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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20091112

Dossier : IMM-1685-09

Référence : 2009 CF 1154

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

ISMAEL OMAR AWALEH

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue du contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de prolonger le sursis à la mesure de renvoi prise contre M. Awaleh, le défendeur (la décision contestée).

 

[2]               Le ministre soutient que la décision a constitué un exercice déraisonnable de la part de la SAI de son pouvoir discrétionnaire, eu égard aux faits et aux éléments dont elle était saisie. Pour les motifs que je vais exposer, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

I.          Le contexte

[3]               M. Awaleh est un résident permanent, qui est né en Somalie le 1er janvier 1982 et qui a obtenu le droit d’établissement au Canada le 21 octobre 1996, à l’âge de quatorze ans. Sa mère est décédée alors qu’il n’avait que quatre ans et il a peu ou pas de contacts avec son père, qui réside à Toronto, ou avec son frère, qui réside à Calgary. M. Awaleh a deux jeunes fils, dont l’un vient tout juste de naître et l’autre est âgé de moins de cinq ans. M. Awaleh vit en union de fait depuis environ cinq ans avec la mère de ses enfants. Il admet avoir un problème de toxicomanie depuis de nombreuses années et, depuis 2002, il a eu affaire à diverses reprises avec des responsables de l’application de la loi, ainsi que de l’immigration, en raison de son comportement criminel. M. Awaleh a également pris part, avec un certain succès, à divers programmes de réadaptation des toxicomanes et de maîtrise de la colère.

 

[4]               Le 8 mars 2007, la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a pris une mesure de renvoi à l’encontre de M. Awaleh, en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi, qui prévoit qu’emporte interdiction de territoire au Canada le fait pour un résident permanent d’être « déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ». Ce qui a motivé la prise de la mesure de renvoi contre le défendeur, c’est une déclaration de culpabilité, inscrite le 2 juin 2004, pour vol qualifié et vol d’un bien d’au moins 5 000 $, des infractions prévues à l’article 344 et à l’alinéa 334a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46.

 

[5]               M. Awaleh a interjeté appel, en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, de la mesure de renvoi dont il faisait l’objet. La validité de cette mesure n’a jamais été contestée; le demandeur visait, en faisant appel, à faire rejeter ou suspendre la mesure pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[6]               Le 12 mai 2008, la SAI a accordé à M. Awaleh un sursis de trois ans assorti de conditions. Cela signifie que, même si M. Awaleh n’est pas forcé de quitter le pays, l’appel qu’il a interjeté à l’encontre de la mesure de renvoi n’a pas été tranché de manière définitive. La décision d’accorder un sursis conditionnel s’appuyait sur une recommandation faite conjointement par le ministre et par l’avocat de M. Awaleh, de même que sur la conclusion selon laquelle il y avait, « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ».

 

[7]               En vue d’établir si le sursis devait être accordé, la SAI a pris en considération les facteurs suivants énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. n° 4, au paragraphe 14 (Ribic), et confirmés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 : la gravité des infractions à l’origine de la mesure d’expulsion; la possibilité de réadaptation; la période passée au Canada par l’appelant et son degré d’établissement dans ce pays; la famille qu’il a au Canada et les bouleversements que lui occasionnerait l’expulsion de l’appelant; le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité; les difficultés que pourrait subir l’appelant dans le pays de destination probable.

 

[8]                La SAI a fait remarquer que M. Awaleh ne consommait ni drogue ni alcool, qu’il avait consenti des efforts pour se réadapter, qu’il travaillait et qu’il avait tissé des liens étroits avec son enfant et sa conjointe de fait. La SAI a toutefois également mentionné divers points faibles de M. Awaleh, comme ses accusations antérieures au criminel, notamment pour défaut de se conformer à des ordonnances de probation, pour évasion d’un lieu de détention et pour entrave à un agent de police, ainsi qu’une accusation de voies de fait à l’endroit de sa conjointe de fait en juillet 2006. La SAI a souligné que la cause des problèmes juridiques de M. Awaleh, c’était son alcoolisme et sa dépendance au crack.

 

[9]               Parmi les conditions dont le sursis était assorti, il y avait notamment celles de ne commettre aucun acte criminel; de communiquer à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et à la SAI tout changement d’adresse ainsi que toute accusation et toute déclaration de culpabilité en matière criminelle; de se présenter chaque mois devant l’ASFC pour faire le point au sujet de sa situation d’emploi, de son état matrimonial et de sa participation à toute thérapie ou à tout programme de réadaptation; de respecter toutes les conditions de libération conditionnelle et toutes les ordonnances des tribunaux; de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite.

 

[10]           Je vais maintenant exposer les événements qui ont conduit à la décision faisant l’objet du présent contrôle.

