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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091112

Dossier : T-984-08

Référence : 2009 CF 1153

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

DING YAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Ding Yang (désigné Ding Yan dans l’intitulé) en appelle du rejet de sa demande de citoyenneté, en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi), de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et de l’article 300 des Règles des Cours fédérales.

 

[2]               M. Yang soutient que le juge de la citoyenneté a perdu compétence en raison du retard ou du fait qu’il n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve établissant la résidence, ou pour ces deux motifs à la fois. M. Yang sollicite comme redressement une déclaration de la Cour confirmant essentiellement son droit à la citoyenneté.

 

LES FAITS

[3]               M. Yang est âgé de 29 ans et originaire du Hunan en République populaire de Chine. Il est arrivé au Canada le 24 janvier 1997 et est devenu résident permanent le 24 juin 2002. Le 18 octobre 2004, il a présenté une demande de citoyenneté canadienne.

 

[4]               La période pertinente aux fins de la demande de citoyenneté de M. Yang s’étend du 18 octobre 2000 au 18 octobre 2004. Selon le mode de calcul prévu dans la Loi, M. Yang a été présent au Canada pendant 1 059 jours, soit 36 de moins que le minimum requis de 1 095 jours, pendant la période en cause de quatre ans. Lorsque M. Yang était absent du Canada, c’était pour rendre visite à sa famille en Chine ou pour faire du tourisme.

 

[5]               M. Yang a tenté de prouver qu’il avait établi sa résidence au Canada malgré ses absences. Il a épousé une Canadienne, dont il a toutefois par la suite divorcé. Il a noué des relations d’affaires, il a été propriétaire d’une copropriété qu’il a ensuite vendue et il s’est inscrit à un programme d’études à l’Université York. Il a même produit des documents attestant qu’il avait été inculpé et déclaré coupable de délits mineurs, d’abord pour démontrer que les condamnations n’entachaient pas sa demande, puis à titre également de preuve, selon ses dires, de résidence.

 

[6]               Le 15 janvier 2007, le juge de la citoyenneté a fait passer un entretien à M. Yang. À la fin de l’instruction, le juge a mis sa décision en délibéré et demandé que d’autres documents lui soient soumis. M. Yang a présenté des renseignements additionnels au juge de la citoyenneté le 15 janvier et le 9 février 2007.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DE L’APPEL

[7]                Le 24 avril 2008, le juge de la citoyenneté a rendu sa décision à l’égard de la demande de citoyenneté de M. Yang.

 

[8]               Le juge de la citoyenneté a fait remarquer qu’il manquait à M. Yang 36 jours pour atteindre le nombre minimal de 1095 jours de résidence requis avant la présentation de la demande. Selon le juge, M. Yang avait reconnu qu’il lui fallait produire des documents additionnels pour qu’on fasse droit à sa demande, mais il n’avait pas produit ces documents. Certains documents fournis, enfin, ne se rapportaient pas à la période pertinente.

 

[9]               Le juge de la citoyenneté a notamment déclaré ce qui suit :

[traduction]

[…] Dans votre demande, vous avez déclaré avoir été présent 1 154 jours au Canada pendant la période pertinente, et absent 95 jours. Il vous manque en fait 36 jours pour atteindre le nombre minimal de 1 095 jours prescrit à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

À l’audience, on vous a demandé de produire des documents additionnels au soutien de vos prétentions de résidence au Canada. En outre, la lettre du 15 janvier 2007 qu’on vous a remise à l’entrevue précisait ce qui suit : « Je reconnais que, si ces documents n’étaient pas présentés, ma demande de citoyenneté serait rejetée par le juge ».

 

Vous n’avez pas produit à ce jour les documents additionnels demandés, et certains documents que vous avez fournis ne concernaient pas la période pertinente de quatre ans (soit du 18 octobre 2000 au 18 octobre 2004). […]

 

Je n’ai donc pu établir si vous respectiez toutes les conditions de la Loi en matière de « résidence ».

 

La question en litige

 

Le demandeur a-t-il, dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté canadienne, résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours)?

 

Décision

 

Pour les motifs susmentionnés, je ne puis approuver votre demande, parce que vous ne satisfaites pas aux conditions en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. […]

 

[10]           Le juge a rejeté la demande de citoyenneté de M. Yang.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

1.    Quelles sont les conséquences du défaut du juge de la citoyenneté de rendre sa décision dans le délai de 60 jours prescrit par la Loi?

 

2.    Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en rejetant la demande de citoyenneté?

