Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20091117

Dossier : IMM-5573-08

Référence : 2009 CF 1169

Montréal (Québec), le 17 novembre 2009

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

HATEM ASHOUR ISSA ABOUDAIA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’une agente d’examen des risques avant renvoi (« l’agente »), présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la « Loi »). Dans une décision rendue le 30 octobre 2008, l’agente a rejeté la demande de Hatem Ashour Issa Aboudaia (le « demandeur ») pour une dispense de l’exigence de présenter une demande de visa de résident permanent de l’extérieur du Canada pour des motifs humanitaires (« la demande CH »).

 

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur est un citoyen libyen d’origine amazighe.

 

[3]               Muni d’un visa étudiant, il est arrivé au Canada le 12 mai 2000 et a revendiqué le statut de réfugié. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« la CISR ») a rejeté sa demande.

 

[4]               En 2003, le demandeur a présenté la demande CH à l’origine du présent litige.

 

[5]               Le demandeur a affirmé avoir occupé plusieurs emplois et géré sa propre entreprise au Canada, mais il n’a jamais déclaré des revenus de plus de 5 000 $. Il ne semble jamais avoir suivi de cours de langue ou de formation professionnelle, et ne s’est pas autrement intégré à la société canadienne (par exemple par l’entremise du bénévolat).

 

[6]               L’agente a rejeté la demande du demandeur, concluant que celui-ci ne subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées du fait de son retour en Lybie. Relatant les faits exposés ci-haut, elle a jugé que les liens du demandeur au Canada et son degré d’établissement ici étaient insuffisants pour justifier la dispense demandée.

 

[7]               Quant à la question des risques auxquels le demandeur serait confronté à son retour en Lybie, l’agente a étudié les conclusions de la CISR à l’effet que les allégations de persécution du demandeur n’étaient pas plausibles. Elle a examiné des éléments de preuve documentaire sur la Libye, qui allaient dans le même sens : la Libye contrôle les déplacements de ses citoyens, et particulièrement des dissidents, et le demandeur n’aurait pas pu voyager comme il l’a fait s’il était vraiment recherché. L’agente a également noté que le demandeur ne semblait pas avoir de casier judiciaire en Libye en 2004, et qu’il n’était pas clair pourquoi, au juste, il y serait recherché.

 

[8]               Malgré l’absence de preuves à cet effet, l’agente a reconnu que le demandeur appartient à la minorité amazighe, qui a, historiquement, été victime de discrimination. Cependant, elle a également tenu compte de l’amélioration récente des conditions de cette minorité, rapportée par le « U.S. Country Report » de 2007 concernant la Libye. L’agente a « conclu[…] que le demandeur ne sera[it] pas exposé à une menace pour son intégrité physique et psychologique telle à cause de son appartenance ethnique qu’elle pourrait être considérée comme une difficulté extrême pour inciter la dispense demandée ».

 

[9]               Le demandeur attaque cette conclusion, soutenant que l’agente a appliqué un critère erroné à l’examen de sa demande.

 

ANALYSE

 

[10]           La question du critère applicable à une demande de dispense pour des motifs humanitaires est une question de droit, et la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte. (Voir l’arrêt Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 2008 CF 1263, au par. 16.)

 

[11]           Selon le demandeur, l’agente a appliqué un critère erroné en droit en concluant « que le demandeur ne sera[it] pas exposé à une menace pour son intégrité physique et psychologique telle à cause de son appartenance ethnique qu’elle pourrait être considérée comme une difficulté extrême pour inciter la dispense demandée » [Je souligne].

 

[12]           En effet, le critère, tiré du Guide de l'immigration: Traitement des demandes au Canada, et consacré par la jurisprudence, est celui de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » et non extrêmes (voir notamment Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358 aux pars. 20 à 28 ; voir aussi, Rafieyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 727, [2007] A.C.F. no 974 (QL), au par. 40).

 

[13]           Le demandeur reconnaît que l’agente a cité le critère approprié au début et à la toute fin de ses motifs. Toutefois, il considère le passage où l’agente a employé le mot « extrême » comme central à la décision, car contrairement à l’introduction et à la conclusion, celui-ci y appliquait le test à son cas particulier. L’agente aurait reconnu que le demandeur pourrait subir des difficultés liées à son origine ethnique, et c’est dans le même passage de ses motifs qu’elle a énoncé le critère erroné de difficultés « extrêmes ». Celui-ci s’appuie sur la décision du juge Pinard dans Rebaï c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 24 à l’effet qu’une décision dans laquelle l’agente avait, par deux fois, fait allusion à un critère erroné était entachée d’une erreur de droit et devait être annulée.