 

[11]           Vers la fin de mai 2008, M. Awaleh a été mis à la porte de la maison qu’il partageait avec sa conjointe de fait. En juin 2008, il a été inculpé de possession et de trafic de crack et sous trois autres chefs de violation d’engagements liés à ses déclarations de culpabilité au criminel.

 

[12]           Le 7 juillet 2008, la SI a remis M. Awaleh en détention, par suite de ses mises en accusation de juin 2008, pour violation des conditions d’octroi de son sursis. Le 8 août 2008, la SI a confirmé la décision de placer M. Awaleh en détention préventive en raison d’un risque de fuite, tout en concluant cependant que [traduction] « le problème principal qui semble à la source de tous les autres, c’est [...] le problème de drogue [de M. Awaleh] ».

 

[13]           En septembre 2008, on a offert à M. Awaleh de le remettre en liberté à la condition qu’il participe au programme de réadaptation Anchorage. Le programme étant dispensé dans un secteur de la ville que les tribunaux criminels avaient interdit à M. Awaleh de fréquenter, celui-ci ne pouvait y prendre part, et il n’a donc pu être mis en liberté. On a par la suite procédé à une révision des motifs de la garde le 16 octobre 2008, au cours de laquelle le commissaire siégeant pour la SI a ordonné que M. Awaleh soit mis en liberté et confié aux soins de The Ottawa Mission, un organisme offrant un programme de traitement des toxicomanes. Les conditions suivantes étaient notamment imposées : la fourniture d’un cautionnement en espèces par la conjointe de fait de M. Awaleh; l’interdiction pour celui-ci de consommer toute drogue contrôlée, sauf si prescrite par un médecin; le consentement de M. Awaleh à suivre un programme de stabilisation de 30 jours offert par The Ottawa Mission; son consentement, s’il était jugé admissible, à suivre un programme de réadaptation de cinq mois offert par la Life House et, s’il n’était pas jugé admissible, à en informer l’ASFC sans délai.

 

[14]           M. Awaleh a consenti à respecter ces conditions. Une fois mis en liberté à la mi‑octobre 2008, il a suivi le programme de stabilisation imposé, puis tenté de s’inscrire au programme de réadaptation de la Life House. Le programme de la Life House ayant toutefois alors atteint sa pleine capacité, M. Awaleh s’est inscrit au programme en résidence pour toxicomanes de la Sobriety House, à titre de solution temporaire en attendant qu’une place se libère au programme de la Life House.

 

[15]           Le 12 décembre 2008, M. Awaleh ayant suivi avec succès le programme de 28 jours de la Sobriety House, il est retourné vivre avec sa conjointe de fait.

 

[16]           Le 23 décembre 2008, M. Awaleh a célébré sa réussite aux programmes de réadaptation en consommant des boissons alcoolisées. Il a par la suite perdu connaissance et agi de telle manière que des accusations additionnelles de voies de fait, de profération de menaces, d’introduction par effraction et de méfait ont été portées contre lui. Ces accusations ont donné lieu à une nouvelle mise en détention de M. Awaleh.

 

II.        La décision contestée

[17]           En novembre 2008, à la demande du ministre, on a fixé au 15 janvier 2009 la tenue d’une audience en vue du réexamen oral du sursis accordé le 12 mai 2008. Le 13 mars 2009, la SAI a rendu sa décision, par laquelle elle ordonnait la prolongation pendant un an du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

[18]           La SAI en est venue à cette conclusion en faisant explicitement mention des facteurs énoncés dans la décision Ribic, et elle a tiré les conclusions reproduites ci-après :

 [12]     [Quant à la gravité de l’infraction qui a conduit à la prise de la mesure d’expulsion,] [...] [l’]infraction particulière relevée dans la conclusion d’expulsion concernait une déclaration de culpabilité pour vol qualifié au mois de juin 2004 conformément à l’article 344 du Code criminel du Canada. Un certain nombre d’autres déclarations de culpabilité ont été prononcées depuis cette date, dont une au mois de juin 2008 pour trafic de crack, possession d’un bien criminellement obtenu et défaut de se conformer aux conditions de mise en liberté.

 

[...]

 

[15]      Même si le tribunal reconnaît qu’il y a des accusations en instance, les déclarations de culpabilité inscrites contre M. Awaleh témoignent de crimes graves, dont certains constituaient une menace pour le public général. Il s’agit d’un facteur défavorable. Tout en tirant cette conclusion, le tribunal souligne que les infractions commises au mois de juin 2008 constituent un manquement aux conditions indiquées dans l’ordonnance de sursis du 12 mai 2008.

 

[...]