 

3.         Quelle mesure de redressement peut être appliquée si le juge de la citoyenneté a commis une erreur quant à l’une ou l’autre des questions précédentes?

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[12]           La Loi prévoit ce qui suit :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) en fait la demande;

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

[…]

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

[…]

 

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité — avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées en vue de :

a) l’attribution de la citoyenneté, au titre des paragraphes 5(1) ou (5);

b) [Abrogé, 2008, ch. 14, art. 10]

c) la répudiation de la citoyenneté, au titre du paragraphe 9(1);

d) la réintégration dans la citoyenneté, au titre du paragraphe 11(1).

 

Interruption de la procédure

 

(1.1) Le juge de la citoyenneté ne peut toutefois statuer sur la demande émanant d’un résident permanent qui fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés tant qu’il n’a pas été décidé en dernier ressort si une mesure de renvoi devrait être prise contre lui.

 

 

 

(1.2) [Abrogé, 2001, ch. 27, art. 230]

 

Information du ministre

 

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

 

 

 

Information du demandeur

 

(3) En cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l’existence d’un droit d’appel.

 

Transmission

 

(4) L’obligation d’informer prévue au paragraphe (3) peut être remplie par avis expédié par courrier recommandé au demandeur à sa dernière adresse connue.

 

Appel

 

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

 

 

a) de l’approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

Caractère définitif de la décision

 

 

 

(6) La décision de la Cour rendue sur l’appel prévu au paragraphe (5) est, sous réserve de l’article 20, définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d’appel.

 

[…]

 

15. (1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s’il y a lieu de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

14. (1) An application for

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1) or (5),

(b) [Repealed, 2008, c. 14, s. 10]

(c) a renunciation of citizenship under subsection 9(1), or

(d) a resumption of citizenship under subsection 11(1)

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

Interruption of proceedings

 

(1.1) Where an applicant is a permanent resident who is the subject of an admissibility hearing under the Immigration and Refugee Protection Act, the citizenship judge may not make a determination under subsection (1) until there has been a final determination whether, for the purposes of that Act, a removal order shall be made against that applicant.

 

(1.2) [Repealed, 2001, c. 27, s. 230]

 

Advice to Minister

 

(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.

 

Notice to applicant

 

(3) Where a citizenship judge does not approve an application under subsection (2), the judge shall forthwith notify the applicant of his decision, of the reasons therefor and of the right to appeal.

 

Sufficiency

 

(4) A notice referred to in subsection (3) is sufficient if it is sent by registered mail to the applicant at his latest known address.

 

Appeal

 

(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

 

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

Decision final

 

(6) A decision of the Court pursuant to an appeal made under subsection (5) is, subject to section 20, final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.

 

 

15. (1) Where a citizenship judge is unable to approve an application under subsection 14(2), the judge shall, before deciding not to approve it, consider whether or not to recommend an exercise of discretion under subsection 5(3) or (4) or subsection 9(2) as the circumstances may require.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[13]           Dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 410, le juge en chef Lutfy a déclaré ce qui suit au sujet des appels concernant la citoyenneté (paragraphe 33) :

[…] La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu’un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l’alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. […]

 

[14]           Dans la décision Mizani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698, la juge Tremblay-Lamer a en outre établi une distinction entre l’interprétation des lois ou de la jurisprudence et l’appréciation des faits par les juges de la citoyenneté :

7       Il est bien établi que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux pures questions de droit. Aussi, la Cour doit d’abord déterminer si la juge s’est servie du critère juridique approprié pour tirer la conclusion concernant la résidence qui est contestée en l’espèce.

 

8        Le reste de la décision, qui consiste en l’application des faits aux règles de droit relatives à la résidence, est clairement une question mixte de fait et de droit. Je rappelle que, même s’il n’y a pas de clause privative, les juges de la citoyenneté possèdent une certaine expertise dans les affaires de résidence comme celle dont je suis saisie en l’espèce (Farshchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 487, [2007] A.C.F. no 674 (QL), au paragraphe 8). Comme je l’ai mentionné précédemment dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, [2004] A.C.F. no 88 (QL), au paragraphe 7, je suis convaincue qu’une analyse pragmatique et fonctionnelle révèle que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. […]

 

 

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par ailleurs, la Cour suprême a statué qu’il n’était pas nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle lorsque la jurisprudence s’était déjà prononcée sur la question. Je conclus par conséquent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la décision correcte quant à l’interprétation de la loi ou de la jurisprudence, et la raisonnabilité quant à l’application du droit aux faits.

