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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20090902

Dossier : T-1086-08


Référence : 2009 CF 869

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

KEN INSCH

demandeur

 

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               M. Ken Insch (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de Mme Lysanne Gauvin, Sous-commissaire (la SC) de la Direction des ressources humaines de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Dans cette décision rendue le 13 juin 2008, la SC a rejeté le grief du demandeur visant à contester la décision de l’ARC de rejeter la plainte pour harcèlement déposée par le demandeur.

 

Contexte

[2]               Le 10 mars 2003, le demandeur, un ancien employé de la Section de l’évitement fiscal du bureau des services fiscaux de Calgary de l’ARC, a déposé une plainte pour harcèlement en vertu de la politique de l’Agence sur la prévention et la résolution du harcèlement (la politique de l’ARC ou la politique de l’ARC en matière de harcèlement). Dans sa plainte, le demandeur alléguait notamment :

a.       que le 9 novembre 2000, son gestionnaire, M. Hillen, s’est adressé à lui en hurlant devant un groupe de collègues;

b.      que le 2 mai 2001, sa demande de vacances de cinq semaines avec étalement du revenu présentée le 11 avril 2001 a été rejetée par un autre gestionnaire;

c.       que le 2 novembre 2001, M. Hillen a fourni au demandeur une évaluation du rendement avec laquelle ce dernier était en désaccord, en plus de lui signaler qu’il était assujetti à un plan de travail; 

d.      que le 30 novembre 2001, après l’évaluation du rendement, le demandeur a déclaré qu’il ne faisait plus confiance à messieurs Hillen et Lawrence, et a demandé d’être muté à l’extérieur de la Section de l’évitement fiscal. Le 13 mars 2002, le demandeur a été avisé de sa mutation à la Section des petites et moyennes entreprises (PME).

 

[3]               Le demandeur a aussi résumé dans sa plainte ces allégations, puisqu’elles concernaient respectivement messieurs Hillen et Lawrence, en plus d’y insérer un calendrier des événements. Parmi les plaintes concernant M. Lawrence, en plus de celles mentionnées ci-dessus, le demandeur allègue que le 9 mai 2002, il a appris qu’un employé du bureau des services fiscaux de Winnipeg avait été informé que le demandeur était assujetti à un plan de travail.

 

[4]               La plainte du demandeur est datée du 10 mars 2003. Celle-ci a été laissée en suspens, en attendant que le demandeur reçoive certaines informations qu’il avait sollicitées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1.

 

[5]               Le 29 mars 2004, le demandeur a présenté une série modifiée d’allégations, et les a officiellement présentées à son employeur. Les allégations révisées visaient à clarifier son affirmation portant que sa mutation à la Section des PME était planifiée, afin de faire dérailler sa carrière, puisqu’il n’avait ni formation ni expérience dans ce domaine. Le demandeur a aussi inclus une plainte additionnelle, dans laquelle il allègue que le 23 juillet 2002, M. Hillen a donné une mauvaise référence professionnelle à son sujet à un employeur potentiel.

 

[6]               L’examen initial de la plainte a été confié à Mme Kathryn Turner, Sous-commissaire à la Section des opérations régionales des Prairies de l’Agence. Par lettre datée du 16 mars 2005, Mme Turner a relevé que la plainte du demandeur dressait une liste d’incidents précis s’étant produits entre le 9 novembre 2000 et le 5 décembre 2001, avec de [traduction] « vagues mentions des incidents du printemps 2002 ».

 

[7]               Mme Turner a conclu que les allégations décrites dans la plainte originale se rapportaient à des événements s’étant produits à l’extérieur du délai d’un an prévu dans la politique en matière de harcèlement. En outre, bien qu’elle ait conclu que l’allégation concernant l’évaluation du rendement avait été déposée en temps utile, elle a conclu qu’elle n’était pas appuyée par la preuve. Elle a refusé d’accueillir la plainte pour ce motif.

 

[8]               Le 2 avril 2005, le demandeur a présenté un grief portant sur la décision rendue le 16 mars 2005 par Mme Turner. Le grief a directement été envoyé au dernier palier. La SC a signalé qu’il avait auparavant été tranché, que la plainte ne satisfaisait pas aux exigences de recevabilité et qu’elle ne voyait pas de raison d’intervenir.

 

Questions en litige

[9]               Deux questions en litige sont soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire :

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.      La décision satisfait-elle à cette norme?

 

Examen et décision

[10]           Le grief du demandeur a été traité en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP ou la Loi), qui constitue la Partie 1 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C., 2003, ch. 22. 

 

[11]           La plainte du demandeur ne constituait pas une plainte décrite à l’article 209 de la LRTFP, lesquelles peuvent être renvoyées en arbitrage après le dernier palier de la procédure de règlement des griefs. En fait, le grief dont il est question en l’espèce a été présenté en vertu de l’article 208 de la Loi. Le paragraphe 208(1) est pertinent en l’espèce, et prévoit ce qui suit :

Droit du fonctionnaire

 

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

 

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

 

 

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

 

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

 

 

Right of employee

 

208. (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

 

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

 

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

 

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

 

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

 

[12]           En vertu de l’article 214, la décision de la SC était définitive et obligatoire pour l’application de la Loi. L’article 214 prévoit ce qui suit :

Décision définitive et obligatoire

 

214. Sauf dans le cas du grief individuel qui peut être renvoyé à l’arbitrage au titre de l’article 209, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est définitive et obligatoire et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l’égard du grief en cause.