 

[17]      [En ce qui concerne la possibilité de réadaptation, M. Awaleh] [...] a suivi le programme Sobriety House pendant 30 jours et est parti le 12 décembre 2008. Il a alors [traduction] « célébré » la réussite de son programme de réadaptation en buvant [traduction] « plusieurs verres de vin ». C’est cette consommation d’alcool qui, selon ses dires, a accéléré le fait que des accusations criminelles aient été portées contre lui. Il a également dit qu’il ne se percevait pas comme une personne ayant un problème d’alcool. Tant et aussi longtemps qu’il ne consommait pas de drogue, c’était [traduction] « correct ».

 

[18]      Il s’agit d’un facteur défavorable dans le cadre de la présente instruction du réexamen de l’appelant, compte tenu de ses antécédents. Toutefois, l’appelant a mentionné qu’il ne consommait plus de drogues et qu’il avait l’intention d’en faire de même avec l’alcool. Il a indiqué qu’il a fait des efforts considérables pour communiquer avec les intervenants de programmes de réadaptation, ce que le tribunal admet, que le programme Life House était complet et qu’il a suivi deux programmes à la fin de 2008. Il a également mentionné que, lorsqu’il sera libéré, il continuera sa réadaptation en suivant le programme Life House. Le tribunal admet ces déclarations d’intention, compte tenu du comportement de l’appelant à l’audience, à savoir qu’il était franc et mal à l’aise quant à son inobservation des conditions.

 

[19]      [...] Dans les circonstances, son lien avec sa partenaire, le souci de cette dernière à son égard et l’approche qu’elle adopte lorsqu’elle traite avec lui tendent à indiquer que la réadaptation est une véritable possibilité dans sa vie. C’est donc un facteur favorable.

 

[20]      [En ce qui concerne la période passée au Canada et l’établissement dans ce pays,] [l’]appelant est venu au Canada lorsqu’il avait 14 ans. Il a mentionné qu’il n’avait aucun lien d’aucune sorte avec la Somalie, son pays d’origine. Il a occupé trois emplois au Canada, habite ici depuis son arrivée et a établi une famille. [...]

 

[21]      [Quant aux répercussions du renvoi,] [m]ême s’il n’y aucune preuve corroborante, l’appelant a mentionné que son départ serait préjudiciable à sa famille, imposant un fardeau excessif à sa partenaire et privant son fils et son fils qui doit naître de la présence d’un père. La conseil du ministre a avancé que sa présence au sein de l’unité familiale pourrait être un facteur défavorable si l’on tient compte de l’intérêt supérieur des enfants. Toutefois, le tribunal constate que l’appelant a des remords et a l’intention de se réadapter. Même si sa famille s’en est tirée sans lui pendant une certaine période, le tribunal estime que son départ par expulsion aurait des conséquences défavorables sur sa famille à la lumière de sa réadaptation éventuelle.

 

[22]      Le tribunal estime également que l’expulsion de l’appelant aurait des répercussions inconnues sur ce dernier. [...] Son retour, par conséquent, est un facteur neutre, même en tenant compte du fait qu’il n’a pas de famille là-bas.

 

[23]      [Quant au soutien familial,] [f]ait essentiel pour l’appelant, comme les éléments de preuve le démontrent, tant et aussi longtemps qu’il est avec sa partenaire, il fait bien les choses. Les problèmes surviennent, selon ses dires, lorsqu’il se détache des soins de sa famille immédiate. Même si Mme McRae n’a pas témoigné à l’instruction du réexamen, elle l’a fait lors de l’examen de mise en liberté sous cautionnement qui a eu lieu le 9 janvier 2009 et a témoigné en faveur de sa mise en liberté. Cela est favorable en ce sens que cela indique qu’elle est disposée à maintenir un lien avec lui et à demeurer vigilante à son égard. Si cela a eu lieu, le soutien familial ici est un facteur favorable. Le fait que l’appelant soit possiblement un modèle constructif pour ses deux fils et l’amour, comme l’a constaté le tribunal, qu’il éprouve pour ses enfants sont également des facteurs qui jouent en sa faveur.

 

[24]      [Quant au soutien dans la collectivité,] [l’]appelant a été appuyé par son conseil en tout temps et a établi des relations de travail avec des travailleurs dans le domaine de la réadaptation. Il y a donc une certaine preuve qu’il bénéficie d’un soutien dans ce secteur.

 

[25]      La conseil du ministre a avancé à l’audience que M. Awaleh n’avait respecté pratiquement aucune des conditions annexées à son ordonnance de sursis. Le tribunal estime que c’est effectivement le cas. Certaines conditions sont évidemment plus importantes que d’autres. D’un côté, les conditions voulant qu’il ne commette pas la moindre infraction ou qu’il ne soit pas accusé d’avoir commis des infractions sont importantes. L’appelant a expliqué cela en disant qu’elles étaient liées à sa dépendance à la drogue et à son problème d’alcool. Le tribunal estime qu’il y a effectivement une corrélation directe de ce genre. En même temps, le tribunal constate que l’appelant n’a pas consommé de drogue depuis le mois de juin 2008 et qu’il a l’intention d’éviter de consommer de la drogue et de l’alcool en plus de s’inscrire à d’autres programmes de réadaptation.

