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Date : 20091116

Dossier : IMM-3099-09

Référence : 2009 CF 1164

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 novembre 2009  

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

ADRIANNA AZNAR ALVAREZ

JUAN MANUEL ROMO AVILA

JUAN ANDRES ROMO AZNAR

MARIA CRISTINA ROMO AZNAR

JOSE ERIC CALVA CABRERA

MARIA FERNANDA AZNAR ALVAREZ

MONSERRAT ERIKA CALVA AZNAR

ANDREA DANIELA MADRAZO AZNAR

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 15 mai 2009, dans laquelle il a été décidé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

Contexte

[2]               Les demandeurs principaux, Adriana Aznar Alvarez (Adriana) et sa sœur Maria Fernanda (Maria) Aznar Alvarez, ont sollicité le recouvrement de sommes prétendument spoliées à leur mère et à leur grand-mère en 2001 par Ernesto Aznar, un cousin. Ce faisant, elles ont tenté de le faire arrêter et juger. Cependant, elles, ainsi que les membres de leur famille, ont fait l’objet de menaces de mort, qui les ont poussées en fin de compte à demander l’asile au Canada en 2007. À une occasion, l’une des demanderesses s’est vue menacée par un fusil braqué vers sa tête. Depuis qu’elles sont au Canada, les demanderesses poursuivent toujours leurs recours juridiques à l’endroit d’Ernesto, par la voie d’un avocat au Mexique.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[3]               Le tribunal a considéré les faits de la demande comme étant crédibles, mais n’a pas conclu qu’il y avait un risque de persécution pour un motif prévu à la Convention. Les demanderesses n’ont pas été considérées comme des personnes à protéger, parce que la commissaire a conclu qu’elles avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mazatlán, dans l’État de Sinaloa. Mazatlán est située à des milliers de kilomètres de la résidence d’Ernesto, à Merida, et à environ mille kilomètres de l’ancienne maison des demanderesses à Aguascalientes.

 

[4]               La commissaire était prête à croire qu’Ernesto avait les moyens de retrouver les demanderesses à Mazatlán, s’il le désirait. Cependant, elle a conclu qu’Ernesto n’avait pas réellement d’intérêt à causer du tort aux demanderesses. Il n’a pas causé de tort à quiconque dans sa famille, en dépit de leurs tentatives de le faire arrêter. Ayant examiné les conditions à Mazatlán, ainsi que les circonstances de l’affaire, la commissaire a conclu qu’il était objectivement raisonnable pour les demanderesses de chercher refuge à Mazatlán.

Question en litige

[5]               La question est de savoir si la commissaire du tribunal a commis une erreur en omettant d’évaluer si les menaces de mort contre les demanderesses rendaient la PRI à Mazatlán objectivement déraisonnable.

 

Analyse

[6]               Les demanderesses prétendent que des questions de droit découlent de la présente demande de deux façons, et que la norme de contrôle applicable à ces questions devrait être celle de la décision correcte. Premièrement, elles prétendent que le point de savoir si l’exposition à des menaces de mort au lieu de leur PRI constitue un risque pour leur vie, ou un risque de traitements cruels et inusités, est une question de droit. Deuxièmement, elles prétendent que le point de savoir si les menaces de mort influent sur le caractère objectivement raisonnable de la PRI proposée constitue aussi une question de droit. Elles conviennent que la norme de contrôle globale qu’il convient d’appliquer à la décision du tribunal devrait être celle de la raisonnabilité.  

 

[7]               Le point de départ pour toute analyse de la norme de contrôle est dorénavant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (Dunsmuir). Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a abandonné la norme de la décision manifestement déraisonnable, ce qui ne laisse dorénavant que deux normes de contrôle, soit celle de la décision correcte et celle de la raisonnabilité. La Cour suprême a aussi jugé qu’il n’est pas nécessaire de mener une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la question de la norme de contrôle applicable à une question précise soumise au tribunal est bien établie dans la jurisprudence, la cour procédant au contrôle peut adopter cette norme de contrôle.

 

[8]               Avant l’arrêt Dunsmuir, il était bien établi que la détermination d’une PRI était hautement factuelle, ce qui appelait un haut niveau de déférence : voir, par exemple, Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 954, [2003] A.C.F. no1217. Les précédents en cette matière étaient les arrêts de la Cour d’appel fédérale dans Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706, [1991] A.C.F. no 1256, Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172, et Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, [2000] A.C.F. no 2118. Comme il est énoncé au paragraphe 10 de l’arrêt Rasaratnam, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que (1) les demanderesses ne risquaient pas sérieusement d’êtres persécutées au lieu de leur PRI; et que (2) compte tenu de toutes les circonstances, il ne serait pas déraisonnable pour les demanderessses d’y chercher refuge.

