 

[133]       En raison de la nature de l’analyse de la proportionnalité, la décision de l’arbitre n’était pas justifiée et je ne peux conclure qu’elle fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », tel qu’exigé par l’arrêt Dunsmuir, précité, et à la lumière des directives de l’arrêt McKinley sur le congédiement et la proportionnalité. L’analyse de la proportionnalité était déficiente.

 

[134]       Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[135]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre arbitre pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[136]       La demanderesse a droit aux dépens liés à la présente demande.

 


 

JUGEMENT

 

[137]       LA COUR ORDONNE :

1.         que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre arbitre pour qu’il rende une nouvelle décision;

2.         que la demanderesse ait droit aux dépens liés à la présente demande.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-351-08

 

INTITULÉ :                                                   LI MIN (« AMANDA ») WU

 

                                                                        - et -

 

                                                                        BANQUE ROYALE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 17 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thomas Beasley

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lorene Novakowski

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Coutts Pulver LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Vancouver (Colombie-Britanique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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