 

[26]      Les autres conditions de sursis sont des conditions liées à l’obligation de se présenter [...] [et] [e]ssentiellement, chacune de ces conditions a été enfreinte.

 

[27]      Les réponses de l’appelant aux questions qui lui ont été posées quant à ses inobservations étaient honnêtes et directes. Toutefois, ses réponses démontraient clairement au tribunal que, bien qu’il comprenait la chronologie des différents événements de la dernière année, il ne comprenait pas complètement tous les détails ou attentes qu’il y avait à son endroit. [...] Il a également mentionné qu’il croyait que, s’il était en prison, il ne pouvait pas rendre des comptes à l’ASFC quant à la question de l’adresse ou fournir d’autres renseignements. Habituellement, ce ne serait pas une réponse adéquate à ce genre d’inobservations. Toutefois, en l’espèce, le tribunal reconnaît que l’appelant, même s’il s’exprime bien, n’est pas une personne avertie en ce qui concerne l’importance des questions ayant une incidence sur sa vie. Cela est combiné à son incapacité à bien lire l’anglais et à son faible niveau de scolarité officielle. [...] Si des mesures de protection sont mises en place afin d’aider l’appelant dans l’avenir, mesures qui comprendraient le fait qu’il continue d’entretenir une relation avec sa partenaire et qu’il participe à des programmes de réadaptation, il pourra surmonter sa vulnérabilité ou, du moins, la gérer.

 

[28]      Il y a eu de graves manquements aux conditions de l’ordonnance de sursis qui, même s’ils ne peuvent être justifiés, ont été expliqués compte tenu des circonstances difficiles de l’espèce. Il existe des motifs d’ordre humanitaires, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision, justifiant le maintien de l’ordonnance de sursis actuellement en vigueur, sous réserve des conditions énoncées à cet effet.

 

 

[19]           Ce sont là les motifs qui étayent la décision; la légalité en est mise en cause par le ministre, à la lumière des principes applicables à toute décision de la SAI d’accorder ou de prolonger le sursis d’exécution à une mesure de renvoi.

 

III.       Analyse

[20]           Un large pouvoir discrétionnaire est conféré à la SAI pour instruire les appels interjetés à l’encontre de mesures de renvoi. En vertu de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi, la SAI peut faire droit à un appel ou surseoir à une mesure de renvoi sur preuve qu’il « y a – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ».

 

[21]           Tel que l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 57 (Khosa), il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaire », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures.

 

[22]           Bien que la décision faisant l’objet du présent contrôle n’ait pas été l’octroi initial du sursis, la SAI doit néanmoins, lorsqu’elle procède au réexamen du sursis, prendre en compte les mêmes facteurs que ceux considérés lors de son octroi. Selon la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Stephenson, 2008 CF 82, au paragraphe 25 (Stephenson), « les facteurs énoncés dans Ribic demeurent les facteurs dont la Section doit tenir compte lorsqu’elle réexamine une décision en vertu du paragraphe 68(3) de la Loi ».

 

[23]           Finalement, il importe de rappeler que la décision contestée ne tranche pas l’appel interjeté par le défendeur à l’encontre de la mesure de renvoi. La SAI peut réexaminer le sursis en tout temps et en modifier les conditions ou rejeter l’appel porté à l’encontre de la mesure (voir l’article 68 de la Loi). Le rejet de l’appel aurait pour effet de confirmer la mesure de renvoi et résulterait en l’expulsion du défendeur hors du Canada.

 

[24]           Compte tenu de ce que la Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62 (Dunsmuir), et dans l’arrêt Khosa (précité, au paragraphe 58), la norme applicable dans le cadre de la présente demande est la raisonnabilité.

 

[25]           Le caractère raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Ce qu’il importe particulièrement de souligner, c’est qu’il « peut exister plus d’une issue raisonnable » (Khosa, au paragraphe 59).

 

L’application des facteurs énoncés dans Ribic

[26]           Tout comme dans Khosa, c’est la décision de la SAI quant à savoir s’il existe des motifs d’ordre humanitaire suffisants qui est contestée en l’espèce. Les parties s’entendent pour dire que la SAI a bel et bien pris en compte les facteurs de Ribic. Le ministre a toutefois présenté des arguments, de manière structurée, au regard des divers facteurs; j’adopterai la même structure, par souci de commodité.