 

ANALYSE

Le délai de soixante jours pour rendre une décision

 

[16]           M. Yang soutient que la décision tardive lui a porté préjudice puisque, peu après l’audience, il quittait le Canada pour aller travailler en Chine pour sa famille; il aurait implicitement perdu l’occasion de combler sa lacune et d’obtenir les 36 jours manquants de résidence en demeurant au Canada. Le défendeur répond simplement à cela que M. Yang avait quitté le Canada même avant l’expiration du délai de 60 jours.

 

[17]           La Loi prévoit ce qui suit à cet égard :

 

14.  (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité — avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées en vue de :

a) l’attribution de la citoyenneté, au titre des paragraphes 5(1) ou (5) […]

 

14. (1) An application for

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1),

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

 

 

 

[18]           La Loi ne prévoit rien quant aux conséquences d’une décision rendue hors le délai de 60 jours.

 

[19]           Dans la décision Chung (Re), [1998] A.C.F. n° 754, le juge Joyal a conclu que le délai de 60 jours ressortait du droit procédural, et que comme l’article 14 de la Loi d’alors prévoyait un appel de novo, il existait un recours valable en cas de violation de ce délai. Toutefois, la décision Chung a été rendue avant que, par suite de la modification apportée à l’article 300 des Règles, les appels de novo ne soient plus autorisés.

 

[20]           Dans la décision Sahota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 52, un juge de la citoyenneté avait refusé d’ajourner une audience au-delà du délai de 60 jours accordé par la Loi pour rendre une décision. Le demandeur n’était pas admissible à la citoyenneté avant que ne soit achevée la probation liée à une condamnation, et il souhaitait que le juge attende. Il aurait toujours été en probation à l’expiration du délai de 60 jours. La juge Mactavish a estimé le juge de la citoyenneté tenu de respecter le délai de 60 jours, et elle a déclaré : « Un déni d’équité procédurale n’obligera pas une juridiction de contrôle à annuler une décision si cette juridiction est d’avis que le manquement a été sans conséquence sur le résultat. » (Sahota, paragraphe 20.)

 

[21]           Selon la Loi, le juge « statue » dans un délai de 60 jours. Or, comme le prévoit l’article 11 de la Loi d’interprétation, l’indicatif présent exprime une obligation. Tel qu’il est toutefois mentionné dans l’ouvrage The Interpretation of Statutes (10e éd. (1953), pages 376 et 377, cité dans Principles of Administrative Law, 5e éd., Jones et de Villar, 2009 (Carswell, Toronto), il peut y avoir dans une loi deux types d’exigences procédurales, soit celles de nature impérative et celles de nature directive :

[traduction]

La jurisprudence fait une nette distinction entre les affaires où les prescriptions de la loi touchent l’exécution d’un devoir et celles qui ont trait à un privilège ou à un pouvoir. Lorsqu’on accorde des pouvoirs, des droits ou des immunités prescrivant que certains règlements […] doivent être respectés, il ne semble ni injuste ni incommode d’imposer comme condition essentielle de l’acquisition de ces droits ou pouvoirs l’observation rigoureuse des règlements […]. Cependant, lorsqu’un devoir public est imposé et que la loi exige qu’il soit exécuté d’une certaine manière, dans un certain délai ou selon d’autres conditions fixées, on peut estimer que ces prescriptions ne se veulent que directives dans les cas où les considérer essentielles et impératives entraînerait une injustice ou des inconvénients pour des tiers qui n’ont aucun contrôle sur ceux qui exécutent ce devoir.

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[22]            Le juge Lemieux s’est penché sur cette question, comme suit, dans la décision McMahon c. Canada (Procureur général), 2004 CF 540 :

13     […] il est établi de longue date par la jurisprudence que, dans certains cas, l’indicatif présent exprime une directive, auquel cas l’inobservation n’entraînera pas invalidité.

 

14     L’application de ce principe en droit canadien remonte au moins à l’arrêt rendu par le Conseil privé dans l’affaire Montreal Street Railway Co. v. Normandin, [1917] A.C. 170, un précédent mentionné par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi concernant les droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, et appliqué récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McCain Foods Ltd. c. Canada (Office national des transports), [1993] 1 C.F. 583, et dans l’arrêt Chemins de fer nationaux du Canada c. Ferroequus Railway Co., [2002] CAF 193.

 

[…]

 

16     L’approche préconisée dans l’arrêt Normandin, précité, est une approche contextuelle qui requiert d’examiner dans chaque cas l’objet du texte législatif.