 

[9]               Dans l’arrêt Thirunavukkarasu, au paragraphe 2, le juge Linden a clarifié en ces termes le concept de PRI :

[…] Je dois tout de suite signaler que la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays n'est pas une défense légale. Ce n'est pas non plus une théorie juridique. C'est simplement une expression commode et concise qui désigne une situation de fait dans laquelle une personne risque d'être persécutée dans une partie d'un pays mais pas dans une autre partie du même pays […]

 

Il a écrit aussi ce qui suit au paragraphe 13 :

Pour savoir si c'est raisonnable, il ne s'agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d'un tel déménagement. Il ne s'agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu'un nouveau pays. Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger?

 

[10]           Cela constitue un seuil très élevé pour le critère du caractère déraisonnable, car, comme l’a fait remarquer le juge Létourneau dans Ranganathan, au paragraphe 15, « il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions. » Abaisser un tel seuil équivaudrait à permettre à des gens de demander l’asile au Canada simplement parce qu’ils y seraient plus à l’aise du point de vue matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr dans leur propre pays : Ranganathan, au paragraphe 16.

 

[11]           Depuis l’arrêt Dunsmuir, il a été décidé qu’une décision de la Commission portant sur les questions de fait est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, [2008] A.C.F. no 515; voir aussi Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358, [2008] A.C.F. no 463, aux paragraphes 11 à 15.

 

[12]           Dans une affaire comme celle-ci, il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12, au paragraphe 59).

 

[13]           Dans le contexte, comme celui en l’espèce d’une demande d’asile fondée sur le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, les demanderesses doivent prouver que leur renvoi dans leur pays d’origine les exposerait personnellement à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, qu’elles sont exposées en tous lieux de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas. La question de savoir si les demanderesses seraient exposées à ce risque en tous lieux du pays constitue une question de fait. Le contrôle de cette évaluation du tribunal par la Cour exige un haut degré de déférence, et la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

 

[14]           Je n’estime pas qu’il était nécessaire en l’espèce, d’un point de vue juridique, que la commissaire examine si les menaces de mort d’Ernesto constituaient en soi une menace à la vie des demanderesses, ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités. Il est manifeste que la commissaire aurait conclu que les demanderesses étaient des personnes à protéger, si ce n’était de sa conclusion qu’il s’agissait de menaces en l’air et qu’Ernesto n’avait pas réellement l’intention de les mettre à exécution au cours des années où les demanderesses ont activement tenté de le faire emprisonner pour fraude. Il s’agissait d’une conclusion de fait qui pouvait raisonnablement être tirée par la commissaire, compte tenu de la preuve. Elle n’a pas seulement considéré les menaces comme n’étant pas réalistes, mais a examiné le contexte dans lequel elles ont été proférées, soit dans le cadre de la mésentente entre les parties. La menace prononcée par l’un des demandeurs masculins à l’endroit d’Ernesto, comme quoi il aurait rendu impossible l’exploitation de ses entreprises, faisait aussi partie du contexte.

 

[15]           La question déterminante était de savoir s’il était objectivement raisonnable pour les demanderesses de déménager dans une partie éloignée du Mexique (à Mazatlán), avant de demander la protection du Canada pour y continuer leur bataille juridique contre Ernesto. La commissaire a estimé que c’était le cas, en dépit de sa conclusion qu’Ernesto povuait retrouver les demanderesses à Mazatlán, s’il le voulait. Il ne serait que conjecture que de prétendre qu’Ernesto continuerait de proférer des menaces à l’endroit des demanderesses, si elles avaient décidé de s’établir à Mazatlán, et de considérer que de telles menaces, dont la commissaire avait conclu qu’elles manquaient de substance, auraient pour effet de rendre la PRI déraisonnable. Il n’y avait pas d’éléments de preuve réels et concrets faisant état de conditions qui mettraient la vie et la sécurité des demanderesses en danger dans cette région : Raganathan, précité, au paragraphe 15.

 

[16]           À mon avis, en faisant preuve d’haut degré de déférence, j’estime que le raisonnement adopté par le tribunal, ainsi que l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et répondent à la norme de la raisonnabilité. Aucune des parties n’a proposé de question grave d’importance générale, et aucune question ne sera certifiée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.      la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3099-09

 

INTITULÉ :                                       ADRIANA AZNAR ALVAREZ et al. c.

                                                            LE MINSTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 novembre 2009

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 16 novembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shane Molyneaux

POUR LES DEMANDERESSES

 

Charmaine de los Reyes

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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