 

[27]           Le ministre ne conteste pas l’appréciation par la SAI de la preuve concernant la période passée au Canada par le défendeur ainsi que son degré d’établissement. Il ne conteste pas non plus la conclusion de la SAI selon laquelle les répercussions de l’expulsion éventuelle du défendeur vers la Somalie, où il ne compte aucun membre de sa famille, étaient « inconnues », la SAI ayant ajouté : « Même s’il [M. Awaleh] dit que son retour en Somalie équivaudrait à une [traduction] « peine de mort », le tribunal ne sait pas avec certitude pourquoi ce serait le cas. Son retour, par conséquent, est un facteur neutre, même en tenant compte du fait qu’il n’a pas de famille là-bas. »

 

La possibilité de réadaptation

[28]           Le ministre soutient que n’était pas raisonnable, eu égard à la preuve, la conclusion de la SAI quant aux efforts de réadaptation du défendeur. Ainsi, selon le ministre, la SAI n’a pas valablement pris en compte la preuve concernant les deux tentatives ratées de réadaptation du défendeur, non plus que son défaut répété de respecter les conditions de sa mise en liberté. Pour étayer ses prétentions, le ministre insiste sur le fait que, pour célébrer la fin de son second programme de réadaptation en décembre 2008, le défendeur a peu après bu de l’alcool, par suite de quoi de nouvelles accusations criminelles ont été portées contre lui. Le ministre allègue en outre que la preuve du défendeur était contradictoire quant à la quantité d’alcool qu’il avait bu avant l’incident de décembre 2008.

 

[29]           Premièrement, en ce qui concerne la preuve contradictoire, la SAI a relevé expressément dans sa décision que M. Awaleh avait bu [traduction] « plusieurs verres de vin ». Cela règle la question de la contradiction mentionnée par le ministre, à savoir que le défendeur aurait d’abord déclaré avoir bu un verre ou une petite quantité de vin, pour ensuite admettre avoir bu de nombreux verres.

 

[30]           Ensuite, au paragraphe 17 de la décision du 13 mars 2009, la SAI a signalé l’incident survenu en décembre 2008, par suite de quoi les plus récentes accusations criminelles ont été portées, pour ensuite formuler en fait le commentaire suivant : « Il s’agit d’un facteur défavorable dans le cadre de [l’]instruction du réexamen ». Ce n’est qu’après ce commentaire que le commissaire a déclaré admettre le témoignage du défendeur lors de l’instruction, concernant tant les efforts qu’il avait consentis pour communiquer avec les intervenants des programmes de réadaptation, que son intention de suivre le programme de réadaptation de la Life House. La SAI a admis ce témoignage, « compte tenu du comportement [de M. Awaleh] [...], à savoir qu’il était franc et mal à l’aise quant à son inobservation des conditions ». Le commissaire a également fait remarquer que l’influence constructive sur le défendeur de sa conjointe faisait de la « réadaptation [...] une véritable possibilité dans sa vie » (au paragraphe 19).

 

[31]           La SAI n’avait pas à établir si le défendeur était véritablement réadapté, ni s’il allait un jour l’être, mais seulement si elle estimait qu’il y avait une possibilité de réadaptation (Kanagaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 295, aux paragraphes 10, 13 et 14). Cela étant, il convient de noter que le ministre n’a pas contesté les conclusions de la SAI quant à la crédibilité. La crédibilité du défendeur n’étant pas en cause, il semblait raisonnable pour la SAI de conclure en la possibilité d’une réadaptation. Il y avait à tout le moins matière à une telle conclusion et, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Khosa (précité, au paragraphe 61) : « [il ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve ».

 

La famille du défendeur au Canada et les bouleversements que l’expulsion occasionnerait à sa famille

[32]           En ce qui concerne les répercussions sur la famille du défendeur de l’expulsion de celui‑ci, le ministre soutient que la SAI n’a pas suffisamment pris en compte l’éventualité que le défendeur constitue un fardeau pour sa famille et ait une mauvaise influence sur ses enfants. Le ministre ajoute que la SAI n’a fait état d’aucune preuve corroborant le rôle positif joué par le défendeur au sein de sa famille et qu’elle a, de manière déraisonnable, mis l’accent sur les efforts attendus du défendeur en vue de sa réadaptation pour pouvoir conclure que l’expulsion de ce dernier serait préjudiciable à sa famille. Le ministre soutient finalement que, les enfants du demandeur n’étant pas expulsés, la famille ne s’en trouverait pas bouleversée.