 

17     Sir Arthur Channell écrivait ensuite :

 

[traduction]

Lorsque les dispositions d’un texte législatif se rapportent à l’accomplissement d’un acte public et que la nullité dont seraient frappés les actes accomplis en violation de cette obligation entraînerait de graves inconvénients ou une injustice pour des personnes qui n’ont aucun pouvoir sur ceux à qui incombe l’obligation, et lorsque ladite nullité des actes en question ne ferait pas prévaloir la volonté du législateur, alors il est d’usage de considérer les dispositions du texte comme des dispositions directives seulement, dont la violation, bien que sujette à sanctions, ne rendra pas invalides les actes accomplis.

 [Non souligné dans l’original.]

 

[23]            La Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion du juge Lemieux selon laquelle la disposition en cause était de caractère directif (McMahon c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 33, [2005] A.C.F. n° 166).

 

[24]           On attribue la citoyenneté, en vertu de la Loi, lorsque le demandeur satisfait aux exigences législatives. Annuler des décisions en matière de citoyenneté parce qu’elles sont tardives entraînerait une injustice et des inconvénients graves pour ceux dont la demande a été acceptée. Ceux-ci ne pourraient vaquer simplement à leurs occupations tout en connaissant avec certitude leur statut de citoyenneté. Il est tout aussi important que les demandeurs déboutés soient informés en temps opportun, de manière à ce qu’ils puissent corriger toute lacune entachant leur demande et en présenter une nouvelle.

 

[25]           À mon avis, le paragraphe 14(5) de la Loi qui impose un délai maximal de 60 jours est une disposition à caractère directif. En l’espèce, le délai supérieur aux 60 jours prescrits n’a pas fait perdre sa compétence au juge de la citoyenneté.

 

Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en rejetant la demande de citoyenneté?

[26]           Dans la décision Mizani, la juge Tremblay-Lamer a décrit comme suit la jurisprudence qui s’est dégagée sur la question du degré de résidence requis pour être admissible à la citoyenneté :

 

9.                  Le critère juridique qui s’applique en matière de citoyenneté est prévu au paragraphe 5(1) de la Loi (voir la disposition législative pertinente en annexe). La personne qui demande la citoyenneté doit notamment avoir accumulé trois années de résidence au Canada au cours des quatre années antérieures. Le terme « résidence » n’est pas défini dans la Loi, mais il a été interprété de diverses façons par la Cour (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, [2003] A.C.F. no 841 (QL), au paragraphe 6).

 

10     La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.)). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), au paragraphe 10).

            [Non souligné dans l’original.]

 

[27]           Le juge de la citoyenneté peut appliquer l’un ou l’autre des trois critères pour établir si la condition en matière de résidence a été respectée (Lam, précitée; Hsu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 579, [2001] A.C.F. n° 862.

 

[28]           Le juge ne peut « fusionner » les critères, mais il peut traiter des autres critères que le critère retenu, pour expliquer le choix de ce dernier. Dans la décision Tulupnikov, 2006 CF 1439, le juge Gibson a ainsi déclaré ce qui suit :

21     […] J’estime que cet exposé suffit […] En résumé, l’exposé des motifs démontre clairement et en peu de mots la conclusion du juge que, suivant le critère du compte strict des jours, c’est-à-dire le critère Pourghasemi, la demande de citoyenneté canadienne du demandeur doit être rejetée. Le fait que le juge propose ensuite des observations détaillées sur la preuve documentaire produite par le demandeur n’est pas pertinent à l’égard de sa décision, sauf dans la mesure où ces observations servent à expliquer pourquoi le juge a décidé, ou peut-être s’est estimé contraint, d’écarter les critères de la « qualité de la résidence » ou de la « centralisation […] du mode de vie », qu’il lui était loisible d’appliquer à la place de celui du compte strict des jours. Le fait que le juge ait ensuite déclaré, sans se référer à sa conclusion fondée sur ce dernier critère, qu’il ne pouvait accueillir la demande de citoyenneté du demandeur au motif que ce dernier n’avait pas rempli la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi ne suffit absolument pas, s’il crée même tant soit peu de confusion, à justifier que la Cour accueille le présent appel.

            [Non souligné dans l’original.]