 

[14]           Pour sa part, le ministre soutient qu’en parlant de « difficultés extrêmes », l’agente ne tentait pas d’articuler le critère qu’elle employait dans l’analyse de la demande CH du demandeur. De toute façon, selon lui, l’agente aurait conclu que le demandeur « ne fait face à aucune difficulté [reliée à son origine ethnique], qu’elle soit inhabituelle, injustifiée, excessive ou extrême. Le choix de ce dernier terme n’est d’aucune conséquence ».

 

[15]           Subsidiairement, le ministre soutient que l’utilisation du terme « difficulté extrême » est, tout au plus, une « gaucherie de langage ». Celle-ci serait sans conséquence réelle puisqu’il ressort de l’ensemble de la décision que l’agente aurait appliqué le critère approprié. Je suis de cet avis.

 

[16]           L’emploi du mot « extrême » par l’agente est plutôt une gaucherie de langage qu’une démonstration de l’application d’un fardeau trop élevé. Ainsi, selon le Petit Robert de la langue française,  un des sens du mot extrême est « [q]ui est au plus haut point […] ou à un très haut degré ». « Intense » et « extraordinaire » en sont des synonymes. « Démesuré », quant à lui, signifie « [d]’une très grande importance, intensité », et que parmi ses synonymes on retrouve « énorme », « excessif », « extraordinaire », et même « infini ». Ainsi, le sens du mot employé par l’agente et celui qui fait partie du test consacré par la jurisprudence sont très proches, sinon tout à fait identiques.

 

[17]           Il est vrai, bien sûr, que l’application d’un critère réellement erroné vicie la décision administrative. C’est ce qui est arrivé dans l’affaire Rebaï, supra, sur laquelle s’appuie le demandeur. L’agente y avait conclu que « [l]e demandeur n’a pas établi qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou à sa sécurité s’il devait retourner en Algérie » [je souligne] (par. 9). Le juge Pinard a conclu « que l’agente d’ERAR a énoncé expressément et appliqué une norme plus élevée que celle qui est applicable aux décisions sur des demandes CH ». Le critère du risque causant des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives ne se limitant pas aux menaces à la vie ou à la sécurité d’un demandeur, il s’agit d’une erreur grave causée par l’importation du critère applicable à une procédure distincte (l’examen de risques avant renvoi). On est bien loin de l’emploi d’un synonyme, comme en l’espèce.

 

[18]           Ma décision dans Sha’er c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 231, où l’agent avait aussi appliqué un critère propre à la procédure d’ERAR à une demande CH, ainsi que celle du juge Sean Harrington dans Sahota v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 FC 651, [2007] F.C.J. No. 882 (QL), où l’agent n’avait examiné aucun facteur pertinent à la demande CH en cause sauf le risque, ne sont, elles non plus, d’aucun secours au demandeur.

 

[19]           À mon avis, le fait que l’agente ait reformulé le critère applicable, tout en restant proche de son sens littéral, après et avant de l’avoir cité textuellement, tend à démontrer qu’elle le comprenait. Accepter l’argument du demandeur reviendrait à forcer les agents à réciter mécaniquement le critère consacré, ce qui ne ferait que masquer le degré de compréhension réelle qu’a chaque agent du test applicable. Une lecture attentive des motifs de décision permet à la Cour d’être satisfaite que l’agente connaissait et maîtrisait le critère applicable.

 

[20]           Selon le demandeur, au-delà des mots employés, l’analyse des motifs de la décision de l’agente démontre qu’elle a imposé un fardeau trop lourd, commettant ainsi une erreur de droit déterminante. Avec égards, je n’en suis pas convaincue. Ainsi, il ressort des motifs de sa décision que l’agente a étudié la preuve et n’a pas trouvé que le demandeur serait confronté à des difficultés inhabituelles ou excessives à son retour en Lybie, notamment parce qu’il n’était ni dissident ni recherché par les autorités. De plus, l’agente a conclu que la discrimination contre les Amazighs n’était pas telle qu’elle exposerait le demandeur à des difficultés « extrêmes » du fait de son origine ethnique. Le demandeur n’explique pas en quoi, si l’agente avait parlé de difficultés « démesurées » ou « excessives » plutôt qu’ « extrêmes » sa conclusion aurait pu être différente. 

 

[21]           Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5573-09

 

INTITULÉ :                                       HATEM ASHOUR ISSA ABOUDAIA

                                                            c.    MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 17 novembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marie-Josée Houle

 

POUR LE DEMANDEUR

Martine Valois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marie-Josée Houle

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.