 

[33]           La SAI a fait expressément allusion, au paragraphe 21 de la décision, à l’argument du ministre quant au fardeau que pourrait éventuellement constituer le défendeur pour sa famille. Le commissaire a également reconnu l’absence de nouvelle preuve corroborante émanant de la famille du défendeur. Pour en arriver à sa décision, toutefois, le commissaire a admis le témoignage du défendeur selon lequel son départ serait préjudiciable à sa famille, imposant un fardeau excessif à sa conjointe et privant ses fils de la présence d’un père. Le commissaire a reconnu que sa conclusion reposait sur la foi prêtée à l’intention du défendeur de se réadapter. Une telle logique semble raisonnable au vu de la preuve versée au dossier du tribunal, sur laquelle la commissaire de la SAI initialement saisie s’était fondée pour accorder le sursis à l’origine et qui démontrait que, lorsque le défendeur ne consommait pas de drogue, il travaillait pour subvenir aux besoins financiers de sa famille et veillait à établir des liens étroits avec ses enfants et avec sa conjointe de fait. Il semble une fois encore, le ministre n’ayant pas mis en cause la crédibilité du défendeur et le commissaire ayant établi que la réadaptation était possible, qu’il était loisible à ce dernier de tirer pareilles conclusions.

 

[34]           Finalement, bien que les enfants ne soient pas eux-mêmes visés par la mesure de renvoi, la famille s’en trouverait désorganisée si le père devait être renvoyé du pays. Bien que le défendeur ait récemment été éloigné de sa famille, un fait relevé par le commissaire au paragraphe 21 de la décision, on ne peut dire que son expulsion permanente n’occasionnerait aucun bouleversement.

 

L’intérêt des enfants

[35]           Selon le ministre, comme il a déjà été mentionné, la SAI n’a pas suffisamment pris en compte le fait que la présence du défendeur pouvait desservir l’intérêt de ses enfants. Le ministre soutient que n’était pas fondée sur la preuve, à cet égard, la conclusion de la SAI quant au fait que le défendeur « soit possiblement un modèle constructif pour ses deux fils ».

 

[36]           Des éléments de preuve versés au dossier du tribunal montrent que M. Awaleh a joué un rôle positif dans la vie de son fils aîné. D’après les lettres transmises par sa conjointe, la mère de celle-ci et la Société de l’aide à l’enfance, M. Awaleh a consacré beaucoup de temps aux soins donnés à cet enfant et il n’a ménagé aucun effort pour être un bon père. Il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure, en fonction des actions passées du défendeur, que celui-ci aimait beaucoup ses enfants et qu’on pouvait s’attendre à ce qu’il soit pour eux un modèle constructif.

 

Le soutien dont dispose le défendeur dans la collectivité

[37]           Le ministre fait valoir qu’il était déraisonnable pour le commissaire de conclure que l’avocat du défendeur et les personnes-ressources connues de lui dans le domaine de la réadaptation constituaient un soutien au sein de la collectivité.

 

[38]           Le défendeur admet qu’avoir accès à un avocat n’équivaut pas nécessairement à disposer d’un soutien, au sens où l’entendent les facteurs énoncés dans Ribic. Cela dit, le défendeur prétend qu’il lui a été bénéfique de pouvoir recourir à un avocat lui ouvrant l’accès à des programmes de réadaptation, et que ceux-ci constituent bien une source de soutien.

 

[39]           Au cours des démêlés du défendeur avec la justice et les représentants de l’immigration, tous se sont clairement entendus pour dire que les dépendances étaient à la source des divers problèmes de M. Awaleh. Au moins en une occasion, l’ancien avocat du défendeur a déployé d’importants efforts pour obtenir de l’aide pour son client. Comme l’a fait remarquer la SI lors de la première révision des motifs de la garde en août 2008, l’ancien avocat du défendeur a bel et bien tenté de faire intégrer par son client le système judiciaire de traitement de la toxicomanie, soit le [traduction] « type de système de soutien le plus susceptible d’aider [M. Awaleh] à reprendre sa vie en main [...] ». Il n’était pas déraisonnable de conclure, par conséquent, que l’avocat du défendeur constituait pour ce dernier une source de soutien.

 

[40]           Le ministre prétend que l’allusion qu’a faite le commissaire aux relations établies par le défendeur avec des gens dans le domaine de la réadaptation était si vague qu’on ne peut en déduire rien de plus que la connaissance générale par le défendeur des programmes de réadaptation.

 

[41]           Quoique la formulation choisie aurait pu être plus heureuse, il convient de noter que le défendeur soutient avoir suivi deux programmes de réadaptation des toxicomanes, en plus d’un programme de maîtrise de la colère, au cours desquels à n’en pas douter il a dû rencontrer des conseillers et d’autres personnes en mesure de lui offrir leur soutien. À l’audience, d’ailleurs, le défendeur a fait allusion à un conseiller rencontré alors qu’il participait au programme de réadaptation de la Sobriety House. Une fois encore, on ne peut dire que la conclusion de la SAI avait un caractère déraisonnable.