 

[29]           La Loi exige que le juge de la citoyenneté énonce des motifs, une obligation particulièrement importante lorsque le juge rejette une demande de citoyenneté. La jurisprudence exige que l’exposé des motifs soit clair. Le juge Barnes a déclaré ce qui suit à cet égard dans la décision Mueller c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 961 :

8     […] Ici, je ne peux dire quel critère de résidence fut appliqué, mais il suffit de dire que le critère ne ressort pas de la phraséologie utilisée par le bureau de la citoyenneté. Si le bureau de la citoyenneté tentait d’appliquer le critère du mode de vie centralisé, il aurait dû le dire. En fait, dans ses motifs, le bureau de la citoyenneté devrait citer la jurisprudence précise qu’il applique pour que toute confusion ou tout doute sur la façon dont il évalue l’exigence de résidence soit évité. S’il applique un autre critère que la stricte norme numérique, il a aussi l’obligation de mentionner les éléments de preuve substantiels dont il dispose, et lorsque la résidence n’est pas établie, il doit expliquer la raison pour laquelle ces éléments de preuve ne sont pas suffisants.

            [Non souligné dans l’original.]

 

 

[30]           En l’espèce, l’exposé des motifs du juge de la citoyenneté est confus. D’emblée, M. Yang a reconnu qu’il lui manquait des jours de résidence au Canada. Il a ainsi demandé au juge de la citoyenneté de prendre en considération le critère du mode de vie centralisé. Le juge semble avoir accédé à sa demande en différant sa décision et en exigeant la production de documents additionnels. Le juge semble avoir ensuite écarté toute prise en considération du critère du mode de vie centralisé, toutefois, pour retourner à un compte strict des jours.

 

[31]           Bien que les juges de la citoyenneté puissent choisir quel critère de résidence ils souhaitent appliquer, les demandeurs ont droit pour leur part à un exposé valable et clair des motifs. Dans la décision Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 709, le juge Teitelbaum a conclu que la juge de la citoyenneté avait commis une erreur en donnant des messages contradictoires et trop peu d’éclaircissements dans sa décision.

 

[32]           Je ne suis pas en mesure de dire en l’espèce si le juge de la citoyenneté a rejeté le critère du mode de vie centralisé parce que le demandeur lui avait donné ce qui semble être une renonciation, ou parce que les documents et les autres renseignements fournis par M. Yang étaient insuffisants. Si le juge de la citoyenneté a tranché la demande sur le fondement d’une apparente renonciation, cela constituerait une erreur, puisqu’il avait l’obligation d’examiner la demande. Le recours par le juge à l’expression rituelle [traduction] « Pour les motifs qui précèdent » ne renseigne aucunement le demandeur de manière valable sur les lacunes pouvant entacher sa demande de citoyenneté.

 

[33]           À mon avis, dans sa décision, le juge de la citoyenneté n’a pas fourni au demandeur des motifs clairs et valables, tel que le requièrent la Loi et la jurisprudence. Le juge a commis une erreur à cet égard.

 

Les mesures de redressement disponibles

[34]            Le juge de la citoyenneté a enfreint le délai prescrit de 60 jours pour rendre sa décision. La violation d’un droit procédural ne peut, toutefois, donner naissance à un droit fondamental (Ho (Re), [1997] A.C.F. n° 1154).

 

[35]            Rien dans la Loi ne laisse le moindrement entendre que la citoyenneté puisse être obtenue d’une quelque autre manière que celle prévue par ses dispositions.

 

[36]           La Cour est saisie d’un dossier incomplet. Par exemple, nulle transcription de l’entrevue de M. Yang n’est disponible. Cela étant, il convient à mon avis de renvoyer l’affaire à un nouveau juge de la citoyenneté pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[37]           Finalement, il reste à traiter de la question du défaut de rendre une décision dans le délai de 60 jours prévu par la loi. Aucune explication n’a été donnée quant à la période de 15 mois qui s’est écoulée avant que ne soit tranchée la demande de citoyenneté de M. Yang.

 

[38]           Des dépens ont déjà été attribués parce qu’il n’y avait pas lieu de sanctionner le défaut de se conformer à une disposition à caractère directif. Dans l’arrêt McMahon (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a accordé ses dépens au demandeur débouté devant elle et devant la Cour fédérale au motif que l’inobservation d’une disposition à caractère directif ne devait pas être sanctionnée.

 

[39]           Je conclus, par conséquent, que le demandeur a droit aux dépens.

 

CONCLUSION

[40]           J’accueillerai le présent appel et ordonnerai qu’un nouveau juge de la citoyenneté statue à nouveau sur l’affaire.

 

[41]           Les dépens seront attribués en faveur du demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  L’appel est accueilli.

2.                  L’affaire est renvoyée à un nouveau juge de la citoyenneté pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

3.                  Les dépens sont attribués en faveur du demandeur.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-984-08

 

INTITULÉ :                                       DING YAN et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 OCTOBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 12 NOVEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mary Lam

 

POUR LE DEMANDEUR

David Knapp

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cecil L. Rotenberg

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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