 

 

 

Binding effect

 

 

214. If an individual grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 209 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken on it.

 

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a dit que les décisions des décideurs administratifs sont révisables selon une des deux normes suivantes : celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Les questions de droit et de compétence sont généralement assujetties à la norme de la décision correcte. Les questions de fait, de pouvoir discrétionnaire ou de politique appellent généralement la déférence judiciaire, c’est à dire le contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Dans Dunsmuir, la Cour suprême a aussi affirmé que, lorsque la jurisprudence a arrêté la norme de contrôle applicable, celle‑ci peut être retenue dans les décisions ultérieures

 

[14]           Dans Hagel et al. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 329, le juge Zinn a étudié une demande de contrôle judiciaire visant des décisions rendues en application de la Loi et qui portaient sur plusieurs griefs individuels présentés en vertu de l’article 208. Il a conduit l’analyse relative à la norme de contrôle et a noté que, sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, maintenant abrogée, la norme de contrôle applicable aux griefs non susceptibles d’arbitrage était celle de la décision manifestement déraisonnable, norme qui n’existe plus depuis l’arrêt Dunsmuir. Étant donné la clause privative de l’article 214 de la Loi, l’expertise du décideur, le régime législatif et la nature de la question, soit l’interprétation d’une politique, le juge Zinn a conclu que la norme de contrôle appropriée était celle de la raisonnabilité.

 

[15]           La même norme s’applique en l’espèce, vu que le demandeur a présenté un grief portant sur l’interprétation et l’application d’une politique administrative, soit la Politique en matière de harcèlement.

 

[16]           Cela signifie que la SC devait examiner la décision de Mme Turner du 16 mai 2005 à la lumière de la politique régissant le processus décisionnel.

 

[17]           Mme Turner a dit dans sa décision que les allégations portant sur les événements du printemps 2002 étaient vagues; cependant, le seul motif qu’elle a réellement donné pour refuser de donner droit à la plainte du demandeur était que celle-ci n’avait pas été présentée dans le délai prévu.

 

[18]           L’étape 1 de l’Annexe E de la politique en matière de harcèlement exige qu’une plainte soit produite dans un délai d’un an suivant le dernier incident, sauf dans des circonstances spéciales; qu’elle décrive la nature des allégations et qu’elle identifie les mis en cause et les témoins, et indique les incidents et les dates pertinentes. Selon l’étape 3 de la même annexe, l’acceptation de la plainte est subordonnée à ce qu’elle satisfasse à la définition de harcèlement, aux exigences énoncées à l’étape 1, et qu’elle comporte une « corroboration à première vue », par exemple une description des incidents, dates, et noms des témoins.

 

[19]           La plainte doit être lue dans son ensemble, ce qui inclut les allégations contenues dans la modification de mars 2004. Selon moi, la plainte contient clairement des allégations concernant les événements du 16 mars 2002 et du 9 mai 2002. La plainte a été déposée dans l’année suivant ces dates et a, par conséquent, été déposée dans le délai prescrit par la politique de l’ARC.

 

[20]           Puisque la plainte a été déposée dans l’année suivant les événements du 16 mars 2002 et du 9 mai 2002, celle-ci respectait le délai prescrit par la politique de l’ARC. Mme Turner n’a pas tiré de conclusions voulant que la plainte n’ait pas satisfait aux critères additionnels de recevabilité. Il est raisonnable de croire que, si cela avait été le cas, elle en aurait fait mention.

 

[21]           Mme Turner n’a pas donné de motifs de rejet de la plainte autre que le non-respect du délai. Il en résulte que, si la SC s’est seulement fondée sur la conclusion de Mme Turner portant que la plainte était irrecevable pour cause de non-respect du délai, la décision de la SC reposait sur des motifs erronés.

 

[22]           La SC a ensuite examiné la décision de Mme Turner et a conclu que l’allégation du demandeur avait fait l’objet d’un examen juste. Selon moi, cette conclusion est déraisonnable, parce qu’elle est fondée sur une décision erronée de Mme Turner. Celle-ci a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la plainte était hors délai. Bien qu’il était possible pour Mme Turner d’examiner les autres facteurs et de se prononcer sur eux pour donner droit à la plainte, elle ne l’a pas fait.

 

[23]           Par conséquent, la demande contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SC est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci, conformément aux présents motifs. Les dépens sont accordés au demandeur.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la SC est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci, en conformité avec les présents motifs. Les dépens sont accordés au demandeur.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER                                           T-1086-08

 

INTITULÉ :                                       KEN INSCH c.

                                                            L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 mai 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Heneghan

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 2 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

POUR LE DEMANDEUR

Agnieska Zagorska

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Welchner Law Office

Société de professionnels

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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