 

Le soutien familial

[42]           Le ministre fait valoir que la SAI a commis une erreur en concluant que le soutien de la famille du défendeur constituait un facteur favorable. L’erreur de la SAI a plus précisément consisté, selon le ministre, à prendre en compte la présence de la conjointe du défendeur lors de l’examen de mise en liberté sous cautionnement de janvier 2009, puisqu’il n’y avait pas de preuve quant à la teneur des commentaires de la conjointe et puisque la SAI n’était saisie d’aucune preuve concernant le soutien du défendeur par sa conjointe.

 

[43]           La SAI a pris acte, au paragraphe 23 de la décision, de l’argument du ministre quant à l’absence de tout témoignage devant elle de la conjointe du défendeur depuis l’instruction de l’appel initial en février 2008. Le commissaire a toutefois fait remarquer que le défendeur, selon des éléments de preuve, faisait « bien les choses » lorsqu’il était avec sa conjointe. Le ministre ne conteste pas cette conclusion. Le commissaire a ajouté que, si la conjointe du défendeur était disposée à maintenir un lien avec lui et à demeurer vigilante à son égard, « le soutien familial est ici un facteur favorable ». Pour étayer sa conclusion quant à l’existence d’un soutien familial, le commissaire a souligné que la présence de la conjointe lors de l’examen de mise en liberté sous cautionnement indiquait qu’elle était « disposée à maintenir un lien » avec le défendeur. Contrairement à ce que le ministre semble laisser entendre, ainsi, le commissaire n’a pas tiré d’hypothèse sur la nature des déclarations faites par la conjointe à cet examen. Au vu de la preuve, on ne peut dire que la conclusion du commissaire concernant le soutien familial était déraisonnable, en ce sens qu’elle aurait été inintelligible ou n’aurait pu se justifier.

 

L’inobservation des conditions

[44]           Le ministre soutient également que la SAI n’a accordé aucune importance à la violation répétée des conditions de sursis, et a commis une erreur en concluant que, comme le défendeur ne comprenait pas bien ces conditions, il ne pouvait être tenu responsable de leur inobservation. Le ministre ajoute qu’il était déraisonnable pour le commissaire de conclure, au paragraphe 25, que le défendeur n’avait pas consommé de drogue ni d’alcool depuis juin 2008, puisque ce dernier avait été incarcéré entre les mois de juillet et octobre.

 

[45]           Au paragraphe 25 de la décision, le commissaire a bel et bien fait remarquer que le défendeur « n’avait respecté pratiquement aucune des conditions annexées à [l’]ordonnance de sursis », ajoutant toutefois que celui-ci avait expliqué convenablement ces violations en démontrant l’existence d’un lien direct entre son comportement et sa dépendance à la drogue et à l’alcool. Au paragraphe 27, le commissaire a ensuite fait directement allusion à l’argument du ministre concernant la mauvaise compréhension des conditions par le défendeur en déclarant que, si habituellement celle-ci ne permet pas d’expliquer valablement l’inobservation de conditions, en l’espèce, le fait que le défendeur n’était pas une personne avertie, qu’il avait un faible niveau de scolarité et qu’il ne pouvait bien lire l’anglais rendait moins grave une telle inobservation. Contrairement à ce que laisse entendre le ministre, la SAI n’a pas excusé le comportement du défendeur.

 

[46]           En outre, s’il est bien exact que le défendeur était en prison entre les mois de juillet et d’octobre 2008, aucune preuve ne montre qu’il ait voulu consommer de la drogue à quelque moment que ce soit pendant ou après sa période de réadaptation, de sorte que la déclaration du commissaire était parfaitement raisonnable. Tel que l’a fait remarquer le défendeur, finalement, le commissaire n’a jamais déclaré que M. Awaleh s’était abstenu de consommer de l’alcool.

 

[47]           Le ministre soutient enfin qu’il y avait des contradictions dans les conclusions tirées par le commissaire au sujet du défendeur. Le commissaire a conclu que le défendeur s’exprimait bien et s’était montré honnête et direct, tout en concluant par ailleurs qu’il ne comprenait pas la nature des conditions. Le commissaire a également souligné que le défendeur n’était « pas une personne avertie en ce qui concerne l’importance des questions ayant une incidence sur sa vie [...] [cela étant] combiné à son incapacité à bien lire l’anglais et à son faible niveau de scolarité officielle » (au paragraphe 27).

 

[48]           Il semble parfaitement raisonnable qu’une personne puisse faire un récit honnête et direct de sa situation, tout en comprenant mal la portée de divers événements. La lecture de la transcription de l’audience, en outre, m’empêche d’admettre l’argument du ministre. Il semble y avoir eu beaucoup de confusion entourant les conditions imposées au défendeur et quant à la question de savoir s’il les avait bien jamais parfaitement comprises. Étant donné le faible niveau de scolarité du défendeur et son incapacité à bien lire l’anglais, une telle confusion n’avait rien de surprenant.

 

[49]           L’essentiel de l’argumentation du ministre se dégageant de l’ensemble de ses allégations exposées précédemment, c’est que la SAI n’a pas attaché suffisamment d’importance aux activités criminelles du défendeur et à l’inobservation des conditions qui lui avaient été imposées. Comme l’a toutefois fait remarquer la Cour dans la décision Bhalru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 777, au paragraphe 1 (Bhalru) : « Il incombe à la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de déterminer le poids qu’elle attribue à chaque facteur. Dans le cadre de son contrôle judiciaire, la Cour ne peut que déterminer si la SAI a ou n’a pas examiné la preuve de manière raisonnable. Si la preuve a été examinée de manière raisonnable, il incombe à la Cour, durant le contrôle judiciaire, d’agir avec retenue et, par la suite, de ne pas apprécier la preuve de nouveau ».

 

La conclusion générale non déraisonnable

[50]           Aucune preuve ne montre que la SAI a omis de prendre en compte l’ensemble des facteurs pertinents. De fait, il est fait allusion à de nombreuses reprises, dans la décision, aux activités criminelles du défendeur et à son inobservation des conditions. La SAI a traité expressément de bien des questions soulevées par le ministre, et il n’était pas déraisonnable en soi qu’elle n’ait pas partagé les vues du ministre ou qu’elle n’ait pas accordé à certains facteurs le poids que, selon le ministre, il aurait convenu de leur attribuer. L’argument du demandeur selon lequel les conclusions de la SAI étaient contradictoires doit également être rejeté.

 

[51]           La décision Bhalru est d’importance particulière dans la présente affaire où, on l’a dit, l’appel interjeté par le défendeur à l’encontre de la mesure de renvoi n’a pas été tranché de manière définitive. Par suite de la décision du 13 mars 2009, le défendeur est autorisé à rester au Canada pendant une autre année, sous réserve du respect de certaines conditions. La SAI conserve son rôle de surveillance et elle peut révoquer le sursis ou en modifier les conditions en tout temps (se reporter au paragraphe 68(2) de la Loi et à l’arrêt Medovarski c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CSC 51, au paragraphe 37).

 

[52]           Il convient de le rappeler, le poids à accorder à l’un ou l’autre des facteurs de Ribic variera selon les circonstances propres à chaque cas (Dhadwar c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 482, au paragraphe 17). Le paragraphe 68(4), reproduit ci-après, est la seule disposition prescrivant la révocation du sursis à une mesure de renvoi :

68 (4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[53]           Aucune preuve n’a été présentée démontrant que le défendeur avait été reconnu coupable d’un crime qui le ferait tomber sous le coup de cette disposition. En outre, je n’ai pu trouver aucun précédent requérant que la SAI révoque le sursis lorsqu’un résident permanent a été inculpé d’un crime ou a enfreint les conditions du sursis. Bien au contraire, la SAI a le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte l’ensemble des circonstances et d’établir si, malgré l’existence de facteurs justifiant le renvoi, des motifs d’ordre humanitaire justifient par ailleurs que le résident permanent puisse demeurer au Canada.

 

[54]           La thèse du ministre, essentiellement, c’est qu’on a accordé en mai 2008 une dernière occasion au défendeur de demeurer au Canada, et que celui-ci, par son comportement récent, a tout simplement démontré qu’on ne pouvait plus lui faire confiance. Le président de l’audience qui a instruit l’affaire en janvier 2009 et qui a rendu la décision contestée était toutefois d’un avis différent et, après prise en compte de tous les facteurs de Ribic, a décidé de prolonger le sursis. Un autre tribunal aurait bien pu apprécier différemment ces facteurs et accepter, par conséquent, la thèse du ministre; ce n’est toutefois pas là la question. Bien qu’il eût été loisible à la SAI de révoquer le sursis, le critère applicable est autre. Il peut d’ailleurs y avoir plus d’une issue raisonnable, et tel était le cas en l’espèce.

 

[55]           En dernière analyse, « [i]l ne s’agit pas de savoir si [la Cour] souscri[t] ou non à une décision de la SAI. C’est à la SAI et non aux juges que le législateur a confié la tâche de rendre une décision » (Khosa, précité, au paragraphe 62). La décision contestée peut se justifier, elle est transparente et intelligible, et je conclus qu’elle appartient aux issues raisonnables.

 

[56]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[57]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé une question de portée générale en vue de sa certification, et aucune pareille question ne se soulève en l’espèce. Des dépens n’ont pas été demandés, et aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       IMM-1685-09

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c.

ISMAEL OMAR AWALEH

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              LE 3 NOVEMBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                      LE 12 NOVEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Ptack                                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Stieda                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Ahmad-Yousuf & Associates                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)

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